'•;^^^^"- '■•■■,>'' *.•'- ' ?ï.T? ''>: i*i^ ^:i ( ^ v/; oeuvrb:s C O IVI P L IL T E s DE ROLLIN. TOME HUITIEME. A PARIS, (FIRMIN DIDOT, père et fils, Libraires, rue Jacob, n° 24; LOUIS JANET, Libraii-e, rue St- Jacques, n Sg; j BOSSANGE, Libraire, rue de Tournon, n° 6; > VERDIÈRE, Libraire, quai des Augustins, n" a 5.- OEUVRES COMPLÈTES DE ROLLIN. NOUVELLE ÉDITION, AfirOMPAGNF.E d'oRSER V ATIONS ET D'ÉrLAIRCISSEMENTS HISTORIQUES, Par m. LETRONNE, MEMBRE DE l'iNSTITUT ( académif botale des inscriptions et belles -I.ETTR ES ). HISTOIRE ANCIENNE. TOME Y III. PARIS, DE L'IMPRIMERIE DE FIRMIN DIDOT, IMPRIMEUR DU ROI ET DE l'iNSTITUT , RUE JACOB, n" 24- M DCCC XXII. HISTOIRE ANCIENNE DES GRECS, DES MACÉDONIENS, DES PERSES, etc. LIVRE DIX-NEUVIÈME. SUITE DE L HISTOIRE DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE, DEPUIS Lxy PC MONDE 38oS jusqu'a 3844* v«9ff^9««^Ç^ \_jE livre renferme l'espace de trenle-six ans, savoir: les seize dernières armées du règne de Ptolémée Epi- pliane, qui en régna en tout vingt-quatre; et les vingt premières de celui de Ptolémée Pliilométor, dont le règne a été de trente-quatre ans. HlSTOIRi; ANCIEiyNE. ARTICLE PREMIER. Cet article comprend l'histoire des seize dernières an- nées du règne de Ptolémée Épiphane. Pendant cet in- tervalle, les Romains font la guerre contre Antiochus, roi de Syrie, qui est vaincu, et obligé de demander la paix. Dans ce même temps arrivent les différends et les querelles entre les Lacédémoniens et les Achéens, et la mort du fameux Philopémen. § I. Sur les plaintes et les soupçons formés contre antiochus, les Romains lui envoient une ambas- sade; elle n aboutit qu'à disposer les choses de part et d autre à une rupture ouverte. Conspira- tion de Scopas, Étolien, contre Ptolémée: il est mis à mort avec ses complices. Annibal se retire chez Antiochus. Guerre de Flamininus contre Na- bis. Il U assiège dans Sparte., l'oblige à demander la paix., et la lui accorde. Il entre à Rome en triomphe. La guerre de Macédoine avait fini fort h. propos pour les Romains, qui, sans cela, auraient eu sur les bras en même temps deux puissants ennemis, Philippe et Antiochus ; car il était évident que bientôt on serait obligé de déclarer la guerre au roi de Syrie , qui avan- çait tous les jours ses conquêtes de plus en plus , et se préparait sans doute à passer en Europe. r.M.3So8. Après s'êtrc mis en repos du coté de la Célésyrie et v^iiiî.'fs ^^ ^^ Palestine par l'alliance qu'il avait conclue avec i. 3S-4I. ig Yo\ d'Éavpte, et s'être rendu maître de plusieurs lyl).l. 17, D./ 1 ' ,1 _ 769,77"- villes de l'Asie Mineure, et entre autres d'Ephèse, il SUCCESSEURS D ALEXANDRE. 7 i)iit les mesures les plus propres pour venir à bout de Appian. Je ' 111 _ Bellis Svr. ses desseins et pour se remettre en possession de tout p. 86-88. ce qu'il prétendait avoir appartenu autrefois à ses an- cêtres. Smyrne, Lampsaque, et les autres villes grecques d'Asie qui jouissaient alors de leur liberté, voyant bien que son but était de les assujettir, résolurent de se défendre; et comme elles étaient par elles-mêmes trop faibles pour résister seules à un si puissant ennemi , elles eurent recours à la protection des Romains , qui leur fut accordée sans peine. On vit bien à Rome qu'il fallait arrêter les progrès d'Antiocbus vers l'Oc- cident, et de quelle conséquence il serait de le laisser s'asrandir en s'établissant sur les côtes d'Asie, selon le plan qu'il en avait formé. On fut donc bien aise de l'occasion que ces villes libres fournissaient aux Romains de s'y opposer, et on lui envoya incessam- ment un ambassade. Avant que les ambassadeurs pussent se rendre au- près de lui, il avait déjà fait des détachements de son armée, qui avaient formé les sièges de Smyrne et de Lampsaque. Ce prince avait passé lui-même l'Helles- pont avec le reste , et pris toute la Chersonèse de Thrace. Ayant trouvé la ville de Lysimachie ' toute en ruine (les peuples de Thrace l'avaient démolie peu d'années auparavant), il se mit à la rebâtir, dans le dessein de fonder là un royaume pour Séleucus , son se- cond fds, de lui soumettre tout le pays d'alentour, et de faire de cette ville la capitale du nouveau royaume. Ce fut justement dans le temps qu'il formait tous ' Cette ville était située à Tislbnie ou au col de la péninsule. 8 HISTOIRE ANCIEN^'E. ces projets qu'arrivèrent en Thrace les ambassadeurs romains. Ils le rencontrèrent à Sélymbrie, ville du pays. Ils étaient accompagnés de quelques députés des villes grecques d'Asie. Dans les premiers entretiens qu'eut le roi avec les ambassadeurs, tout se passa en civilités qui paraissaient sincères; mais quand on commença à traiter d'affaires , les choses chaneèrent bien de face. L. Cornélius , qui portait la parole , de- manda qu'Antiochus rendît à Ptolémée toutes les villes de l'Asie qu'il avait usurpées sur lui; qu'il évacuât toutes celles qui avaient appartenu à Philippe, n'étant pas juste qu'il recueillît les fruits de la guerre que les Romains avaient eue avec ce prince; qu'il laissât en paix les villes grecques de l'Asie qui jouissaient de leur liberté. Il ajouta que les Romains étaient fort surpris qu'Antiochus eût passé en Europe avec deux armées si nombreuses de terre et de mer, et qu'il rétablît la ville de Lysimachie ; entreprises qui ne pouvaient avoir d'autre but que de les attaquer. Antiochus répondit à tout cela que Ptolémée aurait satisfaction quand son mariage, qui était déjà arrêté, s'accomplirait; que pour les villes grecques qui de- mandaient à conserver leur liberté , c'était de lui qu'elles la devaient tenir, et non des Romains. A l'égard de Lysimachie, il dit qu'il la rebâtissait pour servir de ré- sidence à son fils Séleucus: que la Thrace, et la Cher- sonèse qui en faisait partie , étaient à lui ; qu'elles avaient été conquises sur Lysimaque par Séleucus Nicator, un de ses ancêtres, et qu'il y venait comme dans son hé- ritage : que pour l'Asie et les villes qu'il y avait prises sur Philippe , il ne savait pas sur quel titre les Romains prétendaient lui en disputer la possession ; qu'il les SUCCESSEURS DALEXAXDRE. () priait de ne se pas plus mêler des afliiires de TAsio qu'il se mêlait de celles de l'Italie. Les Romains ayant demandé qu'on fit entrer les ambassadeurs de Smyrne et de Lampsaque, on le leur permit. Ces ambassadeurs tinrent des discours dont la liberté échauffa tellement Antiochus, qu'il s'emporta violemment, et s'écria que les Romains n'étaient point juges de ces affliires-là. L'assemblée se sépara en dés- ordre : aucun des partis n'eut satisfaction , et tout prit le train d'une rupture ouverte. Pendant ces négociations, 11 se répandit un bruit que Ptolémée Épipbane était mort. Antiochus se crut aus- sitôt maître de FEgypte , et se mit sur sa flotte pour en aller prendre possession. Il laissa son fils Séleucus à Lysimachie avec l'armée , pour achever ce qu'il s'était proposé de ce coté-là. Il alla aborder à Ephèse , où il joignit à sa flotte tous les vaisseaux qu'il avait dans ce port, dans le dessein de s'avancer en toute diligence vers l'Egypte. En arrivant à Patare en Lycie , il eut des nouvelles certaines que le bruit de la mort de Pto- lémée était faux. Il changea donc sa route , et alla vers file de Cypre , dans le dessein de s'en saisir. Un orage qui survint lui coula à fond plusieurs vaisseaux, lui fit périr bien du monde, et rompit ses mesures. Il se trouva fort heureux de pouvoir entrer avec les débris de sa (lotte dans le port de Séleucie , où il la fit radouber, et s'en alla passer l'hiver à Antioche, sans rien entrepren- dre de nouveau cette année-là. Ce qui avait donné occasion au bruit de la mort de poiyb. i. 17, Ptolémée, c'est qu'il s'était formé effectivement une ^'' " " ' conspiration contre sa vie. Scopas en avait été l'auteur. Cet homme, se voyant à la tête de toutes les troupes lO HISTOIRE A]VCIE]y]VE. étrangères, dont la plupart étaient étoliennes aussi-bien que lui, crut qu'avec un corps si formidable de vieilles troupes bien aguerries, il lui serait facile, pendant la minorité du roi, d'usurper la couronne. Son plan était déjà formé; et s'il n'eût pas laissé échapper l'occasion en s'amusant à consulter et à délibérer avec ses amis au lieu d'agir, il y aurait certainement réussi. Aristomène, le premier ministre, informé du complot, le fît arrêter. Le conseil l'examina. Il fut convaincu et exécuté avec tous ses complices. Cette conspiration fit perdre au reste des Étoliens la confiance que le gouvernement avait eue jusque-là dans leur fidélité; la plupart furent cassés et renvoyés dans leur pays. On trouva chez Scopas , après sa mort , des richesses immenses qu'il avait amassées du pillage des provinces oii il avait commandé. Comme , pendant le cours de ses victoires dans la Palestine , il avait soumis la Judée et Jérusalem à l'Egypte, c'est de là sans doute que venait la plus grande partie de ses trésors. Souvent il n'y a pas bien loin de l'avarice à la trahison et à la perfidie; et l'on ne peut guère compter sur la fidélité d'un général qui a la passion de s'enrichir. Un des principaux complices de Scopas était Di- céarque, qui avait été autrefois amiral de Philippe ^ roi de Macédoine. On raconte de lui une étrange ac- tion. Ayant reçu ordre de ce prince d'aller attaquer les îles Cyclades, ce qui était ouvertement contre la foi des traités, avant que de sortir du port il fit élever deux autels, l'un à l'injustice, et l'autre à l'Impiété , et offrit des sacrifices sur l'un et sur l'autre , pour in- sulter, ce semble, en même temps et aux hommes et aux dieux. Comvne il s'était si fort distingué par ses SUCCESSEURS d'aLEXANDRE. Il crimes , Aristomène le distingua aussi du reste tles conjurés dans son supplice. Il se contenta de faire donner du poison aux autres : mais pour lui , il le fit mourir dans les tourments. Quand on eut puni les auteurs de la conjuration , et qu'on l'eut entièrement assoupie , le roi fut déclaré majeur , quoiqu'il n'eût pas encore atteint tout-à-fait l'âge marqué pour cette cérémonie , et il fut mis sur le trône avec beaucoup de pompe et de solennité. Le gouvernement lui fut mis par là entre les mains , et il commença à prendre connaissance des affaires. Tant qu'Aristomène continua à les conduire sous lui, tout alla fort bien. IMais lorsqu'il commença à se dégoûter de cet babile et fidèle ministre, et que peu de temps après il l'eut fait mourir pour se défiiire d'un homme dont la vertu l'embarrassait, tout le reste de son règne ne fut plus qu'un désordre continuel. Son état souffrit autant et même davantage qu'il n'avait fait sous son père, lors- que toutes les choses avaient été le plus mal. Quand les dix commissaires envoyés pour régler AN.M.3S09. » x> Av.J.C. i(p. les affaires de Plnlippe furent de retour a Rome, et lîv. lih. ti. 7 1 .1 1 1 I ..-in. 44-''«<)- (}U US eurent rendu compte de leur commission, ils Justin. 1. ;3i, avertirent le sénat qu'il fallait s'attendre et se préparer ^^^'' ^' à une nouvelle guerre, plus dangereuse encore que celle qui venait d'être terminée : qu'Antiochus était entré en Europe avec une forte armée de terre et de mer ; que , sur un faux bruit de la mort de Ptolémée, il s'était déjà mis en chemin pour aller s'emparer de l'Egypte, sans quoi la Grèce serait déjà le théâtre de la guerre : ([ue les Etoliens , peuple naturellement inquiet et re- muant, et malintentionné contre Rome , ne demeu- reraient pas en repos : que la Grèce nourrissait dans 12 HISTOIRE ANCIENNE. son sein un tyran ( c'était Nabis), plus avare et plus cruel qu'aucun de ceux qu'on avait vus jusque-là , qui songeait à l'asservir ; et qu'ainsi, inutilement délivrée par les Romains, elle ne ferait que changer de maître , et retomberait dans une servitude plus fâcheuse que la première , sur-tout si Nabis demeurait maître de la ville d'Argos. On chargea Flamininus de veiller sur Nabis , et l'on se rendit sur-tout attentif aux démarches d'Antiochus. Il venait de sortir d'Antioche au commencement du printemps pour se rendre à Ephèse. A peine était-il parti, qu'Annibal y arriva. Il venait se mettre sous sa protection. Il avait été tranquille six ans à Carthage depuis la paix conclue avec les Romains. Au bout de ce temps-là on commença à le soupçonner d'entre- tenir une correspondance secrète avec Antiochus, et de former avec lui le dessein de porter la guerre en Italie. Ses ennemis en donnèrent avis secrètement aux Romains, qui envoyèrent aussitôt une ambassade à Carthage pour s'informer plus sûrement du fait, avec ordre , s'ils trouvaient les preuves assez fortes, de de- mander aux Carthaginois, qu'on leur livrât xAnnibal. Habile à prévoir l'avenir ^ , et accoutumé de longue- main à "se préparer à l'orage dans le temps du plus grand^calme , il se douta de leur dessein , et , avant qu'ils pussent s'acquitter de leur commission, il se déroba, ■gagna la côte, et se mit sur un vaisseau qu'il tenait toujours prêt pour une aventure pareille. Il se sauva à Tyr, et de là il s'en alla à Antioclie, oîi il croyait ' <■ Sed res Annibalem non diù în secundis adversn , quàm in ;i daijue pericula peritiiin ; nec minus SUCCESSEURS d' A LEX 4N DR E. l3 trouver encore Antiochus. Il fut obligé de le suivre à Eplièse. Il l'y trouva justement dans le temps qu'il balançait en lui-même s'il entrerait en guerre avec les Romains. L'arrivée d'Annibal fit un grand plaisir à Antiochus. Il ne douta point qu'avec un homme qui avait tant de fois battu les Romains, et qui par là s'était acquis à juste titre la réputation du meilleur général qui fût alors, il ne pût venir à bout de tout. Il ne roulait plus dans son imagination que des victoires et des conquêtes : la guerre fut résolue, et on employa toute cette année et la suivante à en faire les préparatifs. Pendant cet intervalle pourtant, on s'envoyait des ambassades de part et d'autre , sous prétexte d'accommodement, mais en effet pour gagner du temps , et pour épier ce que faisait l'ennemi. Du coté de la Grèce , tous les peuples , excepté les Liv. lib. 34 , Etoliens, dont j'ai déjà marqué le mécontentement secret, goûtaient dans un tranquille repos les douceurs de la paix et de la liberté , et n'admiraient pas moins, dans cet état, la tempérance, la justice et la modéra- tion du vainqueur romain, qu'ils avaient admiré au- paravant son courage et son intrépidité dans la guerre. Les choses étaient dans cette situation lorsque Quin- tius reçut de Rome un décret qui lui permettait de déclarer la guerre à Nabis. Sur cela il convoque l'as- semblée des alliés à Corinthe; et, après leur avoir ex- pliqué de quoi il s'agissait, « Vous voyez, leur dit-il, « que le sujet de la présente délibération vous regarde « uniquement. Il s'agit de décider si Argos, ville éga- « lement ancienne et illustre , située au milieu de la « Grèce, jouira, comme les autres villes, de la liberté, l4 HISTOIRE ANCIEiN'JNE. « OU si on la laissera entre les mains du tyran de Sparte « qui s'en est emparé. Cette affaire n'intéresse en rien «les Romains, si ce n'est que l'esclavage d'une seule « ville ne leur laisserait pas la gloire pleine et entière a d'avoir délivré toute la Grèce. Délibérez donc sur « ce qu'il y a à faire : vos résolutions régleront ma « conduite. » Les sentiments n'étaient pas douteux. Il n'y eut que les Étoliens qui ne purent s'empêcher de faire éclater leur mécontentement contre les Romains, et qui allè- rent jusqu'à les accuser de mauvaise foi, parce qu'ils retenaient Chalcis et Démétriade dans le temps même qu'ils se vantaient d'avoir rendu la liberté à toute la Grèce. Ils ne s'emportèrent pas moins contre les autres alliés, qui demandaient de leur côté qu'on les délivrât aussi du brigandage des Étoliens, qui n'étaient Grecs que par le langage, mais qui par le cœur en étaient véritablement ennemis. Comme la dispute s'échauffait, Quintius les réduisit à ne parler que sur l'affaire pro- posée; et il fut résolu, d'un consentement unanime, qu'on déclarerait la guerre à Nabis , tyran de Sparte , s'il refusait de rétablir Argos dans son ancienne liberté; et chacun promit d'envover de prompts secours : ce qui s'exécuta fidèlement. Aristène, général des Achéens , joignit Quintius, près de Cléones, avec dix mille hom- mes de pied et mille chevaux. Philippe envoya de son côté quinze cents hommes , et les Thessaliens quatre cents chevaux. Le frère de Quintius arriva aussi avec une flotte de quarante galères, à laquelle les Rhodiens et le roi Eumène joi- gnirent les leurs. Un grand nombre de Lacédéraoniens exilés se rendirent au camp des Romains, dans l'espc- SUCCESSEURS DALEXANDUE. |5 rancc de recouvrer leur patrie. Ils avaient à leur lete Agésipolis, à qui le royaume de Sparte appartenait de droit. Encore enfant , il en avait été chassé par le tyran Lvcurgue après la mort de Cléomène. On avait songé d'abord à commencer la campagne par le siège d'Argos; mais Quintius jugea plus à pro- pos de marcher droit au tyran. Il avait eu soin de bien fortifier Sparte; et il avait fait venir de Crète mille soldats d'élite , qu'il joignit aux mille autres qui étaient déjà dans ses troupes. Il avait encore à sa solde trois mille étrangers, et outre cela dix mille hommes du pays, sans compter les Ilotes. Il prit en même temps des mesures pour se précau- tionner contre les mouvements intérieurs et domes- tiques. Ayant fait venir le peuple sans armes à l'as- semblée, et ayant posté à l'entour ses satellites armés, après quelques préambules il déclara que , la conjonc- ture présente l'obligeant de prendre des précautions pour sa propre sûreté , il allait faire arrêter et enfer- mer un certain nombre de citoyens qui lui étaient justement suspects; et que, dès qu'on aurait repoussé les ennemis, de la part desquels il n'y avait pas beau- coup à craindre si le dedans était tranquille, il relâ- cherait ces prisonniers. Il en nonmia environ quatre- vingts, qui étaient les principaux de la jeunesse, les enferma en lieu sûr , et , la nuit suivante , les fit tous égorger. Il fit aussi mourir dans les villages plusieurs Ilotes, soupçonnés d'avoir voulu passer chez les ennie- mis. Ayant ainsi jeté la terreur dans les esprits, il songea à se défendre courageusement, bien résolu de ne point sortir de la ville dans le mouvement oii elle l6 HiSTOIRE ANCIENNE. était, et de ne point hasarder une bataille contre des troupes beaucoup supérieures en nombre. Quintius s'étant avancé jusqu'à TEurotas, qui coule presque sous les murs de la ville, et travaillant à y établir son camp. Nabis détacha contre les ennemis ses troupes étrangères. Comme les Romains ne s'atten- daient pas à cette sortie, parce que jusque-là personne ne les avait inquiétés dans leur marche , ils furent mis d'abord un peu en désordre ; mais s'étant bientôt ré- tablis, ils repoussèrent l'ennemi jusque dans la ville. Le lendemain , Quintius ayant conduit ses troupes en ordre de bataille près de la rivière au-delà de la ville, quand l'arrière-garde fut passée, Nabis la fit attaquer par ses étrangers. Alors, les Romains ayant fait volte- face, le choc fut très-rude de part et d'autre; mais enfin les étrangers furent enfoncés et mis en fuite. Il y en eut beaucoup de tués , parce que les Achéens , qui connaissaient les lieux, les poursuivaient dans la campagne, et ne leur faisaient point de quartier. Quintius se campa près d'Amicles ; et après avoir ra- vagé toutes les belles campagnes qui étaient aux envi- rons de la ville, il transporta son camp vers l'Eurotas, et de là fit le dégât dans les vallons situés au pied du mont Taygète et des terres voisines de la mer. Dans le même temps le frère du proconsul, qui commandait la flotte romaine, forma le siège de Gy- thium , place alors très-forte et très-importante. Les flottes d'Eumène et des Rhodiens survinrent fort à propos; car les assiégés se défendaient avec un grand courage. Enfin, après une longue et vigoureuse résis- tance , ils se rendirent. SUCCESSEURS 1) A LE X AN DUE. \J La prise de cette ville alarma le tyran; il envoya un héraut à Quintius pour lui demander une entrevue , qui lui fut accordée. Outre plusieurs autres raisons que Nabis faisait valoir en sa faveur, il insista forte- ment sur l'alliance presque encore toute récente que les Romains et Quintius lui-même avaient faite avec lui dans la guerre contre Philippe : alliance sur la- quelle il devait d'autant plus compter, que les Romains se donnaient pour de fidèles et religieux observateurs des traités, auxquels ils se vantaient de ne donner ja- mais d'atteinte; que de sa part il n'y avait rien de changé depuis le traité ; qu'il était le même qu'il avait toujours été auparavant, et ([ull n'avait donné aux Romains aucun nouveau sujet de plainte et de re- proche. Ce raisonnement était concluant ; et, pour dire le vrai , Quintius n'avait rien de solide à y opposer. Aussi, en lui répondant, ne fit-il ([ue se répandre en plaintes vagues, et que lui reprocher son avarice, sa cruauté, sa tyrannie. Mais, lors du traité, était-U moins avare, moins cruel, moins tyran? Il ne fut rien con- clu dans cette première entrevue. Le lendemain, Nabis convint d'abandonner la ville d'Argos, puisque les Romains l'exigeaient, comme aussi de leur rendre les prisonniers et les transfuges. Il pria Quintius, s'il avait quelques autres' demandes à lui faire, de les mettre par écrit, afin qu'il en pût délibérer avec ses amis; et Quintius le lui accorda. Il tint aussi conseil de son côté avec les alliés. La plu- part étaient d'avis de continuer la guerre contre Na- bis , laquelle ne pouvait être glorieusement finie qu'en exterminant le tyran, ou du moins la tyrannie; qu'au- trement, on ne pouvait compter que la liberté eût été Tome FUI. Ilist. anc. 1 l8 HISTOIRE AjVCIENAE. rendue à la Grèce; que les Romains ne pouvaient point faire d'accord avec Nabis sans le reconnaître solennel- lement , et sans autoriser son usurpation. Quintius inclinait pour la paix ; il craignait que le siège de Sparte ne traînât en longueur. Pendant ce temps-là, la guerre d'Antiochus pouvait éclater tout-à-coup , et il serait hors d'état de faire agir ses troupes contre lui. C'étaient là les prétextes qu'il apportait pour faire un accommodement : mais sa véritable raison , c'est qu'il craignait qu'un nouveau consul n'eût pour départe- ment la Grèce, et ne vînt lui enlever la gloire d'avoir terminé cette guerre ; motif qui, pour l'ordinaire, in- fluait plus dans la détermination des généraux romains que celui du bien public. Ne pouvant, par toutes les raisons qu'il avait appor- tées, émouvoir et faire changer les alliés , il feignit de se rendre à leur avis, et, par ce détour, il les amena tous dans le sien. « A la bonne heure, dit-il, assiégeons « Sparte, puisque vous le jugez à propos; et n'épar- « gnons rien pour faire réussir notre entreprise. Comme « vous savez que les sièges traînent souvent plus en « longueur qu'on ne voudrait, résolvons-nous à passer « ici les quartiers d'hiver, s'il le faut; ce parti est digne « de votre courage. J'ai suffisamment de troupes pour « venir à bout du siège; mais plus le nombre en- est « grand, plus nous avons besoin de vivres et de con- « vois. L'hiver, qui approche, ne nous offre qu'une terre « toute nue, et nous laisse sans fourrages. Vous voyez « de quelle étendue est la ville , et combien par consé- a quent il nous faut de béliers, de catapultes, et d'autres « machines de toutes sortes. Ecrivez chacun à vos villes, « afin qu'elles nous fournissent abondamment et promp- SIICCJ'SSI-TIRS d'aLKXANDKI:. ïC) « temeiit toul ce qui nous sera nécessaire. 11 est do « notre honneur de pousser vivement ce siège, et il « nous serait honteux, après l'avoir commencé, d'être « obhgés de le quitter. » Cliacun alors fit ses réflexions, aperçut bien des difficultés qu'il n'avait pas prévues, et sentit combien la proposition qu'ils allaient faire à leurs villes y serait mal reçue lorsque les particuliers se verraient obligés de contribuer du leur aux frais de la guerre. Ainsi, changeant tout d'un coup de senti- ment, ils laissèrent au général romain la liberté de faire ce qu'il jugerait le plus utile pour le bien de sa répu- blique et pour celui des alliés. Alors Quintius, n'ayant admis à son conseil que les premiers officiers de l'armée , convint avec eux des conditions de paix qu'on pouvait offrir au tyran. Les principales étaient : qu'avant dix jours. Nabis évacue- rait Argos , aussi-bien que les autres villes de l'Argolide où il avait des garnisons ; qu'il restituerait aux villes ma- ritimes toutes les galères qu'il leur avait prises , et ne conserverait pour lui que deux felouques à seize rames ; qu'il rendrait aux villes alliées du peuple romain tous leurs prisonniers, leurs transfuges et leurs esclaves; ([u'il rendrait aussi aux Lacédémoniens bannis leurs femmes et leurs enfants qui voudraient les suivre , sans pourtant les y obliger ; qu'il donnerait cinq otages au gré du général romain, du nombre desquels serait son fils; qu'il paierait actuellement cent talents d'argent', et dans la suite cinquante , chaque année , pendant le cours de huit ans. On accordait une trêve de six mois pour envoyer de part et d'autre des ambassadeurs à Rome , et y faire ratifier le traité. ■ Cent millfi écus. ::r^ 55o,ooo ïv. — L. 20 ITlSTOIRi: ATVCIF.NNE. Aucun de ces articles ne plaisait au tyran ; mais il fut surpris, et se trouvait heureux qu'on n'eût point parlé (le faire revenir les bannis. Ce traité, quand on en sut le détail dans la ville, excita un soulèvement général, par la nécessité oii il mettait les particuliers de restituer bien des choses qu'ils ne voulaient point peidre. Ainsi il ne fut plus mention de paix, et la guerre recommença tout de nouveau. Quintius alors songea à pousser vivement le siège , et commença par examiner attentivement la situation et l'état de la ville. Sparte avait été long - temps sans mu- railles , et n'avait point voulu avoir d'autre fortification que le courage de ses citoyens. Ce n'était que depuis que les tyrans y dominaient qu'on y avait bâti des murs, et cela seulement dans les endroits qui étaient ouverts et d'un facile accès : tout le reste n'était défendu que par sa situation naturelle, et par des corps de troupes qu'on y plaçait. Comme l'armée de Quintius était fort nombreuse ( elle montait à plus de cinquante mille hommes, parce qu'il avait fait venir toutes les troupes de terre et de mer\ il résolut de s'étendre tout autour de la ville, et de l'attaquer en même temps de tous cotés pour y jeter la terreur, et pour mettre les assié- gés hors d'état de se reconnaître. En effet, tout étant attaqué dans le même moment , et le danger étant égal de toutes parts , le tyran ne savait à quoi entendre , ni quels ordres donner, ni où il fallait envoyer du se- cours, et il était tout hors de lui. Les Lacédémoniens soutinrent quelque temps l'at- taque des assiégeants, tant qu'on combattit dans des défilés et dans des lieux étroits. Leurs traits cependant et leurs javrlots avaient peu d'effet, parce que, se SUCCESSKlJliS I) ALLX ANDIli:. ui pressant les uns les antres, ils n'étaient point fermes sur leurs pieds, et n'avaient pas le hras libre pour les lancer fortement. Quand on approcha de la ville, les Romains se sentirent tout d'un coup accablés de pierres et de tuiles qu'on jetait sur eux du haut des toits. Mais , ayant mis leurs boucliers sur leurs télés, ils s'avancè- rent ainsi en tortue , sans que ni les traits ni les tuiles pussent leur nuire en aucune façon. Quand ils furent arrivés dans des rues plus larges, alors les Lacédémo- niens , ne pouvant plus soutenir leur effort , ni tenir devant eux, prirent la fuite, et se retirèrent dans les lieux les plus élevés et les plus escarpés. Nabis, croyant la ville prise , cherchait avec grande inquiétude com- ment et de quel côté il pourrait s'échapper. Un des prin- cipaux officiers de son armée sauva la ville. Il fit met- tre le feu aux édifices qui étaient proche du nun-. Les maisons furent bientôt enflammées , Tincendie gagna en peu de temps, et la fumée seule était capable d'ar- rêter les ennemis. Ceux qui étaient hors de la ville et qui attaquaient le mur furent obligés de s'en éloigner ; et ceux qui étaient entrés , craignant que Fincendie en croissant ne leur coupât toute issue, se retirèrent vers leurs troupes. Quintius fit sonner la retraite, et, après s'être vu presque maître de la place , il fut contraint de remener ses troupes dans le camp. Les trois jours suivants, il profita de la terreur qu'il avait jetée dans la ville, tantôt en faisant de nouvelles attaques, tantôt en faisant fermer, par des ouvrages, différents endroits, pour ôter aux assiégés toute issue et toute espérance de se sauver. Nabis, se voyant sans ressource, députa Pythagore vers Quintius, pour mé- nager un accommodement. Il refusa d'abord de l'écou- •22 HISTOIRli ANCIENNE. ter, et lui ordonna de sortir du camp. Mais le sup- pliant s'étant jeté à ses genoux, après beaucoup de prières il obtint enfin pour son maîtVe la trêve aux mêmes conditions qui lui avaient auparavant été pres- crites. L'argent fut payé, et les otages remis entre les mains de Quintius. Pendant tous ces mouvements, les Argiens , qui, sur les nouvelles qu'ils recevaient l'une sur l'autre, comptaient déjà Lacédémone prise , se rétablirent eux- mêmes en liberté, et chassèrent leur garnison. Quin- tius, après avoir accordé la paix à Nabis, et pris congé d'Eumène , des Rhodiens et de son frère , qui retour- nèrent à leurs flottes, se rendit à Argos, qu'il trouva dans des transport^ de joie incroyables. La célébration des jeux néméens, qui n'avait pu se faire au temps marqué à cause du trouble des guerres, avait été dif- férée jusqu'à l'arrivée du général romain et de son ar- mée. Ce fut lui qui en fit les honneurs , et qui y dis- tribua les prix : ou plutôt ce fut lui qui fut le spectacle. Les Argiens sur-tout ne pouvaient lever leurs yeux de dessus celui qui avait entrepris cette guerre exprès pour eux , qui les avait délivrés d'une dure et honteuse ser- vitude , et qui venait de les faire rentrer dans leur an- cienne liberté. Les Achéens voyaient avec un sensible plaisir la ville d'Argos réunie à leur ligue, et rétablie dans tous ses privilèges; mais Sparte laissée en servitude, et un tyran maintenu au milieu de la Grèce, troublaient leur joie, et ne leur permettaient pas d'en goûter toute la douceur. Pour les Étoliens, on peut dire que la paix accordée à Nabis était leur triomphe. Depuis ce honteux et in- digne traité , car ils l'appelaient ainsi , ils décriaient SUCCESSr.URS D'ALKXANDIli;. 23 par-tout les Romains. Ils faisaient remarquer que dans la guerre contre Philippe on n'avait mis bas les armes qu'après avoir obligé ce prince de sortir de toutes les villes de la Grèce; qu'ici l'usurpateur était conservé dans la possession tranquille de Sparte, pendant ({uc le roi légitime (ils entendaient Agésipolis ) , qui avait servi sous le proconsul, et tant d'illustres citoyens de Sparte, étaient condamnés à passer le reste de leur vie dans un triste exil : en un mot, que le peuple romain s'était rendu le protecteur et le satellite du tyran. Les Etoliens, dans ces plaintes, bornaient leurs vues aux seuls avantages de la liberté : mais dans les grandes affaires il faut tout envisager, et se contenter de ce qu'on peut exécuter avec succès , sans vouloir tout em- brasser à -la -fois. C'était la disposition de Quintius, comme lui-même le fera observer dans la suite. Quintius retourna d'Argos à Elatée, d'oii il était parti pour cette guerre contre Sparte , et employa tout l'hiver à rendre la justice aux peuples, à réconcilier entre elles les villes et les maisons particulières , à régler la police , et à rétablir par-tout le bon ordre ; ce qui est , à pro- prement parler, le véritable fruit de la paix, la plus glorieuse occupation du vainqueur , et une preuve certaine que la guerre n'a été entreprise que par des motifs justes et raisonnables. Les ambassadeurs de Na- bis, étant arrivés à Rome, demandèrent et obtinrent la ratification du traité. Au commencement du printemps, Quintius se ren- An.m.ssio. d\ y-, • 1 ^•I ' II' Av. J.C. Hl'l. it a LiOnntne, ou il avait convoque une assemblée générale des députés de toutes les villes. Là il leur re- présenta comment Rome s'était prêtée avec joie et em- pressement aux prières de la Grèce qui avait iinj)loré 24 HISTOIRE ANCIENNE. son secours, et avait fait avec elle une alliance dont il espérait qu'on n'aurait pas lieu de se repentir. Il par- courut en peu de mots les actions et les entreprises des généraux romains qui l'avaient précédé, et rap- porta les siennes avec une modestie qui en relevait le mérite. Il fut écouté avec un applaudissement général, excepté lorsqu'il vint à parler de Nabis , oii l'assemblée , par un murmure modeste , fit sentir sa surprise et sa douleur de ce que le libérateur de la Grèce avait laissé dans le sein d'une ville aussi illustre que Sparte un tyran, non-seulement insupportable à sa patrie , mais redouta- ble à toutes les autres villes. Quintius, qui n'ignorait pas la disposition des es- prits à son égard sur ce sujet, crut devoir rendre compte de sa conduite en peu de mots. Il avoua qu'il n'aurait point fallu entendre à aucune condition de paix avec le tyran, si cela avait pu se faire sans risquer la perte entière de Sparte; mais qu'y ayant lieu de craindre que la ruine de Nabis n'entraînât celle d'une ville si considérable , il avait paru plus sage de laisser le tyran affaibli et hors d'état de nuire que de hasarder de voir peut-être périr la ville par des remèdes trop violents et par les efforts mêmes qu'on ferait pour la délivrer. Il ajouta à ce qu'il avait dit du passé qu'il se prépa- rait à partir pour l'Italie, et à y faire retourner toute l'armée : qu'avant dix jours ils entendraient dire qu'on aurait retiré les garnisons de Démétriade et de Chalcis , et qu'il allait à leurs veux rendre aux Achéens la cita- delle de Corinthe : qu'on verrait par là lesquels étaient plus dignes de foi , des Romains ou des Etoliens ; et si ces derniers avaient eu raison de répandre par - tout qu'on ne pouvait plus mal faire que de confier sa li- SUCCESSEURS I)' A LEX \ N DR E. 25 bcrté au peuple romain, et qu'on n'avait fait ([iie clian- ger (le joug en recevant les Romains pour maîtres au Heu des Macédoniens : mais qu'on savait que les Eto- liens ne se piquaient pas de discrétion et de sagesse, ni dans leurs discours , ni dans leurs actions. Au reste, 11 avertit les autres villes déjuger de leurs amis par les actions, et non par des paroles, et de bien discerner à qui elles devaient se fier, et contre qui elles devaient être sur leurs gardes. Il les exhorta h user modérément de la liberté : qu'avec cette sage pré- caution elle était salutaire aux particuliers aussi-bien qu'aux villes ; que , sans ce tempérament , elle deve- nait à charge aux autres, et pernicieuse à ceux même qui en abusaient : que les principaux des villes, que les différents ordres qui les composent, que les villes elles- mêmes en général s"appli([uassent avec soin à garder une parfaite union; que, tant qu'elles demeureraient unies, ni roi ni tyran ne pourraient rien contre elles; que la discorde et la sédition ouvraient la porte à tous les dangers et à tous les maux , parce que le parti qui se sent le plus faible au-dedans cherche de l'appui au- dehors, et aime mieux appeler l'étranger à son secours que de céder à ses concitoyens. Il termina son discours en les conjurant avec bonté et tendresse d'entretenir et de conserver par leur sage conduite la liberté dont ils étaient redevables à des armes étrangères, et de faire connaître au peuple romain qu'en les rendant libres il n'avait pas mal placé sa protection et ses bienfaits. Ces avis furent reçus comme les avis d'un père. Tous, en l'entendant parler ainsi, pleuraient de joie; et Quintius lui-même ne put retenir ses larmes. Un doux murmure marquait les sentiments de toute l'as- 24 HISTOIRE ANCIEjVNE. son secours, et avait fait avec elle une alliance dont il espérait qu'on n'aurait pas lieu de se repentir. Il par- courut en peu de mots les actions et les entreprises des généraux romains qui l'avaient précédé, et rap- porta les siennes avec une modestie qui en relevait le mérite. Il fut écouté avec un applaudissement général, excepté lorsqu'il vint à parler de Nabis, oii l'assemblée, par un murmure modeste , fit sentir sa surprise et sa douleur de ce que le libérateur de la Grèce avait laissé dans le sein d'une ville aussi illustre que Sparte un tyran, non-seulement insupportable à sa patrie , mais redouta- ble à toutes les autres villes. Quintius, qui n'ignorait pas la disposition des es- prits à son égard sur ce sujet, crut devoir rendre compte de sa conduite en peu de mots. Il avoua qu'il n'aurait point fallu entendre à aucune condition de paix avec le tyran, si cela avait pu se faire sans risquer la perte entière de Sparte; mais qu'y ayant lieu de craindre que la ruine de Nabis n'entraînât celle d'une ville si considérable , il avait paru plus sage de laisser le tyran affaibli et hors d'état de nuire que de hasarder de voir peut-être périr la ville par des remèdes trop violents et par les efforts mêmes qu'on ferait pour la délivrer. Il ajouta à ce qu'il avait dit du passé qu'il se prépa- rait à partir pour l'Italie, et à y faire retourner toute l'armée : qu'avant dix jours ils entendraient dire qu'on aurait retiré les garnisons de Démétriade et de Chalcis , et qu'il allait à leurs veux rendre aux Acliéens la cita- delle de Corinthe : qu'on verrait par là lesquels étaient plus dignes de foi, des Romains ou des Étoliens; et si ces derniers avaient eu raison de répandre par - tout qu'on ne pouvait plus mal faire que de confier sa li- SUCCESSrUIlS I)' ALEX ANDRE. aS bcrlé au peuple romain, et qu'on n'avait fait ([ue elian- ger de joug en recevant les Romains pour maîtres au lieu des Macédoniens : mais qu'on savait que les Eto- liens ne se piquaient pas de discrétion et de sagesse, ni dans leurs discours , ni dans leurs actions. Au reste, il avertit les autres villes déjuger de leurs amis par les actions, et non par des paroles, et de bien discerner à qui elles devaient se fier, et contre qui elles devaient être sur leurs gardes. Il les exliorla à user modérément de la liberté : qu'avec cette sage pré- caution elle était salutaire aux particuliers aussi-bien qu'aux villes ; que , sans ce tempérament , elle deve- nait à cliarge aux autres, et pernicieuse à ceux même qui en abusaient : que les principaux des villes, que les différents ordres qui les composent, que les villes elles- mêmes en général s'appli([uassent avec soin à garder une parfaite union; que, tant qu'elles demeureraient unies, ni roi ni tyran ne pourraient rien contre elles; que la discorde et la sédition ouvraient la porte h tous les dangers et à tous les maux , parce que le parti qui se sent le plus faible au-dedans cherche de l'appui au- dehors , et aime mieux appeler l'étranger à son secours que de céder à ses concitoyens. Il termina son discours en les conjurant avec bonté et tendresse d'entretenir et de conserver par leur sage conduite la liberté dont ils étaient redevables à des armes étrangères, et de faire connaître au peuple romain qu'en les rendant libres il n'avait pas mal placé sa protection et ses bienfaits. Ces avis furent reçus comme les avis d'un père. Tous , en l'entendant parler ainsi , pleuraient de joie ; et Quintius lui-même ne put retenir ses larmes. Un doux murmure marquait les sentiments de toute l'as- aG HISTOIRE ANCIENAE. semblée. Ils se regardaient les uns les autres avec atU miration, et s'entre-exhortaient à recevoir avec recon- naissance et respect les paroles du général romain comme autant d'oracles , et à les graver profondément dans leur esprit et encore plus dans leur cœur. Ensuite Quintius , ayant fait faire silence , leur de- manda de s'informer exactement de ce qu'il pouvait rester dans la Grèce de citoyens romains esclaves , et de les lui envoyer en Thessalie dans l'espace de deux mois ; qu'il ne serait pas honnête pour eux-mêmes de laisser en esclavage ceux à qui ils devaient leur liberté. Tous se récrièrent avec applaudissement , et rendirent grâces en particulier à Quintius de ce qu'il avait bien voulu les avertir d'un devoir si juste et si indispen- sable. Le nombre de ces esclaves était fort considé- rable. Ils avaient été pris par Annibal dans la guerre punique; et comme les Romains n'avaient pas voulu les racheter , il les avait vendus. Il en coûta à l'Achaïe seule cent talents ' , c'est-à-dire cent mille écus , pour rembourser aux maîtres le prix des esclaves , pour chacun desquels on payait deux cent cinquante livres ^ ; le nombre par conséquent montait ici à douze cents. Qu'on juge par proportion de tout le reste de la Grèce. L'assemblée n'était pas encore finie , qu'on vit la gar- nison descendre de la citadelle , puis sortir de la ville. Quintius la suivit de près, et se retira au milieu des acclamations des peuples , qui l'appelaient leur sau- veur et leur libérateur, et faisaient mille vœux au ciel pour lui. Il tira pareillement les garnisons de Chalcis et de • 55o,ooo fr. — L. * Cinq cents deniers. = 4o() fr. — L. SUCCESSEURS «ALEXANDRE. 'l'J Démétriade , et y fut reçu avec les mêmes applaudis- sements. De là il passa en Thessalie, où il trouva tout à réformer, tant le désordre était général. Enfin, il s'embarqua pour l'Italie; et étant arrivé à Rome, il y entra en triomphe, ita cérémonie dura trois jours, pendant lesquels il fit passer en revue de- vant le peuple les précieuses dépouilles qu'il avait amassées dans la double guerre contre Philippe et contre Nabis. Démétrius, fils du premier, et Armène, fils du second, étaient parmi les otages, et ornaient le triomphe du vainqueur. Mais ce qui en faisait le plus bel ornement , étaient les citoyens romains dé- livrés d'esclavage , qui suivaient le char, la tète rase , en signe de la liberté (jui venait de leur être rendue. § II. Tout se prépare à la guerre entre Antiochus et les Romains. Mutuelles ambassades et entre- vues de part et d'autre., qui ne terminent rien. Les Romains envoient des troupes contre Nabis, qui avait rompu le traité. Philopémen remporte contre lui une victoire. Les Etoiiens appellent Antiochus. Nabis est tué. Enfin Antiochus passe en Grèce. Du côté d'Antiochus et des Romains, tout se pré- Ax.M.3Rir. parait à une guerre prochaine. Il était venu à Rome Liv m).'v/, des ambassadeurs au nom de toute la Grèce , d'une "' ^'^'^'^ grande partie de l'Asie Mineure, et de plusieurs rois. Ils eurent une favorable audience dans le sénat : mais comme l'affaire d'Antiochus était d'une longue discus- sion, elle fut renvoyée à Quintius et aux commissaires qui avaient déjà été en Asie. La dispute fut vive de part et d'autre. Les ambassadeurs du roi s'étonnaient 28 HISTOIRE ANCIENNE. que 'leur maître les ayant envoyés simplement pour faire alliance et amitié avec les Romains , ceux-ci pré- tendissent lui faire la loi comme à un vaincu , et lui prescrire quelles villes il pouvait garder, et quelles villes il devait abandonner. Quintius , de concert avec ses collègues, après beaucoup de discours et de ré- pliques, déclara aux ambassadeurs du roi que les Ro- mains persistaient dans la résolution qu'ils avaient prise de délivrer les villes grecques de l'Asie, comme ils avaient fait celles de l'Europe; qu'ils vissent si cette condition convenait à Antiochus. Ils répondirent qu'ils ne pouvaient prendre aucun engagement qui tendît à diminuer le domaine de leur maître. Le lendemain tous les autres ambassadeurs furent de nouveau intro- duits dans le sénat. Quintius leur rendit compte de ce qui s'était dit et passé dans la conférence , et les pria de faire savoir chacun à leurs villes que le peuple romain était .déterminé à défendre leur liberté contre Antiochus avec le même zèle et le même courage qu'il avait fait contre Philippe. Les ambassadeurs d' Antio- chus conjurèrent le sénat de ne rien précipiter dans une affaire de cette importance; de laisser au roi le temps de faire ses réflexions, et d'en faire eux-mêmes de leur coté avant que de donner un décret qui allait troubler le repos de l'univers. Il ne fut encore rien décidé, et l'on députa vers le roi les mêmes ambassa- deurs qui avaient déjà conféré avec lui à Lysimachie , Sulpitius, Villius, /Elius. A peine furent-ils partis, que des ambassadeurs car- thaginois arrivèrent à Rome , et donnèrent avis au sé- nat qu' Antiochus, excité par Annibal, se préparait certainement à faire la guerre aux Romains. J'ai déjà SUCCESSEUIIS D ALEXANDRj;. 2() (lit qu'Vnnlbal s'était réfugié chez ce prince, et qu'il arriva près de lui précisément dans le temps (jue le roi délibérait s'il devait entreprendre celte guerre. La présence et les conseils d'un tel général ne contribuè- rent pas peu à l'y déterminer. Son avis dès-lors, et il pensa toujours de même dans la suite, fut qu'il fallait porter la guerre dans l'Italie; que par ce moyen le pays ennemi leur fournirait des troupes et des vivres ; qu'au- trement, nul prince, nul peuple ne pouvait être supé- rieur aux Romains, et que l'Italie ne ])ouvait cire vaincue que dans l'Italie même. Il ne demandait que cent galères, dix mille hommes de pied, et mille che- vaux. Il assurait qu'avec cette flotte il irait d'abord en Afrique , où il espérait engager les Carthaginois à se joindre à lui; et que, s'il n'y réussissait pas, il irait droit en Italie, où il trouverait bien le moyen de sus- citer des affaires aux Romains : qu'il fallait que le roi passât en Europe avec le reste de ses troupes, et qu'il s'arrêtât dans quelque endroit de la Grèce, sans se transporter encore dans l'Italie, mais faisant toujours mine de vouloir y passer. Le roi ayant d'abord extrêmement goûté ce projet, Annibal envoya à Cartilage un Tyrien, dont il était fort sûr, pour préparer les esprits : car il n'osait pas hasarder des lettres, de peur qu'elles ne fussent inter- ceptées; et d'ailleurs les affaires se traitent bien mieux de vive voix que par écv'iL Mais le Tyrien fut décou- vert, et ne se sauva qu'à peine. Le sénat de Carthage en donna aussitôt avis au peuple romain, qui craignit d'avoir à soutenir la guerre en même temps contre Antiochus et contre les Carthaginois. Rome n'avait point alors de plus grands ennemis 3o HISTOIRK ANCIENNE. An. M. 38 12. que Ics EtoUciis. ïlioas, leur général, ne cessait de les LUr. iib.'lj^ animer, en leur représentant avec chaleur et empor- "■ '^' tement Je mépris oii ils étaient chez les Romains de- puis leur dernière victoire, à laquelle pourtant ils avaient eu la plus grande part. Ses remontrances eu- rent l'effet qu'il en avait espéré. On députa Damocrite vers Nabis, Nicandre à Philippe, et Dicéarque le frère de Thoas à Antiochus, avec des instructions particulières pour chacun de ces princes. Le premier représenta au tyran de Sparte que les Romains avaient entièrement énervé son pouvoir en lui ôtant les villes maritimes , puisque c'était de |à qu'il tirait ses galères , ses troupes , ses matelots ; qu'enfermé presque dans ses murs , il avait la douleur de voir les Achéens dominer dans le Péloponnèse; qu'il n'aurait jamais une occasion pareille à celle qui se pré- sentait actuellement de recouvrer son ancien pouvoir : que les Romains n'avaient point d'armée dans la Grèce; qu'il pouvait s'emparer facilement de Gythium , qui était fort à sa bienséance; et que la prise d'une ville comme celle-là ne paraîtrait pas aux Romains un su- jet qui méritât de faire passer de nouveau les légions dans la Grèce. Nicandre avait des motifs plus forts encore pour animer Philippe, qui avait été dégradé d'un rangbeau- coup plus élevé , et i\ qui l'on avait oté beaucoup plus de choses qu'au tyran. Il faisait valoir, outre cela, l'an- cienne réputation des rois de Macédoine, et l'univers conquis par leurs armes : qu'au reste la proposition qu'il lui faisait n'avait aucun risque pour lui : qu'il ne lui demandait point de se déclarer avant qu'Antiochus fût passé en Grèce avec son armée ; et que si lui, Phi- SUCCESSEUIIS DALLXA NDRi;. 3l lippe, sans être secouru par Antiochus, avait soutenu si long-temps avec ses seules forces la guerre contre les Romains et les Etoliens unis ensemble, comment les Romains lui résisteraient-ils maintenant (|u'il au- rait pour alliés Antiochus et les Etoliens? 11 n'oubliail j)as la circonstance cVAnnihal, ennemi-né des iiomaius, dont il avait défait plus de généraux qu'il ne leur eu restait. Dicéarque prit x\ntioehus par d'autres endroits. Avant tout , il lui fit sentir que, dans la guerre contre Philippe, les Romains avaient profité du butin, mais que riionneur de la victoire avait été tout entier [)our les Etoliens; qu'eux seuls leur avaient ouvert l'entrée dans la Grèce, et qu'ils les avaient mis en état de vaincre l'ennemi en leurs prêtant leur forces. Il faisait un long dénombrement des troupes d'infanterie et de cavalerie qu'ils lui fourniraient, aussi-bien que des ])laces fortes et des ports de mer dont ils étaient maî- tres. Il n'hésita point à affirmer, ([uoique sans fonde- ment, que Philippe et Nabis étaient résolus de se joindre à lui contre les Romains. Voilà quels mouvements se donnaient les Etoliens pour susciter à Rome des ennemis de tous côtés. Les deux rois néanmoins n'entrèrent point alors dans leurs vues, et ce ne fut que dans la suite qu'ils prirent leur résolution. Pour Nabis, il envoya sur-le-champ dans toutes les places maritimes pour les porter à la révolte. Il gai^na par présents plusieurs des principaux , et se défit sous main de ceux qu'il trouva attachés opiniâtrement au parti des Romains. Quintius, en partant de Grèce, avait chargé les Achéens de veiller à la défense des PolyL. 1.3, 3l HISTOIRE ANCIENNE. villes maritimes. Ils députèrent aussitôt au tyran pour le faire souvenir du traité qu'il avait fait avec les Ro- mains , et pour l'exhorter à ne pas troubler une paix qu'il avait désirée et demandée avec tant d'ardeur. Ils envoyèrent en même temps du secours à Gythium, que le tyran avait déjà assiégé, et des ambassadeurs à Rome , pour y donner avis de tout ce qui se passait. Antiochus ne se déclarait pas encore ouvertement, 1' .'!"''•. _ mais il prenait des mesures secrètes pour le grand Liv. 11». .^3, I . ^ n. i3-2o. dessein qu'il roulait dans son esprit. Il songea a se Appian. lu *■ . . Svriac. fortifier par de bonnes alliances avec ses voisins. Dans jo.sepi.'^Au- cette vue, il se rendit à Raphia, ville frontière de la i>bA'2?c.'3. Palestine du coté de l'Egypte. Il y donna: sa fille Cléo- patre en mariage à Ptolémée Épiphane, et lui céda pour sa dot les provinces de Célésyrie et de Palestine, à condition pourtant, comme la chose avait été sti- pulée auparavant, qu'il en toucherait la moitié des revenus. A son retour à x\ntioche , il en maria une autre , nommée Anliochis, à Ariarathe , roi de Cappadoce. Il aurait fort souhaité de faire prendre pour femme la troisième à Eumène, roi de Pergame; mais ce prince la refusa, quoique ses trois frères lui conseillassent d'accepter cette offre, parce qu'ils croyaient que cette alliance avec un si grand roi serait un grand appui pour leur maison. Eumène les convainquit bientôt , par les raisons qu'il leur donna, qu'il avait mieux examiné l'affaire qu'eux. Il leur représenta que, s'il prenait la fille d' Antiochus, il serait obligé d'épouser ses intérêts contre les Romains, avec ([ui il voyait bien qu'il était sur le point de se brouiller : que si les Ro- mains avaient le dessus , comme on avait tout lieu de SUCCESSEURS D ALEXANDRE. j3 le croire, il serait enveloppé clans les malheurs du vaincu, et cjue ce serait infailliblement sa ruine : que , d'un autre coté, si c'était Antiochus <[ui eût l'avantage, tout ce qu'il y aurait à gagner pour lui serait , qu'ayant l'honneur d'être son gendre, il faudrait aussi devenir son esclave un des premiers; car il falfait compter que si Antiochus avait le dessus dans cette guerre , il for- cerait toute l'Asie à plier sous lui, et tous les princes à lui faire hommage : qu'on aurait meilleure compo- sition des Romains, et qu'ainsi il avait résolu de de- meurer attaché à leurs intérêts. L'événement fit voir qu'il avait raison. Après ces mariages , Antiochus se rendit en dili- gence dans l'Asie Mineure, et arriva à Ephèse au cœur de l'hiver. Il en repartit au commencement du prin- temps pour aller châtier les Pisidiens , qui excitaient des troubles , après avoir envoyé son fils en Syrie pour veiller à la sûreté des provinces de l'Orient. J'ai dit ci-devant que les Romains avaient envoyé Sulpitius, iElius et Villius en qualité d'ambassadeurs vers Antiochus. Ils avaient eu ordre de passer aupara- vant chez Eumène. Ils se rendirent donc à Pergame , la capitale de son royaume. Ils trouvèrent ce prince dans un grand désir qu'on déclarât la guerre à Antio- chus. En temps de paix, un si puissant roi dans son voisinage lui donnait de justes alarmes. Si l'on entrait en guerre , il ne doutait point que le sort d' Antiochus ne dût être le même que celui de Philippe; et qu'ainsi, ou il serait entièrement détruit , ou , si on lui accor- dait la paix, il comptait profiter d'une partie de ses dépouilles et de ses places, qui le mettraient en état de se défendre par lui-même contre ses attaques: qu'a- Toiiie f'Iir. Hist. anc. 3 34 HISTOIRE ANCIENNE. près tout, si les choses tournaient autrement, il aimait mieux s'exposer à quelque accident que ce fût, dans la compagnie des Romains , que de se voir exposé , en se séparant d'eux, à subir de gré ou de force le joug d'Antiochus. Sulpitius étant demeuré malade à Pergame, Villius, qui avait appris qu'Antiochus était occupé à la guerre de Pisidie, se rendit à Éphèse, oii il trouva Annibal. Il eut plusieurs entretiens avec lui , dans lesquels il tâcha , mais inutilement, de lui persuader qu'il n'avait rien à craindre de la part des Romains. Il réussit mieux dans le dessein qu'il s'était proposé en lui témoignant beaucoup d'amitié et lui rendant de fréquentes visites , qui était de le rendre suspect au roi, car nous verrons bientôt que cela arriva de la sorte. Tite-Live, sur la foi de quelques historiens, raconte que Scipion était de cette ambassade , et que ce fut Tome I, dans alors qu' Annibal lui fît cette célèbre réponse que j'ai l'Hist. des / .11 1 11 -1 1 • 1 Carthagin. rapportcc aulcurs , par laquelle il donnait le premier rang entre les grands généraux à Alexandre , le second à Pyrrhus, le troisième à lui-même. Quelques per- sonnes trouvent peu de vraisemblance dans le voyage de Scipion, et encore moins dans la réponse d'Annibal. Villius s'étant avancé d'Ephèse à Apamée , Anlio- chus s'y rendit après avoir terminé la guerre contre les Pisidiens. Leur entrevue roula à peu près sur les mêmes sujets que celles qu'avaient eues à Rome les ambassadeurs du roi avec Quintius. Elle fut troublée par la nouvelle que reçut alors ce prince de la mort d'Antiochus, son fils aîné. Il retourna à Ephèse pleu- rer la perte qu'il venait de faire. Malgré toutes ces belles apparences d'affliction, on crut assez générale- SUCCESSEURS d' A LEX AIV DR E. 35 ment que c'était pure politique; que lui-même était l'auteur de sa mort, et l'avait sacrifié à sou ambition. C'était ui^eune prince dont on espérait beaucoup, et qui avait déjà donné de grandes preuves de sagesse , de bonté, et des autres vertus royales, qui le rendaient l'objet de Tamour. et de l'estime de tous ceux dont il était connu. On prétend que le vieu;c roi en conçut de la jalousie; qu'il lavait renvoyé d'Éphèse en Syrie sous prétexte de veiller à la sûreté des provinces d'Orient, et que là il l'avait fait empoisonner par quelques eunuques de la cour, pour se mettre l'esprit en repos. U faudrait avoir des preuves bien certaines pour former un tel soupçon contre un roi et contre un père. Villius, pour ne point se rendre importun dans un temps de deuil et de tristesse, était retourné à Per- game, où il trouva Sulpitius parfaitement rétabli. Le roi les manda peu après. Ils eurent un entretien avec son ministre, qui se termina à des plaintes réciproques de part et d'autre; après quoi ils retournèrent à Rome sans avoir rien conclu. Dès qu'ils furent partis, Antiochus tint un grand conseil sur les affaires présentes, où chacun à l'envi s'emporta contre les Romains, sachant que c'était un moyen sûr de faire sa cour au prince. On relevait la fierté de leurs demandes, et l'on trouvait étrange qu'ils entreprissent d'imposer des lois au plus grand roi de l'Asie , comme s'ils avaient eu affaire à un Nabis vaincu. Alexandre d'Acarnanie, qui avait beaucoup de crédit sur l'esprit du roi, comme s'il se fût agi de délibérer, non pas s'il fallait faire la guerre ou non, mais où et comment il la fallait faire, montrait au roi une vie- 38 HISTOIRE ANCIENNE. plus heureux succès. Nabis triomphait : Philopérnen se promit bien de lui rendre cette joie de courte du- rée. En effet, peu de jours après, l'ayant surpris lors- qu'il s'y attendait le moins , il brûla son camp , et fit un grand carnage de ses troupes. Gythium cependant se rendit, ce qui augmenta beaucoup la fierté du tyran. Philopémen vit bien qu'il en fallait venir à un com- bat. C'était là son fort; et personne ne l'égalait pour bien ranger ses troupes, pour choisir habilement les meilleurs postes, pour prendre tous ses avantages, et pour profiter de toutes les fautes que pouvait faire l'ennemi. Ici, piqué de jalousie et animé de vengeance contre Nabis, il mit en usage toute son habileté dans la science militaire. Le combat se donna assez près de Sparte. Dans la première attaque, les troupes auxi- liaires de Nabis, qui faisaient sa principale force, en- foncèrent les Achéens, les mirent en désordre, et les firent plier. C'était par l'ordre du général , qu'ils prirent la fuite , pour attirer les ennemis dans des embuscades qu'il leur avait préparées. Ils y donnèrent tête baissée ; et dans le moment qu'ils jetaient déjà des cris de vic- toire, les fuyards tournèrent visage, les Achéens, qui étaient en embuscade , tombèrent sur eux brusque- ment , et en firent un grand carnage. Comme le pays était fourré, et très-difficile pour la cavalerie, à cause des ruisseaux et des fondrières dont il était coupé, le général ne livra pas ses troupes à leur ardeur, et ne leur permit pas de poursuivre l'ennemi aussi vivement qu'elles l'auraient souhaité ; mais il fit sonner la retraite , et campa dans ce lieu -là même, quoiqu'il fût encore grand jour. Comme il se douta bien que , dès que la nuit serait venue , les ennemis, revenant de leur fuite , succEssi'.iiRS d'alexandrk. 3c) se retireraient vers la ville par petits pelotons , il plaça en embuscade tout autour, dans tous les passages, sur les ruisseaux et sur les collines, différents corps de troupes , qui effectivement en tuèrent ou en prirent un très-grand nombre , de sorte qu'à peine Nabis conserva la quatrième partie de son armée. Pliilopémen , Tayant renfermé dans sa ville, ravagea pendant un mois entier toute la Laconie ; et , après avoir considérablement af- faibli les forces du tyran , il retourna chez lui chargé de butin et de gloire. Cette victoire fit beaucoup d'honneur à Philopé- men, parce qu'il était visible qu'on ne la devait qu'à sa prudence et à son habileté. On raconte de lui une chose qui est peut-être unique, et que les jeunes of- ficiers pourraient se proposer comme un modèle. Lors- qu'il était en marche, en teuq)s de paix connue en temj)s de guerre, et qu'il trouvait quelque endroit, ([uelque passage difficile, s'arrétant tout court, il se de- mandait à lui-même, s'il était seul, ou demandait à ceux qui l'accompagnaient comment il faudrait s'y pren- dre si l'ennemi venait brusquement tomber sur eux ; s'il les attaquait ou de front, ou par les flancs, ou ])ar l'arrière-garde ; s'il se présentait en bataille rangée , ou avec moins d'ordre, comme une armée qui est en marche. Quel poste devrait -il prendre pour lui? où placer ses bagages , et combien de troupes faudrait-il destiner pour leur garde? Serait-il à propos de conti- nuer son chemin, ou de retourner sur ses pas par où l'on était venu? Où placer le camp? quelle étendue lui donner? Comment assurer ses fourrages, et les moyens de faire de l'eau? Par quel endroit faudra-t-il le len- demain, après qu'on aura décampé , dresser sa marche, 4o HISTOIRli AJN'CIE^'JNE, et dans quel ordre? Il s'était accoutumé de si bonne heure et s'était tellement exercé à ce manège guerrier, que rien n'était nouveau pour lui, que nul accident inopiné ne le déconcertait, et qu'il prenait son parti sur-le-champ, comme s'il avait tout prévu. Voilà com- ment on devient un grand homme de guerre. Mais pour cela il faut aimer son métier, se faire un honneur d'y réussir, s'en occuper sérieusement, et se mettre au- dessus des discours d'une jeunesse indolente , sans élé- vation et sans vues. Pendant cette expédition des Achéens contre Nabis , les Étoliens avaient envoyé une ambassade à Antio- chus , pour l'exhorter à passer en Grèce. Non-seule- ment ils lui promettaient de lui donner toutes leurs troupes pour agir avec les siennes, mais ils l'assuraient encore qu'il pouvait compter sur Philippe , roi de Ma- cédoine, sur Nabis, roi de Lacédémone, et sur plu- sieurs autres états de la Grèce , qui , étant tous enne- mis des Romains dans le cœur, n'attendaient que sa venue pour se déclarer contre eux. Thoas , le chef de cette ambassade , étala tous ces avantages avec beau- coup de pompe et de véhémence. Il lui représenta que les Romains , ayant retiré leur armée de Grèce , l'avaient laissée sans défense ; que l'occasion ne pouvait être plus belle pour s'en saisir : qu'il ti^uverait tout disposé à le recevoir, et qu'il n'avait qu'à se montrer pour se rendre le maître du pays. Ce portrait flatté qu'on lui fit de l'état des affaires de Grèce le frappa extrêmement, et ne lui laissa presque plus lieu de délibérer sur le parti qu'il avait à prendre. Les Romains, de leur coté, ({ui n'ignoraient pas tous les mouvements que se donnait l'Étolie pour leur enle- SCCCilSSKLRS D ALi:XA XDl'.r:. 4i ver leurs alliés et leur susciter de toutes paris des cnne- ueinis , avaient envoyé en Grèce des ambassadeurs , du nombre desquels était Quintius. Il trouva tous les peu- ples fort bien disposés, c.veeplé les Magnètes, qu'on avait aliénés des Romains en répandant le bruit qu'ils étaient prêts de rendre à Philippe son fils, qu'il leur avait don- né en otage, et de lui livrer la ville deDémétriade, qui appartenait aux jMagnètes. Il fallut les détromper, mais d'une manière adroite et délicate , qui ne choquât pas Philippe, qu'on avait bien plus intérêt de ménager. C'est ce que fit Quintius avec beaucoup d'habileté. L'auteur de ces faux bruits était Euryloque , qui exer- çait pour- lors la première magistrature. Comme il lui échappa quelque parole dure et injurieuse contre les Romains, qui donna lieu à Quintius de reprocher aux Magnètes avec chaleur leur ingratitude, Zenon , un des anciens, s'adressant à Quintius et aux autres ambassa- deurs, les larmes aux yeux, les conjura de ne point imputer à tout le peuple la fureur d'un particulier, dont lui seul devait répondre : que les Magnètes étaient redevables à Quintius et au peuple romain , non-seu- lement de la liberté, mais de ce que les hommes ont de plus cher et de plus précieux ; et qu'ils perdraient la vie plutôt que de renoncer à l'amitié des Romains et d'oublier les obligations qu'ils leur avaient. Toute l'as- semblée applaudit à ce discours. Euryloque , voyant bien qu'il ne pouvait plus demeurer en sûreté dans la ville, se réfugia chez les Étoliens. Thoas, le chef de la nation , était revenu de chez Antiochus, et en avait amené avec lui Ménippe, que le roi envoyait aux Étoliens en quaUté d'ambassadeur. Avant que l'assemblée générale fut convoquée, ces deux 4^ HISTOIRE ANCIENNE hommes avaient travaillé de concert à préparer et à prévenir les esprits, en exagérant avec emphase les ar- mées de terre et de mer qu'avait le roi , ses nom- breuses troupes d'infanterie et de cavalerie, les élé- phants qu'il avait fait venir des Indes, sur-tout (motif puissant pour la multitude ) l'or immense que le roi apporterait avec lui, suffisant pour acheter les Ro- mains mêmes. Quintius était informé régulièrement de tout ce qui se disait et se passait en Étolie. Quoique tout lui parût désespéré de ce côté-là, cependant, pour n'avoir rien à se reprocher, et pour mettre encore plus les Etohens dans leur tort, il jugea à propos d'envoyer dans l'as- semblée quelques députés des alliés pour faire ressou- venir les Étoliens de leur alliance avec les Romains, et pour être en état de répondre librement à ce que pourrait avancer l'ambassadeur d'Antiochus. Il chargea de cette commission les Athéniens , que la dignité de leur ville et leur ancienne haison avec les Etoliens y rendaient plus propres que tous les autres. Thoas ouvrit l'assemblée en annonçant qu'il était venu un ambassadeur de la part d'Antiochus ; on le fit entrer. Il commença par dire qu'il aurait été à sou- haiter pour les peuples de la Grèce et de l'Asie qu'An- tiochus fût intervenu plus tôt dans leurs affaires, et pendant que celles de Philippe se soutenaient encore ; (}ue par ce moyen chacun aurait conservé ses droits , et que tout ne serait pas tombé sous le pouvoir des Romains. «Mais à présent encore , dit-il, si vous met- « tez à exécution les desseins que vous avez formés, « Antiochus pourra, avec l'aide des dieux et votre se- « cours, rétablir dans leur ancienne splendeur les SUCCESSEURS d' ALEX A X DR E. 4 3 « affaires de la Grèce, en quelque mauvais état qu'elles « soient. » Les Athéniens, à qui l'on donna ensuite audience, sans dire un mot du roi se contentèrent de rappeler aux Etoliens le souvenir de leur alliance avec les Ro- mains, et des services que Quintius avait rendus à toute la Grèce, les conjurant de ne rien précipiter dans une affaire aussi importante que celle dont il s'agissait actuelleinent : que les résolutions hardies, j)rises avec chaleur (;t vivacité, pouvaient avoir d'a- hord un premier coup-d'œil flatteur; qu'on en sentait ensuite les difficultés dans l'exécution , et que rare- ment elles avaient un heureux succès : que les ambas- sadeurs romains, et parmi eux Quintius, n'étaient pas loin; que, pendant que tout était encore indécis, il paraîtrait plus de sagesse de discuter mûrement leurs intérêts et leurs prétentions dans des entrevues pai- sibles que d'engager précipitamment l'Europe et l'Asie dans une guerre dont les suites ne pouvaient être que funestes. La multitude, toujours avide de nouveauté, était entièrement pour Antiochus, et ne voulait pas même (ju'on admit les Romains dans l'assemblée. Les anciens et les plus sages eurent besoin de tout leur crédit pour obtenir qu'on les y invitât. Quintius s'y rendit, moins dans l'espérance de faire aucune impression sur des esprits si fort prévenus que pour convaincre tous les peuples que les Etoliens seuls étaient les auteurs de la guerre qui allait s'allumer, et que les Romains ne s'y engageaient que malgré eux et forcés par la nécessité. Il commença par rappeler le souvenir du temps où 44 HISTOIKE ANCIEJVNE. les Etoliens étaient entrés en alliance avec les Romains, parcourut légèrement les différentes atteintes qu'ils y avaient données, et, après avoir dit peu de chose à l'é- gard des villes qui faisaient le prétexte de leurs que- relles, il se réduisit à marquer que, s'ils croyaient avoir quelque juste sujet de plaintes, il paraissait bien plus raisonnable de faire leurs remontrances au sénat , qui serait toujours prêt à les écouter, que de susciter de gaîté de cœur entre les Romains et x^ntiochus une guerre qui allait troubler tout l'univers, et qui cause- rait infailliblement la ruine de ceux qui en auraient été les promoteurs. L'événement justifia ses représentations; mais elles furent vames alors. Tlioas et ceux de sa faction furent écoutés favorablement, et obtinrent que sans délai, et en présence même des Romains , on ferait un décret par lequel on appellerait Antiochus pour venir délivrer la Grèce et pour se rendre l'arbitre des différends entre les Etoliens et les Romains. Quintius ayant demandé qu'on lui donnât une copie de ce décret, Damocrite, qui était alors en charge, s'oublia jusqu'au point de lui répondre insolemment qu'il avait bien d'autres affaires pour le présent, et que dans peu il irait lui-même lui. porter ce décret en Italie en campant sur les bords du Tibre : tant un esprit d'emportement et de fureur avait alors saisi toute la nation , et même les premiers ma- gistrats des Etoliens! Quintius et les autres ambassa- deurs retournèrent à Corinthe.. Liv. lib. 35 I-'^s Etoliens, dans leur conseil privé, formèrent en n. 34-39. ^^^^ même jour trois résolutions étoimantes : c'était de s'emparer par ruse et par trahison de Démétriade, de SUCCESSIL RS u' ALEX AN Dur. /j ^ Clialcis, et de Lacédéinone. Trois des principaux, ci- toyens furent chargés chacun de l'une de ces trois ex- péditions. Dioclès partit pour Démétriade; et par le secours de la faction d'Euryloque, qui était actuellement en exil, et qui parut alors à la tête des troupes que Dio- clès avait amenées , il se rendit maître de la ville. ïhpas n'eut pas le même succès à Chalcis, dont il avait espéré pouvoir aussi s'emparer par le moyen d'un exilé. Les magistrats , qui étaient fort attachés aux Ro- mains , ayant pressenti le dessein qu'on formait contre la ville, la mirent en état de défense et hors d'insulte. Thoas ainsi manqua son coup , et s'en retourna tout confus. L'entreprise contre Sparte était hien plus délicate et plus importante. On ne pouvait y entrer que comme ami. Nahis depuis long-temps sollicitait le secours des Etoliens. Alexamène fut chargé d'y conduire mille honnnes d'infanterie. On y joignit trente jeunes gens , qui étaient l'élite de la cavalerie, auxquels les magis- trats commandèrent d'exécuter ponctuellement les ordres de leur commandant , quels qu'ils fussent. Alexamène fut reçu par le tyran avec grande joie. Ils sortaient tous les jours l'un et l'autre avec leurs trou- pes pour leur faire faire l'exercice en pleine campagne sur les hords de l'Eurotas. Un jour Alexamène, ayant donné le mot à ses cavaliers, attaque Nabis, qu'il avait tiré exprès à l'écart, et le renverse deldessus son cheval. Aussitôt les cavaliers accourent, et le percent de plu- sieurs coups. Alexamène, sans perdre de temps, regagne la ville pour s'emparer du palais de Nabis. S'il eût convoqué sur-le-champ l'assemblée, et qu'il y eût parlé 4^ HISTOIRE ANCIEIYNE. tl une manière conforme à la conjoncture présente , c'en était fait, et Sparte se serait déclarée pour les Eto- liens. Mais il passa le reste du jour et la nuit entière à fouiller dans les trésors du tyran ; et ses troupes , à son exemple, se mirent à piller la ville. Les Spartiates , ayant pris les armes, font un grand carnage des Eto- liens, qui s'étaient répandus de côté et d'autre, mar- chent droit au palais, où ils tuent Alexamène , qu'ils trouvèrent presque sans défense, et uniquement occupé à mettre sa riche proie en sûreté. Tel fut le succès de l'entreprise contre Sparte, Plut. Au premier bruit de la mort de Nabis, Philopémen, i!°364',365. ^^ général des Achéens , marcha avec un assez gros corps de troupes vers Sparte, où il trouva tout en trouble et en confusion. Il convoqua les principaux, leur parla comme aurait dû faire Alexamène, et fît si bien , que , gagnant les uns par ses raisons , et entraî- nant les autres par la force, il obligea cette ville d'en- trer dans la ligue des Achéens, Ce succès augmenta merveilleusement sa réputation parmi ces peuples; car ce n'était pas un petit service que d'avoir acquis à la ligue une ville aussi puissante que Sparte et d'une si grande autorité. Par là il gagna aussi l'amitié et la confiance des plus gens de bien de Lacédémone, qui espérèrent l'avoir pour garant et pour défenseur de la liberté. Voilà pourquoi , quand la maison et tous les biens de Nabis eurent été ven- dus, ils résolurent, par un décret public, de lui faire présent de tout l'argent qui était revenu de cette vente, qui montait à six vingts talents % et de lui envoyer une députation pour le prier de les recevoir. ' Six-viiigt mille écus. = 66,000 fr. — L. SUCCESSEURS d'aLEXANDRE. 47 Ce fut en cette occasion qu'on vit très-clairement , dit Plutarque, que la vertu de ce grand personnage était bien pure , et qu'il ne paraissait pas seulement homme de bien, mais qu'il l'était effectivement; car il ne se trouva pas un seul Spartiate qui voulût se char- ger de la commission de lui aller offrir ce présent. Sai- sis de respect et de crainte, ils s'en excusèrent tous, de sorte qu'enfin ils prirent le parti de lui envoyer faire la proposition par un de ses botes, nommé Tùnolaûs. Ce Timolaiis, étant arrivé à Mégalopolis, logea chez Philopémen, qui le reçut avec beaucoup de marques de bonté. Là il eut le temps de considérer de près la gravité de toute sa conduite , la noblesse de ses senti- ments, la frugahté de sa vie, et la régularité de ses mœurs , qui le rendaient inccy^ruptible et invincible à l'argent ; et il fut si étonné de tout ce qu'il vit, qu'il n'osa jamais lui ouvrir la bouche du présent qu'il venait lui of- frir, et qu'ayant donné quelque autre prétexte à son voyage , il s'en retourna comme il était venu. Il fut en- voyé une seconde fois, et ne fut pas plus hardi; enfin au troisième voyage il se hasarda, quoique avec peine, à déclarer à Philopémen la bonne volonté de Sparte. Philopémen l'écouta tranquillement; mais sur l'heure même il alla à Sparte; et après avoir témoigné aux Spartiates ses vifs sentiments de reconnaissance , il leur conseilla de ne pas dépenser leur argent à gagner et corrompre leurs amis gens de bien , parce qu'ils pour- raient toujours user et jouir gratuitement de leur ver- tu et de leur sagesse; mais de le garder pour acheter et gagner les méchants, et ceux qui dans les conseils brouillaient et divisaient la ville par leurs discours sé- ditieux, afin que, l'argent les obligeant à se taire, ils 48 HISTOIRE AIN'CIEiVINE. leur fissent moins de peine dans le gouvernement : « car il vaut beaucoup mieux, ajouta-t-il , fermer la « bouche à ses ennemis qu'à ses amis. » Voilà jusqu'où allait le désintéressement de Philopémen. Que l'on compare cette noblesse et cette grandeur de sentiments avec la bassesse de ces âmes viles qui ne songent qu'à amasser. Liv. lib. -55, Thoas s'était rendu auprès d'Antiochus ; et par les "■ 43-43. promesses magnifiques qu'il fit à ce prince, par tout ce qu'il lui dit de l'état présent de la Grèce , et en parti- culier de ce qui s'était fait dans l'assemblée générale des Etoliens, il le détermina à y passer incessamment. Il le fit avec tant de précipitation , qu'il ne se donna pas le temps de prendre toutes les mesures que deman- dait une guerre de cette«importance, et n'emmena pas même assez de troupes. Il laissa derrière lui Lampsa- que , Troas et Smyrne , trois villes puissantes qu'il eût fallu réduire avant que de se déclarer; et , sans attendre les troupes qui lui venaient de Syrie et de l'Orient, il n'emmena que dix mille hommes d'infanterie et cinq cents chevaux. Ces forces auraient à peine suffi quand il ne se serait agi que de prendre possession d'un pays sans défense , et qu'il n'y eût pas eu de guerre à craindre de la part des Romains. Il arriva d'abord à Démétriade, et de là , après avoir reçu le décret et l'ambassade des Etoliens, il se rendit à Lamia, où se tenait leur assemblée. On l'y reçut avec de grandes démonstrations de joie. Il commença par s'excuser de ce qu'il venait avec beaucoup moins de troupes qu'on ne l'avait espéré , faisant entendre que cet empressement était une preuve de son zèle pour leurs intérêts, puisque, au premier signal qu'ils lui SUCCESSEURS D ALEXANDRE, /jC) en avaient donné , il était parti malgré la mauvaise saison, et sans attendre que tout fût prêt; mais que bientôt leur attente serait remplie ; (jue, dès que le temps serait propre à la navigation , ils verraient toute la Grèce couverte d'armes, d'hommes, de chevaux, et toutes les côtes de la mer bordées de galères : qu'il n'épargnerait ni dépense, ni peine, ni danger, pour délivrer réellement la Grèce , et pour y procurer le premier rang aux Etoliens; qu'avec ses nombreuses armées il arriverait aussi d'Asie des convois de toutes sortes; qu'ils eussent soin seulement de fournir pour le présent à son armée ce qui lui serait nécessaire. Après avoir ainsi parlé , il se retira. Les plus sensés de l'assemblée voyaient bien qu'An- tiochus , au lieu d'un secours effectif et présent tel qu'il l'avait promis , ne leur donnait presque que des paroles et des espérances. Ils auraient souhaité qu'on le prît seulement pour médiateur et pour arbitre entre eux et les Romains, et non pour chef de la guerre; mais Thoas emporta les suffrages , et le fît nommer généralissime. On lui donna trente des principaux de la nation pour délibérer avec eux quand il le jugerait h propos. Tome FUI. I/isl. anc. bO HISTOIRE ANCIENNE. | § III. Antiochus fait tenter Dainement les Achéens. Il se rend maître de Chalcis et de toute VEubée. Les Romains lui déclarent la gueri'e , et envoient contre lui dans la Grèce le consul Manius Aci- lius. Antiochus profite mal des conseils cVAnni- bal. Il est vaincu près des Thermopjles. Les Étoliens offrent de se soumettre aux Romains. An.m.38i3. I-iG premier sujet de délibération entre le roi et les Liv.iib.'fiïi Étoliens fut de savoir par quelle expédition il fallait 11. 46-Di. (commencer. On jugea à propos de faire une nouvelle Appian. m J D r r Syriac teiitative sur Chalcis, et, sans perdre de temps, l'on s'y rendit. Quand on en fut près, le roi laissa les princi- paux des Etoliens s'aboucher avec ceux de la ville qui en étaient sortis à leur arrivée. Les Etoliens les exhor- tèrent vivement à faire alliance et amitié avec Antio- chus , mais sans renoncer à celle des Romains. Ils di- rent que ce prince était passé dans la Grèce , non pou r y porter la guerre, mais pour la délivrer réellement et de fait, et non simplement en paroles comme avaient fait les Romains : qu'il ne pouvait y avoir rien de plus utile pour les villes de la Grèce que d'être amies en même temps des deux puissances, parce que l'une les défendrait toujours contre l'autre, et que par là elles se tiendraient mutuellement en respect; qu'ils vissent, s'ils ne prenaient pas ce parti , à quoi ils s'exposaient, le se- cours romain étant éloigné, et le roi présent et à leurs portes. Miction , l'un de principaux de Chalcis , répondit qu'il ne pouvait deviner pour la délivrance de qui an- tiochus avait quitté son royaume et était passé en Grèce ; qu'il n'y savait aucune ville qui eût garnison SUCCESSEURS d'aLEX\NDRE. 5| romaine, ou qui payât quelque tril)uL à Rome, ou (|ui se plaignît d'ctre opprinire : que pour les Clialci- diens, ils n'avaient besoin ni de libérateur, puisqu'ils étaient libres, ni de défenseur, puisqu'ils vivaient en paix sous la protection et avec l'amitié des Romains : qu'ils ne rejetaient pas l'amitié (\n roi ni des Étoliens, mais que la première démarclie d'amis qu'ils devaient faire était de se retirer de leur île ; qu'ils étaient bien déterminés , non-seulement à ne les pas recevoir dans leur ville, mais à ne faire avec eux aucune alliance que de concert avec les Romains. Quand on eut rapporté cette réponse au roi , comme il avait amené avec lui peu de troupes , et qu'il n'était pas en état de forcer la ville, il prit le parti de retour- ner à Démétriade. Une première démarche si peu sage et si mal concertée ne lui fît pas d'honneur , et ne fut pas d'un bon augure pour l'avenir. On se tourna d'un autre coté, et l'on essaya de ga- gner les Achéens et les Athamanes. Les premiers don- nèrent audience aux ambassadeurs d'Antiochus et des Etoliens à Ege, où se tenait leur assemblée, en pré- sence de Quintius , ambassadeur des Romains. L'ambassadeur d'Antiochus parla le premier. C'était un homme vain '■ , comme le sont d'ordinaire ceux qui vivent à la cour et aux frais des princes , qui se croyait un beau parleur, et qui prenait un ton emphatique et imposant. 11 dit qu'une cavalerie innombrable pas- sait l'Hellespont pour venir en Europe , composée par- tie de cuirassiers, partie d'archers , qui de dessus leurs chevaux , dans la fuite même , lançaient à coup sûr I « Is , ut plerique quos opes re- que Inani sonitu verLoruni comple- i^ia; alunt, vaniloquus, maria terras- verat.» (Liv. ) /| • 52 HISTOIRE ANCIENNE. leurs flèches en se retournant. A cette cavalerie , ca- pable d'écraser seule toutes les forces de l'Europe ré- unies ensemble , il ajoutait une infanterie encore plus nombreuse; les Dahes , les Mèdes , les Elyméens , les Ca- dusiens, noms inconnus et effrayants. Pour la flotte , que nul port de la Grèce ne pourrait contenir , l'aile droite devait être composée des Tyriens et des Sidoniens, la gauche des Aradiens et des Sidètes de Pamphylie, nations les plus habiles incontestablement et les plus expérimentées dans la marine : qu'il était inutile de faire un dénombrement des sommes immenses que le roi apportait avec lui , tout le monde sachant que les rovaumes d'Asie avaient toujours abondé en or; qu'il fallait juger de la même sorte des autres préparatifs de guerre : qu'ainsi les Romains n'auraient point ici affaire à un Philippe , ou à i/n Annibal , celui-ci simple citoyen de Carthage, l'autre renfermé dans les bornes étroites de son royaume de Macédoine, mais à un prince maître de toute l'Asie et d'une partie de l'Europe : que cependant , quoiqu'il vînt des extrémités de l'Orient pour délivrer la Grèce , il n'exigeait rien des Achéens qui fût contraire à la fidélité qu'ils croyaient devoir aux Romains, leurs premiers amis et alliés; qu'il ne de- mandait point qu'ils joignissent leurs armes aux siennes contre eux, mais seulement qu'ils demeurassent neu- tres, sans se déclarer ni pour les uns ni pour les autres. Archidamus, ambassadeur des Etoliens, parla en conformité, ajoutant que le parti le plus sur et le plus sage pour les Achéens était de demeurer simples spectateurs de la guerre, et d'en attendre en paix l'événement sans y prendre de part et sans courir au- cun risque. Puis s'échauffant peu-à-peu , il se répan- SUCCESSEURS d' ALKX A « J)Ui;. 53 (lit en reproches et en injures contre les Romains en général, et personnellement contre Qiiintius : il les traitait d'ingrats qui avaient oubliés qu'ils devaient au courage des Etoliens non-seulement la victoire rem- portée contre Philippe, mais encore le salut de leur armée et de leur général ; car enfin quelle fonction de capitaine Quintius avait-il faite dans la bataille? qu'il ' - ne l'avait vu occupé dans cette action qu'à consulter les auspices, qu'à innnoler des victimes, qu'à faire des vœux, connne s'il eut été là en qualité d'augure et de prêtre, pendant que lui il exposait sa personne et sa vie aux traits des ennemis pour le défendre et le conserver. A cela Quintius répondit ({u'on voyait bien à qui Archidamus avait cherché à plaire par son discours ; que, convaincu de la parfaite connaissance qu'avaient les Achéens du caractère des peuples d'Étolie, qui fai- saient consister toute leur bravoure en paroles, et non en actions , il s'était peu mis en peine de ménager leur estime, mais n'avait songé qu'à se faire valoir au- près des ambassadeurs du roi, et, par leur moyen, au- près du roi même : que si l'on avait pu ignorer jus- qu'ici ce qui avait formé l'alliance d'Antiochus et des Etoliens, le discours des ambassadeurs le faisait con- naître sensiblement; que de part et d'autre ce n'a- vaient été que mensonges et vanteries : que, faisant montre et parade de forces qu'ils n'avaient point, ils se séduisaient et s'enflaient mutuellement par de fausses promesses et de vaines espérances , les Etoliens avan- çant d'un côté hardiment, comme vous venez de l'en- tendre, que c'étaient eux qui avaient vaincu Philippe et sauvé les Romains, et que toutes les villes de la Grèce 54 HISTOIRE ANCIENNE. étaient prêtes à se déclarer pour l'Etolie; et le roi, d'un autre côté, assurant qu'il allait mettre en marche des troupes innombrables d'infanterie et de cavalerie , et couvrir la mer de ses flottes. « Ceci me rappelle un « repas que me donna à Chalcis un ami , honnête ce homme, dit-il, et qui entend à merveille à traiter « ses hôtes. Surpris de la quantité et de la variété des « mets qui nous furent servis , nous lui demandâmes « comment, au mois de juin, il avait pu amasser tant « de gibier. Cet homme , qui n'était pas glorieux et « vain comme ces gens-ci , se mettant à rire , nous « avoua de bonne foi que tout ce gibier prétendu n'é- « tait que du porc assaisonné diversement, et mis à « différentes sauces. Il en est de même des troupes du « roi, qu'on nous a tant fait valoir, et dont on a cher- ce ché à enfler le nombre par de grands noms; Dahes, ce Mèdes, Cadusiens, Élyméens, tout cela n'est qu'un ce même peuple, et encore un peuple d'esclaves plutôt c( que de soldats. Que ne puis-je, Achéens, vous re- cc présenter tous les mouvements et toutes les courses ce de ce grand roi , qui tantôt se rend à l'assemblée des ce Étoliens pour y mendier un secours de vivres et « d'argent , et tantôt se présente en vain aux portes (c de Chalcis, d'oii il est obligé de se retirer honteuse- ce ment ! Antiochus a cru mal à propos les Etoliens, et ce ceux-ci se sont fiés mal à propos aussi à Antiochus. « C'est ce qui doit vous apprendre à ne vous laisser ce pas tromper, et à vous fier pleinement à la bonne ce foi des Romains, dont vous avez fait épreuve tant ce de fois. Je m'étonne qu'on ose vous dire que le parti ce le plus sûr pour vous est de vous conserver neutres , ce et de demeurer simples spectateurs de la guerre. Ce SUCCESSEURS d' ALEX A N DUE. 55 i( moyen est sûr, mais pour devenir la proie du vain- « queiir. » La délibération de rassemblée des Aeliéens ne Cul ni longue ni douteuse. Le résultat fut qu'on déclarerait la guerre à Antiochus et aux Étoliens. Ils envoyèrent sur-le-champ, à la prière de Quintius, quelque secours à Chalcis et à Athènes, cinq cents hommes pour cha-^ cune de ces villes. Antiochus ne fut guère plus content des Béotiens , qui répondirent qu'ils délibéreraient sur le parti qu'ils devaient prendre ({uand ce prince serait arrivé en Béotie. Cependant Antiochus fit mi nouvel effort, et s'ap- procha de Chalcis avec un bien plus grand nombre de troupes que la première fois. La faction contraire aux Romains l'emporta , et la ville lui ouvrit ses portes. Les autres villes en firent bientôt autant, et il se ren- dit maître de toute l'Eubée. Il compta pour beaucoup d'avoir commencé la première campagne par la con- quête et la réduction d'une île si considérable. Mais qu'est-ce qu'une conquête où l'on ne trouve point d'en- nemis à combattre ? Il s'en préparait de terribles contre ce prince. Les An. m.38i3. Romains, après avoir consulté la volonté des dieux par llv. iii.. 3(>, la voie des augures et des auspices, déclarèrent la Appià,',! guerre à Antiochus et à ses adhérents. On ordonna 'J' ^s^yg' des processions pendant deux jours pour implorer le secours et la protection des dieux. On voua de célé- brer les grands jeux pendant dix jours, si le succès de la guerre était favorable, et d'offrir des présents dans tous les temples des dieux. Quelle honte un pa- ganisme si religieux, quoique aveugle, ne ferait-il point 56 HISTOIRE ANCIENNE. à des généraux chrétiens, qui rougiraient de la piété et de la religion ! On n'omit rien non plus du côté des soins humains. Il fut défendu aux sénateurs et aux magistrats infé- rieurs de s'éloigner de Rome à une distance d'où ils ne pussent pas revenir le même jour ; et l'on ne vou- lut pas que cinq sénateurs pussent s'en absenter en même temps. L'amour du bien public prévalait sur tout. Le consul Acilius , à qui la Grèce était échue par le sort, marqua le rendez-vous à ses troupes à Brunduse ^ pour le quinze de mai, et il partit de Rome quelques jours auparavant. Il arriva à Rome presque en même temps des ambas- sadeurs de la part de Ptolémée , de Philippe , des Car- thaginois,^ Masinissa , pour offrir aux Romains de l'argent , du blé , des troupes , des vaisseaux. Le sénat leur marqua la reconnaissance du peuple romain, mais n'accepta de toutes ces offres que le blé, à con- dition de le payer : il pria seulement Philippe d'aider le consul. Antiochus cependant, après avoir sollicité plusieurs villes ou par ses envoyés, ou par lui-même, à entrer dans son aUiance, se rendit à Démétriade, où il tint un conseil de guerre avec tous les hauts officiers de son armée , sur les opérations de la campagne que l'on commençait. Ànnibal., qui était rentré en faveur, y assista. Ce fut à lui qu'on demanda le premier son avis. Il commença d'abord par insister sur la néces- sité de faire tous les efforts possibles pour engager Philippe dans les intérêts du roi, préalablement à tout ' Bi'irides, SUCCESSEURS d'aLEX ANDRE. S'J le reste; démarche si importante, que, si elle réussis- sait, on pouvait sûrement compter sur un heureuv succès. «En effet, disait-il, si Philippe a soutenu seul (c si long-temps tout le poids de la puissance romaine , « que ne doit-on point espérer d'une guerre où les deux « plus grands rois de l'Europe et de l'Asie uniront en- ce semble leurs forces ! d'autant plus que les Romains « auront alors contre eux tout ce qui les a auparavant « rendus supérieurs, c'est-à-dire les Étoliens et les « Athamanes, à qui seuls on sait qu'ils ont été rede- (( vahlcs de la victoire. Or, qu'il soit facile de détacher « Philippe du parti des Romains, qui en peut doutci-, « si ce que Thoas a tant de fois répété au roi pour « l'engager. à passer dans la Grèce est vrai, que ce « prince, frémissant de colère de se voir réduit à une « honteuse servitude sous le nom de paix, n'attend « qu'une occasion pour éclater? En peut-il espérer « une plus favorable que celle qui s'offre maintenant « à lui? » S'il ne l'acceptait pas, Annibal était d'avis que le roi envoyât son fils Séleucus avec l'armée qu'il avait enThrace, pour ravager les frontières de la Ma- cédoine, et mettre Philippe hors d'état de porter du secours aux Romains. Il insista sur un autre point encore plus important, et soutint, comme il avait toujours fait dès le com- mencement , que l'on ne pouvait battre les Romains qu'en Italie, et que c'était pour cela qu'il avait toujours conseillé d'y aller commencer la guerre : que, puisque l'on avait pris un autre parti , et que le roi se trou- vait actuellement en Grèce; son avis, dans l'état pré- sent des affaires, était que le roi fît venir incessamment toutes ses troupes d'Asie, sans compter davantage sur 58 HISTOIRE ANCIENNE. les Etoliens ou sur les autres alliés de Grèce , qui pour- raient bien lui manquer tout d'un coup : que , dès que ces troupes seraient arrivées, il fallait marcher vers les côtes de Grèce qui sont vis-à-vis de l'Italie, et y faire aller aussi la flotte ; qu'il faudrait en employer la moitié à ravager et à tenir en alarme les côtes d'Ita- lie, et garder l'autre dans quelque port voisin pour faire mine de passer avec les troupes, et être effecti- vement prêt à le faire en cas qu'il se présentât quelque occasion dont on pût tirer avantage. C'était le moyen, disait- il , de retenir les Romains chez eux , afin de dé- fendre leurs côtes ; et en même temps c'était celui qui était le plus propre pour porter la guerre en Italie , l'unique endroit, selon lui, où les Romains pouvaient être vaincus. « Voilà, dit -il en finissant, ce que je « pense ; et si je suis moins habile pour une autre a guerre, je dois au moins avoir appris par mes bons « et mes mauvais succès comment il la faut faire avec « les Romains. On peut compter sur mon zèle et sur « ma fidélité. Au reste, je prie les dieux de faire pro- (( spérer le parti que vous aurez pris , quel qu'il soit. » On ne put pas s'empêcher, dans le moment, d'ap- prouver l'avis d'Annibal; et c'était l'unique qu'on pût donner à Antiochus dans l'état où étaient les choses. Il n'en suivit pourtant que l'article qui regardait les troupes d'Asie ; car il envoya aussitôt ordre à Polyxé- nide, son amiral, de les transporter en Grèce. Pour tout le reste du plan d'Annibal, ses courtisans et ses flatteurs l'en détournèrent en lui représentant que la victoire ne pouvait lui manquer : que, s'il suivait le plan d'Annibal, Annibal en aurait tout l'honneur, parce que c'était llii qui l'avait formé ; qu'il fallait que le roi SUCCESSEURS d'aLEXANDRE. Sq en eût toute la gloire , et pour cela qu'il se fît lui- menie un autre plan, sans s'arrêter à celui du Cartha- ginois. Voilà comment se dissipent les meilleurs avis et comment aussi se ruinent les plus puissants empires. Le roi , ayant joint les troupes des alliés aux siennes , se rendit maître de plusieurs villes de Thessalie : il fut pourtant obligé de lever le siège de devant Larisse, Bébius , préteur des Romains, y ayant porté un prompt secours ; et il se retira à Démétriade. De là il passa à Chalcis, oii il devint éperdument amoureux de la fille de son hôte. Quoique ce prince eût prèè de cinquante ans, la passion qu'il prit pour cette jeune fille, qui n'en avait pas vingt, fut si forte, qu'il résolut de l'épouser. Oubliant les deux grandes entreprises qu'il avait formées , la guerre contre les Romains , et la délivrance de la Grèce, il passa tout le reste de l'hiver en divertissements et en fêtes à l'oc- casion de ces noces. Ce goût pour les plaisirs passa aisément du roi à tous ceux de sa cour, et fit par-toul négliger la discipline militaire. ir ne revint de l'assoupissement où cette mollesse l'a- vait jeté que quand il apprit que le consul Acilius mar- chait à grandes journées contre lui dans la Thessalie. Il se mit aussitôt en chemin; et n'ayant trouvé au rendez-vous qu'un très -petit nombre dc troupes des alliés , dont les officiers s'excusaient de n'avoir pu , quelques efforts qu'ils eussent faits , en amener davan- tage, il reconnut, mais trop tard, combien Thoas l'a- vait trompé en lui faisant de magnifiques promesses , et combien Annibal avait eu raison de lui dire qu'il ne devait point compter sur les forces de tels alliés. Tout ce qu'il juit faire alors, fut de se saisir du défilé des 6o HISTOIRE ANCIENNE. Thermopyles, et d'envoyer demander des troupes tle renfort aux Étoliens. Le mauvais temps ou les vents contraires avaient empêché l'arrivée des troupes d'Asie que Polyxénide lui amenait; et le roi n'avait avec lui que celles qu'il avait amenées l'année précédente , qui n'étaient guère que de dix mille hommes. Liv. iih. 36, Antiochus croyait s'être hien mis en sûreté contre rî'uVÎircat. l'appi'oclie des Romains en se saisissant du pas des 1». 343, 344. Thermopyles , et en aioutant aux fortifications natu- Appiaii. 1 ^ ' J iu syriac. rellcs du lieu , des retranchements et des murailles. Le pag. 96-98. ^ - . consul s'en approcha, résolu de l'attaquer. Les officiet-s et les soldats de son armée étaient presque les mêmes qui avaient comhattu contre Philippe. 11 les anima par le souvenir de la célèbre victoire qu'ils avaient remportée sur ce roi, tout autrement guerrier et exercé dans les combats qu' Antiochus , qui, nouvel époux amolli par les délices et par les festins, s'imaginait qu'on faisait la guerre comme on célèbre des noces. Acilius avait en- voyé Caton , qui commandait sous lui en qualité de lieutenant , avec un assez gros détachement , pour chercher quelque route écartée qui pût le conduire sur la hauteur et au-dessus des ennemis. Après avoir es- suyé des fatigues incroyables , Caton passa les monta- gnes par le même sentier où Xerxès , et Brennus après lui , s'étaient ouvert un passage ; et tombant brusque- ment sur quelques soldats qu'il rencontra d'abord , il les mit aisément en fuite. Alors, sans différer, il fait sonner les trompettes , et s'avance à la tête de son déta- chement l'épée à la main et avec de grands cris. Un corps de six cents Étoliens qui gardaient quelques hauteurs, le voyant descendre des montagnes, prend la fuite, et se retire vers la grande armée , où ils remplissent tout SUCCESSEURS d' A LEX AN DR J£. Gl (le troul)le et d'effroi. Dans le même moment le consul , (le son côté, attaque les retranchements cfAntiochus avec toutes ses troupes , et les force. Le roi , blessé à la bouche cFun coup de pierre qui lui fracassa les dents, fut obligé par la douleur à tourner bride. Après sa retraite , aucune partie de son armée n'osa tenir ferme et attendre les Romains. Ce ne fut plus qu'une dé- route , n'y ayant presque point de passages ouverts pour la fuite, parce que d'un côté ce n'étaient que marais profonds, et de l'autre ((ue roches escarpées, (jui empêchaient qu'on ne put s'écarter ni à droite, ni à gftuche. Cependant , se poussant les uns les autres de peur de l'épée ennemie , ils se renversaient dans ces marais et dans ces précipices, et il y en périt un grand nombre. Au sortir de l'action , le consul tint long-temps em- brassé Caton tout échauffé et encore hors d'haleine, et cria , dans les transports de sa joie , que ni lui , ni le peuple romain, ne pourraient jamais récompenser dignement ses services. Caton , qui combattait ici comme lieutenant -général sous les ordres d'Acilius, avait été consul , et à la tête des armées en Espagne : mais il ne croyait pas se dégrader en acceptant un emploi subalterne pour le service de l'état; et cela était ordi- naire chez les Romains. Cependant l'armée victorieuse poursuivait les fuyards, et les tailla tous en pièces, à la réserve de cinq cents, avec lesquels Antiochus se sauva à Chalcis. Acilius envoya Caton porter lui-même à Rome la nouvelle de cette victoire,, marquant dans ses dépêches la part considérable qu'il y avait eue. 11 est beau pour un général de rendre ainsi justice au mérite d'autrui , 62 HISTOIRE ANCIENNE. et de ne point donner accès dans son cœur à la jalou- sie. L'arrivée de Caton à Rome remplit la ville d'une joie d'autant plus vive , qu'on avait plus appréhendé les suites d'une guerre contre un roi si puissant et d'une si grande réputation. On ordonna qu'on ferait aux dieux des prières publiques et des sacrifices en actions de grâces pendant trois jours. Le lecteur a sans doute remarqué souvent avec ad- miration combien les peuples du paganisme étaient exacts à commencer et à terminer les guerres par des actes de religion, travaillant d'abord à se rendre favo- rables par des vœux et des sacrifices ceux qu'ils hono- raient comme des dieux, puis leur rendant des actions de grâces publiques et solennelles pour l'heureux suc- cès de leurs armes. C'était un double témoignage qu'ils rendaient à une vérité importante et capitale, dont la tradition, aussi ancienne que le monde, s'est conser- vée parmi tous les peuples, qu'il y a un être souverain, une providence qui préside à tous les événements hu- mains. Cette louable coutume s'observe régulièrement parmi nous ; et ce n'est , à proprement parler, que dans le christianisme qu'on peut l'appeler une coutume re- ligieuse. Je souhaiterais qu'on y ajoutât une pratique, conforme certainement à l'intention des supérieurs tant ecclésiastiques que politiques : ce serait d'ordon- ner en même temps des prières pour tant de braves officiers et soldats qui ont répandu leur sang pour la défense de l'état. La victoire remportée sur Antiochus fut suivie de la reddition de toutes les places que ce prince avait prises, et en particulier de Chalcis et de toute l'Eu- béc. Le consul, après la victoire, montra en tout une SUCCESSEURS I) ALEXANDRE. 63 jiiodéralioli qui lui fit encore plus d'honneur que la vic- toire même^. Quoique les Etoliens, par leurs procédés violents et liv m.. ;î(, pleins d'insolence, se fussent rendus indignes de tout " " ■" ' ménagement, Acilius tacha néanmoins de les rappeler à leur devoir par la douceur. Il leur fit représenter que l'expérience au moins devait leur apprendre le peu de fond qu'ils pouvaient faire sur Antiochus : qu'il était encore temps d'avoir recours à la clémence du peuple romain ; que , pour donner une preuve non douteuse de la sincérité de leur repentir, il fallait qu'ils remissent en son pouvoir Héraclée, leur ville capitale. Comme ces remontrances furent inutiles, il vit bien qu'il en fallait venir à la force. Il forma le siège de cette ville avec toutes ses troupes. Héraclée était une place très-forte, d'une grande étendue, et en état de faire une longue et vigoureuse défense. Le consul , ayant mis en usage les balistes, les catapultes, et toutes les autres machines de guerre, qu'il avait en grand nombre, fit attaquer la ville en même temps par quatre endroits. Les assiégés se défendaient avec un courage , ou, pour mieuK dire, avec une fureur qui ne se peut exprimer. Ils rétablissaient sur-le-champ les pans de murs qui avaient été abattus; ils faisaient de fréquentes sorties avec une violence qu'il était difficile de soute- nir, parce qu'ils se battaient en désespérés; ils brû- laient en un moment la plus grande partie des machines qu'on employait contre eux. L'attaque fut continuée ainsi pendant vingt-quatre jours de suite, sans inter- ruption ni jour ni nuit. » " Multô niodestiâ post victoriain , quàm ipsâ victorià , laudahilior » (Liv.) 64 HISTOIRE ANCIENNE. Il était aisé de juger que les forces de la garnison, qui n'était pas fort nombreuse en comparaison des Romains, devaient être épuisées par un travail si vio- lent et si continu. Le consul forma un nouveau plan. Il faisait cesser l'attaque sur le minuit , et ne la faisait recommencer que le lendemain matin vers les neuf heures. Les Etoliens , ne doutant point que cela ne vînt de lassitude , et que les assiégeants ne fussent au- tant accablés des fatigues qu'eux-mêmes , profitaient du repos qu'on leur laissait, et se retiraient en même temps que les Romains. Cette pratique dura quelque temps. Mais le consul , ayant fait retirer ses troupes à l'ordinaire sur le minuit, trois heures après fit atta- quer la ville par trois endroits seulement, plaçant à un quatrième coté un corps de troupes qui avait ordre de demeurer tranquille jusqu'au moment où on leur donnerait le signal pour agir. Ceux des Etoliens qui dormaient, accablés de sommeil et de fatigue eurent bien de la peine à se réveille^- : ceux qui veillaient coururent de tous cotés où le bruit les appelait. Au point du jour, sur le signal qui fut donné par le con- sul, on donna l'assaut à l'endroit de la ville qui jus- qu'alors n'avait point été attaqué , et que les assiégés , par cette raison, avaient dégarni. La place fut emportée dans le moment, et les Etoliens se réfugièrent préci- pitamment dans la citadelle. La ville fut livrée au pil- lage, moins par esprit de haine et de vengeance que pour dédommager le soldat, à qui jusque-là l'on n'a- vait point permis de piller aucune des villes qu'il avait prises. La citadelle, qui manquait de vivres, ne put pas tenir long-temps; et, à la première attaque, la garnison se rendit. Entre les prisonniers était Damo- SUCCESSEURS d'aLEX AN 1) RE. G5 crite, l'un des principaux de la nation, qui, au com- mencement de la guerre, avait répondu à Quintius, ou il lui porterait en personne dans V Italie le fM.3Si3. passait dans la Grèce, Antiochus demeurait tranquille li^v. lib.'le* à Éphèse, s'assurant, sur la parole de ses flatteurs et ^Appian. de ses courtisans, qu'il n'avait rien à craindre de la "' Synac. T ]>■ 99, 100. part des Romains, et qu'ils ne songeaient point à pas- ser en Asie. Annibal seul fut capable de le tirer de cet assoupissement. Il lui déclara nettement qu'au lieu de 68 HISTOIRE ANCIENNE. se flatter de vaines espérances comme il faisait, et de se laisser endormir par des discours destitués de toute raison et de toute vraisemblance, il devait compter qu'au pf*emier jour il aurait à combattre par terre et par mer contre les Romains dans l'Asie et pour l'Asie, et qu'il fallait se résoudre ou à renoncer à l'empire, ou à le défendre les armes à la main contre des enne- mis qui n'aspiraient à rien moins qu'à se rendre maî- tres de l'univers. Le roi comprit alors tout le danger où il était. Il envoya des ordres pour faire hâter la marche des troupes d'Orient , qui n'étaient pas encore arrivées : il fit équiper sa flotte, s'y embarqua, et passa dans la Chersonèse. Il y fortifia Lysimachie, Sestus, Abyde, et les autres places des environs, pour empêcher les Romains de passer en Asie par l'Hellespont; après quoi il revint à Ephèse. On y résolut, dans un grand conseil, de hasarder un combat naval. Polyxénide, amiral de la flotte, eut ordre d'aller chercher C. Livius qui commandait celle des Romains, arrivée tout nouvellement dans la mer Egée , et de l'attaquer. Ils se rencontrèrent près du mont Coryque en lonie. Le combat fut fort opiniâtre. Enfin Polyxénide fut battu, et obligé de prendre la fuite. On lui coula à fond dix vaisseaux , et on lui en prit treize. Il se sauva à Ephèse avec le reste. Les Romains entrèrent dans le port de Canes en Eolie, firent tirer leurs vaisseaux à terre, et fortifièrent d'un bon fossé et d'un rempart l'endroit où ils les mirent pour tout l'hiver. Antiochus, lorsque ceci arriva, était à Magnésie, occupé à assembler ses forces de terre. Sur la nouvelle SUCCESSEURS d' A LEX A TV DR E. Go qu'il eut de la défaite de sa flotte, il marcha vers la côte, et songea sérieusement à en équiper une nou- velle, capable de conserver l'empire de ces mers. Pour cet effet il fit réparer les vaisseaux qu'on avait sau- vés, y en ajouta de nouveaux, et envoya A.nnibal en Syrie pour lui amener ceux de Syrie et de Phénicie. Il donna aussi une partie de l'armée à son fils Séleu- cus, qu'il envoya en Eolie observer la flotte romaine, et tenir le pays d'alentour dans le devoir ; et il alla avec le reste prendre ses quartiers d'hiver en Phrygie. Pendant tous ces mouvements, les ambassadeurs Liv. lib. 37, des Etoliens étaient arrivés à Rome, et pressaient l'audience, parce que la trêve était près de sa fin. Qulntius, qui était revenu de Grèce, les aida de son . crédit. Mais ils trouvèrent les esprits entièrement in- disposés contre les Etoliens. On les regardait non comme des ennemis ordinaires , mais comme une na- tion intraitable, et avec qui on ne pouvait point faire d'alliance. Après plusieurs jours de délibération, sans leur accorder ni leur refuser la paix, on leur fit deux propositions, dont on leur laissa le choix : c'était, ou de s'en remettre entièrement h la volonté du sénat, ou de payer mille talents ^, et de reconnaître pour amis et pour ennemis ceux qui le seraient du peuple romain. Comme ils demandèrent qu'on leur expliquât sur quoi il fallait s'en remettre à la volonté du sénat, on ne leur fit point de réponse fixe. Ainsi ils se retirèrent sans avoir rien obtenu, avec ordre de sortir, ce jour-là même, de Rome, et de l'Italie avant quinze jours. L'année suivante les Romains donnèrent le comman- . ,, -.o , dément des armées de terre qu'avait Acilius à L, Cor- av.j.c.kjo. ' Trois millions. 70 HlSÏOIRi; ANCIEJVKE. iv. lib. 37, nélius Sclpion le nouveau consul, sous qui Scipion Appian. l'Africain son frère s'était offert à servir en qualité de u Synac. lieutenant. On fut bien aise à Rome d'éprouver lequel ). 99, 100. 1 i des deux, du vainqueur ou du vaincu, de Scipion ou d'Annihal , serait d'un plus grand secours pour l'armée oii il se trouverait. On donna à L. Emilius Régillus le commandement de la flotte, qu'avait eu Livius. Le consul, étant arrivé en Etolie , ne perdit point le temps à attaquer des places Tune après l'autre; mais, uniquement occupé de son grand dessein , après avoir accordé aux Etoliens une trêve de six mois pour en- voyer une nouvelle ambassade à Rome, il songea à con- duire son armée par la Thessalie, la Macédoine et la Thrace , pour la faire passer de là en Asie. Il avait cru devoir auparavant s'assurer des dispositions de Philippe. Ce prince reçut l'armée romaine avec toutes les marques de bonne volonté qu'on pouvait attendre de l'allié le plus fidèle et le plus zélé. A son arrivée et à son départ il lui lournit avec une générosité véritablement royale tous les rafraîchissements et tous les secours nécessaires. Dans les repas qu'il donna au consul ^ , à son frère , et aux principaux officiers romains, il montra un air aisé et gracieux et une politesse qui n'étaient pas sans mé- rite auprès de Scipion l'Africain ; car ce grand homme, qui excellait en tout, n'était point ennemi d'une cer- taine élégance de mœurs et d'une noble générosité , pourvu qu'elle ne dégénérât point en luxe. L'éloge que donne ici Tite-Live à Scipion en est un grand aussi pour Philippe. Il recevait chez lui ce qu'il ' c< Multa in eo et dexteritas et ad cœtera egregium, ita a comitate, humanitas visa, qiiae commendabllia qune sine luxuria esset , non aver- apud Africanum erant , virum , sicut sum. » (Liv. ) SUCCESSEURS D ALEXANDRE. J i y avait pour- lors de plus illustre clans le monde, un consul du peuple romain, général en même temps de ses armées, et, ce qui était encore plus, Scij)ion l'Afri- cain, frère du consul. La profusion est ordinaire, et paraît pardonnable dans ces occasions. Il n'y en eut point dans la réception que Philippe lit à ses liotes. Il les traita en grand roi, et avec une magnificence qui convenait à leur dignité et à la sienne, mais qui n'avait rien d'excessif et d'outré, ni (|ui ressentît le faste et l'ostentation, et qui était infiniment relevée par des manières prévenantes, et par une attention à placer avec goût et à propos tout ce qui pouvait faire plaisir à ses hôtes. Mulla in eo dexieritas et humanitas visa. Ces qualités personnelles lui firent plus d'honneur dans l'esprit de Scipion, et le lui rendirent plus esti- mable que n'auraient pu faire les profusions les plus somptueuses. Ce bon goût de part et d'autre, rare dans les princes et dans les grands seigneurs , est pour eux un beau modèle. Le consul et son frère , en récompense de la ma- nière noble et généreuse dont Philippe avait reçu l'ar- mée, lui remirent au nom du peiq^Ie romain, dont ils en avaient reçu pouvoir, le reste de la somme qu'il devait lui payer. Philippe parut se faire un devoir et un plaisir d'ac- compagner l'armée romaine, et de lui fournir tout ce qui lui était nécessaire, non-seulement dans la Macé- doine, mais jusque dans la Thrace. L'expérience qu'il avait faite de la supériorité des forces de Rome aux siennes, et l'impuissance oii il se voyait de secouer le joug de l'obéissance et de la soumission , toujours dur à un roi , l'obligeaient de ménager un peuple de qui désor- ■72 HISTOIRE ANCIENNE. mais son sort dépendait : et il y avait de la sagesse à lui de faire de bonne grâce ce qu'il était en quelque sorte contraint de faire; car, pour le fond, il était difficile qu'il ne conservât pas contre les Romains un vif res- sentiment de l'état ou ils l'avaient réduit, les rois ne pouvant jamais s'accoutumer à dépendre des autres et à leur être soumis. Cependant la flotte romaine s'avançait du coté de la Thrace pour favoriser le passage des troupes du consul en Asie. Polyxénide , amiral d'Anliochus , qui était un Rhodien exilé, défit par un stratagème Pausistrate, qui commandait la flotte de Rhodes envoyée au secours des Romains. Il le surprit dans le. port de Samos, et lui brûla ou coula à fond vingt-neuf de ses vaisseaux. Pausistrate y périt lui-même. Les Rhodiens , loin de se décourager après une si grande perte , ne songèrent qu'à se venger. Ils équipèrent avec une diligence in- croyable une nouvelle flotte plus puissante que la pre- mière. Elle joignit celle d'Émilius , et ces deux flottes s'avancèrent ensemble à Élée ' pour dégager Eumène , assiégé dans sa capitale par Séleucus. Ce secours arri- va fort à propos , dans le temps qu'Eumène était près de succomber aux efforts de ses ennemis. Diophane , Acliéen, élève du célèbre Philopémen, acheva de mettre la ville en sûreté. Il y était entré avec mille hommes d'infanterie et cent chevaux. Seul avec sa troupe , il fit , à la vue des habitants , qui n'osèrent le suivre , des actions d'une bravoure extraordinaire, qui obligèrent enfin Séleucus de lever le siège et de sortir du pays. Liv.iib. 37, La flotte rhodienne étant ensuite détachée pour al- ler contre Annibal, qui amenait au roi celles de Syrie ' Élée était le port de Pergame, et n'en était pas loin. U. 23, 24- SUCCESSEURS u'aLEX AiN'DRE. ^3 et de Phénicie, les Rliodiens seuls lui livrèrent le combat Appiau. în 1 > lT-« 1I-T\1I '11 • S^""- P- "*°' sur les cotes de Pampliylic. Par la honte de leurs vais- (:„r„ ivep. seaux et l'adresse de leur matelots, ils battirent ce grand '" ^."p.'s]" *^' capitaine , le poussèrent dans un port ' , et l'y bloquè- rent si bien , qu'il lui fut impossible d'agir et de rendre aucun service au roi. Antiocbus reçut la nouvelle de cette défaite à peu près en même temps qu'il eut avis que le consul ro- main s'avançait à grandes journées dans la Macédoine , et qu'il se préparait <à passer en Asie par l'Hellespont. 11 vit bien alors que le danger était sérieux et prochain, et se hâta de prendre toutes les mesures possibles pour le prévenir. Il envoya des ambassadeurs à Prusias, roi de Bithy- Liv.iiv. 37, . . . . °- 25-3o. nie, pour lui apprendre que les llomains se disposaient Appian. à passer en Asie. Ils étaient chargés de lui représenter p. 101-104. , . , ,., . Polyb. in vivement les suites de ce passage : qu us venaient pour Excerpt.kg. exterminer tous les royaumes , et ne laisser plus dans ^'^^' ^^' l'univers que l'empire romain : qu'après avoir vaincu et subjugué Philippe et Nabis, ils songeaient maintenant à l'attaquer; que, s'il avait le malheur de succomber, l'in- cendie , gagnant de proche en proche, passerait bien- tôt en Bitliynie : que pour Eumène, il n'y avait rien à attendre de lui , puisqu'il s'était jeté lui-même dans les fers , et s'était soumis volontairement à la servitude. Ces motifs avaient fait beaucoup d'impression sur l'esprit de Prusias : mais les lettres qu'il reçut dans le même temps du consul Scipion et de son frère contri- buèrent beaucoup à dissiper tous ses soupçons et toutes ses craintes. Ce dernier lui représentait la coutume per- pétuelle du peuple romain de combler d'honneurs les ' Mégiste , jjort voisin de Patate. 74 HISTOIRE ANCIEJNJVE. rois qui recherchaient son alUance; et il en citait des exemples auxquels lui-même il avait eu grande part. Il lui marquait qu'en Espagne , plusieurs , de petits princes qu'ils étaient auparavant , étaient devenus de grands rois depuis qu'ils s'étaient mis sous la protection des Romains : que Masinissa non-seulement avait été rétabli dans son royaume , mais y avait ajouté celui de Sypliax , et était devenu l'un des plus puissants poten- tats de l'univers : que Philippe et Nabis, quoique vain- cus dans la guerre par Quintius , avaient été laissés sur le trône ; que l'année précédente on avait remis à Philippe le tribut qu'il s'était obligé de payer, et qu'on lui avait renvoyé son fils qui était retenu à Rome en otage ; que Nabis serait encore actuellement sur le trône, si sa propre fureur, et la perfidie des Etoliens , ne le lui avaient fait perdre avec la vie. L'arrivée de Livius, qui avait commandé la flotte, et que le peuple romain avait envoyé vers Prusias en qualité d'ambassadeur, acheva de fixer son esprit. Il lui fit sentir de quel côté on devait raisonnablement présumer que tournerait la victoire , et combien il était plus sûr pour lui de se fier à l'amitié des Romains qu'à celle d'Antiochus. Antiochus, frustré de l'espérance qu'il avait eue d'attirer Prusias dans son parti , ne songea plus qu'à s'opposer au passage des Romains dans l'Asie, pour empêcher qu'elle ne devînt le théâtre de la guerre. Il crut que le meilleur moyen d'y réussir était de recou- vrer l'empire de la mer qu'il avait presque perdu par la perte des deux combats dont j'ai parlé ; qu'alors il serait en état d'employer ses flottes où il lui plairait, et qu'il serait impossible aux ennemis de transporter SUCCESSEUllS d'aLKX AKDRT. "J S une armée en Asie par l'IIellespoiit, ou par quelque autre trajet que ce fût, quand ses Hottes n'auraient autre chose à faire qu'à renipêcher. Il résolut donc de ha- sarder encore une hâtai Ile; et pour cela il se rendit à Ephèse, où était sa flotte. Il en fit la revue, la mit dans le meilleur état qu'il put , l'équipa abondam- ment de tout ce qui était nécessaire pour une nouvelle action, et l'envoya encore une fois, sous le comman- dement de Polyxénide, chercher les ennemis et les com- battre. Ce qui le détermina à ce parti est qu'il avait appris qu'une grande partie de la flotte des Rhodiens était demeurée près de Patare , et que le roi Eumène était allé au-devant du consul dans la Chersonèse avec tous ses vaisseaux. Polyxénide trouva Emilius et la flotte romaine près de Myonèse, ville maritime d'Ionie, et l'attaqua avec aussi peu de succès qu'auparavant. Emilius remporta sur lui une victoire complète, et l'obligea à se retirer à Ephèse, après lui avoir coulé à fond ou bridé vingt- neuf vaisseaux, et lui en avoir pris treize. Antiochus fut si frappé de ce coup, qu'il en parut Liv. iib. :j7, entièrement déconcerté; comme si le bon sens l'eût Appian.iu tout d'un coup abandonné, il prit des mesures visible- ^"^ ^' ment contraires à ses intérêts. Dans la consternation où il était, il envoya des ordres pour faire retirer ses troupes de Lysimachie et des autres villes de l'Hel- lespont, de peur qu'elles ne tombassent entre les mains des ennemis qui marchaient de ce c6té-là pour passer en Asie ; au lieu que le seul moven qui lui restait de les en empêcher eût été de laisser ces troupes où elles étaient; car Lysimachie, quî était une place très-bien fortifiée, aurait pu soutenir un long siège, et peut-être 76 HISTOIRE ANCIENNE. jusque bien avant dans l'hiver, ce qui aurait extrême- ment incommodé les ennemis par la disette de vivres et de fourrages, et pendant ce temps il aurait pu son- ger à s'accommoder avec les Romains. Non-seulement il fit une grande faute en retirant de là ses troupes dans le temps qu'elles y étaient le plus nécessaires, mais il le fit avec tant de précipita- tion , qu'on y laissa toutes les munitions de guerre et de bouche dont il avait fait des magasins considé- rables. Ainsi, quand les Romains y entrèrent , ils y trouvèrent toutes les munitions dont ils avaient besoin pour leur armée avec autant d'abondance que si elles eussent été préparées exprès pour eux, et le passage de l'Hellespont si libre, qu'ils transportèrent leur armée, sans la moindre opposition , dans l'endroit de tous le plus avantageux à l'ennemi pour le leur disputer. On voit ici sensiblement ce qui est marqué si sou- vent dans les Ecritures, que, quand Dieu veut perdre et punir un royaume , il ote au roi , ou aux comman- dants, ou aux ministres, le conseil, la prudence, le courage. C'est la menace qu'il fait à son peuple par isai. 3,1-3. Isaïe. Le dominateur, le Seigneur des armées va oter de Jérusalem et de Juda le courage et la vigueur.... tous les gens de cœur et tous les hommes de guerre, tous les juges et les vieillards.... les hommes d'auto- rité, et ceux qui peuvent donner conseil. Mais ce qui est bien remarquable , c'est que l'historien païen dit ici en termes formels, et le répète deux fois, que Dieu ota l'esprit au roi ^ et lui i^etwersa le raisonne' ' ©eoû pxâiTTOVTo; t■ Infatua, qufleso, Domine, con- tophel utile, ut induceret dominus siliuni Achitophel... Domini auteni super absalom malum. » (2. Reg. nutu dissipatuiu est consillum Aclii- cap. i5, v. 3i ; et cap. 17, v. i/i. ) 'jS HISTOIRE ANCIENNE. plus illustre que jamais. Les Romains, de leur côté, sentaient une joie infinie de se voir dans la demeure ancienne de leurs pères , qui avait donné la naissance à Rome, et d'y contempler les temples et les statues des divinités qui leur étaient communes avec cette ville. Liv.Ub. 37, Quand Antiochus sut que les Romains étaient pas- Poiyb.in ses, il commença à se croire perdu. Il souhaitait alors Lfj;7ap'^23. de se délivrer d'une guerre où il s'était engagé mal à j.istm. i.3i, ppQpQs gj- sans en avoir examiné mûrement toutes les cap. 7 et 5. 1 1 Appian. suites. Il songea donc à envoyer une ambassade aux in Syriac. ~ *^ . . -, . p. I05-H0. Romains, pour leur proposer des conditions de paix. Une cérémonie de religion avait retardé leur marche , l'armée s'étant tenue en repos pendant plusieurs jours, qui étaient fêtés à Rome, où l'on conduisait avec grande pompe, dans une procession solennelle, les boucliers sacrés nommés ancilia. Scipion l'Africain , qui était du nombre des prêtres saliens préposés à la garde de ces boucliers, n'avait point encore passé la mer, parce qu'en sa qualité de prêtre salien il ne pouvait pas sortir du lieu où la fête le trouvait, et l'armée fut obligée de l'attendre. C'était un grand dom- mage que des hommes si religieux ne fussent pas plus éclairés, et ne plaçassent pas mieux leur culte. Ce dé- lai donna quelque espérance au roi; car il s'était at- tendu que les Romains, aussitôt après leur passage en Asie, viendraient l'attaquer brusquement. D'ail- leurs, tout ce qu'il avait entendu dire du caractère de Scipion l'Africain, de sa grandeur d'ame, de sa géné- rosité, de sa clémence à l'égard des vaincus, tant en Espagne qu'en Afrique, lui faisait espérer que ce grand homme, rassasié de gloire, ne se montrerait SUCCESSEURS D ALEX AND KE. no pas difficile pour un accommodement ; d'autant plus qu'il avait un présent à lui faire, auquel il ne pouvait point n'être pas infiniment sensil)le : c'était son propre fils encore "tout jeune, qui avait été pris sur mer lors- qu'il passait dans un esquif, de Chalcis à Oréum, selon Ïite-Live. Héraclide de Byzance, qui portait la parole dans cette ambassade, ayant eu audience, commença par dire que ce qui avait rendu inutiles les autres négocia- tions de paix entre son maître et les Romains, était ce qui lui faisait espérer un heureux succès de celle-ci : parce que toutes les difficultés qui les avaient pour-lors arrêtés étaient actuellement levées ; que le roi , pour ne point laisser lieu de se plaindre qu'il voulût retenir quelque chose en Europe, avait abandonné Lysima- chie; qu'à l'égard de Smyrne, de Lampsaque, et d'A- lexandrie dans la Troade , il était prêt à les remettre aux Romains, et telle autre ville de leurs alliés qu'ils lui demanderaient; qu'il consentait de payer au peuple romain la moitié des frais de la guerre. Il finit en les exhortant à se souvenir de l'inconstance des choses humaines, et à ne pas trop compter sur leur prospé- rité présente : qu'il devait bien leur suffire de don- ner pour bornes à leur empire l'Europe, qui était d'une étendue immense; que, s'ils avaient l'ambition de vou- loir y ajouter encore quelque partie de l'Asie, le roi aurait assez de modération pour y consentir, pourvu que les limites en fussent marquées et fixées bien clai- rement. L'ambassadeur s'imaginait que des propositions, selon lui, si avantageuses et si favorables, ne pour- raient être refusées; mais les Romains n'en jugeaient 8o HISTOIRE ANCIEINNE. pas ainsi. Au regard des frais de la guerre , comme c'était le roi qui l'avait suscitée mal à propos, ils trou- vaient qu'il était juste de les lui faire payer en entier. Ils ne se contentaient pas non plus qu'il fît sortir ses garnisons de l'Ionie et de l'Eolie : ils prétendaient rendre la liberté à toute l'Asie, comme ils l'avaient rendue à toute la Grèce; ce qui ne pouvait se faire si le roi n'abandonnait toute l'Asie en-deçà du mont Taurus. Héraclide, n'ayant pu rien obtenir dans l'audience publique, essaya, selon les ordres qu'il en avait reçus, de gagner en particulier Scipion l'Africain. Il lui dé- clara avant tout que le roi lui rendrait son fils sans rançon. Puis, connaissant peu la grandeur d'ame de Scipion, et le caractère des Romains, il lui promit une sonnne considérable et un pouvoir absolu auprès du roi, s'il lui faisait accorder la paix. Scipion lui ré- pondit en ces termes : « Je ne m'étonne pas que vous « ignoriez ce que je suis, et ce que sont les Romains, « voyant que vous ne connaissez pas même l'état où a se trouve le prince qui vous a envoyé vers nous. Si « vous prétendiez que l'inquiétude du succès nous por- « tât à vous accorder plus facilement la paix, il fallait « que votre maître se maintînt dans la possession de « Lysimachie pour nous empêcher d'entrer dans la « Cliersonèse, ou qu'il vînt à notre rencontre dans « l'Hellespont pour nous disputer le passage en x^sie. « Mais dès qu'il nous l'a abandonné, c'est avoir reçu « le frein et le joug, et il ne lui reste plus d'autre parti « que de se soumettre. Entre les offres qu'il me fait, « celle de me rendre mon fils ne peut pas ne me point « toucher sensiblement : j'espère que les autres ne se- SUCCESSEURS d'alexandre. 8f « ront jamais capables de me tenter. Je puis lui pro- « mettre, comme particulier, une vive reconnaissance « pour un bienfait et pour un don si précieux; mais « connne homme public, qu'il n'attende rien de moi. « Allez lui dire de ma part cpie, s'il me croit, il met- « tra bas les armes, et ne refusera aucune condition « de paix. C'est le seul conseil que je puisse lui don- « ner en bon et fidèle ami. )) Antiochus trouva qu'on n'aurait pu lui imposer des conditions plus dures, quand il aurait été vaincu, et une paix de cette sorte lui parut aussi funeste que la guerre la plus malheureuse. Ainsi, il se prépara à hasarder une bataille, et les Romains en firent autant de leur côté. Le roi était campé à Thyatire. Il y apprit que P. Sci- pion était resté malade à Elée : il lui renvoya son fils. Ce fut un remède qui fit impression sur le corps aussi-bien que sur l'esprit, en rendant à ce père affligé et malade la joie et la santé. Après avoir tenu long- temps son fils embrassé , et satisfait sa tendresse , « Al- « lez, dit-il aux députés, porter mes actions de grâces « au roi , et dites-lui que je ne puis , pour le présent, « lui donner d'autre marque de ma reconnaissance « qu'en lui conseillant de ne point songer à combattre « avant qu'il me sache arrivé au camp. » Peut-être Scipion espérait-il qu'un délai de quelques jours don- nerait lieu au roi de faire de plus sérieuses réflexions qu'il n'avait fait jusque-là, et de songer à conclure une paix solide. Quoique la supériorité des troupes d'Antiochus , beaucoup plus nombreuses que celles des Romains, fût pour lui un motif puissant de hasarder sans délai le Tome Fin. ITisi. anc. 6 Sa HISTOIRE ANCIENNE. combat, cependant l'autorité d'un homme commejSci- pion , sur qui il avait toujours compté en cas de quel- que fâcheux accident, l'emporta dans son esprit. Il passa la rivière de Phrygie ( on croit que c'est l'Her- mus), alla se poster près de Magnésie, au pied du mont Sipyle, et y fortifia son camp de manière qu'il le mit hors d'insulte. Le consul l'y suivit de près. Les armées furent plu- sieurs jours en présence, sans qu'Antiochus fît sortir la sienne du camp. Il avait soixante-dix mille hommes de pied, douze mille chevaux, et cinquante-quatre élé- phants. Les Romains n'avaient en tput que trente mille hommes, et seize éléphants. Le consul, voyant que le roi ne faisait point de mouvement, assembla son conseil pour délibérer sur le parti qu'il fallait prendre, en cas qu il refusât toujours d'en venir aux mains. Il représenta que, l'hiver étant proche, il faudrait, mal- gré la riffueur de la saison, tenir les soldats sous des on tentes , ou , si l'on prenait des quartiers d'hiver , diffé- rer à l'année suivante la décision de la guerre. Jamais les Romains ne marquèrent de mépris pour un en- nemi comme dans cette occasion. Tous s'écrièrent qu'il fallait sur-le-champ marcher contre l'ennemi , et pro- fiter de l'ardeur des soldats, qui étaient tout prêts à forcer les palissades et à franchir les fossés pour aller l'attaquer jusque dans son camp s'il n'en sortait point. Il est assez vraisemblable que le consul souhaitait pré- venir l'arrivée de son frère, dont la présence seule aurait beaucoup diminué de sa gloire. Le lendemain , après qu'on eut reconnu la situation du camp , le consul en fit approcher son armée rangée en batadle. Le roi,^ craignant qu'un plus long délai SUCCESSEURS d'alexandue. 83 irahattit le courage des siens , et iVaugmentât la con- (îancc (les ennemis, fit enfin sortir ses troupes. Ainsi, (le part et d'autre, tout se prépara à une action qui de- vait être décisive. Dans l'armée du consul , tout était assez uniforme et pour les hommes et pour les armes. Il y avait deux légions romaines, composées chacune de cinrj mille quatre cents hommes, et deux corps pareils d'infante- rie latine. Les Romains occupaient le centre , les La- tins les deux ailes, dont la gauche ('tait appuy('H^ au fleuve. La première ligne du centre était composée des hastaires % hastatî; la seconde, des princes ^ pr/napes ; la troisième, des triaires, triarii. Voilà ce qui formait, à proprement parler, le corps de bataille. A colé de l'aile droite, pour la couvrir et la soutenir, le consul avait placé sur une même ligne trois mille hommes d'in- fanterie des Achéens et des troupes auxiliaires d'Eu- mène , et tout de suite trois mille chevaux , dont huit cents étaient des troupes d'Eumène , et le reste des Ro- mains. Il mit à l'extrémité de cette aile les Tralliens et les Cretois armés à la légère. L'aile gauche ne parais- sait pas avoir besoin d'un pareil renfort, parce qu'on jugeait que le fleuve et les rives , qui étaient fort escar- pées, la défendaient suffisamment. On y plaça cepen- dant quatre escadrons de cavalerie. On laissa pour la garde du camp deux mille soldats , tant Macédoniens ({ue Thraces, qui avaient suivi volontairement l'armée. Les seize éléphants furent laissés derrière les Triariens , pour servir comme de corps de réserve et d'arrière- garde. On ne songea point à les opposer à ceux des ' Ce sont les noms des trois corps qui formaient rinfanterle des légions romaines. 84 HISTOIRE ANCIENNE. ennemis , non-seulement parce que ceux-ci étaient en plus grand nombre , mais encore parce que les éléphants d'Afrique , les seuls qu'eusssent les Romains , étaient beaucoup inférieurs, et pour la taille et pour la vi- gueur , à ceux des Indes , et ne pouvaient soutenir leur choc. L'armée du roi était plus variée par la diversité des nations, et par la différence des armes. Seize mille fan- tassins , armés à la macédonienne , qui formaient la phalange, faisaient aussi le corps de bataille. Cette pha- lange était divisée en dix petits corps, dont chacun pré- sentait un front de cinquante hommes sur trente-deux âe profondeur; et dans chacun des intervalles qui les séparaient , on avait placé deux éléphants. Elle faisait la principale force de l'armée. La vue seule des élé- phants inspirait de la terreur. Leur haute taille et leur grandeur, déjà remarquable par elle-même, était en- core relevée par leurs ornements de tête , et leurs ai- grettes, où brillaient l'or, l'argent , la pourpre, l'ivoire : vains ornements , qui invitent l'ennemi par l'espérance de la proie , et ne sauvent point une armée. Ces élé- phants portaient sur leur dos des tours montées par quatre hommes qui combattaient, sans compter le con- ducteur. Au côté droit de cette phalange était rangée de suite, et sur une même ligne, une partie de la cava- lerie , savoir : quinze cents Gaulois d'Asie , trois mille cuirassiers armés de toutes pièces, mille autres cava- liers qui étaient l'élite des Mèdes et des autres peuples voisins. Tout de suite était placée une troupe de seize éléphants. Un peu au-delà était le régiment du roi , composé des argyraspides , ainsi appelés parce qu'ils avaient des armes d'argent. Après eux douze cents ar- SUCCESSEURS d' A LEX AN DRE. 85 chers des Dahes, auxquels on en avait joint deux mille cinq cents autres des Mysiens ; puis, trois mille armés à la légère, partie Cretois, partie Trallicns. L'aile droite; était formée par quatre mille, tant frondeurs qu'archers, moitié Cyrtéens , et moitié Elyméens. L'aile gauche était formée à peu. près de la même manière, si ce n'est que devant une partie de la cavalerie on avait placé les chariots armés de faux, et les chameaux montés par des archers arabes qui avaient des épées minces et longues de six pieds pour pouvoir atteindre l'enne- mi du haut de ces animaux. Le roi commandait la droite; Séleucus son fils, et Antipater son neveu, la gauche ; et trois lieutenants-généraux le corps de ba- taille. Un brouillard épais, s'étant élevé dès le matin, for- ma une grande obscurité, qui empêchait les troupes du roi de se reconnaître les unes les autres, et d'agir de concert, à cause de leur grande étendue ; et l'humidité causée par ce brouillard amollit les cordes des arcs, les frondes, et les courroies ^ dont on se servait pour lancer les traits. Les Romains en souffrirent beaucoup moins, parce qu'ils ne faisaient guère usage que d'ar- mes pesantes, d'épées et de javelots; et comme le front de leur armée avait moins d'étendue , ils s'entrevoyaient plus facilement. Les chariots armés de faux , par le moyen desquels Antiochus avait espéré jeter la terreur et le désordre parmi les troupes ennemies , commencèrent la déroule des siennes. Le roi Eumène , qui en connaissait le fort et le faible, lâcha contre eux les archers crétois, les frondeur!, et les cavaliers qui lançaient des javelots, ' Amenta. 86 HISTOIRE ANCIENNE. avec ordre de les attaquer, non tous unis ensemble, mais partagés par petits pelotons, et de les accabler de tous côtés d'une grêle de traits, de pierres et de jave- lots, en jetant tous en même temps de grands cris. Les chevaux , effrayés par ces cris , prennent le mors aux dents , ne gardent plus d'ordre , sont emportés de côté et d'autre , et se tournent contre leurs propres troupes , aussi - bien que les chameaux. Ce vain épou- vantail ainsi dissipé, on en vint aux mains. Mais il causa bientôt la perte de l'armée du roi ; car les troupes qui étaient près de ces chariots, ayant été entraînées par leur désordre, et mises en fuite, laissèrent tout à découvert et sans défense, jusqu'aux cuirassiers ; et la cavalerie romaine étant venue fondre sur ceux-ci, ils n'en purent soutenir le choc, et se débandèrent dans le moment, plusieurs demeurant sur la place , parce que la pesanteur de leurs armes ne leur permit pas de se sauver par la fuite. Toute l'aile gauche fut mise en déroute, et porta le désordre et l'alarme jus- que dans le corps de bataille , formé par la phalange. Alors les légions romaines l'attaquèrent avec avantage , les phalangites ne pouvant faire usage de leurs lon- gues piques , parce que les fuyards venaient se réfugier parmi eux , et les empêchaient d'agir , pendant que les Romains lançaient de tous côtés contre eux leurs ja- velots. Les éléphants, rangés dans les intervalles de la phalange, ne lui furent d'aucun secours. Les soldats romains , accoutumés dans les guerres d'Afrique à combattre contre ces bêtes , avaient appris cpmment il en fallait éviter l'impétuosité , ou en les perçant de leurs javelots par les flancs, ou, s'ils en pou#iiènt ap- procher, en leur coupant le jarret avec leur épée. Les SIICCIÎSSEURS D ALLXAINDUE. 87 premiers rangs de la phalange furent donc mis en dés- ordre, et déjà on conHnençait à envelopper par -der- rière ses derniers rangs, lorsqu'on apprit que Taile gauche des Romains était en grand danger. Antiochus, qui avait remarqué que cette aile gauche était entièrement découverte par les flancs , et qu'on n'y avait placé que quatre escadrons, connue étant assez défendue par le fleuve, l'avait attaquée avec ses troupes auxiliaires et sa cavalerie pesamment armée, non-seu- lement de front , mais par les flancs, parce que les ([uatre escadrons , ne pouvant soutenir le choc de toute la cavalerie ennemie, s'étaient retirés vers le gros de l'armée, et avaient laissé libre le terrain qui était près du fleuve. La cavalerie romaine ayant été mise en dés- ordre , l'infanterie la suivit bientôt, et elles furent pous- sées jusque dans le camp. Marcus Emilius , tribun des soldats, était demeuré pour la garde du camp. Quand il vit les Romains y venir en fuyant, il sortit avec toutes ses troupes au-devant d'eux, leur reprochant leur lâ- cheté et leur fuite honteuse. Il fit plus , il ordonna aux siens de tuer impitoyablement les premiers des fuyards qu'ils rencontreraient et qui refuseraient de tourner vi- sage. Cet ordre , donné à propos et exécuté , eut tout son effet; une plus grande crainte en surmonta une; moindre. Les fuyards s'arrêtent d'abord, puis ils re- tournent au combat. Emilius , avec son corps de trou- pes, qui était de deux mille hommes, tous braves et aguerris , s'oppose au roi , qui poursuivait vivement les fuyards. Attalc, frère d'Eumène, sur l'avis qu'il recul de la déroute de l'aile gauche, ayant quitté la droite, y accourut , et arriva à propos avec deux cents che- vaux. Antiochus y pressé de tous côtés, tourna bride et 88 HISTOIRE ANCIENNE. se retira. Ainsi les Romains , vainqueurs clans les deux ailes , s'avancent à travers des monceaux de corps morts jusqu'au camp du roi , et le pillent. On remarqua qu'une des causes de la perte de cette bataille fut la manière dont le roi avait rangé sa pha- lange : elle faisait la principale force de son armée : jusque-là elle avait passé pour invincible; c'étaient tous vieux soldats aguerris, robustes, pleins de vigueur et de courage. Il fallait donc , pour les mettre en état de lui rendre plus de service, leur donner moins de profondeur et plus de front; au lieu que, les ayant rangés sur trente-deux de profondeur, il en rendait la moitié inutile, et plaçait sur le reste du front, des troupes de nouvelle levée sans courage et sans expé- rience, sur lesquelles il ne devait point compter. An- tiochus, en cela, n'avait pourtant fait que suivre la méthode observée par Philippe et par Alexandre , qui rangeaient ainsi la phalange. Il y eut ce jour-là de tués , tant dans le combat que dans la fuite et dans la prise du camp, cinquante mille hommes d'infanterie, et quatre mille de cavalerie; qua- torze cents faits prisonniers , et quinze éléphants de pris avec leurs conducteurs. Les Romains ne perdirent pas plus de trois cents fantassins et vingt-quatre cava- liers : Eumène eut vingt-cinq cavaliers de tués. Le fruit de cette victoire fut la reddition de toutes les villes de l'Asie Mineure , qui vinrent se soumettre aux Ro- mains. Antiochus était arrivé à Sardes avec ce qu'il avait pu recueillir des troupes qui avaient échappé au car- nage. De Sardes il passa à Célènes en Phrygie, où il apprit que son fds Séleucus s'était sauvé : il l'y trouva, SUCCESSEURS d'aLEX .\NDRE. 8() et ils passèrent tous deux en diligence le mont ïaurus, pour gagner la Syrie. Annibai et Scipion l'Africain ne se trouvèrent ni l'un ni l'autre à cette bataille. Le premier était bloqué par les Rliodiens dans la Pampliylie avec la flotte de Syrie, et l'autre était resté malade à Elée. Dès qu'Antiocbus fut arrivé à Antioche , il envoya lâv. ub. 37, Antipater, fils de son frère, et Zeuxis, qui avait eu Poiyb.ïn sous lui le gouvernement de la Lydie et de la Phrygie, gaTTiV- ^I pour demander la paix aux Romains : ils trouvèrent ia%^r\lc. le consul à Sardes. Son frère l'Africain, rétabli de sa. P- ^«o-"^- maladie, y était aussi. Ils s'adressèrent à ce dernier, et ce fut lui qui les présenta au consul. Ils ne songè- rent en aucune sorte à excuser Antiochus, mais se bornèrent à demander humblement la paix en son nom. « Vous avez toujours, lui dirent-ils, pardonné « avec grandeur d'ame aux rois et aux peuples vain- « eus : combien devez-vous être maintenant plus portés « à le faire dans une victoire qui vous rend les maîtres « de l'univers! Désormais, devenus égaux aux dieux, « mettez bas toute animosité contre les mortels, et ne « songez plus qu'à faire du bien au genre humain. » On assembla le conseil au sujet de cette am])assade, et , après y avoir bien examiné l'affaire , on les fit en- trer. Scipion l'Africain porta la parole, et dit ce qui s'y était résolu : que, comme les Romains ne se laissaient point abattre par l'adversité , aussi la prospérité ne les enflait point; que par cette raison ils ne demanderaient après la bataille que ce qu'ils avaient déjà demandé auparavant ; qu'Antiocbus évacuerait toute l'Asie en- deçà du mont Taurus; qu'il paierait tous les frais do CJO HISTOIRE ANCIENNE. la guerre, qui furent taxés à quinze mille talents ' d'Eubée , et le paiement en fut ainsi réglé : cinq cents talents comptant , deux mille cinq cents quand le sé- nat aurait ratifié le traité, et le reste en douze ans, mille talents par an ; qu'il rendrait à Eumène les quatre cents talents qu'il lui devait, et le reste du paiement pour le blé que le roi de Pergame son père avait fourni au roi de Syrie; qu'il donnerait vingt otages au gré des Romains. « Mais, ajouta-t-il, le peuple romain ne « pourra point compter sur les dispositions pacifiques « d'un prince qui donnera un asyle dans ses états à An- « nibal. 11 demande qu'on le lui livre, aussi-bien que « Thoas l'Étolien , qui a le plus contribué à allumer cette « guerre. » Toutes ces conditions furent acceptées. On envoya L. Cotta à Rome avec les ambassadeurs d'Antiochus, pour instruire le sénat de tout ce qu'on avait fait dans cette négociation , et en obtenir la rati- fication. Eumène partit en même temps pour Rome, et les ambassadeurs des villes d'Asie s'y rendirent aussi. Peu de temps après on paya au consul les cinq cents talents à Épbèse. On lui donna des otages pour le reste du paiement, et pour assurance des autres conditions du traité. Antiocbus , un des fils du roi , était du nom- bre des otages : il parvint ensuite à la couronne , et fut surnommé Épipbane. Dès qu'Annibal et Tboas eurent avis qu'on négociait un traité, jugeant bien qu'ils se- raient sacrifiés, ils pourvurent l'un et l'autre à leur sûreté en se retirant avant qu'il fût conclu. Les Étoliens avaient, dès auparavant, envoyé leurs ' Les quinze mille talents attiqucs un peu moins, feraient quarante -cinq millions; = Les i5,ooo talents Euboiques ceux tVEubée, selon Builé , valaient valent 82,5oo,ooo francs. — L. SUCCESSEURS D ALEXANDRE. C) I ambassadeurs à Rome afin d'y solliciter un accommo- dement. Pour y mieux réussir, ils osèrent, par une fourberie indigne du caractère qu'ils portaient, répan- tlre à Rome la nouvelle de la prise des deux Scipions dans un pourparler , et de la défaite de leur armée par Antiochus. Ensuite, comme si cette nouvelle eût été certaine, et ils l'assuraient avec impudence, ils pri- rent un ton de fierté dans le sénat , et semblèrent moins demander la paix ([ue l'exiger. Ils connaissaient mal le caractère romain. On avait d'ailleurs beaucou[) de sujets de mécontentement d'eux. Ils eurent ordre de sortir de Rome ce jour-là même, et de l'Italie avant quinze jours. Bientôt après on reçut des lettres du con- sul, qui montrèrent la fausseté de ce bruit. Le peuple romain venait de nommer pour consuls an.m.3Si5 M. Fulvius Nobilior, et Cn. Manlius Vulso. Dans le liv. iib. '37', département des provinces, l'Etolie écbut par le sort ^'' '^'' °' à Fulvius , et l'Asie à Manlius. L'arrivée de Cotta à Rome, qui y portait le détail ui. ibi.i. et les circonstances cie la victoire et du traite de paix, roiyb. m causa dans la ville une joie universelle. On ordonna n-^'cap^sii. des prières et des sacrifices en action de grâces pendant i,f *!|'X^. trois jours. i''^^''- "''■ Après avoir satisfait aux devoirs de religion , le pre- mier soin du sénat fut de donner audience, d'abord au roi Eumène , puis aux ambassadeurs. Il s'agissait, dans cette audience, d'une affaire des plus importantes qui eussent jamais été proposées au sénat, et qui inté- ressait toutes les villes grecques de l'Asie. On sait combicq la liberté , en général , est cbère et précieuse à tous les hommes. Mais le Grecs, en particulier, en étaient jaloux à un point qui ne peut s'exprimer. Ils la C)2 HISTOIRE ANCIENNE. regardaient comme l'héritage de leure pères, comme un bien patrimonial , comme un privilège singulier qui les distinguait des autres nations. En effet , pour peu d'attention qu'on fasse sur l'histoire des Grecs, on ver- ra que la liberté était le grand mobile de toutes leurs entreprises et de toutes leurs guerres , et comme l'ame de leurs lois , de leurs coutumes et de tout leur gouver- nement. Philippe, et Alexandre son fils, avaient com- mencé à y donner une grande atteinte. Leurs succes- seurs avaient achevé de l'opprimer et de l'éteindre presque. entièrement. Elle venait d'être rendue par les Romains à toutes les villes de la Grèce , après la victoire qu'ils avaient remportée sur Philippe, roi de Macé- doine. Celles de l'Asie, après la défaite d'Antiochus, espéraient des Romains la même grâce. Les Rliodiens avaient envoyé leurs ambassadeurs à Rome, principa- lement pour solliciter cette grâce en faveur des Grecs d'Asie. Le roi Eumène avait un intérêt particulier de s'y opposer. Voilà ce qui va faire le sujet de la délibé- ration du sénat dont on peut dire que la décision te- nait en suspens l'Europe et l'Asie. Eumène, ayant eu le premier audience, commença par remercier en peu de mots le sénat de la protection éclatante qu'il lui avait accordée en les délivrant, son frère et lui, du siège qu'Antiochus avait mis devant Per- game , la capitale de ses états , et mettant son royaume en sûreté contre les entreprises injustes de ce prince. Puis il félicita les Romains sur l'heureux succès de leurs armes par terre et par mer, et sur la célèbre victoire qu'ils venaient de remporter, par laquelle ils^ avaient chassé Antiochus de l'Europe et de toute l'Asie située en-decà du mont ïaurus. Il ajouta que, pour ce qui SUCCESSEURS d' A LEX A N DR E. C)3 regardait sa personne et les services qu'il avait tâché (le rendre aux Romains, il aimait mieux que le sénat en fût informé par le rapport des généraux que par sa propre bouche. Une retenue si modeste fut générale- ment approuvée ; mais on le pria de vouloir bien mar- quer expressément en quoi le sénat et le peuple romain pouvaient lui faire plaisir, et ce qu'il attendait d'eux, l'assurant qu'il pouvait compter sur leur bonne volonté. Il répondit que si le choix d'une récompense lui était proposé par d'autres, et qu'on lui permît de consulter le sénat, il prendrait la liberté de demander conseil à une compagnie si respectable sur la réponse qu'il devrait rendre , pour ne point s'exposer à faire des demandes peu modestes et peu mesurées ; mais que comme c'était du sénat même qu'il attendait tout ce qu'il pouvait espérer , il croyait devoir s'en rapporter uniquement à sa générosité. On le pressa de nouveau de vouloir bien s'expliquer clairement et sans ambi- îTuité. Dans ce combat mutuel d'honnêteté et de défé- rence, Eumène , ne pouvant gagner sur lui de céder, sortit de l'assemblée. Le sénat persista toujours dans son sentiment, et sa raison était que le roi seul con- naissait ce qui pouvait lui convenir et ce qui était à sa bienséance. On le fit donc rentrer, et on l'obligea de s'expliquer. Pour -lors il tint ce discours : « J'aurais continué à « me taire, messieurs, si je ne savais que les ambas- « sadeurs rhodiens, à qui vous donnerez bientôt au- « dience , doivent vous faire des demandes absolument « contraires à mes intérêts. Ils plaideront devant vous « la cause des villes grecques de l'Asie, et prétendront « qu'elles doivent toutes être déclarées libres. Or, peut- (j4 HISTOIRE ANCIENNE. « il être douteux que par là ils veulent nous soustraire « non-seulement les villes qui seront délivrées, mais « celles même qui , anciennement , étaient nos tribu- « taires; et que leur dessein est, par un service si si- ce gnalé , de se les assujettir réellement sous le titre de « villes amies et alliées? Ils ne manqueront pas de <( faire sonner bien haut leur désintéressement, et de « dire que ce n'est point pour eux-mêmes qu'ils par- ce lent, mais uniquement pour votre gloire et votre « réputation. Vous ne vous laisserez point sans doute « éblouir par un tel discours , et vous êtes bien éloi- « gnés de vouloir non -seulement marquer une inéga- « lité affectée à l'égard de vos alliés en abaissant les « uns et élevant les autres sans mesure , mais encore « faire de meilleures conditions à ceux qui ont porté « les armes contre vous, qu'aux autres qui ont toujours « été vos amis et vos alliés. Pour ce qui concerne mes « prétentions particulières et mes intérêts personnels , « je puis facilement m'en départir; mais au regard de a votre bienveillance , et des marques honorables de «votre amitié, j'avoue que je ne pourrais sans peine voir « d'autres l'emporter sur moi. C'est là la portion la plus « précieuse de l'héritage que j'ai reçu de mon père, « qui, le premier de tous ceux qui habitent la Grèce « et l'Asie , a eu l'avantage de faire alliance et amitié « avec vous , et qui Ta cultivée avec une constance et a une fidélité inviolable jusqu'au dernier soupir. Il ne « s'en est pas tenu à de simples protestations d'une « bonne volonté. Dans toutes les guerres que vous « avez faites en Grèce, soit par terre, soit par mer, il « vous a toujours constamment suivis , et vous a aidés « de toutes ses forces avec un dévouement dont nul SUCCESSEURS d' A LEX A N DR K . q5 « de VOS alliés n'a approché. On peut dire mOmc que « son zèle pour vos intérêts, en mettant le dernier « sceau à sa fidélité, a mis fin à sa vie; car ce fut l'ar- ec deur et la vivacité avec laquelle il exhorta les Béo- « tiens à entrer dans votre alliance, ({ui lui causa l'ac- « cident dont il mourut peu de jours après. Je me suis « fait ini honneur et un devoir de marcher sur ses « traces. A la vérité je n'ai pu aller au-delà de son zèle «et de son attachement pour vous, la chose n'était « pas possible; mais la conjoncture du temps et de la (t guerre contre Antiochus m'a fourni plus d'occasions « qu'à mon père de vous en donner des preuves. Ce (c prince, très-puissant en Europe et en Asie, m'offrait « sa fille en mariage; il s'engageait à me restituer toutes «les villes qui s'étaient révoltées contre moi; il me rt promettait d'agrandir considérablement mon royaume, « si je voulais me joindre à lui contre vous. Je ne me « ferai point honneur de n'avoir point accepté ces « offres, qui me détachaient de votre amitié : comment « l'aurais-je pu ? Je rapporterai seulement ce que je « me suis cru obligé de faire pour vous comme ancien « et fidèle allié. J'ai aidé vos généraux, par terre et par M mer, de troupes et de vivres , plus , sans comparaison , « qu'aucun de vos alliés. Je me suis trouvé à toutes les « batailles navales que vous avez données , et elles ne « sont pas en petit nombre : je n'ai épargné ni travaux «ni dangers. J'ai essuyé un siège, qui est ce que la « guerre a de plus fâcheux; et je me suis vu enfermé a dans Pergame, près de perdre la vie avec la couronne. « Délivré de ce siège pendant qu'Antiochus d'un coté, « et Séleucus son fils de l'autre, campaient encore dans « mes états; oubliant mes propres intérêts, je me suis ()6 HISTOIRE ANCIENNE. a transporte clans l'Hellespont avec toute ma flotte au- « devant de L. Scipion, votre consul, pour lui facili- « ter le passage. Depuis son entrée en Asie, je n'ai « point quitté le consul : nul soldat n'a été plus assidu « dans votre camp que mon frère et moi : il n'y a point « eu sans moi d'action, point de combat de cavalerie. « Dans la dernière bataille j'ai défendu le poste où le con- « sul m'avait placé. Je ne demanderai point si aucun de «vos alliés peut, en ce point, se comparer à moi. Ce (( que je puis dire avec confiance, c'est qu'il n'y a au- « cun des peuples et des rois que vous avez le plus liono- « rés, à qui je n'aie droit de m'égaler. Masinissa avait « été votre ennemi avant que de devenir votre allié. « Il ne vint point à vous avec de puissants secours, et « pendant que son royaume était encore à lui en en- te tier: mais, banni et cbassé de ses états, dépouillé de « tous ses biens et de toutes ses forces, il se réfugia dans « votre camp avec un escadron de cavalerie pour y « chercher un asyle et une ressource dans son malheur. «Cependant, parce que depuis il vous servit fidèle- « ment contre Syphax et contre les Carthaginois, non- « seulement vous l'avez rétabli sur le trône de ses pères, « mais, en le gratifiant d'une grande partie du royaume « de Syphax , vous l'avez rendu l'un des plus puissants « rois de l'Afrique. Que ne devons-nous donc point atten- « dre de votre libéralité, nous qui avons toujours été vos « alliés, et jamais vos ennemis! Mon père , mes frères « et moi , avons toujours porté les armes pour vous «sur mer et sur terre, non -seulement dans l'Asie, « mais loin de notre pays , dans le Péloponnèse , dans « la Béotie, dans l'Etolie, pendant les guerres contre «Philippe, contre Antiochus, contre les Étoliens. SL'CCF.SSKURS D ALEXANDRE. ij'J « Quelles sont donc vos prétentions? nie dira quelqu'un. « Puisque vous m'obligez, messieurs, de m'expliquer, « je le ferai. Si vous avez reeulé Anliochus au-delà « du mont Taurus pour occuper vous-mêmes ce pays « et le réunir à votre empire, je ne puis point désirer « un meilleur voisinage que le votre , ni qui soit plus « capable de mettre mes états en sûreté. Mais si vous « avez résolu d'y renoncer pour vous-mêmes , et d'en a rappeler vos armées, j'ose dire que de tous vos alliés « il n'y en a aucun qui mérite mieux que moi de pro- « fiter de vos conquêtes. Mais, dira-t-on, il est grand « et glorieux de délivrer les villes de l'esclavage et de « leur rendre la liberté! Oui, si elles n'ont jamais exercé « d'hostilités contre vous. Mais si elles sont entrées « avec chaleur dans le parti d'Antiochus, combien est- ce il plus digne de votre sagesse et de votre équité de « faire tomber vos bienfaits sur des alliés qui vous ont « servi utilement, que sur des ennemis qui ont voulu « vous perdre! » Le discours du roi plut fort aux sénateurs, et l'on vit bien qu'ils étaient disposés à faire pour lui tout ce qui dépendrait d'eux. » On donna ensuite audience aux Rhodiens. Celui qui portait la parole pour eux, après avoir exposé l'origine de leur amitié avec le peuple romain, et les services qu'ils lui avaient rendus , premièrement dans la guerre contre Philippe, puis dans celle contre An- tiochus, «Rien, dit -il en s'adressant aux sénateurs, « ne nous afflige tant aujourd'hui que de nous voir « obligés d'entrer en dispute avec Eumène, celui de « tous les rois avec lequel, soit notre république, soit «nous-mêmes personnellement, entretenons lu plus Tome yiH. Hist. aiic. 7 (^8 HISTOIRE ANCIENNE. (t fidèle et la plus intime amitié. Au reste, ce qui « nous sépare ici ne prend point son origine dans la « disposition des esprits, mais dans la différence des « conditions. Nous sommes libres, et Eumène est roi. « Il est naturel que nous, comme peuple libre, plai- « dions pour la liberté des autres, et que les rois veuil- « lent tout soumettre et tout asservir à leur autorité. « Quoi qu'il en soit, ce qui nous embarrasse ici, n'est « pas tant le fond même de l'affaire, qui ne paraît « pas de nature à devoir beaucoup partager vos suf- « frages, que les égards et les ménagements que nous « devons à un prince aussi respectable qu'Eumène. Si a l'on ne pouvait reconnaître autrement les services « importants d'un roi ami et allié qu'en lui assujettis- « sant des villes libres, vous pourriez être incertains « et flottants, dans la crainte de paraître ou ne pas « marquer assez de reconnaissance à un prince ami, « ou renoncer à vos principes et à la gloire que vous « vous êtes acquise dans la guerre contre Philippe en « rendant la liberté à toutes les villes de la Grèce : (f mais la fortune ne vous laisse point lieu de craindre « aucun de ces deux inconvénients. Grâces aux dieux, « la victoire que vous venez de remporter, qui ne vous « comble pas moins de richesses que de gloire, vous « met en état de vous acquitter abondamment de ce « que vous appelez une dette. La Lycaonie , les deux « Phrygies, la Pisidie entière, la Chersonèse , et ce « qui l'avoisine dans l'Europe, tout cela est dans votre « pouvoir. Une seule de ces provinces peut augmenter « considérablement les états d'Eumène : toutes réunies « ensemble l'égaleront aux rois les plus puissants. Vous « pouvez donc en même temps et récompenser riche- SUCCESSEURS 1) ALEXANDRE. ()q « ment vos alliés , et ne point vous départir des maxi- « mes qui font la gloire de votre empire. C'est le même « motif qui vous a fait marcher contre Philippe et « contre Anliochus. Dans une cause toute semhlahle , « on attend aussi une issue toute pareille; non-seule- « ment parce que vous en avez déjà donné l'exemple « mais parce que votre honneur l'exige. Les autres a entrent en guerre pour enlever à leurs voisins quel- ce que contrée, quelque ville, quelque place forte, « quelque port de mer ; jamais pareil motif ne vous « mit les armes en main. Vous ne combattez que pour « l'honneur; et c'est ce qui inspire à toutes les nations « pour votre nom et pour votre empire un respect « qui approche de celui qu'on a pour les dieux. Il « s'agit de conserver cette gloire. Vous vous êtes char- « gés de tirer de l'esclavage des rois, et de rétablir « dans son ancienne liberté une nation considérable « par son antiquité, et plus illustre encore par ses « grandes actions et par son goût exquis pour les arts « et pour les sciences. C'est la nation entière que vous « avez prise sous votre protection, et vous la lui avez « accordée pour toujours. Les villes situées dans la « Grèce même ne sont pas plus grecques que les colo- « nies qu'elle a fait passer en x\sie pour s'y établir. Le « changement de contrée n'a rien changé dans notre « origine ni dans nos mœurs. Tous tant que nous som- « mes de villes grecques en Asie, nous nous sommes « fait un devoir de le disputer à nos pères et à nos « fondateurs en vertu et en science. Plusieurs d'entre « vous ont vu les villes de Grèce et celles d'Asie : « toute la différence est que nous sommes dans un plus « grand éloignement de Rome. Si la différence du ter- 7- loo Histoire ancien:vi:. « roir changeait le naturel , il y a long-temps que les « Marseillais , environnés comme ils sont de nations « grossières et barbares, auraient dû se corrompre et « dégénérer : cependant nous apprenons que vous en « faites autant de cas et d'estime que s'ils habitaient « dans le centre même de la Grèce. En effet , ils n'ont « pas retenu seulement le son du langage , l'habille- « ment, et tout l'extérieur des Grecs; mais ils en ont « encore plus conservé les mœurs , les lois et l'esprit , « sans que le commerce des nations voisines y ait causé « la moindre altération. Le mont Taurus sert mainte- « nant de borne à votre empire. Tout ce qui est en- ce deçà de ce terme ne doit point vous paraître éloigné. « Par-tout où vos armes sont parvenues , faites-y passer « aussi l'esprit et la forme de votre gouvernement. Que «les Barbares, accoutumés à l'esclavage, demeurent «sous l'empire des rois, puisqu'ils s'y plaisent; les « Grecs, dans la médiocrité de leur fortune, se font « sloire d'imiter la hauteur de vos sentiments. Nés et « nourris dans la liberté, ils savent que vous ne leur « ferez pas un crime d'en être jaloux à votre exemple. « Autrefois leurs propres forces suffisaient pour leur « assurer l'empire : maintenant ils souhaitent que les « dieux le fassent subsister perpétuellement où ils l'ont « placé. Il leur suffit que vous protégiez par vos armes « leur liberté , qu'ils ne sont plus en état de défendre «par les leurs. Mais, dit-on, quelques-unes de ces « villes ont favorisé Antiochus. Les autres n'avaient- « elles pas de même favorisé Philippe , et les Tarentins « Pyrrhus ? Pour ne point citer ici d'autres peuples , « Cartilage, votre ennemie et votre rivale, jouit de sa « liberté et de ses lois. Considérez, messieurs, à quoi SUCCESSEURS D ALEX AN DR i:. lOI « cet exemple vous engage. Accorderez-vous à Tanibi- « tion d'Eumène, qu'il me pardonne ce terme, ce que «vous avez refusé à votre juste indignation? Pour « nous Rliodiens, dans cette guerre et dans toutes « celles que vous avez faites dans nos contrées, nous « avons tâché de remplir le devoir de bons et fidèles « alliés; c'est à vous de juger si nous y avons réussi. « Maintenant qu'on jouit de la paix , nous prenons la « liberté de vous donner un conseil qui ne peut tour- te ner qu'à votre gloire. Si vous le suivez, il montrera « à l'univers que vous savez plus noblement encore (( user de la victoire que la remporter. » On ne put pas ne point applaudir à un tel discours. Il parut véritablement digne de la grandeur romaine. Le sénat se trouva ici comme partagé et combattu par deux sentiments et deux devoirs dont il sentait toute l'importance et la justice, mais qu'il était difficile de réunir dans cette occasion. D'un côté, la reconnais- sance pour les services d'un roi qui s'était attaché à eux avec un zèle constant et une fidélité inviolable faisait beaucoup d'impression sur leur esprit ; d'un autre, la gloire de paraître n'avoir entrepris une guerre dangereuse, que pour rendre aux villes grecques leur liberté, les piquait vivement. Il faut avouer que les motifs étaient puissants de part et d'autre. La Grèce entière rétablie dans la jouissance de sa liberté et de ses lois, après la défaite de Philippe, avait acquis aux Romains une réputation que nul triomphe ne pouvait égaler : mais il était dangereux de mécontenter un prince aussi puissant qu'Eumène , et l'intérêt du peu- ple romain demandait qu'il engageât les autres rois dans son parti par l'attrait et l'espoir de la récom- I02 HISTOIRE ANCIENNE. pense. La prudence du sénat sut concilier ces deux devoirs. On fit entrer les ambassadeurs d'Antiochus après ceux des Rhodiens. Ils se bornèrent à demander qu'il plût au sénat de ratifier la paix que L. Scipion leur avait accordée. Il le fit; et quelques jours après elle fut aussi ratifiée dans l'assemblée du peuple. Les ambassadeurs des ville? d'Asie furent aussi en- tendus. On leur répondit que le sénat enverrait, selon sa coutume, dix commissaires pour discuter et régler les affaires d'Asie. On leur déclara en général que la Lycaonie, les deux Pbrygies et la Mysie seraient à l'a- venir sous la dépendance du roi Eumène. On adjugea aussi la Lycie aux Rhodiens , avec la partie de la Ca- rie la plus voisine de Rhodes, et une portion de la Pisidie. On exceptait, pour l'un et pour l'autre, les villes qui étaient libres avant le combat livré contre Antiochus. Il fut ordonné que les autres villes de l'Asie qui avaient payé tribut à Attale le paieraient aussi à Eumène ; que celles qui avaient été tributaires d'Antiochus demeureraient libres et exemptes de toute contribution. Eumène et les Rhodiens parurent très -contents de ce sage règlement. Les Rhodiens demandèrent par grâce qu'on accordât aussi la liberté aux habitants de Soles, ville de Cilicie, originaires comme eux d'Argos. Le sénat, après avoir consulté les ambassadeurs d'An- tiochus sur cet article , représenta aux Rhodiens l'ex- trême opposition que ces ambassadeurs avaient témoi- gnée à leur demande , parce que Soles , située au-delà du mont Taurus, n'était point comprise dans le traité ; que néanmoins, s'ils croyaient l'honneur de Rhodes SLCCESSKUUS DAI.EX AXDRE. I o3 intéressé à cette cleinancle, il ferait de nouveaux ef- forts pour vaincre cette répugnance. Les Rhodiens, renouvelant leurs actions de grâces pour les bienfaits et la bonté du peuple romain à leur égard, répondi- rent qu'ils étaient bien éloignés de vouloir troubler la paix, et se retirèrent fort contents. L'bonneur du triomphe fut accordé par les Romains à Émilius Régillus, qui avait remporté une victoire navale sur l'amiral de la flotte d'Antiochus, et, à plus juste titre encore, à L. Scipion, qui avait vaincu le roi en personne. Il prit le surnom à! Asiatique , pour ne point céder à son frère, qui avait pris celui à' Africain. Ainsi fut terminée la guerre contre Antioclms, qui ne fut pas de longue durée, coûta peu de sang aux Romains, et contribua pourtant beaucoup à l'agran- dissement de leur empire. Mais en même temps cette victoire contribua aussi d'une autre manière au dépé- rissement et à la ruine de ce même empire, en intro- duisant à Rome, par les richesses qu'elle y fit entrer, le goût du luxe, de la mollesse et des délices; car c'est à cette victoire remportée sur Antiochus, et à cette conquête de l'Asie, que Pline attache l'époque de la i*'"'- '-.i'^ corruption des mœurs dans la république romaine et du funeste changement qui y arriva. L'Asie, vaincue par les armes de Rome ^ , vainquit Rome à son tour par ses vices. Les richesses étrangères y étouffèrent l'amour de la pauvreté et la simplicité ancienne, qui en avaient fait l'honneur et la force; le luxe^, qui entra comme en triomphe à Rome avec les superbes ' " Armis vicit , vitiis victus est. » (Seît. de Alex.) '• Prima peregrinos obsceua pecunia mores To4 HISTOIRE A NCIEiVXE. dépouillos dp l'Asie, traînant à sa suite tous les désor- dres et tous les crimes, y fit plus de ravage que n'au- raient pu faire les armées les plus nombreuses, et ven- gea ainsi l'univers vaincu. Réflexions sur la conduite des Romains à Végard des républiques grecques et des rois tant de F Eu- rope que de VAsie. On commence à démêler dans les faits que j'ai rap- portés jusqu'ici un des principaux caractères des Ro- mains, qui décidera bientôt du sort de tous les états de la Grèce, et qui causera dans l'univers un change- ment presque général : je veux dire l'esprit de domi- nation et de souveraineté. Ce caractère ne se montre pas d'abord en entier et dans toute son étendue; il ne se développe que peu-à-peu et comme par degrés; et ce n'est que par des accroissements insensibles , mais cependant assez rapides, qu'il est enfin porté à son comble. Il faut l'avouer, ce peuple, dans de certaines occa- sions, fait paraître une modération et un désintéresse- ment qui , à n'en considérer que les dehors , sont au- dessus de tout ce qu'on lit dans l'histoire, et auxquels il semble qu'on ne puisse refuser son admiration. Fut- il jamais une journée plus belle et plus glorieuse que Intulit , et turpi fregenint secula luxu Divitine molles.... NuUum crimen abest facinusque libidinis , ex quo Paupertas romana périt.... Saevior armis Luxuria incubuit, victumque ulciscitur orbem. (JuvEN. lib. Il, sat. 6. ) SICCESSLURS D ALLXANDRE. lOD ccllf où le peuple romain, après avoir essuyé une lon- gue et périlleuse guerre, avoir passé les mers et s'être consumé en frais, fait déclarer, par la voix d'un hé- raut dans une assend)lée générale, qu'il rend la liberté à toutes les villes, et ne veut d'autre fruit de sa vic- toire que le doux plaisir de faire du bien à des peu- ples que le seul souvenir de leur ancienne réputation pouvait lui rendre cbers? On ne peut lire le récit de ce qui se passa dans cette célèbre journée sans être at- tendri presque jusqu'aux larmes, et sans entrer dans une espèce d'enthousiasme d'eslime et d'admiration. Si cette délivrance des villes grecques avait été plei- nement gratuite, qu'elle n'eût eu d'autre principe que la générosité des Romains, et que leur conduite n'eût jamais démenti de si beaux sentiments, rien certaine- ment ne serait plus grand ni plus capable de faire hon- neur à un peuple. Mais pour peu qu'on perce ces dehors éclatants, on entrevoit aisément que cette pré- tendue modération des Romains avait des racines dans une profonde politique, sage, à la vérité, et prudente selon les règles ordinaires du gouvernement, mais bien éloignée de ce noble désintéressement qu'on fait tant valoir dans l'occasion dont il s'agit. On peut dire que les Grecs alors se livrèrent à une joie stupide, croyant être libres en effet , parce que les Romains les décla- raient tels. Deux puissances , dans le temps dont nous parlons , partageaient la Grèce : les républiques grecques, et la Macédoine : et elles étaient toujours en guerre; les unes pour conserver les débris de leur ancienne liber- té , l'autre pour achever de les soumettre et de se les asservir. Les Romains, parfaitement instruits de cette Io6 HISTOIRE ANCIENJNE. situation de la Grèce, sentaient bien qu'ils n'avaient rien à craindre de ces petites républiques , affaiblies par le temps, par leurs divisions intestines, par des jalousies réciproques, et par les guerres qu'elles avaient eues à soutenir au -dehors. Mais la Macédoine, qui avait des troupes aguerries, qui ne perdait point de vue la gloire de ses anciens rois , qui avait porté au- trefois ses conquêtes jusqu'au bout du monde, qui con- servait toujours un vif désir, quoique chimérique, de la monarchie universelle, et qui avait une alliance comme naturelle avec les rois d'Egypte et de Syrie, sortis de la même origine, et réunis par les intérêts communs de la royauté; la Macédoine, dis-je, donnait de justes alarmes à Rome, qui, depuis la défaite de Cartilage, ne pouvait plus trouver d'obstacles à ses desseins ambitieux, que dans ces puissants royaumes ({ui partageaient entre eux le reste de l'univers, et en particulier dans celui de Macédoine, plus voisin de l'Italie que tous les autres. Pour mettre donc un contre-poids à la puissance ma- cédonienne, et pour enlever à Philippe le secours qu'il se flattait de tirer de la Grèce, laquelle, en effet, au- rait pu peut-être le rendre invincible aux Romains, si elle avait joint toutes ses forces aux siennes contre cet ennemi commun ; dans cette vue les Romains se déclarent hautement pour ces républiques, font gloire de les prendre sous leur protection , sans autre des- sein, ce semble, que de les défendre contre leurs op- presseurs; et, afin de se les attacher par un lien plus ferme, ils affectent de leur montrer, pour récompense de la fidélité qu'elles leur garderont, la liberté, dont toutes ces républiques étaient jalouses au-delà de tout SUCCESSEURS D ALEXANDRE. I07 co (ju'on peut dire, et ([ue les rois de Macédoine leur avaient toujours disputée. L'appât était habilement préparé, et il fut avide- ment saisi par les Grecs, qui ne portaient pas leurs vues plus loin. Mais les plus sensés et les plus clair- voyants découvrirent le péril caché sous cette amorce, et ils avertirent de temps en temps les peuples, dans les assemblées publiques, de se défier de ce nuage qui se formait en Occident, et qui bientôt, changé en un terrible orage, les submergerait tous. Rien ne fut plus doux ni plus équitable d'abord que la conduite des Romains. Ils traitaient avec bonté les villes et les peuples qui s'étaient mis sous leur protec- tion : ils leur donnaient du secours contre leurs en- nemis; ils s'appliquaient h pacifier leurs différends, et à faire cesser les troubles qui s'excitaient entre eux, et n'exigeaient rien de leurs alliés pour tous ces ser- vices. Par là leur autorité s'établissait de jour en jour, et préparait les peuples à une entière soumission. En effet , sous prétexte de leur offrir leurs bons of- fices, d'entrer dans leurs intérêts, de les réconcilier ensemble, ils se rendirent les arbitres souverains de ceux à qui ils avaient rendu la liberté, et qu'ils regar- daient en quelque sorte comme leurs affranchis. Ils en- voyaient chez eux des connnissaires pour entendre leurs plaintes , pour examiner les raisons de part et d'autre, et pour terminer leurs querelles. Par rapport aux ar- ticles où ils ne pouvaient pas les accorder sur le lieu, ils les invitaient à envoyer à Rome leurs députés. En- suite ils y citaient de plein droit ceux qui refusaient de s'accommoder, les obligeaient d'y plaider leurs causes devant le sénat, et même d'y comparaître en personne. Io8 HISTOIRE A JV CI EN NE. D'arbitres et de médiateurs, devenus juges souverains, ils prirent bientôt le ton de maîtres, regardèrent leurs arrêts comme des décisions irrévocables , trouvèrent fort mauvais qu'on ne s'y soumît pas, et traitèrent de rébellion une seconde résistance. Ainsi il s'érigea dans le sénat de Rome un tribunal qui jugeait en dernier ressort tous les peuples et tous les rois. A la fin de cbaque guerre, il décidait des peines et des récom- penses que chacun avait méritées. Il ôtait au peuple vaincu une partie de ses terres pour les donner aux alliés, en quoi il faisait deux choses, et trouvait un double avantage : il attachait h Rome des rois dont elle avait peu à craindre et beaucoup à espérer; et il en af- faiblissait d'autres dont Rome n'avait rien à espérer et tout à craindre. Nous verrons un des premiers magistrats de la re- publique des Achéens se plaindre fortement, dans une assemblée publique, de cette injuste usurpation, deman- der de quel droit les Romains prenaient un si fier as- cendant sur eux : si leur république n'était pas aussi libre et aussi indépendante que celle de Rome : sur quel titre celle-ci prétendait assujettir les Achéens à lui rendre compte de leur conduite; si elle trouverait bon que les Achéens à leur tour s'ingérassent d'entrer dans l'examen de ses affaires, et si de part et d'autre les choses ne devaient pas être égales. Toutes ces ré- flexions étaient de bon sens, fondées en raison , et sans réplique : la force seule donnait l'avantage aux Ro- mains. Ceux-ci en usèrent de même, et gardèrent la même politique à l'égard des rois. Ils s'attachèrent d'abord ceux qui étaient les plus faibles, et de qui ils avaient moins SUCCESSEURS D ALEXANDRE. lof) à craindre : ils leur donnaient le titre d'alliés , qui ks rendait en quel([uc sorte sacrés et inviolables, et (|ui était à leur égard connne une sauvegarde contre d'autres rois plus puissants ; ils s'appliquaient à augmenter leurs revenus, et à étendre leur domaine, pour faire voir ce qu'on pouvait attendre de leur protection. C'est ce qui porta le royaume de Pergame à un si haut point de grandeur. Dans la suite , sous divers prétextes , ils attaquèr<;nt ces grands potentats, qui étaient les maîtres de l'Eu- rope et de l'Asie. Et avec quelle hauteur les traitè- rent-ils, même avant la victoire! Un puissant roi enfer- mé dans un cercle étroit par un simple particulier de Rome, et obligé de donner sa réponse avant que d'en sortir! quelle fierté! Mais, après les avoir vaincus, comment en usent-ils à leur égard ? Ils leur ordonnent de leur donner leurs enfants et les héritiers de leur couronne pour otages et pour garants de leur bonne conduite, leur font mettre bas les armes, leur défen- dent de faire ni guerre ni alliance que sous leur bon plaisir, les relèguent au-delà des monts, et ne leur laissent, à proprement parler, qu'un vain titre et un fantôme de royauté dépouillée de tous ses droits et de ses avantages. On ne peut pas douter que la Providence n'eût des- tiné les Romains à devenir les maîtres du monde , et leur future grandeur avait été prédite par les Ecri- tures; mais ces divins oracles leur étaient inconnus, et d'ailleurs la simple prédiction de leurs conquêtes ne les justifiait pas. Quoiqu'il soit difficile d'assurer et encore plus de prouver qu'ils aient formé d'abord le plan de tout conquérir et de tout soumettre, on ne I lO HISTOIRE ANCIENNE. peut cependant disconvenir, en examinant avec atten- tion toutes leurs démarches, qu'ils agissaient comme s'ils eussent eu ce pressentiment et qu'une espèce d'instinct les eût portés à s'y conformer en tout. Quoi qu'il en soit, nous voyons , par l'événement, où s'est terminée cette rare modération des Romains , que l'on vante si fort ! Ennemis de la liberté de tous les peu- ples, remplis de mépris pour les rois et pour la royauté, regardant tout l'univers comme leur proie, ils ont em- brassé , par une ambition insatiable , la conquête du monde entier ; ils ont enlevé sans distinction toutes les provinces et tous les royaumes , et ont renfermé sous leur domination tous les peuples ; en un mot, ils n'ont mis de bornes à leurs vastes projets que celles que les déserts et les mers les ont forcés d'y mettre. § VIII. Le consul Falvius soumet les Étoliens. Les Spartiates essuient un cruel traitement de la part de leurs bannis. Manlius , Vautre consul, sou- met les Gaulois de VAsie. Anîiochus , pour pajer aux Romains le tribut., pille un temple dans VÉljmaïde : il est tué. Explication de la prophétie de Daniel, qui regarde Antiochus. An.7I.3,Si5. . Pendant l'expédition des Romains dans l'Asie, il y Lh-" lib. 38^ avait eu quelques mouvements dans la Grèce. Amynan- Pohblin dre, parle secours des Étoliens, s'était rétabli dans 'rap^'K S' son royaume d'Athamanie , ayant chassé des villes les garnisons macédoniennes que le roi Philippe y tenait. II envoya des ambassadeurs à Rome au sénat , et d'au- tres en Asie aux deux Scipions, qui étaient alors à Éphèse après la grande victoire remportée sur Antio- SUCCESSEURS D ALEXANDRE. IM chus, pour s'excuser de ce qu'il avait employé les armes (les Etoliens contre Pliili[)pe , et pour faire des plaintes contre ce prince. Les Etoliens, de leur coté, avaient fait aussi quel- ques entreprises contre Philippe, qui leur avaient assez réussi. Mais quand ils apprirent qu'Antiochus avait été défait, cpie l'ambassade qu'ils avaient envoyée à Rome en était revenue sans rien obtenir, et que le consul M. Fulvius marchait contre eux, alors ils entrè- rent dans de véritables alarmes. Voyant bien qu'ils n'étaient point en état de résister aux Romains par la voie des armes , ils eurent encore recours aux prières; et pour les rendre plus efficaces, ils engagèrent les Athéniens et les Rhodiens à joindre leurs ambassadeurs à ceux qu'ils envoyaient à Rome pour demander la paix. Le consul, étant arrivé en Grèce, de concert avec les Epirotes avait formé le siège d'Ambracie, où les Etoliens avaient beaucoup de troupes , et qui se défen- dit vigoureusement. Mais, persuadés qu'ils ne pou- vaient pas tenir long-temps contre la puissance romaine, ils envoyèrent de nouveaux ambassadeurs au consul , avec de pleins pouvoirs de conclure le traité, à quel- ques conditions que ce fût. Celles qu'on leur proposait leur paraissant extrêmement dures, quoiqu'^ils fussent chargés de pleins pouvoirs ils demandèrent qu'il leur fiit permis de consulter encore une fois l'assemblée. Elle leur en sut mauvais gré, et les renvoya avec ordre de finir. Pendant l'intervalle, les ambassadeurs des Athéniens et des Rhodiens, que le sénat avait renvoyés au consul , étaient arrivés auprès de lui. Amynandre s'y était rendu aussi. Comme il avait beaucoup de cré- 112 HISTOIRE ANCIENNE. dit dans la ville d'Ambracie, où il avait demeuré long- temps pendant son exil, il engagea les habitants à se rendre enfin au consul. La paix fut ainsi accordée aux Étoliens. Les principales conditions du traité furent, qu'ils commenceraient par livrer aux Romains leurs armes et leurs chevaux ; qu'ils leur paieraient mille talents d'argent (trois millions), dont moitié serait payée sur-le-champ : qu'ils rendraient , tant aux Ro- mains qu'à leurs alliés , tous les transfuges et tous les prisonniers ; qu'ils regarderaient comme amis et comme ennemis tous ceux qui le seraient du peuple romain ; enfin, qu'ils donneraient quarante otages au choix du consul. Quand leurs ambassadeurs furent arrivés à Rome pour y faire ratifier le traité, ils trouvèrent les esprits terriblement indisposés contre les Etoliens , tant à cause de leur conduite passée que pour les plaintes que Philippe avait faites d'eux dans les lettres qu'il avait écrites à ce sujet. Le sénat enfin se laissa toucher à leurs prières, et à celles des ambassadeurs d'Athènes et de Rhodes qui les accompagnaient, et ratifia le traité aux conditions que le consul avait prescrites. On per- mit aux Etoliens de payer en monnaie d'or la somme à laquelle ils avaient été taxés , de sorte qu'une pièce d'or serait comptée pour dix pièces d'argent de même poids; ce qui montre quelle était pour-lors la propor- tion de l'or avec l'argent. Liv. ub. 38, Le consul Fulvius, après avoir terminé la guerre contre les Étoliens, passa à l'ile de Céphallénie , pour la soumettre. Toutes les villes , à la première somma- tion, se rendirent de bon gré. Il n'y eut que Samé, qui , après avoir fait sa soumission comme les autres, s'en re- pentit , et ferma ses portes aux Romains. 11 fallut l'as- a8-3o. SUCCESSEURS d'alexandhe. fi3 siéger clans les formes. Elle se défendit très-vigoureu- sement, et le consul ne put venir à bout de la pri-ndre qu'après un siège de quatre mois. De là il tourna vers le Péloponnèse, où ceux d'Egium et de Sparte l'appelaient pour terminer les différends (jui troublaient leur repos. De tout temps l'assemblée générale des Achéens se tenait à Egium. Pliilopémen, qui pour-Iors était en charge, entreprit de changer cet usage, et de faire te- nir l'assemblée successivement dans toutes les villes qui composaient la ligue des Achéens; et, dès cette an- née-là, il l'indiqua à Argos. Le consul voulut bien s'y rendre; et, (juoiqu'il penchât pour ceux d'Egium , dont la cause lui paraissait la plus juste, voyant que l'autre parti certainement l'emporterait il se retira de l'assem- blée sans avoir rien décidé. L'affaire de Sparte était plus importante et plus em- liv. iil. 38, barrassée. Ceux qui avaient été bannis de cette ville par "* ^°'^'*^' le tyran Nabis s'étaient cantonnés dans des bourgs et des châteaux le long de la côte, et de là inquiétaient les Spartiates. Ceux-ci, ayant attaqué de nuit un de ces bourgs nommé Las, s'en saisirent, mais en furent chas- sés bientôt après. Cette entreprise jeta l'alarme parmi les bannis, et les obligea de recourir aux Achéens. Pliilopémen, qui était pour-lors en charge , favorisait sous main les bannis, et en toute occasion cherchait à diminuer le crédit et l'autorité de Sparte. Sur son avis, on fit un décret , lequel portait que , Quintius et les Romains ayant mis sous la protection des Achéens les bourgs et les châteaux de la cote maritime de la Laco- nie,et en ayant interdit l'accès aux Lacédémoniens, et ceux-ci cependant ayant attaqué le bourg nommé Las, Tome VITI. llist. anc. g Il4 HISTOIRE ANCIENNE. et ayant commis des meurtres, l'assemblée achéenne de- mandait qu'ils lui livrassent les auteurs de cette entre- prise , sans quoi ils seraient déclarés avoir violé le traité. On envoya des ambassadeurs pour leur notifier ce dé- cret. Une demande si fîère révolta les Lacédémoniens à un point qui ne peut s'exprimer. Ils firent mourir sur- le-cliamp trente de ceux qui avaient quelque liaison avec Pbilopémen et les bannis, rompirent l'alliance qu'ils avaient avec les Achéens , et envoyèrent des ambassa- deurs au consul Fulvius, qui était pour -lors dans la Cépballénie, pour remettre Sparte sous le pouvoir des Romains , et le prier d'en venir prendre possession. Quand les Achéens eurent appris ce qui s'était passé à Sparte, d'un commun accord ils lui déclarèrent la guerre, qui commença par quelques légères incursions tant par mer que par terre , la saison avancée ne leur permettant pas de rien faire de plus. Le consul , s'étant transporté dans le Péloponnèse , entendit les deux parties dans une assemblée publique. La dispute fut vive et extrêmement échauffée de part et d'autre. Sans rien décider sur-le-champ , il leur ordonna de mettre bas les armes , et d'envoyer leurs ambassadeurs à Rome. Ils s'y rendirent sans perdre de temps, et eurent audience. La ligue des Achéens était fort considérée à Rome : on ne voulait pas cependant mécontenter entièrement les Lacédémoniens. Le sénat rendit une réponse obscure et ambiguë ( on ne la rap- porte point ), qui laissa croire aux Achéens qu'on leur abandonnait tout pouvoir contre Sparte, et aux Spar- tiates que ce pouvoir était fort restreint et limité. Les Achéens y donnèrent toute l'étendue qu'il leur plut. Pbilopémen avait été continué dans la première SUCCESSEURS DALEXANDKE. Il5 magistrature. Sans perdre de temps, il conduisit l'armée près de Lacédémonc, et fit demander de nouveau aux iiabitants qu'on lui livrât les auteurs de l'entreprise contre le bourg de Las, promettant ({u'ils ne seraient point condanniés ni punis sans avoir été entendus. Sur cette assurance , ceux qu'on avait demandés nommé- ment partirent accompagnés des plus illustres citoyens, qui regardaient leur cause comme la leur, ou plutôt comme celle du public. Quand ils furent arrivés au camp des Acbéens, ils furent bien surpris de voir les bannis à la tête de l'armée. Ceux-ci , sortant du camp , allèrent à leur rencontre d'un air insultant, commen- cèrent par les accabler de reprocbes et d'injures, puis, la querelle s'écbauffant, se jetèrent sur eux avec vio- lence, et les maltraitèrent indignement. Les Spartiates imploraient en vain les dieux et les bommes, et récla- maient le droit des gens : la multitude des Acbéens, animée par les cris séditieux des bannis , se joignit à eux malgré la protection des ambassadeurs et les dé- fenses du premier magistrat. Dix-sept furent tués sur- le-cbamp à coups de pierres ; soixante-trois furent ar- racbés ce jour-là par le magistrat à la violence de ces forcenés. Ce n'est pas qu'il eût dessein de les sauver; mais il ne voulait pas qu'on pût dire qu'ils avaient été nn's à mort sans être écoutés. Le lendemain , on les pro- duisit devant cette multitude furieuse, qui, sans avoir daigné presque les entendre, les condamna tous, et les fit exécuter; Il est aisé de juger quelle alarme et quelle douleur un traitement si injuste et si cruel causa dans Sparte. Les Acbéens lui imposèrent des conditions connue à une ville qu'ils auraient prise de force. Ils ordonnèrent 8. Il6 HISTOIRE ANCIENNE. que les murs seraient renversés : que tous les soldats étrangers que les tyrans avaient tenus à leur solde sortiraient de la Laconie ; que les esclaves , à qui ces mêmes tyrans avaient donné la liberté, et le nombre en était très-grand, seraient aussi obligés de quitter le pays devant un certain temps, sans quoi ils seraient arrêtés par les Achéens, et vendus ou emmenés où il leur plairait :que les lois et les établissements de Lycur- gue seraient abrogés : enfin , que les Spartiates seraient associés à la ligue des Acliéens , avec lesquels ils ne feraient plus désormais qu'un même corps dont ils sui- vraient les usages et les coutumes. La destruction des murs ne coûta pas beaucoup de peine aux Lacédémoniens, et c'est par oii ils commen- cèrent à exécuter les ordres qu'on venait de leur impo- ser : aussi n'était-ce pas pour eux un grand malheur. Sparte ^ avait subsisté long-temps sans avoir d'autres murs ni d'autre défense que le courage de ses citovens. Pausanias dit que les murs de Sparte avaient commen- cé d'être bâtis ^ au temps des incursions de Démé- trius, puis de Pyrrhus, mais que c'était Nabis i (Liv. lib. 34 , tra muros laterent.» ( Justin. 1. i4j n. 38. cap. 5.) « Spartanî urbem , quam semper * Justin marque que Sparte fut armis non mûris defenderant , tum fortifiée de murs dans le temps contra responsa futorura et veterem que Cassandre songeait à attaquer majorum gloriam, armis dLfdsi, mu- la Grèce. SUCCESSEURS D ALEX ANDRE. I I 7 iniirs les endroits de la ville qui étaient les plus ouverts et les plus accessibles. La démolition de ces murs n'af- fligea donc pas beaucoup les habitants de Sparte. Mais ils ne purent, sans une vive douleur, y voir rentrer les bannis, qui avaient causé sa perte, et qu'on en pouvait regarder connne les plus cruels ennemis. Sparte, en- tièrement af'fail)lie par ce dernier coup, perdit toute son ancienne vigueur, et demeura long-temps soumise et asservie aux Achéens. Ce qu'ily eut de plus funeste* pour cette ville , fut l'abolition des lois de Lycurgue, qui subsistaient depuis sept cents ans, et qui avaient fait toute sa gloire et toute sa force. Ce traitement si dur à l'égard d'une ville aussi illustre que Sparte ne fait pas honneur à Philopémen, et est, ce me semble , une grande tache pour sa réputation. Plutarque, qui le regarde avec raison comme un des plus grands capitaines de la Grèce, coule légèrement sur cette action, et n'en dit qu'un mot; il est vrai que la cause des bannis était favorable en elle-même. Ils avaient à leur tête Agésipolis , à (jui le royaume de Sparte était dû légitimement, et ils avaient tous été chassés de leur patrie par les tyrans; mais un violement si ouvert du droit des gens, auquel Philopémen du moins donna lieu s'il n'y consentit pas , ne peut être excusé en au- cune sorte. On voit, dans un fragment de Polybe, que les La- Poiyi). in cédémoniens portèrent leurs plaintes à Rome contre Philopémen, comme avant par cette action, également injuste et cruelle, bravé la puissance de la république romaine et insulté à sa majesté. Ils furent long-temps ' « NuUa res tanto erat damiio , septingentosannosassueveranl, siih- quàm disciplina Lycurgi, cui pei lata.» (Liv.) Leg. cap. 37 Il8 HISTOIRE ANCIENNE. sans être écoutés. Enfin le consul Lépidus écrivit une lettre à la ligue des xlchéens, dans laquelle il se plai- gnait du procédé qu'ils avaient tenu à l'égard des I.a- cédémoniens. Philopémen et les Acliéens envoyèrent à Rome un ambassadeur pour se disculper : c'était Nico- dème d'Elée. Dans la même campagne et presque dans le même temps que le consul Fulvius termina la guerre contre les Etoliens, Manlius, l'autre consul, finit aussi celle contre les Gaulois. J'ai parlé ailleurs de l'irruption que ces peuples avaient faite , en différentes contrées de l'Europe et de l'Asie , sous la conduite de Brennus : ceux dont il s'agit ici s'étaient établis dans la partie de l'Asie Mineure appelée de leur nom la Gallo-Grèce ou la Galatie, et formaient trois corps, trois peuples différents : les Tolistoboges , les Trocmes , les Tecto- sages. Ils s'étaient rendus terribles à tous les peuples du voisinage, et portaient par-tout l'alarme et l'épou- vante. Le prétexte pour leur déclarer la guerre était qu'ils avaient aidé de leurs troupes Antiochus. Dès que L. Scipion eut remis son armée à Manlius, celui-ci partit d'Ephèse et marcha contre les Gaulois. Eumène, dans cette marche, lui aurait été d'un grand secours; mais il était pour-lors à Rome : Attale , son frère , tint sa place et conduisit le consul. La réputation des Gaulois était grande dans tout ce pays, qu'ils avaient subjugué par les armes , et où ils n'avaient point trouvé de résistance. Manlius crut devoir prévenir ses troupes, et détruire ce préjugé avant que de les mettre en ac- tion. « Je ne m'étonne pas, leur dit-il, que les Gau- « lois aient répandu la terreur de leur nom parmi des ce peuples aussi mous et efféminés que le sont ceux de SUCCESSEURS D ALEXANDRE. IIQ « l'Asie ; leur haute taille , leur chevelure hlonde et « qui pend juscju'aux reins, leurs boucliers d'une «énorme grandeur, leurs longues épées ; outre cela, « les chants, les cris et les hurlements qu'ils poussent « en commençant le combat , le bruit épouvantable « qu'ils font avec leurs armes et leurs boucliers, tout « cela peut être un épouvantail pour des hommes qui « n'y sont point accoutumés, non pour vous, Romains, « qui avez tant de fois triomphé de cette nation. D'ail- <( leurs vous savez, par votre expérience, qu'après que « les Gaulois ont jeté leur premier feu, une résistance « opiniâtre de la part des ennemis émousse la pointe « de leur courage aussi-bien que la force de leurs « corps; et qu'incapables de soutenir les ardeurs du '(Soleil, les fatigues, la poussière, la soif, les armes « leur tombent des mains, et qu'ils cèdent par lassi- « tude et par épuisement. Ne vous imaginez point que « ce soient ces anciens Gaulois endurcis à la fatie^ue M et au.v dangers : l'abondance du pays qu'ils ont en- « vahi, la douce température de Tair qu'ils y respirent, « la mollesse et les délices des peuples avec qui ils ha- « bitent, les ont entièrement énervés. Ce ne sont plus « que des Phrygiens couverts d'armes gauloises ; et « tout ce que je crains, c'est que la défaite d'ennemis « si peu dignes de vous ne vous fasse pas beaucoup « d'honneur. » On avait assez généralement cette idée des anciens Gaulois, que pour les vaincre il n'y avait qu'à laisser passer leur premier feu , qui s'amortissait bientôt |)ar la résistance; et que, quand cette première pointe de vivacité était émoussée , il ne leur restait plus ni force ni vigueur; que leurs corps même étaient incapables I20 HISTOIRE ANCIEIS'NE. de supporter long-temps les plus légères fatigues et de soutenir les moindres chaleurs ; qu'en un mot , comme ils étaient plus qu'hommes au commencement d'une action, ils étaient moins que femmes à la fin. Gallos primo impetii féroces esse, quos sustinere satis sit.... Galloriun quidem etiam corpora intolerantissima la- boris alque œstus/luer-e; primaque eorum prœlia plus quam virorum , poslvema minus quam feminarum esse. Ceux qui connaissent mal le génie et le caractère de la nation française moderne en avaient à peu près la même idée; mais ce qui vient de se passer en Italie, et principalement sur le Rhin , a à\x les détromper. Quelque prévenu que je sois en faveur des Grecs et des Romains, je ne sais si l'on trouve rien parmi eux qui soit au-dessus de la patience, de la fermeté, de la constance et du courage que nos Français ont fait pa- raître devant Philisbourg. Je ne parle pas seulement des généraux et des officiers, le courage leur est or- dinaire et comme né avec eux; les simples soldats ont montré une ardeur, une intrépidité , et même une grandeur d'ame, qui ont étonné nos généraux; la pré- sence de l'armée ennemie, formidable par le nombre de ses troupes , et encore plus par l'habileté et la ré- putation du prince qui la commande, n'a servi qu'à les animer. Pendant un siège si long et si pénible, où Us ont eu à essuyer et le feu des assiégés, et les ar- deurs du soleil, et les incommodités de la pluie, et les inondations du Rhin, il ne leur est jamais échappé aucune plainte ni aucun murmure. On les a vus pas- ser de longues inondations où ils avaient de l'eau jus- qu'aux épaules, portant au-dessus de leurs têtes leurs habits et leurs armes; puis marcher à découvert sur SUCCESSET:RS DALEX\NDRE. J2I le revers des tranchées pleines d'eau, exposés à tout le feu des ennemis ; s'avancer d'un pas ferme à la tête de Tattaque; demander cà grands cris qu'on refusât à l'en- nemi toute capitulation; et ne rien craindre, sinon qu'on ne leur otât l'occasion de signaler encore leur courage et leur zèle en prenant la ville d'assaut. Je ne dis rien ici qui ne soit connu de tout le monde. II faut que ces sentiments d'honneur, de hravoure, d'in- trépidité, soient gravés hien profondément dans le cœur de nos Français, pour s'être réveillés ainsi tout d'un coup dans une première campagne, après avoir paru comme endormis pendant vingt années de paix. Le témoignage que Louis XV a cru devoir leur ren- dre est trop glorieux à la nation , et , j'ose le dire , au roi même, pour que je craigne qu'on me sache mau- vais gré de l'avoir inséré ici tout entier. Si cette digres- sion est condamnable dans un historien comme tel , il me semble qu'elle est excusable, et même louable, dans un bon Français, pénétré de zèle pour son prince et pour sa patrie. Lettre du roi à M. le maréchal ci Asfeld. Mon cousin, « Je reconnais toute l'importance du service que « vous venez de me rendre par la conquête de Pliilis- « bourg. Il ne fallait pas moins que votre courage et « votre fermeté pour surmonter les contre-temps que (c les débordements du Rhin ont apportés cà cette entre- « prise. Vous avez eu la satifaction de voir que votre « exemple a inspiré les mêmes sentiments aux officiers 122 HISTOIRE ANCIENNE. « et aux soldats. Je me suis fait rendre compte, jour « par jour, de tout ce qui s'est passé, et j'ai toujours « remarqué qu'à mesure que les difficultés augmen- « taient , soit par la crue des eaux , ou par la présence « des ennemis et par le feu de la place, l'ardeur et la a patience de mes troupes redoublaient dans la même « proportion. Il n'est point de succès sur lequel on « ne doive compter avec une nation aussi brave. Je a vous charge de témoigner aux officiers-généraux, et fi autres, et même en général à l'armée, combien je « suis content de tous. Vous ne devez pas douter que « je ne sois dans les mêmes sentiments à votre égard, « la présente n'étant pas pour autre fin. Sur ce, je « prie Dieu qu'il vous ait, mon cousin, en sa sainte « et digne garde. « A Versailles, le 23 juillet 1734. » Je reviens à la suite de l'histoire. Après le discours de Manlius que j'ai rapporté, l'armée témoigna par ses cris l'impatience où elle était qu'on la menât contre l'ennemi. Le consul entra donc sur leurs terres. Ils ne s'étaient point attendus que les Romains dussent ja- mais songer à les venir attaquer dans un pays si éloi- gné, et n'avaient fait aucun préparatif pour les re- pousser. Cependant leur résistance fut assez longue et assez vigoureuse : ils attendaient Manlius dans des défilés, ils lui disputaient les passages, ils s'enfermaient dans leurs places les plus fortes, ils se retiraient sur des hauteurs qu'ils croyaient inaccessibles. Le consul , sans se rebuter, les suivit et les força par-tout. Il les attaqua séparément, il prit leurs villes, il les batUt SUCCESSEURS d'aLEXANDRE. 123 plusieurs fois. J'épargne au lecteur un détail peu inté- ressant, et qui pourrait lui paraître ennuyeux. Les Gaulois furent enfin obligés de se soumettre et de se tenir renfermés dans le pays qui leur fut assigné. Par cette victoire , les Romains délivrèrent toute la contrée de la terreur continuelle qu'y causaient ces Barbares, qui, jusque-là, n'avaient fait que harasser et piller leurs voisins. La tranquillité se trouva telle- ment rétablie de ce côté-là, que l'enqDire des Romains y fut fixé entre la rivière d'Halys d'une part, et le mont Taurus de l'autre, et que les rois de Syrie furent exclus pour toujours de toute l'Asie Mineure. On pré- cicer. Orat. tendqu'Antiochus dit un jour à ce sujet ([u'il avait bien ''™ 3^'!^ ' de l'obligation aux Romains de l'avoir déchargé des j^j^^^ ^^c^\, soins et des peines que lui aurait donnés le gouverne- ment d'un pays si étendu ^. Fulvius, l'un des deux consuls, retourna à Rome an.m. 38i6. pour présider à l'assemblée. Le consulat fut donné à nv. iib. 38, M. Valérius Messala , et à G. Livius Salinator. Dès que "' ^' l'assemblée fut finie, Fulvius retourna dans sa province. On lui continua, aussi-bien qu'à Manlius son collègue, le conmiandement des armées pour un an, en qualité de proconsul. IManlius s'était rendu à Ephèse pour régler, avec les dix commissaires nommés par le sénat, les affaires les plus importantes qui avaient donné lieu à leur com- mission. Le traité de paix avec Antiochus fut confirmé, aussi- bien que celui ([ue JManlius avait conclu avec les Gaulois. Ariarathe, roi de Cappadoce, avait été con- ' •< Antiochus magnus... clicere luagnà procuratlone liberatus, luo- est solitus, bénigne sibi a populo dicis regni terminis uteretur.» (Cic.) ruiuano esse factum, quôd niinis Hieron. m Dau. c. II. 1^4 HISTOIRE ANCIENIVE. damné à payer aux Romains six cents talents (six cent mille écus) pour avoir donné du secours à Ântiochus. Ils furent réduits à la moitié, à la prière d'Eumène, qui devait épouser sa fille. Manlius fit présent à Eu- mène de tous les éléphants qu'Antiochus , selon le traité, avait livrés aux Romains. Il repassa en Europe avec ses troupes, après avoir donné audience aux dé- putés des villes et réglé leurs principales difficultés. AN.M.3817. Antiochus était fort embarrassé à trouver l'argent Diod. '' qu'il fallait payer aux Romains. Il alla faire un tour 'pag'^^gS. dans les provinces d'Orient pour recueillir le tribut ^"cap'2^^' fJLi'elles lui devaient, et laissa la régence de la Syrie, en son absence, à son fils Séleucus, qu'il avait déclaré son héritier présomptif. Quand il fut dans la province d'Elymaïde , il apprit qu'il y avait un grand trésor dans le temple de Jupiter-Bélus. La tentation était violente pour un prince qui avait peu de religion, et qui se trouvait dans un extrême besoin. Sous un faux prétexte que les habitants de cette province s'étaient révoltés contre lui, il entra de nuit dans le temple, et en en- leva toutes les richesses , qui y étaient gardées reli- gieusement depuis un fort long-temps. Le peuple, ir- rité de ce sacrilège , se souleva contre lui , et l'assomma De viris il- avcc toutc sa suitc. Aurélius Victor dit qu'il fut tué par quelques - uns de ses propres officiers , qu'il avait battus un jour qu'il était ivre ^ . C'était un prince fort louable pour son humanité, sa clémence et sa libéralité. Un décret qu'on rapporte de lui, par lequel il permettait à ses sujets et même leur commandait de ne point obéir à ses ordonnances I II mourut dans la Sa* année de son âge, après un règne de 3(i ans complets. — L. lustr. c. 54- SUCCESSEURS d' ALEX ANDRE. ïlS si elles se trouvaient contraires à la disposition des lois, marque qu'il avait un. grand respect pour la justice. Jusqu'à l'âge de près de cinquante ans, il s'était con- duit dans ses affaires avec une valeur, une prudence et une application qui avaient fait réussir toutes ses entreprises, et lui avaient mérité le titre de grand. Mais, depuis ce temps, sa sagesse et son application avaient fort décliné, et ses affaires avaient pris le même train. Sa conduite dans la guerre contre les Ro- mains, le peu d'usage ou plutôt le mépris qu'il fit des sages conseils d'Annibal , la paix honteuse qu'il fut obligé d'accepter, ternirent tout l'éclat de ses premiers succès; et sa mort, causée par une entreprise impie et sacrilège, laissa à son nom et à sa mémoire une tache ineffaçable. Les prophéties du chapitre onzième de Daniel, de- puis le dixième verset jusqu'au dix -neuvième, regar- dent les actions de ce prince, et ont eu toutes leur accomplissement. Les enfants du roi du Septentrion , animés par tant jr. lo, de pertes j lèveront de puisssantes aimées', et l'un d'eux ( Antiochus-le-Grand ) marchera avec une grande vi- tesse comme un torrent qui se déboi'de; il reviendra ensuite, et, étant plein d'ardeur, il combattra contre les forces de V Egypte. Ce roi du Septentrion était Sé- leucus Callinicus, qui laissa en mourant deux enfants, Séleucus Céraunus, et Antiochus surnommé depuis le Grand. Le premier ne régna que trois ans : Antiochus, son frère , lui succéda. Après avoir pacifié les troubles de son royaume, il fit la guerre à Ptolémée Philopa- tor^ roi du Midi, c'est-à-dire de l'Egypte; lui enleva laf Célésyrie , qui lui fut livrée parThéodote, gouver- 126 HISTOIRE ANCIENNE. neur de cette province; battit les généraux de Ptolé- mée aux défilés près de Bérite ; se rendit maître d'une partie de la Pliénicie. Ptolémée alors chercha à l'amu- ser par des propositions de paix. L'hébreu est encore plus expressif : // viendra : c'est Antiochus. // inonde- ra le pays ennemi. // passera le Liban. // s'arrêtera pendant qu'on lui fera des propositions de paix. // ira avec ardeur jusqu aux forteresses ^ c'est-à-dire jus- qu'aux frontières de l'Egypte. La victoire que Ptolémée remporta est bien clairement désignée dans les versets suivants. i-. II. Le roi du Midi, étant attaqué^ se mettra en cam- pagne et combattra contre le roi du Septentiion^ il lè- vera une grande armée , et des troupes nombreuses lui seront livrées entre les «z«//?j". Ptolémée Philopator était un prince mou et efféminé. Il fallut l'exciter, le pi- quer, et comme le tirer de son assoupissement, pour le faire penser à prendre les armes et à repousser l'en- nemi , qui était sur le point d'entrer dans son pays : provocatus. Il se mit enfin à la tête de ses troupes, et, par la valeur et la bonne conduite de ses géné- raux , il remporta sur Antiochus la célèbre victoire de Raphia. j ,2. // en prendra un très-grand nombre, et son cœur s'élevei'a. Il en Jei^a passer plusieurs milliers aujil de répée; mais il ne prévcaidra point. Antiochus perdit plus de dix mille hommes d'infanterie, et trois cents de cavalerie ; et l'on fit sur lui quatre mille prisonniers. Philopator, étant allé, après sa victoire, à Jérusalem, eut l'audace de vouloir entrer dans le lieu saint : son cœur s'élèvera; et, de retour chez lui, il traita les Juifs avec une hauteur et une cruauté inouïes. Il au- SUCCESSEURS D A LEX A N DR r. \ ').n rait pu tlopouiller A.ntiochus de ses états, s'il avait su j)ro(iter d'une si belle vietoire. Il se contenta de recou- vrer la Célésyrie et la Phénicie , et se replongea avi- dement dans ses débauches : mais il ne prévaudra point. Car le roi du Septentrion viendra de nouveau; il i- «3. assemblera encore plus de troupes qu auparavant^ et ^ après un certain nombre d' années ^ il s^ avancera en grande hdte avec une armée nombreuse et une grande puissance, Antiochus, ayant terminé la guerre qu'il avait au-delà de l'Euphrate, assembla dans ces pro- vinces une armée prodigieuse. Quatorze ans après la fin de la première guerre, voyant que Ptolémée Epi- phane, qui n'avait alors que quatre ou cinq ans, ve- nait de succéder à Pliilopator son père, il se joignit à Philippe, roi de Macédoine, pour dépouiller le roi pupille. Ayant vaincu Scopas à Panium , vers la source du Jourdain, il se rendit maître de tout le pays que Philopator avait conquis par la victoire remportée à Raphia. En ces temps -la ^ plusieurs s' élèveront contre le roi i- a- du Midi. Cette prophétie se vérifia par la ligue des rois de Macédoine et de Syrie contre le jeune roi d'Egypte; par la conspiration d'Agathocle et d'Agathoclée pour la régence ; et par celle de Scopas , qui voulait lui ôter la couronne et la vie. Les eiifants des prévaricateurs de votre peuple ( l'ange Gabriel parle à Daniel ) seront exaltes pour accomplir la prophétie , et ils tomberont. Plusieurs Juifs apostats, pour complaire au roi d'E- gypte, firent tout ce qu'il souhaita d'eux, même contre les saintes ordonnances de la loi, et par ce moyen devinrent fort puissants auprès de lui, mais leur cré- 12t8 HISTOIRE ANCIENNE. dit ne dura pas long-temps. Quand Antlochus fut ren- tré en possession de la Judée et de Jérusalem , il ex- termina ou chassa du pays tous ceux du parti de Ptolé- mée. Par cet assujettissement des Juifs à la domination des rois de Syrie se préparait l'accomplissement de la prophétie , qui marquait les maux que devait faire à ce peuple Antiochus Epiphane, fils d'Antiochus-le- Grand : ce qui en fit tomber un grand nombre dans l'apostasie. jjr. i5. Le roi du Septentrion viendra, il fera des tentasses, et il prendra les villes les plus/brtes : les bras du Midi nen pourront soutenir V effort: les plus vaillants d'entre eux s'élèveront pour lui résister, et ils se trou- ^. i6. veront sans force. Il fera contre le roi du Midi tout ce qu'il lui plaira, et il ne se trouvera personne qui puisse subsister devant lui. Il entrera dans la terre si célèbre, et elle sera consumée par lui. Antiochus après avoir battu l'armée d'Egypte à Panium , assiégea et prit, premièrement Sidon, ensuite Gaza, et après cela toutes les autres villes de ces provinces , sans que les troupes choisies qu'envoya contre lui le roi d'Egypte pussent l'en empêcher. Il fit tout ce qu'il lui plut dans la Célésyrie et dans la Palestine, et personne ne lui put résister. En faisant la conquête de la Palestine il entra dans la Judée, terre célèbre, ou, selon l'hébreu, tei're désirable. Il y établit son autorité , et l'y affermit en chassant du château de Jérusalem la garnison que Sco- pas y avait mise. Cette garnison s'étant si bien défen- due , qu' Antiochus fut obligé d'y faire venir toutes ses forces pour en venir à bout, et le siège tirant en lon- gueur, le pays fut ruiné et consume par le séjour que l'armée fut obligée d'y faire. SI rcESSiains i> ylexanhut:. \hj Il s'ciffermira dans le dessein de venir en Eg;jpie \. x-. iwec toutes les forces de soji royaume. Il feindra de vouloir agir de bonne foi avec lui ; il lui donnera sa fille en mariage, dans le dessein de la corrompre; mais son dessein ne lui réussira pas , et elle ne sera point pour lui. Antiochus voyant que les Romains prenaient la défense du jeune Ptolémée Epipliane, crut ne pouvou' mieux faire que d'endormir le jeune roi en lui donnant sa fille en mariage, dans le des- sein de la corrompre , et de la porter à trahir son mari; mais son dessein ne lui réussit pas. Quand elle se vit femme de Ptolémée , elle abandonna les intérêts de son père, et embrassa ceux de son mari. De là vient que nous la voyons jointe à lui ' dans l'ambassade d'Egypte à Rome pour féliciter les Romains de la vic- toire d'Acilius sur son père aux Thermopyles. // tournera ses efforts contre les îles, et il en preii- x- iS. dra plusieurs. Le prince fera cesser la honte dont Antiochus l'avait chargé, et la fera retomber sur lui. Antiochus ayant nus fin à la guerre de Célésyrie et de Palestine, envova ses deux fils avec l'armée de terre à Sardes : il se mit lui-même sur la flotte, et alla dans la mer Egée, où il prit plusieurs îles, et étendit ex- trêmement sa domination de ce côté-là. Mais le prince du peuple, à qui il avait fait insulte par cette invasion, c'est-à-dire L. Scipion le consul romain ,yzV retomber V affront sur lui., en le battant au mont Sipyle, et le chassant entièrement de l'Asie Mineure. // reviendra dans les fortifications ^ ou dans les J- T9- ' ■< LcgatI ab Ptolemaso et Cleo- chum regein Graecîae expiilisset , vp- patra, regibus ^gypti, gratulaiites ncrunt. » (Liv. lib. 87, n. 3.) f|uùd Manius Acilius consul Antio- Tonip FUT. Hlsl. a ne. <) l3o HTSTOIRK AïVCIENNE. terres de son empire. Il j tî^ouvera un piège; il tom- bera enfin, et il disparaîtra pour jamais. Antiochiis, après sa défaite, retourna à Antioche, la capitale et la forteresse de son royaume. II. alla bientôt après dans les provinces de l'Orient amasser de l'argent pour payer les Romains. Ayant pillé le temple de l'Elymaïde, il y périt misérablement. Telle est la prophétie de Daniel, qui regarde Antio- chus, que j'ai rapportée ordinairement selon le texte hébreu. Il peut y avoir quelques termes obscurs, dou- teux, difficiles à expliquer, et sur lesquels les inter- prètes varient, j'en conviens. Mais le gros et le fond de la prophétie peut-il paraître obscur et incertain? Un esprit raisonnable peut-il , en faisant usage de sa raison, attribuer une telle prédiction ou au pur hasard, ou aux conjectures d'une prudence et d'une sagacité humaine? Toute autre lumière que celle qui vient de Dieu peut-elle pénétrer ainsi dans l'obscurité de l'ave- nir, et en marquer les événements d'une manière si dé- taillée et si précise? Pour ne point parler de ce qui est dit ici de l'Egypte, Séleucus Callinicus, roi de Syrie, en mourant, laisse deux enfants. L'aîné ne règne que trois ans, sans faire parler de lui; le prophète n'en dit rien. L'autre est Antiochus , surnommé le Grand, à cause de ses grandes actions; le même prophète nous peint en abrégé les principales circonstances de sa vie, ses entreprises les plus importantes, et le genre même de sa mort. On y voit ses expéditions dans la Célésvrie et la Phénicie, dont il assiège et prend plu- sieurs villes; son entrée à Jérusalem, qui est désolée par le séjour de ses troupes; la conquête qu'il fait d'un grand nombre d'îles; le mariage de sa fille avec le roi SUCCESSEURS d'a LEX V ÎS' D R E. l3r d'Egypte, qui ne réussit pas selon ses desseins; sa dé- faite par le consul romain; sa retraite à Antioelie ; et enfin sa mort funeste. Ce sont là comme les gros traits du portrait d'Antiochus, et qui ne peuvent convenir qu'à lui seul. Est-il possible que le prophète les ait jetés au hasard dans la peinture qu'il nous en a laissée? Les faits qui marquent l'exécution de la prophétie sont tous rapportés par des auteurs païens et non suspects, et qui ont vécu plusieurs siècles après le prophète. Il faut, ce me semble, renoncer non-seulement à la reli- gion, mais à la raison, pour refuser de reconnaître dans des prédictions de ce genre l'opération d'un être souverain, à qui tous les siècles sont présents, et qui gouverne le monde avec un pouvoir absolu. ^ IX. Séleucus Pliilopator succède à son père An- tiochus. Commencement du règne de Plolémée Épiphane en Egypte. Diverses ambassades en- voyées aux Achéens et aux Romains. Plaintes contre Philippe. Piome envoie ries commissaires pour examiner ces plaintes, et pour prendre aussi connaissance du mauvais traitement fait à Sparte par les Achéens. Suite de cette dernière affaire. Après la mort d'Antiochus-le-Grand , Séleucus Phi- An.m. 3«i7, lopator, l'aîné de ses fils, qu'il avait laissé à Antioche Appian.in en partant pour les provinces d'Orient , lui succéda. Il •^'^ ^' vécut dans l'obscurité et le mépris, à cause de la mi- sère où les Romains avaient réduit cette couronne , et du tribut exorbitant de mille talents^ par an qu'il fut ' Trois millions. = 5, 5oo,ooo fr. — L. 1 3^ HISTOIRE ANCIENNE. obligé (le payer pendant tout le cours de son règne, en vertu du traité de paix fait entre son père et eux. l'oiyh. in Ptoléinée Epiphane régnait alors en Egypte. Dès le Excp-pt. leg. 1 V ... , cap. 3;. commencement de son règne, il avait envoyé un am- bassadeur en Achaïe pour renouveler l'alliance que le roi son père avait faite autrefois avec les Achéens. Ceux-ci acceptèrent la proposition avec joie, et députè- rent au roi, pour ce sujet, Lycortas, père de Polybe l'historien, avec deux autres ambassadeurs. L'alliance renouvelée, Philopémen, qui était alors en charge, ayant donné un repas à l'ambassadeur de Ptolémée , la conversation tomba sur ce prince. Dans l'éloge qu'en fit l'ambassadeur, il s'étendit beaucoup sur la dextérité qu'il faisait paraître à la chasse, sur l'adresse avec la- quelle il maniait un cheval, sur la vigueur et la force avec laquelle il se servait de ses armes; et pour faire voir combien ce qu'il disait était vrai, il dit que ce prince, en chassant, avait, de dessus son cheval, tué un taureau sauvage d'un coup de trait. La même année qu'Antiochus mourut, Cléopatre sa fille , reine d'Egypte , accoucha d'un fils , qui régna après Epiphane son père , sous le nom de Ptolémée Philométor. jn?eph. Tout l'empire témoigna une grande joie h cette Annq. Jm. j^^igs^ncc. La Syrie se distingua entre toutes les pro- lin. la, c. 4' J o r vinces , et les plus considérables du pays allèrent pour ce sujet en grand équipage à Alexandrie. Joseph , dont j'ai parlé ailleurs , qui était receveur-général de ces provinces, trop âgé pour faire ce voyage, y envoya en sa place le plus jeune de ses fils, nommé Hyrcan , qui avait beaucoup d'esprit et beaucoup d'agrément dans les manières. Le roi et la reine le recurent très-favo- sl;cci;ssi:lirs d'alkx a n i);ii;. i?)3 rablement, et lui firent riionneiir de le faire inangei- à leur table. Dans im de ees repas, les convives, ([ui le méprisaient connue un jeinie lionnne sans esprit et sans expérience, mirent devant lui les os des viandes qu'ils avaient mangées. Un bouffon, qui faisait rire le roi par ses bons mots, lui dit: « Vous voyez, sire, la « (juantité d'os qu'il y a devant llyrcan, et vous pouvez « juger par là de quelle sorte son père ronge toute la Syrie. » Ces paroles firent rire le roi, et il demanda à Hyrcan d'où venait donc qu'il avait devant lui une si grande quantité d'os. « Il ne faut pas, sire, lui répon- « dit-il , s'en étonner : car les cliiens mangent les os « avec la chair, comme vous voyez qu'ont fait ceux « qui sont à la table de votre majesté, en montrant les « autres ; mais les hommes se contentent de manger la c( chair, et laissent les os, comme j'ai fait. » Les mo- queurs pour-lors furent moqués, et demeurèrent muets et confus. Quand le jour où l'on devait faire les pré- sents fut arrivé, comme Hyrcan avait répandu le bruit qu'il n'avait que cinq talents ' à offrir, on s'at- tendait qu'il serait fort mal reçu du roi, et l'on s'en faisait un plaisir par avance. Les plus grands présents que firent tous les autres ne montèrent pas à plus de vingt talents ^. Mais Hyrcan offrit au prince cent jeunes garçons qu'il avait achetés , bien faits et bien vêtus, qui lui présentèrent chacun un talent; et à la reine cent jeunes filles très-bien parées, dont cha- cune fît aussi un pareil présent à cette princesse. Toute la cour fut extraordinairement étonnée d'une si grande et si surprenante magnificence. Le roi et la reine ren- ' Ciruj mille écus. :=: 2^,500 li'. — L. ' Vingt mille ccus. := 1 1 0,000 fr. — L. l34 HISTOIRE AjyClEi\NE. voyèrent Hyrcan comblé de marques d'amitié et de bonté. An-.i\î.382o. Dans les premières années, Ptoléniée Epiphane gou- ' "^ Diod! verna d'une manière qui lui attira l'approbation et les pa^'^o^r applaudissements de tout le monde , parce qu'il suivait en tout les avis d'Aristomène, qui lui tenait lieu de père. Dans la suite, les flatteries des courtisans, poi- son mortel pour les rois, l'emportèrent sur les sages conseils de cet habile ministre. Ce jeune prince lui échappa, et commença à donner dans tous les vices et dans tous les défauts de son père. Ne pouvant plus souffrir la liberté avec laquelle Aristomène lui conseil- lait souvent de tenir une autre conduite, il s'en défît par un breuvage empoisonné. Alors, délivré d'un cen- seur incommode, dont la seule vue l'importunait par les secrets reproches qu'elle semblait lui faire, il s'a- bandonna sans mesure h ses mauvais penchants, se livra à toutes sortes de désordres et d'excès, ne suivit plus dans le gouvernement d'autres guides que ses passions, et traita ses sujets avec une cruauté tyran- nique. Les Egyptiens, ne pouvant souffrir les violences et les injustices auxquelles ils se trouvaient exposés tous les jours , commencèrent à cabaler, et à faire des asso- ciations contre le roi qui les opprimait. Quelques per- sonnes de la première qualité s'étant mises h leur tête, on formait déjà des complots pour le déposer, qui fu- rent sur le point de réussir. Poivb. in Pour se tirer de ces embarras, il choisit pour pre- '^p.'^/lj/^ mier ministre Polycrate, homme de cœur et de tête, •qui avait une grande expérience des affaires , tant en paix qu'en guerre : car il était déjà parvenu au gêné- SUCCESSEURS d' A LE\ AJN DR E. l35 ralat sous son père, et s'était trouvé, en cette qualité, à la bataille de Raphia , au gain de laquelle il avait beaucoup contribué. Il avait eu ensuite le gouverne- ment de l'île de C\ pre ; et s'étant rencontré à Alexan- drie lorsqu'on y découvrit la conspiration de Scopas , il avait beaucoup aidé à sauver l'état. Avec l'aide de cet habile ministre, Ptolémée vint à a.v.m*3S»i. . , . , Av. J. Cl 83. bout des rebelles. 11 obligea leurs chefs, qui étaient les plus grands seigneurs du pays, à capituler, et cà se sou- mettre à certaines conditions. Mais, quand il les eut en son pouvoir, il leur manqua de parole; et après avoir exercé sur eux plusieurs cruautés, il les fit tous mourir. Cette lâche perfidie le jeta dans de nouveauv embarras, dont l'habileté de Polycrate le tira encore. Il paraît que la ligue des Achéens , dans le temps dont nous parlons ici , était fort puissante et fort con- sidérée. Nous avons vu que Ptolémée, dès le commen- cement de son règne , s'était empressé de renouveler avec eux l'ancienne alliance. Dans les dernières années il voulut le faire encore tout de nouveau. Il offrit à la république six mille boucliers et deux cents talenls d'airain. On accepta ses offres, et on députa vers lui Ly cor ta s, et deux autres Achéens, pour le remercier de ses présents, et pour renouveler falliance. Ils re- vinrent bientôt après avec l'ambassadeur de Ptolémée pour faire ratifier le traité. Le roi Eumène leur en- an.m.sSiS. ■ T , 1 1 , • . , Av.J.C. i86. voya aussi des ambassadeurs pour le même sujet; et poivi,. in il offrait six-vingts .talents (six-vingt mille écus), dont ^pa"^'!','^^' l'intérêt serait destiné à l'entretien de ceux qui com- p>*'îo-852. posaient le conseil public. Il en vint d'autres encore de Séleucus, qui, au nom de leur maître, offrirent dix vaisseaux armés en guerre , et qui demandèrent l36 HISTOIRE ANCIENNE. que l'ancienne alliance faite avec ce prince fût renou- velée. L'ambassadeur que Philopémen avait envoyé à Rome pour se disculper en était revenu, et deman- dait d'être entendu pour rendre compte de sa com- mission. Pour toutes ces raisons on convoqua une grande assemblée. Le premier qui y entra fut Nicodème d'E- lée. Il fit le rapport de ce qu'il avait dit dans le sénat romain sur l'affaire de Lacédémone, et de ce qui lui avait été répondu. On jugea par les réponses, qu'à la vérité le sénat n'était content ni de la destruction du gouvernement de Sparte , ni du démolissement des murs de cette ville, ni du meurtre des Spartiates, mais qu'il n'annulait rien de ce qui avait été statué : et comme il ne se rencontra personne qui parlât pour ou contre les réponses du sénat, il n'en fut plus fait mention pour-lors; mais cette même affaire sera fort agitée dans la suite. On donna ensuite audience aux ambassadeurs d'Eu- mène. Après qu'ils eurent renouvelé l'alliance faite autrefois avec Attale, père du roi, et qu'ils eurent proposé les offres que faisait Eumène de six vingts talents, ils vantèrent fort la bienveillance et l'amitié qu'avait leur maître pour les Achéens. Quand ils eu- rent fini , Apollonius de Sicyone se leva, et dit que le présent que le roi de Pergame offrait, à le regarder en lui-même , était digne des Achéens ; mais que , si l'on faisait attention au but qu'Eumène se proposait , et à l'utilité qu'il se promettait de tirer de sa libéralité, la république ne pouvait accepter ce présent sans se couvrir d'infamie, et sans commettre la plus grande des prévarications ; car enfin , puisque la loi défendait si'CCESSEij us d'alexajndrk. 1 3^ à tout particulier , soit du peuple , soit d'entre les luu- gistrats , de rien recevoir d'un roi, sous quelque pré- texte que ce fût, la transgression serait beaucoup plus criminelle si la république en corps acceptait les offres d'Eumène : qu'à l'égard de l'infamie, elle était sensible et sautait aux yeux; car quoi de plus lionteux pour un conseil que de recevoir d'un roi, cbaque année, de ([uoi se nourrir, et de ne s'assembler pour délibérer sur les affaires publiques qu'en qualité de ses pension- naires, et sortant, pour ainsi dire, de sa table, après avoir avalé l'amorce ' ({ui cacbait l'iiameçon? Mais que ne devait-on point craindre des suites de cette cou- tume, si elle s'établissait! qu'après Eumène , Prusias ne manquerait pas aussi de faire des largesses , et Sé- leucus après Prusias : que les intérêts des rois et ceux des républiques étant d'une nature toute diffé- rente, et dans celles-ci les délibérations les plus im- portEintes roulant presque toujours sur des contestations qu'on avait avec les rois, il arriverait nécessairement de deux choses l'une , ou que les Achéens feraieni l'avantage de ces princes au préjudice de la nation, ou qu'ils se rendraient coupables d'une noire ingrati- tude envers leurs bienfaiteurs. Il finit en exhortant les Achéens à refuser le présent qu'on leur offrait, el il ajouta qu'ils ne devaient pas savoir bon gré à Eu- mène d'avoir voulu tenter leur fidélité par une offre de cette nature. Son avis fut suivi : tous rejetèrent avec de grands cris la proposition du roi de Pergame, quel- ' Par cette expression , Polybe sein (ju"a\iiit Euiuène de s'asservir voulait marquer qu'une telle pension tous ceux qui composaient le con- t^tait comme une amorce qui rou- seil. KaTaTTETTMy.o'ya; otovet ^£).îaf . vrait riiamecon, c'est-à-dire le des- l38 HISTOIRE ANCIENNE. que éblouissante que fût l'offre qu'il faisait d'une si grande somme d'argent. On appela ensuite Lycortas et les autres ambassa- deurs qui avaient été envoyés à Ptolémée , et l'on fit la lecture du décret fait par ce prince pour le renou- vellement de l'alliance. Aristène, qui présidait à l'as- semblée, ayant demandé quel était le traité qu'on pré- tendait renouveler , car on en avait fait plusieurs avec Ptolémée sous des clauses très-différentes, et personne n'ayant pu répondre à sa demande, la décision de cette affaire fut remise à un autre temps. Enfin, on donna audience aux ambassadeurs de Sé- leucus. On renouvela l'alliance qu'on avait avec lui, mais on ne crut, pas devoir accepter pour-lors les vais- seaux dont il faisait présent. AN.M.38fq. L'état de la Grèce n'était point tranquille, et l'on Av.j.c.iSa. pQpjjj-j- (]g toutes parts à Rome des plaintes contre Philippe. Le sénat nomma trois commissaires, dont Q. Cécilius était le principal , pour aller prendre con- naissance de ces affaires sur les lieux mêmes. Liv. lib. 39, Philippe conservait toujours dans le cœur un vif "■20-29. ressentiment contre les Romains, dont il croyait avoir un juste sujet d'être mécontent pour bien des choses, mais sur- tout parce que dans le traité de paix on ne lui avait pas laissé la liberté de sévir contre ceux de ses sujets qui l'avaient abandonné pendant la guerre. On avait tâché de le consoler, en lui permettant d'at- taquer l'Athamanie et Amynandre, son roi, en lui abandonnant quelques villes de Thessalie dont les Eto- liens s'étaient emparés, en laissant sous sa domination Démétriade et toute la Magnésie, et en ne l'empêchant point de se rendre maître de plusieurs villes dans la SUCCESSEURS d'alexardre. I 3a Thrace ; ce qui l'avait un peu apaisé. Il songeait tou- jours néanmoins à profiter du repos que lui laissait la paix pour se préparer à faire la guerre quand il en trouverait une occasion favorable. Les plaintes qu'on avait portées contre lui à Rome, et qu'on y avait écoutées, renouvelèrent tous ses anciens mécontente- ments. Quand les trois commissaires furent arrivés à Tempe de ïhessalie , on y convoqua une assemblée oii compa- rurent, d'un coté, les ambassadeurs des Thessaliens, des Perrhèbes et des Athamanes, et, de l'autre, Phi- lippe, roi de Macédoine; démarche fort mortifiante déjà en soi-même pour un prince aussi puissant que lui. Les ambassadeurs exposèrent les divers sujets de plaintes qu'ils avaient contre Philippe, plus ou moins fortement, chacun selon son caractère et son génie. Les uns, après s'être excusés de ce qu'ils étaient obli- gés de plaider contre lui en f^iveur de leur liberté, le priaient de se montrer à leur égard plutôt ami que maître, et d'imiter la conduite du peuple romain, qui aimait mieux s'attacher les alliés par l'amitié que par la crainte. Les autres, moins retenus et moins mesurés, lui reprochaient en face ses injustices, ses violences, ses usurpations : représentaient aux commissaires que , s'ils n'y apportaient un prompt remède, ce serait en vain qu'on aurait vaincu Philippe et rendu la liberté aux Grecs voisins de la Macédoine; que ce prince, comme un coursier fougueux ^ , ne pouvait être retenu que par un mors dur et serré. Philippe, afin de pa- raître accusateur plutôt (|u'accusé, fît de son côté de ' "Ut equura stertiacem non parentem, frenis asperloribus castigandum esse. » (Liv.) I 4o HISTOIRE ANCIENNE. violentes plaintes contre ceux qui venaient de parler, sur-tout contre les Thessaliens. Il dit que' , semblables à des esclaves affranchis subitement contre toute espé- rance, qui s'emportent en injures contre leurs maîtres et leurs bienfaiteurs , ils abusaient insolemment de l'indulgence du peuple romain ', incapables, après une longue servitude, de faire un usage modéré de la li- berté qui leur avait été enfin accordée. Les commis- saires, après avoir entendu les accusations et les ré- ponses, dont j'ai cru devoir supprimer le détail peu intéressant, et avoir fait quelques règlements particu- liers, différèrent à prononcer sur les demandes respec- tives de part et d'autre. Ils passèrent de là à Thessalonique, pour examiner ce qui regardait les villes deThrace ; et le roi, fort mécon- tent, les y suivit. Les ambassadeurs d'Eumène représen- tèrent aux commissaires que, si Rome avait résolu de rendre la liberté aux villes d'^num et de Maronée, leur maître était bien éloigné de s'y opposer; mais que, si elle ne s'intéressait point à l'état de ces villes conquises sur Antiochus, les services d'Eumène et ceux d'Attale, son père , semblaient demander qu'on les abandonnât plutôt à leur maître qu'à Philippe, qui n'y avait aucun droit , et qui les avait usurpées par une violence ou- verte : que d'ailleurs ces villes avaient été abandon- nées à Eumène par le décret des dix commissaires nommés par les Romains pour régler toutes ces con- testations. Les Maronites, qu'on entendit après , se plai- > « Insolente!' et immodicè abutl tè manumissoium, licentiam vocis Thessalos indulgenlià populi ronia- et linguœ experiii, et jactare sese ni; velut ex diutina sitL niuiis avi- inseetatlone et conviciis domino- dè meram haurientes llbertatem. Ita , nim.» (Eiv.) servorum modo prscter speiu repen- SIICCESSKIIIIS I) A Li:X ANDUr. I /j I gnironl amèrement des injustices et des violences cjue la garnison de Philippe exerçait dans leur ville. Ici Philippe ne parla plus comme il avait fait aupa ravant ; mais, adressant son discours personnellemeni aux Romains mêmes, il déclara que depuis long-tem|)s il s'apercevait qu'ils étaient déterminés à ne lui rendre justice en rien. Il fit un long dénombrement et des torts considérables qu'il prétendait avoir reçus, et des services qu'il avait rendus aux Romains en différentes occasions , faisant fort valoir l'atlachement inviolable qu'il avait témoigné pour eux jusqu'à refuser trois mille talents ' , cinquante vaisseaux armés en guerre , et un grand nombre de villes qu'Antiochus lui avait offertes pour entrer en alliance avec lui : que cependant il avait la douleur de voir qu'on lui préférait en tout Eumène, avec qui il ne daignait pas même se comparer; et que les Romains, loin d'ajouter quelque chose à son do- maine, comme il croyait l'avoir bien mérité, lui enle- vaient des villes qui lui appartenaient de droit, ou dont eux-mêmes l'avaient gratifié. « C'est à vous, Romains, « leur dit-il en finissant , à voir sur quel pied vous voulez « que je sois avec vous. Si vous avez résolu de me trai- « ter en ennemi, et de me pousser à bout, continuez « d'en user à mon égard comme vous avez fait jus- ce qu'ici. Mais si vous respectez encore en moi la qua- « lité de roi , d'allié et d'ami , épargnez-moi , je vous « supplie, la honte d'être traité si indignement, w Ce discours du roi toucha les commissaires. Ils cru- rent donc devoir laisser l'affaire en suspens par une réponse qui ne décidait rien , en déclarant que , si les villes en question avaient été adjugées à Eumène par ' Neuf millions. = i6,5oo,ooo fr. — L. iL[2 HISTOIRE AlNCIENIVE. les dix commissaires, comme il le prétendait, ils ne pouvaient rien changer à ce décret; que, si Philippe les. avait acquises par droit de conquête, il était juste qu'elles lui demeurassent : que, si ni l'un ni l'autre n'é- tait prouvé, il fallait réserver au jugement du sénat la connaissance de cette affaire, et cependant retirer les garnisons des villes, le droit des parties demeurant en son entier de côté et d'autre. Ce règlement , qui par provision ordonnait à Phi- lippe de retirer des villes les garnisons qu'il y avait , loin de satisfaire ce prince , laissa dans le fond de son cœur un mécontentement et une aigreur qui auraient infailliblement éclaté par une guerre ouverte, si une plus longue vie lui en eût laissé le temps. Les commissaires, au sortir de Macédoine, se ren- dirent en Achaïe. Aristène, qui était le premier ma- gistrat, assembla aussitôt les principaux membres de la république dans Argos, Cécilius , étant entré dans ce conseil , après avoir loué le zèle des Achéens et la sa- gesse de leur gouvernement dans tout le reste , ajouta qu'il ne pouvait leur dissimuler que la conduite qu'ils avaient tenue à l'égard des Lacédémoniens avait été fort improuvée à Rome , et il les exhorta à réformer autant qu'ils le pourraient tout ce qui s'était fait imprudem- ment contre eux dans cette occasion. Le silence d'Ari- stène , qui ne répliqua pas un seul mot , fit bien voir qu'il pensait comme Cécilius , et qu'ils agissaient de con- cert. Diophane de Mégalopolis, homme plus guerrier que politique , et qui n'aimait pas Philopémen , sans toucher à l'affaire de Lacédémone, fit d'autres plaintes contre lui. Alors Philopémen, Lycortas et Archon pri- rent hautement la défense de la république. Ils firent SUCCESSEURS D ' A LEX A.I\'DR lî. l/|'> voir que tout ce qui avait été fait au sujet de Sparfe avait été fait sagement, et même à Tavantage des La- cédémoniens , et que l'on n'v pouvait rien changer sans violer tous les droits humains et le respect que l'on devait aux dieux. Lorsque Cécilius fut sorti, le conseil, touché de ce discours, ordonna qu'il ne serait rien changé à ce qui avait été ordonné, et que l'on donne- rait cette réponse à l'ambassadeur romain. Quand on la porta à Cécilius, il demanda que l'on convoquât l'assemblée générale du pays. Les magistrats répondirent qu'il fallait pour cela qu'il produisît une lettre du sénat de Rome, par laquelle on priât les Achéens de s'assembler. Comme il n'en avait point, on lui dit nettement qu'on ne s'assemblerait pas : ce qui le mit en si grande colère , qu'il partit d'Achaïe sans vou- loir entendre ce que les magistrats avaient à lui dire. On crut que cet ambassadeur, et avant lui Marcus Fulvius, n'auraient pas parlé avec tant de liberté, s'ils n'eussent été sûrs qu'Aristène etDiophane étaient pour eux : aussi furent-ils accusés d'avoir attiré ces Romains dans le pays par haine pour Pliilopémen , et ils pas- sèrent pour suspects dans l'esprit de la multitude. Cécilius, de retour à Rome, fît au sénat le rapport de tout ce qui lui était arrivé dans la Grèce. Qn fît en- an.m.is2o. suite entrer les ambassadeurs de Macédoine et du Pé- '^"'p^'oK-h.^^ loponnèse. Ceux de Philippe et d'Eumène furent intro- 'fE^cerpt. '_ _ ^ ' leg. c. 42. duits les premiers; après eux les exilés d'/Enum et de Liv. iib. 39, Maronée, qui tous répétèrent ce qu'ils avaient déjà dit auparavant devant Cécilius à Thessalonique. Le sénat, après les avoir entendus , envova vers Philippe de nou- veaux ambassadeurs , dont Appius Claudius était le chef, pour examiner sur les lieux s'il s'était retiré, selon qu'il 1^4 HISTOIRE \NClF.KJfE. l'avait promis à Cécilius, des villes de la Pcrrhébio, et pour lui ordonner d'évacuer ^num et Maronée, et de sortir, en un mot, de tous les châteaux, terres et villes qu'il occupait sur la côte maritime de la Thrace. On écouta ensuite ApoUonidas, ambassadeur que les Acliéens avaient envoyé pour les justifier de n'avoii- point donné de réponse à Cécilius , et pour informer le sénat de tout ce qui avait été fait au sujet de I^a- cédémone , qui , de son coté , avait député à Rome Arée et Alcibiade, tous deux de ces anciens bannis que Phi- lopémen et les Acliéens avaient rétablis dans leur pa- trie. C'est ce qui irrita le plus les Acliéens, de voir que, malgré un bienfait si précieux et si récent, ils s'étaient chargés de l'odieuse commission d'accuser ceux qui les avaient sauvés, contre toute espérance, et qui leur avaient procuré le bonheur de rentrer dans leurs maisons et de revoir leurs familles. ApoUonidas tacha de prouver qu'il n'était pas possible de régler mieux les affaires de Lacédémone que Philopémen et les Acliéens les avaient réglées : ils justifièrent aussi le refus qu'ils avaient fait de convoquer une assemblée générale. De leur coté, Arée et Alcibiade exposèrent d'une manière touchante le triste état ou Sparte était réduite : ses murailles renversées, ses citoyens emme- nés enx\chaïe et réduits en servitude % les saintes lois de Lycurgue, qui l'avaient fait subsister si long-temps et avec tant d'honneur, entièrement abolies. Le sénat, après avoir pesé et comparé les raisons ' Parle décret des Achéens, il toute la Laconie, sans quoi ils pour- avait été ordonné que les esclaves raient être arrêtés par les Achéens adoptés au nombre des citoyens de et vendus comme esclaves, et c'est Sparte, sortiraient de la ville et de ce qui avait été exécuté. SUCCESSEURS d'aLEXANDRE, 1/^5 de part et d'autre, chargea de l'examen de cette afTaire les mêmes ambassadeurs qu'il avait nommés pour la Macédoine, et recommanda aux Achéens de convoquer leur assemblée générale, toutes les fois que les ambassa- deurs de Rome le requerraient, connne à Rome le sé- nat leur accordait audience à eux-mêmes toutes les fois (ju'ils la lui demandaient. Quand Philippe eut appris de ses ambassadeurs, qui p^iyb. lui avaient été renvoyés de Rome, qu'il fallait absolu- '" ^"^'"^'^i"; i ieg- cap. 44. ment qu'il vidât les villes de la Thrace, irrité jusqu'à i^^- 'ii'-^o. la fureur de voir sa domination resserrée de tous les côtés , il déchargea sa rage sur les habitants de Maro- née. Onomaste , qui avait le gouvernement de la Thrace , se servit de Cassandre, fort connu dans la ville, pour exécuter la barbare ordonnance du prince. Il y fit en- trer de nuit un corps de Thraces, qui firent main basse sur les citoyens, et en massacrèrent un grand nombre. Philippe , ainsi vengé de ceux qui n'étaient pas de sa faction , attendait tranquillement l'arrivée des com- missaires, persuadé que personne n'aurait la hardiesse de se déclarer son accusateur. Quelque temps après arrive Appius, qui, bientôt informé du traitement fait aux Maronites, en fait de vifs reproches au roi de Macédoine. Celui-ci soutint qu'il n'avait point de part à ce massacre , et il le rejeta sur une émeute populaire. « Les uns, dit-il, inclinant « pour Eumène, les autres pour moi, la querelle s'é- « chauffa, et ils s'égorgèrent les uns les autres.» Il porta la confiance jusqu'à ordonner qu'on amenât devant lui quiconque voudrait l'accuser. JMais qui au- rait ose le faire? l>u punition aurait suivi de près, et le secours qu'on aurait pu attendre des Romains était To'iir f'Jlf. Ilist.anc. nj l46 HISTOIRE A.NCIENNE. trop éloigné. // est inutile, lui dit Appius, que vous vous excusiez. Je sais ce qui s'est passe , et qui en est V auteur. Ce mot jeta Philippe dans de grandes inquié- tudes. On ne poussa pas cependant la chose plus loin dans cette première entrevue. Mais le lendemain Appius lui commanda d'envoyer sans délai Onomaste et Cassandre à Rome, pour être interrogés par le sénat sur le fait en question, ajou- tant que c'était pour lui l'unique moyen de s'en justi- fier. A cet ordre, Philippe changea de couleur, chan- cela, hésita long-temps à répondre. Enfin il dit qu'il enverrait Cassandre, soupçonné par les commissaires d'être auteur du massacre : mais il s'obstina à retenir auprès de soi Onomaste, qui, disait-il, était si peu à Maronée dans le temps de cette sanglante tragédie, qu'il n'était pas même dans le voisinage. Dans le fond, c'est qu'il craignait qu'un homme qui avait sa confiance, et pour qui il n'avait rien de caché , ne trahît tous ses secrets devant le sénat. Pour Cassandre, dès que les commissaires furent sortis de la Macédoine , il le fit embarquer ; mais il envoya des gens à sa suite qui l'em- poisonnèrent en Epire. Après le départ des commissaires, qui s'en allèrent bien convaincus que Philippe avait ordonné le mas- sacre de Maronée, et qu'il était prêt à rompre avec les Romains, le roi de Macédoine, faisant réflexion, seul et avec ses amis, que sa haine contre les Romains et le désir de s'en venger commençait à éclater , aurait bien voulu prendre incessamment les armes, et leur faire ouvertement la guerre : mais , comme ces préparatifs n'étaient pas encore faits , il imagina un expédient pour gagner du temps. Il prit le dessein d'envoyer à Rome SUCCESSEURS d' A L EX AND IIE. l [\'J son fils Démétrius', qui , ayant été long-temps en otage dans cette ville, et s'y étant acquis de l'estime , lui parut très en état, ou de le défendre contre les accusations qu'on pourrait intenter contre lui devant le sénat, ou de l'excuser sur les fautes qu'il aurait en effet commises. Il disposa donc tout ce qui était nécessaire pour cette ambassade , et avertit les amis dont il voulait que le prince son fds fût accompagné. Il promit en même temps aux Byzantins de les secou- rir, non qu'il prît beaucoup d'intérêt à leur défense, mais parce qu'allant à leur secours, il jetterait la ter- reur parmi les petits souverains de Thrace voisins de la Propontide, et les empêcherait de mettre obstacle au dessein qu'il avait de faire la guerre aux Romains. En effet , ayant vaincu ces petits rois dans un combat, et pris leur chef, il les mit hors d'état de lui nuire , et retourna en Macédoine. On attendait dans le Péloponnèse l'arrivée des com- missaires romains , qui avaient ordre de passer de Ma- cédoine dans l'Achaïe. Afin qu'on sût ce qu'on aurait à leur répondre , Lycortas convoqua un conseil , où l'af- faire des Lacédémoniens fut discutée. Il représenta ce qu'on avait à craindre de leur part, les Romains parais- sant leur être beaucoup plus favorables qu'aux Achécns. Il insista principalement sur l'ingratitude d'Arée et d'Al- cibiade, qui , ayant obligation aux Achéens de leur réta- blissement, pour récompense s'étaient chargés de l'am- bassade contre eux devant le sénat, où ils avaient agi et parlé en ennemis déclarés, comme si les Achéens les eussent chassés de leur patrie , et n'eussent pas été ceux qui les y avaient rétablis. Alors on jeta de tous cotés de grands cris, pour demander que le président 10. l4H HISTOIRE ANCIENNE. iiiît l'affaire en délibération; et comme on n'y écou- tait que la passion et le désir de se venger, Arée et Alcibiade furent condamnés à mort. Les commissaires romains arrivèrent peu de jours après. Le conseil fut assemblé à Clitor en Arcadie. La terreur se répandit alors parmi les Achéens, qui, voyant paraître, avec les commissaires, Arée et Alci- biade qu'ils venaient de condamner à mort, jugè- rent combien la discussion qui allait commencer leur serait peu favorable. Appius, ayant pris la parole, leur marqua que le sénat avait été vivement touché des plaintes des Lacé- démoniens, et qu'il n'avait pu s'empêcher d'improu- ver tout ce qui s'était fait à leur égard : le meurtre de ceux qui , sur la parole de Philopémen , étaient venus pour plaider leur cause ; la démolition des murs de Sparte; l'abolition des lois et des établissements de Lycurgue, qui avaient rendu cette ville fameuse parmi tous les peuples et l'avaient fait fleurir pendant plu- sieurs siècles. Lycortas, et comme président du conseil et comme uni de sentiments avec Philopémen auteur de tout ce qui s'était fait contre Lacédémone , entreprit de ré- pondre aux reproches d'Appius. Il montra première- ment que les Lacédémoniens, ayant attaqué les bannis contre la teneur du traité , qui leur défendait en termes formels de rien entreprendre contre les villes mari- times, ces bannis, en l'absence des Romains, n'avaient pu recourir ailleurs qu'cà la ligue d'Achaïe , h qui l'on ne pouvait pas faire un crime de leur avoir prêté main- forte dans un besoin si pressant. Quant au meurtre (ju Appius leur reprochait, il ne devait point être mis SllCCESSF.UllS J)\v l.KX \NI)KE. 1 4() sur leur compte, mais sur celui des bannis, qui avaient pour-lois à leur tête Arée et Alcibiacle, et qui, de leur propre mouvement , et sans être autorisés par les Achéens, s'étaient jetés avec fureur contre ceux qu'ils regardaient comme les auteurs de leur exil et de tous les maux qu'ils avaient soufferts. «Mais, ajouta-t-il, on « prétend que nous ne pouvons disconvenir que l'abo- <( lition des lois de Lycurgue et la destruction des murs « de Sparte ne soit notre ouvrage. I^e fait est vrai : <( mais comment peut-on nous faire cette double objec- « tion en même temps .^ Ces murs n'étaient point l'ou- « vrage de Lycurgue , mais des tyrans , qui depuis « quelques années les avaient construits, non pour la « sûreté de la ville, mais pour la leur propre, et poiu' « se mettre en état d'abolir impunément la discipline « établie par ce sage législateur. S'il sortait aujourd'luil « du tombeau, il serait ravi de voir ces murs détruits, «et il dirait que c'est maintenant qu'il reconnaît sa « patrie et l'ancienne Sparte. Il ne fallait point attendre « Pliilopémen ni les Acbécns; mais vous auriez dû vous- « mêmes, citoyens de Sparte, démolir ces murs do vos « propres mains , et détruire tous les vestiges de la ty- « rannie. C'étaient là comm^ les honteuses cicatrices « de votre esclavage; et, après vous être conservés li- « bres pendant près de huit cents ans, et avoir même « été autrefois les dominateurs de la Grèce sans le « secours et l'appui des murs, ils sont devenus depuis « cent ans l'instrument de votre servitude, et vous ont M tenu lieu d'entraves et de chaînes. Pour ce qui est des « anciennes lois de Lycurgue , ce sont les tyrans qui « vous les ont enlevées, et nous n'avons fait qu'y sub- « stituer les nôtres , en vous égalant en tout à nous. » inO HISTOIRE ANCIENNE. Adressant ensuite son discours à Appius : « Je ne « puis dissimuler , lui dit-il , que le discours que j'ai « tenu jusqu'ici n'est point d'alliés à alliés, ni d'une na- « tion libre , mais d'esclaves qui parlent à leur maître ; « car enfin, si la voix du héraut qui avant tous les au- « très nous a déclarés libres n'a point été une vaine « cérémonie , si le traité conclu pour-lors est solide et « réel , si vous voulez conserver avec nous de bonne «foi l'alliance et l'amitié, sur quoi donc est fondée « cette distance infinie que vous mettez entre vous (c Romains et nous Achéens ? Je ne m'informe point du c( traitement que vous avez fait à Capoue après l'avoir « prise: pourquoi vous informez-vous de celui que nous « avons fait aux Lacédémoniens après les avoir vain- «cus? On en a tué quelques-uns: je suppose que ce « soit nous. Eh quoi ! n'avez-vous pas fait mourir sous « la hache les sénateurs campaniens ? Nous avons dé- « moli les murs de Sparte : mais vous , ce n'est pas a seulenîent leurs murs que vous avez ôtés aux Cam- «paniens, c'est leur ville et leurs terres. A cela, je ce sens bien que vous me direz que l'égalité exprimée « par les traités entre les Romains et les Achéens n'est «qu'apparente, et seulement de style; que réellement « nous n'avons qu'une liberté précaire et empruntée, « au lieu que L'empire et l'autorité est chez les Romains. « Je ne le sens que trop, Appius. Mais, puisqu'il faut « le souffrir, je vous prie au moins, quelque différence « que vous vouliez établir entre vous et nous , que « vous ne mettiez pas de niveau vos ennemis et les «nôtres avec nous qui sommes vos alliés, et même « que vous ne leur fassiez pas un meilleur parti qu'à « nous. Ils veulent qu'en nous parjurant nous cassions SUCCESSEURS d'aLEXANDRE. i5i « et annulions tout ce que nous avons ordonné avec «serment, et que nous révoquions ce ([ui, étant in- « scrit clans nos registres et gravé sur le niarbn; pour « en conserver éternellement la mémoire, est devenu « un monument sacré auquel il ne nous est plus per- te mis de toucher. Nous vous respectons, Romains, et, «si vous le voulez, nous vous craignons aussi: mais « nous faisons gloire de respecter et de craindre encore « plus les dieux immortels, w Le plus grand nombre applaudit à ce discours , et tous convinrent qu'il avait véritablement parlé en ma- gistrat ; de sorte qu'il fallait, ou que les Romains agis- sent avec vigueur, ou qu'ils se résolussent à perdre leur autorité. Appius, sans entrer dans aucune discus- sion, leur conseilla, pendant qu'ils étaient encore li- bres et n'avaient point reçu d'ordres, de se faiie un mérite auprès du peuple romain en ordonnant d'eux- mêmes ce qui pourrait dans la suite leur être enjoint. Cette parole les affligea, mais leur apprit à ne pas s'opiniâtrer dans le refus d'exécuter ce qu'on souhaitait d'eux. Ils se restreignirent à demander que les Ro- mains décernassent à l'égard de Lacédémone tout ce qu'il leur plairait, mais qu'on n'obligeât pas les Achéens à violer la religion du serment en cassant eux-mêmes leur décret. Pour ce qui regarde le jugement porté ré- cemment contre Arée et Alcibiade , il fut abrogé sur- le-champ. Rome prononça l'année suivante. Les principaux Liv. lii). 3^, articles de l'ordonnance furent : que ceux que les ,\chéens avaient condamnés seraient rétablis ; (jue tous les jugements qui regardaient cette affaire se- raient cassés ; que Sparte demeurerait unie à la 132 HISTOIRE ANCIENNE. ligue des Achéens. Pausanias ajoute un article , dont Tite-Live ne parle point, qui est que l'on rebâtirait les murs qui avaient été détruits. Q. Marcius fut nommé commissaire pour aller régler les affaires de la Macédoine et celles du Péloponnèse , où il y avait beaucoup de troubles, sur-tout entre les Achéens d'un côté, et les Messéniens et les Lacédémoniens de l'au- tre. Ils avaient tous envoyé des ambassadeurs à Rome. Il paraît que le sénat ne se mettait pas fort en peine de mettre fin à leurs disputes. Il répondit aux Lacédé- moniens que le peuple romain ne voulait plus désor- mais se mêler de leurs affaires. Les Achéens deman- daient que le peuple romain leur fournît du secours contre les Messéniens, conformément au traité; ou que du moins il ne permît pas qu'on envoyât d'Italie aux Messéniens des armes ou des vivres. On leur ré- pondit que, si quelques villes se retiraient de la ligue des Achéens, le sénat ne croyait point devoir entrer dans ces disputes ; ce qui était ouvrir une porte à des ruptures et à des divisions , et même en quelque sorte les autoriser. On reconnaît dans ces procédés la politique jalouse et artificieuse des Romains, qui ne tendait qu'à af- faiblir Philippe et les Achéens qui leur faisaient om- brage, et couvrait leurs desseins ambitieux du prétexte de secourir les faibles opprimés. % SllCCKSSi;i) us d' ALEX ANUKK. I 5.^ î!^ X. Pldlopénieii attaque Messène. Il est pris par les Messéniens et mis à mort: Messène se rend aux Achèens. Célèbre convoi de Philopémen , dont les cendres sont portées à Mégalopolis. Suite de V affaire des bannis de Sparte. Mort de Ptolémée Epiphane. P/iilométor son fils lui succède. Dinocrate le Messénieii , ennemi particulier de Phi- an.M3,S2i. lopémen, avait détaché Messène de la ligue des Achéens, Lhj/ii^.'sJ; et songeait à s'emparer d'un poste considérable près de pj^^*^ cette ville , nommé Corone. Philopémen, aeé pour-lors '"^'''''''i! de soixante et dix ans, et général des Achéens pour ''«ly^- "> la huitième fois, était actuellement malade. Dès qu'il cap. 52,53. eut appris cette nouvelle , il partit malgré son incom- modité , fît une marche forcée , et s'avança vers Mes- sène avec un escadron peu nombreux, mais composé de l'élite des jeunes gens de Mégaiopolis. Dinocrate , qui était venu à sa rencontre , fut d'abord enfoncé et mis en fuite : mais , cinq cents chevaux qui gardaient le plat pays de Messène étant survenus et l'ayant ren- forcé, il tourna visage, et mit à son tour Philopémen en déroute. Celui-ci , uniquement attentif à sauver les jeunes gens qui l'avaient suivi, fit des actions extraor- dinaires de courage : mais, étant tombé de son che- val, et sa chute l'ayant blessé considérablement à la tête , il fut pris par les ennemis , qui le menèrent à Messène. Plutarque regarde ce malheur de Philopé- men comme la punition d'une parole téméraire et ar- rogante qui lui était échappée à l'occasion des louanges que l'on donnait à un général. Comment, à\l-\\,pcul-on l54 HISTOIRE ANCIENNE. faire cas cVwi homme qui , les armes h la main , s'est laissé prendre en vie par les ennemis ? A la première nouvelle qui fut portée à Messène qu'il était pris et qu'on l'amenait , les Messéniens fu- rent si transportés de joie , qu'ils coururent tous aux portes de la ville, ne pouvant croire que ce qu'on leur annonçait fut vrai , s'ils ne le voyaient de leurs yeux , tant cet événement leur paraissait hors de toute vrai- semblance. Pour satisfaire l'avide curiosité des habi- tants, dont plusieurs n'avaient pu venir à bout de le voir , il fallut produire l'illustre prisonnier sur le théâ- tre , oii la multitude s'était rendue en foule. Quand ils virent Philopémen qu'on traînait lié et garrotté, la plu- part en furent touchés de compassion jusqu'à verser des larmes. Il se répandit même parmi le peuple un bruit sourd qui partait d'un fonds d'humanité et de reconnaissance bien louable, «Qu'on devait se souve- « nir des bienfaits qu'on avait reçus de lui, et de la a liberté qu'il avait conservée à l'Achaïe en chassant « le tyran Nabis. ji Les magistrats ne le laissèrent pas long-temps en spectacle , craignant les suites de l'at- tendrissement qu'ils remarquaient dans le peuple. Ils l'enlevèrent brusquement , et , après avoir tenu con- seil entre eux , ils le firent conduire dans un lieu ap- pelé le Trésor. C'était un caveau sous terre, qui ne recevait aucun air ni aucun jour du dehors, et qui n'avait point de porte , mais qui se bouchait avec une grosse pierre qu'on roulait à l'entrée. Ils l'enfermèrent dans ce caveau, et mirent des soldats tout autour pour-^ le garder. Dès que la nuit fut venue , et que le peuple se fut retiré, Dinocrate ouvrit la prison, et y fit descendre SUCCESSEURS D ALEXANDRE. l55 l'exécuteur pour porter le poison à Philopémen, avec ordre de se tenir là jusqu'à ce qu'il l'eût avalé. Dès qu'il vit de la lumière , et cet homme près de lui te- nant sa lampe d'une main et la coupe de poison de l'autre, il se releva avec peine à cause de sa grande faiblesse, se mit en son séant, et, prenant la coupe, il deujanda à l'exécuteur s'il n'avait rien entendu dire de ses cavaliers, et sur-tout de Lycortas. L'exécuteur lui dit qu'il avait oui dire qu'ils s'étaient presque tous sauvés. Philopémen le remercia d'un signe de tête , et, le regardant avec douceur, Ta me donnes la une bonne nouvelle, lui dit-il. Nous ne sommes donc pas tout - à -Jait malheureux. Et, sans faire la moindre plainte, il prit le poison, et se recoucha sur son man- teau. Le poison fît bientôt son effet : car il était si abattu et si faible, qu'il fut éteint dans un moment. Quand le bruit de sa mort fut répandu parmi les Achéens , toutes leurs villes furent plongées dans un deuil et dans un abattement qu'on ne peut exprimer : et aussitôt tous leurs jeunes gens qui étaient en âge de porter les armes , et tous leurs magistrats , se rendi- rent à Mégalopolis. Là , dans un grand conseil qui fut tenu, on résolut de ne pas diff^i-er un seul moment la vengeance de cet horrible attentat; et ayant élu sur l'heure même Lycortas pour leur général, ils se jetèrent dans la INIessénie , où ils mirent tout à feu et à sang. Les Messéniens, se voyant sans ressource, et hors d'é- tat de se défendre par les armes, députèrent vers les Achéens pour finir la guerre et demander pardon de leurs fautes passées. Lycortas, touché de leurs prières, ne crut pas devoir les rebuter, comme leur révolte insensée et furieuse semblait le mériter. I! leur dit que J 56 UISTOIIIE ANCIENNE. Tunique moyen d'obtenir la paix était de livrer les au- teurs de la rébellion et de la mort de Philopémen , de remettre tous leurs intérêts à la disposition des x^chéens, et de recevoir garnison dans la citadelle. Ces condi- tions furent acceptées et exécutées sur-le-champ. Di- nocrate , prévenant le supplice qu'il méritait , se tua lui-même , et tous ceux qui avaient été d'avis de faire mourir Philopémen suivirent son exemple. Lycortas se fit livrer ceux qui avaient conseillé de tourmenter Philopémen. Ce furent eux sans doute qui furent lapi- dés autour de son tombeau , comme nous le verrons bientôt. Alors on songea aux obsèques de Philopémen. Après qu'on eut brûlé son corps, qu'on eut ramassé ses cendres et qu'on les eut mises dans une urne , on se mit en marche pour les porter à Mégalopolis. Cette cérémonie ressemblait moins à un convoi funèbre qu'à une sorte de pompe triomphale; ou plutôt c'était un mélange de l'un et de l'autre. On voyait d'abord les gens de pied , la tête ceinte de couronnes , et tous fon- dant en larmes; suivaient les prisonniers Messéniens chargés de chaînes; puis le fils du général, le jeune Polybe % portant dfins ses mains l'urne couverte de rubans et de couronnes, et accompagné des plus no- bles et des plus considérables d'entre les Achéens : l'urne était suivie de toute la cavalerie, magnifique- ment armée et montée superbement, qui fermait la marche , sans donner ni de grandes marques d'abatte- ment pour un si grand deuil, ni de grands signes de joie pour une telle victoire. Tous les peuples des villes et des villages des environs venaient au-devant de ce ' C'est Polybe Ihlstoiien , qui pouvait avoir alors vingt-deux ans. SUCCKSSEURS d' A LTX A N DU K . I 57 convoi, comme pour l'honorer au retoui- d'une victoire. Philopémen fut enterré très-honorablement, et les pri- sonniers de Messène furent lapidés autour de son tom- beau. Toutes les villes, par des décrets publics, lui décernèrent tous les plus grands honneurs , et lui érigèrent plusieurs statues avec de magnifiques in- scriptions. Plusieurs aunées après', dans le temps que Corin- the fut brûlée et détruite par le proconsul Mummius , un caJomniateur romain, comme je l'ai déjà rapporté ailleurs, fit tous ses efforts pour les faire abattre, et le poursuivit lui-même criminellement comme s'il eét été en vie, l'accusant d'avoir été l'ennemi des Romains, et de s'être montré toujours malintentionné pour eux en toute occasion. L'affaire fut portée au conseil de- vant Mummius. Le calomniateur étala tous les chefs d'accusation et expliqua tous ses moyens. Polybe lui répondit, et le réfuta avec beaucoup de force et d'élo- quence : on doit bien regretter la perte d'un discours si intéressant. Ni Mummius , ni son conseil , ne vou- lurent ordonner qu'on détruisît les monuments de la gloire de ce grand homme, quoiqu'il se fût opposé comme une digue aux prospérités des Romains : car les Romains de ce temps-là, dit Plutarque, mettaient de la différence entre la vertu et l'intérêt, comme il convient de le faire; ils distinguaient le beau et l'hon- nête de l'utile , et ils étaient persuadés que les gens de bien doivent honorer et respecter la mémoire des grands hommes qui se sont rendus recommandables par leur vertu, eussent-ils été leurs ennemis. Tite-Live remarque que les écrivains, tant grecs ' Trente-sept ans. l58 HISTOIRE ANCIENNE. que latins, ont fait observer la mort de trois grands hommes arrivée la même année, ou à peu près; ce sont Philopémen, Annibal, Scipion : mettant par là Philopémen en parallèle et comme de niveau avec les deux plus célèbres capitaines des deux nations les plus puissantes du monde. Je crois avoir ailleurs assez marqué son caractère ; je me contente ici de faire ressouvenir le lecteur de ce que j'ai déjà dit, que Philopémen a été appelé le dernier des Grecs , comme Brutus le dernier des Romains. IjCS Messéniens, qui par leur imprudence étaient tombés dans Tétat le plus déplorable, furent, par la générosité de Lycortas et des Achéens, réunis à la ligue , dont ils s'étaient séparés. Plusieurs autres villes , qui , à leur exemple , s'en étaient détachées , y rentrè- rent aussi. C'est le bon effet que produit ordinaire- ment un acte de clémence placé à propos ; au lieu qu'une sévérité outrée et excessive , qui ne respire que punition et vengeance, porte souvent au désespoir, et ne sert qu'à aigrir les maux , loin d'y apporter du remède. Quand on apprit à Rome que les Achéens avaient heureusement terminé la guerre qu'ils avaient avec les Messéniens, on n'y tint plus aux ambassadeurs le même langage qu'on leur avait tenu avant le succès. Le sénat leur dit qu'il avait été attentif à prendre garde que personne ne portât d'Italie à Messène ni armes ni vivres ; réponse qui découvre le peu de bonne foi des Romains, et leur politique peu délicate sur ce qui regarde la sincérité. Ils avaient d'abord semblé vouloir donner le signal de la révolte à toutes les villes de la ligue achéenne ; et maintenant ils veulent SUCCESSEURS d' A. LEX ANDR E. 1 Sq faire croire aux Acliécns qu'ils ont clierché à les servir. Il est aisé de voir ici que le sénat romain consentit à ce qui avait été fait, parce qu'il ne pouvait l'empê- cher; qu'il voulut s'en faire un mérite auprès des Achécns, qui réunissaient presque toutes les forces du Péloponnèse ; qu'il évitait d'indisposer cette ligue et de l'irriter dans un temps où il ne pouvait point compter sur Philippe, où l^s Etoliens étaient mécontents, et où Antiochus pouvait, en se joignant à eux, former quelque entreprise qui jetterait Rome dans l'embarras. J'ai rapporté, dans l'histoire des Carthaginois, la Liv. lib. 39, mort d'Annibal. Au sortir de la cour d' Antiochus, il Cornei^Nei). s'était retiré chez Prusias , roi de Bithynie, qui était caïA^ri^à pour-lors en guerre avec Eumène, roi de Pergame. J"stiu'-32, Annibal ne lui fut pas d'un médiocre secours; on se préparait à un combat naval, où la flotte d'Eumène était beaucoup plus nombreuse que celle de Bithynie. Annibal substitua la ruse à la force. Il avait ramassé un grand nombre de serpents venimeux, et en avait rempli des vaisseaux de terre; au moment du combat il ordonna aux officiers et aux équipages de n'attaquer que la galère d'Eumène, et il leur donna un signal pour la connaître, et de se contenter de jeter leurs pots de terre dans les autres galères. On ne fit qu'en rire d'abord, et l'on ne voyait pas à quelle fin pou- vaient servir ces pots de terre; mais quand on vit les galères pleines de serpents, les soldats et les rameurs, occupés uniquement à s'en préserver, ne songèrent plus à l'ennemi. Cependant la galère du roi fut atta- quée vivement, peu s'en fallut qu'elle ne fut prise, et le roi eut bien de la peine à se sauver. Annibal fit l6o HISTOIRE ANCIENNE. remporter aussi à Prusias d'autres victoires sur terre. Un jour que ce prince n'osait pas donner un combat, parce que les victimes n'annonçaient rien de bon , Quoi^l dit -il , vous comptez plus sur le foie d'une bête que sur le conseil cl' AnnibaU Pour ne point tomber entre les mains des Romains, qui firent demander à Prusias de le leur livrer, il fut obligé de se donner la mort à lui-même en avalant du poison, an.m.38?2. J'ai marqué ci-devant que Rome, entre plusieurs au- Av.J.C. 182. ., -iii' Ot ... V, Poiyb. très articles, avait statue que iSparte serait jointe a la l'e^ Im^ti. ligue des Achéens. Quand les ambassadeurs furent re- venus, et qu'ils eurent rendu compte de ce que le sé- nat leur avait répondu, Lycortas assembla le peuple à Sicyone, et ^ mit en délibération si l'on recevrait Sparte dans la ligue des Achéens. Pour porter la mul- titude à l'y recevoir, il représenta que les Romains, à la disposition desquels on avait abandonné cette ville, ne voulaient plus en être chargés ; qu'ils avaient déclaré aux ambassadeurs que cette affaire ne les regardait pas: que ceux qui dans Sparte étaient à la tête des affaires souhaitaient fort cette union , qui ne pouvait être que d'une grande utilité à la ligue achéenne , vu que les anciens bannis , dont ils avaient éprouvé l'ingratitude et l'impiété, n'y seraient point compris, mais seraient chassés de la ville , et d'autres citoyens substitués à leur place. Diophane et quelques autres particuliers prirent la défense des bannis ; mais , malgré leur op- position , le conseil décida que Sparte serait reçue dans ' «An tu, iiiquit, vitulinae ca- gloriam suain postponi, leqiio ;ini- lunculae , qiiàin imperatori veteri ino non tulit. >■ ( Val. Max. llb. 3, mavis credeie ! Unius hostiêe jeci- cap. 7.) nori longo experimento testatam SUCCFSSELRS D A l.T- X V M) R I- . \C,\ la lisueict en ofFet elle v fut reçue. A Tégarfl (lt>s aii- eiens bannis, on ne fit graee qu'à ceux qu'on ne pou- vait convaincre d'avoir rien entrepris conire la r(''|Mi- blique des Achéens. Quand l'affaire fut finie, on envova des ambassadeurs à Rome au nom de toutes les parties intéressées. I.e sénat , après avoir entendu ceux de Sparte et ceux des bannis , ne dit rien aux ambassadeurs de la ville, (pii marquai (jue l'on fût ujécontent de ce qui s'était j)assé. Pour» ceux qui étaient nouvellement exilés, on leur promit qu'on écrirait aux Acbéens de leur permettre de re- tourner dans leur patrie. Quelques jours après, Bippe, député des Achéens, étant arrivé à Rome, fut intro- duit dans le sénat , et y rapporta de quelle manière les Messéniens avaient été rétablis dans leur premier état ; et non-seulement on ne désapprouva rien de ce qu'il avait dit, mais on lui fit encore beaucoup d'hon- neurs et d'amitiés. T^es exilés de Lacédémone ne furent pas plus tôt re- an.m.3823, venus de Rome dans le Péloponnèse, qu'ils remirent Poi,i,^ aux Acbéens les lettres qu'ils avaient reçues pour eux '"^xcerpt. 1 5 r leg. oaj). 5.(. de la part du sénat , et par lesquelles on les exhortait à rétablir les exilés dans leur patrie. On leur répondit qu'on attendrait à délibérer sur ces lettres que les am- bassadeurs des Achéens fussent de retour de Rome. Bippe en arriva peu de jours après, et rapporta que, quand le sénat avait écrit en faveur des exilés, c'était moins parce qu'il avait leur rétablissement à cœur que pour se délivrer de leurs importunités. Sur cette assurance, les Achéens jugèrent qu'il ne fallait rien changer à ce qui avait été réglé. Tnntf f'IlT. Hist. anc. ] J 102 HISTOIRE ANCIEiVNE. An.m.3824 Hyperbate, ayant été choisi général des \cliéens, ^'^Poij^'b.^'' mit de nouveau en délibération dans le conseil si l'on inExcerpt^ aurait égard aux lettres que le sénat avait écrites au sujet du rétablissement de ceux qui avaient été chassés de- Lacédémone. Le sentiment de Lycortas fut que sur cela l'on devait s'en tenir à ce qui avait été arrêté. « Quand les Romains , dit-il , écoutent favorablement « les plaintes et les demandes des malheureux qui leur « paraissent justes et raisonnables, ils font en cela ce c( qu'il leur convient de faire; mais lorsqu'on leur repré- « sente qu'entre les grâces qu'on veut obtenir d'eux les « unes passent leur pouvoir, que les autres feraient dés- « honneur et un tort considérable à leurs alliés, ce n'est « pas leur coutume de s'opiniâtrer et de forcer ces alliés « à leur obéir : c'est aujourd'hui le cas oii nous sommes. « Faisons connaître aux Romains que nous ne pouvons « exécuter leurs ordres sans violer nos serments , sans « aller contre les lois sur lesquelles notre ligue est éta- « blie; ils se relâcheront sans doute, et conviendront « que c'est avec juste raison que nous nous défendons « de nous soumettre à ce qu'ils nous ordonnent. » Hyperbate et Callicrate furent d'un avis contraire. Se- lon eux il fallait obéir, et il n'y avait ni loi, ni serment, ni traité, qu'on ne dût sacrifier à la volonté des Ro- mains. Dans ce partage de sentiments, il fut résolu qu'on députerait au sénat pour lui représenter les rai- sons que Lycortas avait exposées dans le conseil. Les ambassadeurs furent Callicrate , Lysiade et Aratus. On leur donna des instructions conformes à ce qui avait été délibéré. Quand ces ambassadeurs furent arrivés à Rome, Callicrate, introduit dans le sénat, fit tout le contraire si;cci-ssi:ir Hs o' a lfx \ ndu li. i(j;-J de ce qui lui avait été ordonné. Non-seulement il eut l'audace de blâmer ceux qui ne pensaient pas comme lui, mais il se doima encore la lil)erté d'avertir le sé- nat de ce qu'il devait faire. « Si les Grecs, dit-il en « s'adrcssant aux sénateurs , ne vous obéissent pas , si « l'on n'a égard cbez eux ni aux lettres ni aux ordres « que vous leur envoyez , c'est à vous seuls que vous « devez vous en prendre. Dans toutes les républiques « il y a maintenant deux partis, dont l'un soutient (jue K l'on doit se soumettre à ce que vous ordonnez, el « que les lois, les traités, tout, en un mot, doit plier « sous votre bon plaisir ; l'autre prétend que les lois , les « traités, les serments doivent l'emporter sur votre volon- ■( té , et ne cesse d'exliorter le peuple à s'y tenir inviola- « blement attaché. De ces deux partis le dernier est le «plus du goût des Acliéens, et a le plus de pouvoir « parmi la multitude : qu'arrlve-t-il de là? que ceux qui u se rangent de votre côté sont en horreur chez le peu- « pie, et que ceux qui vous résistent sont honorés et « applaudis. Au lieu que , pour peu que le sénat voulût « bien se déclarer pour ceux qui prennent à cœur ses « intérêts, bientôt tous les chefs des républiques se- u raient pour les Romains, et le peuple intimidé ne « tarderait pas à suivre leur exemple. Mais si vous pa- « raissez indifférents sur ce point, attendez- vous que « tous ces chefs prendront le parti de se déclarer con- « tre vous , comme une voie sûre de se faire considérer fut, depuis, une maxime constante de la politique romaine, d'accabler par toutes sortes de voies quicon- que osait s'opposer à leurs projets ambitieux. Et cette seule maxime peut nous servir de clef pour entrer dans l'intérieur du gouvernement de cette république , pour nous en découvrir les ressorts secrets, et pour nous faire connaître ce que nous devons penser d'ime pré- tendue équité et modération qu'ils font quelquefois pa- raître, mais (jui ne se soutient pas long -temps, et dont on ne peut bien juger que par les suites. Au reste, le sénat ne se contenta pas, pour rétablir les exilés, d'écrire aux Acbéens; il écrivit encore aux Etoliens, aux Epirotes, aux Athéniens, aux Béotiens, aux Acarnaniens, comme voulant soulever tous les peu- ples contre les Achéens. Et, dans la réponse qu'il (It aux ambassadeurs, san^ dire un seul mot des autres, il ne parla que de t'allicrate, auquel il serait à sou- l66 HISTOIRi: ANCIENNE. haiter, dit le sénat, que tous les magistrats dans clia- que ville ressemblassent. Avec cette réponse, ce député revint triomphant, sans considérer qu'il était la cause des malheurs qui allaient fondre sur toute la Grèce, et en particulier sur l'Achaïe ; car jusqu'à lui on voyait une sorte d'égalité entre les Achéens et les Romains, agréée par ceux-ci en reconnaissance des services considérables que les Achéens leur avaient rendus, et de leur fidélité invio- lable dans des temps très-difficiles, comme dans les guerres contre Philippe et contre Antiochus. Cette ligue se distinguait alors d'une manière particulière par son crédit, ses forces, son zèle pour la liberté, et sur-tout par le mérite et la réputation de ses chefs. Mais la trahison de Callicrate , car on peut bien l'appe- ler ainsi, lui porta une atteinte mortelle. Les Romains, dit Polybe, nobles dans leurs sentiments, et pleins d'humanité, sont sensibles aux plaintes des malheu- reux, et se font un devoir de soulager ceux qui ont recours à leur protection; c'est ce qui les disposait à favoriser la cause des bannis de Lacédémone. Mais si quelqu'un , de la fidélité duquel ils sont sûrs, les avertit des inconvénients où ils tomberaient en accordant cer- taines grâces, ils reviennent bientôt à eux pour l'or- dinaire, et réforment autant qu'ils peuvent ce qu'ils ont fait. Ici , au contraire , Callicrate ne cherche qu'à les flatter. Il avait été envoyé à Rome pour plaider la cause des Achéens; et, par une prévarication criminelle et sans exemple , il parle uniquement contre eux , et devient l'avocat de leurs ennemis , par lesquels il s'était laissé corrompre. De retour en Achaïe, il sut si bien y répandre la terreur du nom romain , et intimida tel- SUCCESSEURS I)' A LEX A N DUE. 1G7 lement le peuple, qu'il se fit choisir pour capitaine-gé- ral. Il n'eut pas plus tôt cette dignité , qu'il rétablit dans leur patrie les exilés de Ijaeédéuione et de Messène. Polybe loue fort ici l'humanité des Romains, leur sensibilité aux plaintes des malheureux , et leur promp- titude à réparer les injustices qu'ils ont pu eonnnettre, quand on les leur fait connaître. Je ne sais s'il ny a pas beaucoup à rabattre de ces louanges qu'il leur donne. Il faut se souvenir qu'il écrit à Rome, sous les yeux des Romains, et après que la Grèce est réduite en ser- vitude. On ne doit pas attendre d'un historien dépen- dant et soumis une véracité telle qu'il aurait pu l'avoir dans un état et dans des temps libres; et l'on ne doit p;is aussi se prêter avec une crédulité aveugle à tout ce ([u'il avance de cette sorte : les faits parlent plus haut et plus clairement que lui. Les Romains ne se pres- saient pas de faire eux-mêmes l'injustice, quand ils pouvaient employer pour cela un ministère étranger f[ui leur procurait le même avantage et servait de voile à leur injuste politique. Eumène cependant était en guerre contre Pharnace , An.m.3822. , . . TA 1 ^. -Il Av.J.C.i82. roi du Pont. Celui-ci se rendit maître de Sinope, ville poiyb. in du Pont, très-forte, dont ses successeurs demeurèrent capt^-sIE toujours en possession après lui. Plusieurs villes en por- ''^'^ tèrent leurs plaintes à Rome. Ariarathe, roi de Cappa- doce , V envoya aussi ses ambassadeurs : il était uni d'intérêts avec Eumène. Le peuple romain employa à diverses reprises sa médiation et son autorité pour faire cesser entre eux les sujets de guerre : mais Pharnace agissait de mauvaise foi , et manquait à toutes les pa- roles qu'il donnait. Malgré la foi des traités, il mit ses années en campagne. T^es rois alliés y opposèrent les lt)8 HISTOIRE ANCiE!S2î'E. Av."j!c^i8o. l*^Li*'^- il } *^Lit quelques entreprises de part et d'autre. Quelques années s'étant ainsi écoulées, le traité de paix fut enfin conclu. Jamais les ambassades ne furent plus fréquentes que dans le temps dont nous parlons. On ne voyait de toutes parts qu'ambassadeurs , soit des provinces à Rome, soit de Rome aux provinces, soit des alliés et Poiyh. cJes peuples entre eux. Les Achéens envoyèrent en cette m txcerpt. * ' , -; leg. cap. 5;. qualité, vers Ptolénjée Epiphane roi d'Egypte, Lvcor- tas , Polybe son fils , et le jeune Aratus , pour le re- mercier des présents qu'il avait déjà faits à leur répu- blique, et des offres nouvelles qu'il y avait ajoutées. Mais cette ambassade ne sortit pas de l'Achaïe, parce que, lorsqu'elle se disposait à partir, on apprit la mort de Ptolémée. Av^c^iSo ^^ prince, après avoir soumis les rebelles au-dedans Hieron. in de SOU royaumc comme je lai marqué auparavant, conçut le dessein d'attaquer Séleucus, roi de Syrie. Lorsqu'il commençait à se former un plan de cette guerre, un de ses principaux officiers lui demanda oii il prendrait de l'argent pour l'exécuter : il répondit que ses amis étaient son argent. Les principaux de sa cour conclurent de cette réponse que , regardant leur bourse comme le seul fonds qu'il avait pour cette guerre, ils allaient tous être ruinés. Pour prévenir ce malheur, auquel ils étaient plus sensibles qu'à leur devoir, ils fi- rent empoisonner le roi , et terminèrent en même temps son projet et sa vie, après qu'il eut régné vingt-quatre ans, et vécu vingt-neuf. Ptolémée Pliilométor, son fils, âgé de six ans, lui succéda. Cléopatre, sa mère, fut dé- clarée régente. SLCCESSKl JîS I) A l.t X A^ UHE. 169 ARTICLE 11. Cet article second renferme l'espace de vingt an- nées, depuis l'an du inonde 382 1 jusqu'à 384o. Dans cet espace sont comprises : Les vingt premières années du règne de Ptolémée Philométor en Egypte, qui en régna en tout trente- quatre ; Les cinq dernières de Philippe, (jui régna en Macé- doine pendant quarante ans, et qui eut pour succes- seur Persée, qui en régna onze; Les huit ou neuf dernières années du règne de Sé- leucus Philopator en Syrie, et les onze du règne d'An- tiochus Epiphane,qui lui succéda, et qui exerça d'hor- ribles cruautés contre les Juifs. On réserve les onze années du règne de Persée en Macédoine pour le livre suivant , quoiqu'elles concou- rent avec une partie de l'histoire rapportée dans cet article. 170 ÏIISTOIRE ANCIENNE. ^ I. Plaintes contre Philippe portées à Rome. Dé- métrius , sonjils, qui y était ^ est renvoyé vers son père avec des ambassadeurs . Complot secret de Persée contre son frère Démétrius au sujet de la succession au trône. Il l'accuse devant Philippe. Plaidoyer de F un et de l'autre. Philippe, sur une nouvelle accusation , fait mourir Démétrius. Il re- connaît, quelque temps après, son innocence , et le crime de Persée. Dans le temps quil songeait à punir celui-ci, il meurt. Persée lui succède. An. M. 3821. Depuis quc le bruit s'était répandu chez les peuples Li^v. iuj/si,! voisins de la Macédoine que ceux qui allaient à Rome "■^'^''^'" se plaindre de Philippe y étaient écoutés, et que plu- sieurs s'étaient bien trouvés de l'avoir fait , grand nom- bre de villes, et même de particuliers, y portèrent leurs plaintes contre un prince dont le voisinage leur était fort à charge à tous, dans l'espérance, ou d'être effectivement soulagés des torts qu'ils prétendaient avoir reçus, ou du moins de s'en consoler en quelque sorte par la liberté qu'ils auraient de les déplorer. Le roi Eumène, entre autres, h qui, par l'ordre des commis- saires romains et du sénat, les places de Thrace de- vaient être remises, envoya des ambassadeurs, à la tête desquels était son frère Athénée , pour donner avis au sénat que Philippe ne retirait point ses garnisons de la Thrace comme il avait promis de le faire, et pour se plaindre de ce qu'il avait envoyé du secours eu Bithynie , à Prusias , qui faisait la guerre à Eumène. Démétrius, fils de Philippe, roi de Macédoine, était actuellement à Rome, où nous avons vu que son père SUCCESSKUIIS I) ALIX VNDRK. I 7 I lavait envoyé pour veiller îi ses intérêts. C'était à lui iiaUuellenicnt à réponthi" en détail aux divers chefs (raccusation formés contre son père. Le sénat , jugeant bien que ce serait un grand embarras pour un jeune prince qui n'était point accoutumé à parler en pu- blie, pour lui épargner cette peine lui fit demander si le roi son père ne lui avait point donné quelques mémoires , et se contenta de lui en entendre faire la lecture. Philippe s'y justifiait le mieux qu'il lui était possible sur la plupart des faits qu'on lui objectait; mais il faisait sentir sur-tout combien il était mécon- tent des décrets portés à son sujet par les commissaires ([ue Rome avait nommés , et de la manière dont il avait été traité. Le sénat comprit aisément où tout cela ten- dait ; et comme le jeune prince tâchait d'excuser cer- taines choses , et pour d'autres assurait que tout se fe- rait selon le bon plaisir de Rome, le sénat lui répondit que Philippe, son père, n'avait pu rien faire de plus sage, ni qui fût plus agréable au sénat, que d'envoyer Démétrius, son fils, à Rome, pour faire son apologie : que, par rapport au passé, le sénat pouvait dissimu- ler, oublier, et souffrir beaucoup de choses; que pour l'avenir il se fiait aux paroles que donnait Démétrius : que, quoiqu'il fût près de quitter Rome pour retour- ner en Macédoine, il y laissait pour otage de ses dis- positions son bon cœur et son attachement pour Rome , ([u'il saurait conserver inviolablement sans donner ja- mais d'atteinte au respect qu'il devait à son père; que, par considération pour lui , on enverrait des ambassa- deurs en Macédoine pour rectifier sans bruit et sans éclat ce qui jusque-là aurait pu être fait contre les rè- gles : qu'au reste le sénat était bien aise que Philippe n. 53. 172 HISTOIRE AlVCIENiN£. sentît qu il était redevable à son fils Démétrius de la manière dont le peuple romain agissait à son égard. Ces marques de considération, que le sénat lui donnait pour relever son crédit auprès de son père , ne servirent qu'à exciter contre lui Tenvie , et causèrent dans la suite sa perte. Lit. lib. 39, Le retour de Démétrius en Macédoine, et l'arrivée des ambassadeurs, y produisirent différents effets, sto- lon la différente disposition des esprits. Le peuple , qui craignait extrêmement les suites de la rupture avec les Romains et de la guerre qui se préparait, voyait d'un bon œil Démétrius , dans l'espérance qu'il serait le con- ciliateur et l'auteur de la paix. D'ailleurs il le regar- dait comme celui qui devait monter sur le trône après la mort de son père; car, quoique pour l'âge il fût le cadet , il avait cet avantage sur son frère d'être né d'une mère qui était femme légitime de Philippe , au lieu que Persée était né d'une concubine et passait même pour avoir été supposé. On ne doutait point non plus que les Romains ne dusssent placer Démétrius sur le trône • de son père , Persée n'ayant aucun crédit auprès d'eux. C'étaient là les bruits communs. Aussi, d'un côté, Persée avait-il beaucoup d'inquié- tude, craignant que l'avantage de l'âge ne fût pour lui un faible titre , son frère lui étant supérieur dans tout le reste; et, de l'autre, Philippe , jugeant bien qu'il ne serait pas maître de disposer du trône à son gré, re- gardait d'un œil jaloux et redoutait le trop grand cré- dit de son jeune fils. Il voyait aussi avec peine se for- mer de son vivant même, et sous ses yeux, comme une seconde cour , par l'affluence et le concours des Macédoniens chez Démétrius. Le jeune prince lui-même SUCCESSEURS I)' A I. EX A :V D R F. ll"^ n'était point assez attentif à prévenir ou à guérir l'in- disposition des esprits. Au lieu de tâcher d'amortir l'en- vie par des manières douces, modestes, complaisantes, il ne faisait que l'aigrir et l'irriter par un certain air de fierté qu'il avait rapporté de Rome, faisant valoir les marques de distinction ([u'il v avait rerues, et ne dissinudant point que le sénat lui avait accordé plu- sieurs choses qu'il avait auparavant refusées à son père. Le mécontentement de Philippe augmenta encore heaucoup à l'arrivée des nouveaux ambassadeurs, aux- (juels son fils faisait plus régulièrement sa cour (ju'à lui- même, et lorsqu'il se vit obligé d'abandonner la Thrace, d'en retirer ses garnisons , et de faire d'autres choses conformément aux décrets des premiers commissaires , ou sur les nouveaux ordres qui lui étaient venus de Rome : ordres et décrets qu'il n'exécutait que malgré lui , et frémissant en lui-même de colère; mais qu'il v exécutait pour ne pas s'attirer sur les bras une guerre à laquelle il ne s'était pas encore assez préparé. Pour ôter même tout soupçon qu'il y songeât , il porta ses armes jusque dans le milieu de la ïhrace contr(> des peuples auxquels Içs Romains ne prenaient aucun in- térêt. '" Mais ses dispositions n'était pas inconnues à Rome. Liv. Hb. 4o, . . . . . . , "• ^"''• Marcius , un des commissaires qui avaient signifie à Philippe les ordres du sénat , écrivit que tous les dis- cours et toutes les démarches du roi annonçaient une guerre prochaine. Pour s'assurer davantage des villes maritimes , il en fit sortir tous les habitants avec leurs familles, les transplanta dans la partie de la Macédoine la plus septentrionale' , et mit à leur place des Thraces ' Dans l'Emathie , appelée autrefois la Péonie. Av J.C.iSî. 174 lIlSTOIRli \NCIENNE. et d'autres peuples barbares, sur lesquels il croyait pouvoir compter davantage. Ce changement excita un murmure général dans toute la Macédoine , et toutes les provinces retentissaient des cris et des plaintes de ces pauvres malheureux qu'on arrachait de leurs mai- sons et de leur pays natal pour les confiner dans des terres et dans des demeures inconnues. On n'entendait de tous cotés que malédictions et qu'exécrations contre le prince qui causait tous ces mouvements. An. M. 3822. Loin d'en être touché, il n'en devint que plus fé- roce. Tout lui était suspect et lui faisait ombrage. 11 avait fait mourir un grand nombre de personnes qu'il soupçonnait d'être attachées aux Romains. Il crut ne pouvoir mettre sa vie en sûreté qu'en s'assurant de leurs enfants, et il prit le parti de les enfermer sous bonne garde, dans le dessein de les faire périr les uns après les autres. Rien n'était plus horrible en soi qu'une telle cruauté, mais le désastre d'une famille des plus puissantes et des plus illustres de la Thessalie la rendit encore plus criante. Il avait fait mourir , plusieurs années auparavant , Hérodique, un des principaux de ce pays, et, quelque temps après, ses deux gendres. Ses deux filles, nom- mées Tliéoxene et Archo, étaient demeurées veuves, ayant chacune un fils encore enfant. Théoxène, recher- chée par tout ce qu'il y avait de plus puissant dans la Thessalie , préféra la viduité au mariage : Archo épousa un seigneur du pays des Enianes, nommé Poris y dont elle eut plusieurs enfants, qu'elle laissa en bas âge, ayant été enlevée par une mort prématurée. Théoxène, pour être en état de faire élever sous ses yeux les enfants de sa sœur, épousa Poris, et elle prit de ses SUCCKSSEl/RS d'aLEXA NUR K. 1^5 enfants le même soin que de son propre fils, comme si elle eût été leur mère. Quand elle eut connaissance du cruel édit par lequel Philippe ordonnait d'enfermei- les enfants de ceux qui avaient été tués, prévoyant bien qu'ils allaient être livrés à la brutalité du roi et de ses satellites, elle prit une étrange résolution, et déclara qu'elle égorgerait de ses propres mains tous ses enfants plutôt que de les laisser tomber au pou- voir de Philippe. Poris, qui eut horreur d'une telle proposition, lui dit, pour l'en détourner, qu'il ferait passer tous ses enfants à Athènes chez des amis affidés, et qu'il les y conduirait lui-même. Ils partent donc de riiessalonique pour se rendre à la ville des Enianes, et pour se trouver à une fête solennelle qui s'y célé- brait tous les ans en l'honneur d'Enée, leur fondateur. Tout le jour s'étant passé en festins et réjouissances, sur le minuit, lorsque tout le monde était endormi, ils s'embarquent sur une galère que Poris avait fait pré- parer, comme pour retourner à Thessalonique, mais en effet dans le dessein de passer en Eubée. Malheu- reusement un vent contraire, les ayant empêchés d'a- vancer, quelques efforts qu'ils fissent, les repoussa vers la côte. A la pointe du jour les officiers du roi , à qui la garde du port était confiée , les ayant aperçus , envoyèrent aussitôt une chaloupe armée, avec ordre, sous de grandes menaces, de ne point revenir sans la galère. A mesure qu'elle approchait , Poris tantôt ex- hortait vivement la chiourme de faire effort pour avan- cer , tantôt levait les mains au ciel et priait les dieux de venir à leur secours. Théoxène cependant, revenant à son premier dessein, et présentant à ses enfants le poi- son qu'elle avait préparé et des poignards qu'elle avait itG histoire ANCIEÎVNE. apportés avec elle , « La mort seule , leur dit-elle , peut « vous délivrer. Voilà de quoi vous la procurer. Déro- « bez-vous à la brutalité du roi^ par la voie qui vous « plaira le plus. A.llons, mes enfants, vous qui êtes plus « grands, prenez ces poignards; ou, si vous aimez mieux « une mort plus lente, avalez ce poison. » Les ennemis étaient tout près, la mère les pressait. Ils obéirent; et tous, ou ayant pris du poison, ou s'étant enfoncé le poi- gnard dans le sein , furent jetés dans la mer. Tbéoxène, ayant embrassé son mari, s'y précipita aussi avec lui. Les officiers se saisirent de la galère , mais la trouvè- rent vide. L'atrocité de ce tragique événement alluma encore de nouveau et augmenta infiniment la baine contre Phi- lippe. On le détestait publiquement comme un tyran cruel, et l'on faisait par-tout, contre lui et contre ses enfants, d'horribles imprécations, qui eurent bientôt leur effet, dit Tite-Live, les dieux l'ayant livré à une fureur aveugle qui le porta h sévir contre son propre sang. Liv. iib. 40, Persée voyait avec une peine et une douleur infinie que la considération de son frère Démétrius dans la Macédoine, et son crédit cbez les Romains, augmen- taient de jour en jour. N'ayant plus d'espérance de parvenir au trône que par le crime, il y mit toute sa ressource. Il commença par sonder la disposition de ceux qui étaient les plus puissants auprès du roi , en leur tenant des discours encore obscurs et ambigus. Quelques-uns d'abord parurent ne point entrer dans ses vues, et rejeter ses propositions, parce qu'ils croyaient avoir plus à espérer de la part de Démétrius. Ensuite , comme on vovait croître sensiblement la baine de Phi- n. .l-lf). Si;CCESSF,l!RS D A LE X A NDIl K. I y-y lippe contre les Romains , ([ue Persée travaillait à allu- mer de jour en jour, et à laquelle au contraire Démé- trius s'opposait de toute ses forces, ils changèrent de sentiments. Jugeant bien (jucce dernier, que sa jeu- nesse et son peu d'expérience rendaient peu précau- tionné contre les artifices de son frère, y succomberait à la fin, ils crurent devoir se prêter à un événement ({ui arriverait toujours indépendamment d'eux, et em- brasser dès-lors le parti du plus fort. C'est ce qu'ils firent, et ils se livrèrent totalement à Persée. Avant remis à d'alitres temps l'exécution des desseins plus éloig'nés , ils convinrent , pour le présent , qu'il fal- lait employer tous leurs efforts pour animer le roi con- tre les Romains, et pour lui inspirer des pensées de guerre , à quoi il était déjà fort porté de lui-même. En même temps, pour rendre Démétrius plus suspect de jour en jour. Us affectaient de faire tomber sou- vent la conversation, en présence du roi, sur les Ro- mains, témoignant du mépris, les uns pour leurs lois et leurs coutumes, les autres pour leurs exploits, plu- sieurs pour la ville de Rome destituée d'ornements et de bâtiments magnifiques, quelques-uns même pour ceux des Romains qui étaient les plus estimés , les pas- sant tous en revue. Démétrius, qui ne pressentait pas oii tendaient tous ces discours, ne manquait pas de prendre feu, par zèle pour les Romains, et par l'envie de contredire son frère. Par Là , sans v faire réflexion, il se rendait suspect et odieux au roi, et ouvrait la vole aux accusations et aux calomnies qu'on préparait contre lui. Aussi son père ne lui communi- {(uait rien des desseins qu'il roulait jour et nuit dans sa tête contre Rome, et ne s'en ouvrait qu'à Persée. Tom'-. FUI. I/isl. anc. I 1 178 HISTOIRE ANCIENNE. Des ambassadeurs qu'il avait envoyés chez les Ba- starnes pour leur demander du secours revinrent dans lo temps dont nous parlons. Ils avaient amené avec eux des jeunes gens de qualité, et quelques princes même du sang, dont l'un promettait sa sœur en ma- riage pour un des fils de Philippe. Cette nouvelle alhance avec une nation puissante relevait beaucoup le courage du roi. Pcrsée profitant de cette occasion , « De quel usage, dit-il, tout cela nous peut-il être? Il « n'y a pas tant à espérer pour nous des secours étran- « gers qu'à craindre de la part du dedans. Nous avons « dans notre sein, je ne veux pas dire un traître, mais « au moins un espion. Les Romains, depuis qu'il a été « en otage chez eux, nous ont rendu son corps, mais « il leur a laissé son cœur. Presque tous les Macédo- « niens tournent déjà les yeux sur lui , et ne comptent « point avoir d'autre roi que celui qu'il plaira aux « Romains de leur donner. » On aigrissait par ces dis- cours l'esprit du vieillard, qui était déjà par lui-même fort mal disposé contre Démétrius. Il se fit alors une revue de l'armée dans une fête qui se célébrait tous les ans avec une pompe religieuse, dont voici les cérémonies : On divise ' , dit Tite-Live , une chienne en deux parts , la coupant en long par le milieu du corps , et l'on en met une moitié sur chacun des bords du chemin. On fait passer les troupes armées à travers les deux parties de la victime ainsi divisée. A la tête de cette marche on porte les armes éclatantes de tous les rois de Macédoine, en remontant jusqu'à ' On trouve dans l'Ecriture sainte tractants passent à travers les par- une pareille cérémonie, oh, pour ties de la victime divis^ée en deux, conclure un traité, les deux con- (Jérém. 34, 18.) SUCCESSEURS D A LEX A N U l{ !• . I yc) leur origine la plus reculée. Le roi paraît ensuite avee les princes ses enfants. Ils sont suivis de toute la mai- son ées sous leurs habits pour se défendre en cas de besoin. Quand la discorde règne dans les familles, rien n'y peut demeurer secret. Un homme, prenant les de- vants, alla trouver Persée, et l'avertit que Démétrius amenait avec sa troupe quatre jeunes gens bien armés. Il pouvait facilement en deviner la cause, car il savait que c'étaient eux qui avaient maltraité son espion. Mais, pour rendre la chose plus criminelle, il fait fer- mer sa porte, et, par une fenêtre de l'appartement supérieur, qui donnait sur la rue, il fait défense d'ou- vrir à ces gens, qui venaient à main armée pour l'as- sassiner. Démétrius, qui était en pointe de vin, après s'être plaint, d'un ton haut et fâché, de ce qu'on lui refusait ainsi l'entrée, retourne chez lui, et se remet à table , n'ayant rien su encore de ce qui touchait l'es- pion de Persée. Le lendemain , dès que Persée put approcher de son SIICCESSKUHS DA li:x\ni)im;. i8j père, il entra clans sa cliamhre, le visage tout tron])lé, et demeura quelque temps en sa présence, mais un peu éloigné, sans ouvrir la l)0uclie. Philippe, alarmé, lui demandant avec empressement quel était donc le sujet du chagrin qu'il faisait paraître : « C'est le plus « grand bonheur du monde, lui répondit-il, de ce que « vous me voyez encore en vie. Ce n'est plus par des « embûches secrètes que mon frère m'attaque. H est « venu de nuit av^ec des gens armés à ma maison pour « m'assassiner. Je ne me suis sauvé de sa fureur qu'en « faisant fermer mes portes, et en mettant un mur « entre lui et moi. » Voyant son père frappé d'étonne- ment et de frayeur : « Si vous daignez nous prêter « Toreille , je vous mettrai en état de connaître évi~ 5. qualité d'amhassadeurs Philocle et Apelle, moins pour i,iv. lib. /,(., v traiter d'aucune affaire que pour y sonder la disposi- tion des esprits à l'égard de Démétrius , et pour s'infor- mer sous main des discours qu'il y avait tenus, principa- lement avec Quintius, sur la succession au trône. Phi- lippe ne les croyait point attachés à aucun parti, mais ils l'étaient en effet à Persée et avaient part à son complot. Démétrius, qui ne savait rien de tout ce (jui se passait, excepté l'accusation de son frère qui avait éclaté, n'avait aucune espérance de pouvoir apaiser son père à son égard, sur-tout quand il le vit obsédé de telle sorte par son frèn^ qu'il ne pouvait plus en ap- procher. Il se réduisit à s'observer scrupuleusement tant sur ses discours que sur ses actions, pour ne don- ner aucune prise aux soupçons et à l'envie. Il évitait de parler des Romains et d'avoir aucun commerce avec eux, même par lettres, sachant que c'était ce (pii aigrissait sur-tout les esprits contre lui. Il aurait dû prendre ces précautions plus tôt. Mais ce jeune prince. 200 HISTOIRE ANCIENNE. qui était sans expérience, qui avait beaucoup de sim- plicité, et qui jugeait des autres par lui-même, n'avait pas cru qu'il y eiit rien à craindre pour lui à la cour, dont il devait mieux connaître les intrigues et les artifices. Philippe, sur une opinion vulgaire répandue dans le pays, que du haut du mont Hémus- on décou- vrait la mer Noire et la mer Adriatique, aussi-bien que le Danube et les Alpes, eut la curiosité de s'en assurer* par ses yeux , croyant que cette vue pourrait lui être de quelque usage pour le dessein qu'il avait de porter la guerre en Italie. Il ne mena avec lui que Persée, et renvoya Démétrius en Macédoine, lui don- nant pour l'escorter Didas, gouverneur de Péonie, l'un des principaux officiers du roi. Il était vendu à Persée, qui eut bien soin de l'instruire, et qui lui recom- manda sur-tout de s'insinuer adroitement dans l'esprit du jeune prince , pour tirer de lui tous ses secrets. Didas s'acquitta parfaitement de sa commission : il entra dans les sentiments de Démétrius , plaignit son sort, parut détester l'injustice et la mauvaise foi de ses ennemis qui le décriaient dans l'esprit de son père, et lui fit offre de ses services dans tout ce qui dépen- drait de son ministère. Démétrius songeait à se retirer chez les Romains : il crut que le ciel lui en fournissait un moyen sûr , car il fallait passer par la Péonie , dont Didas était Gouverneur , et il lui découvrit son dessein. Didas, sans perdre de temps, en donna avis à Persée, et celui-ci au roi Philippe , qui , après avoir essuyé des fatigues infinies pour arriver au sommet du mont Hémus , était revenu de son voyage aussi peu instruit qu'auparavant. On ne détruisit pas néanmoins l'opl- SUCCESSEUUS D ALEXANDRE. UO 1 iiioii vulgaire, plutôt apparemment pour ne point exposer à la raillerie publique la folle entreprise d'un voyage si ridicule , que parce qu'ils avaient vu tl'un même lieu des mers, des montagnes et des rivières si écartées les unes des autres. Quoi qu'il en soit, le roi était actuellement occupé au siège d'une ville nonnnée Pétra, quand il apprit la nouvelle dont je viens de parler. On arrêta Hérodote , le principal des amis de Démétrius , et l'on donna ordre de garder à vue le jeune prince. Philippe revint en Macédoine , fort triste. Cette dernière entreprise de Démétrius le touchait vivement. Il crut pourtant devoir attendre le retour des ambas- sadeurs qu'il avait envoyés à Rome. On leur avait fait la leçon avant qu'ils partissent de Macédoine. Ils rap- portèrent exactement tout ce qu'on leur avait dicté et présentèrent au roi une fausse lettre , scellée du sceau contrefait de ï. Quintius, par laquelle « il le priait de « ne point savoir mauvais gré à son fils Démétrius de « quelques paroles imprudentes qui pouvaient lui être « échappées à Rome dans des conversations au sujet « de la succession au trône, l'assurant qu'il n'entre- « prendrait rien contre les droits du sang et de la na- « ture. Il ajoutait, en parlant de lui-même, qu'il était « fort éloigné de lui donner jamais de pareils conseils. » Cette lettre confirma tout ce que Persée avait avancé contre son frère. Hérodote fut mis à la question; et il mourut dans les tourments, sans avoir chargé en rien son maître. Persée accusa de nouveau son frère devant le roi. On lui faisait un crime d'avoir projeté le dessein de :202 HISTOIRE ANCIENNE. s'enfuir à travers la Péonie, et d'avoir corrompu quel ques particuliers pour l'accompagner dans sa fuite ; mais ce qui le chargeait le plus, était la fausse lettre de Quintius. Son père néanmoins ne prononça rien contre lui en public , se réservant de s'en défaire en secret , non par égard pour son fils , mais de peur que l'éclat que ferait sa punition ne découvrît trop ses des- seins contre Rome. En partant de Thessalonique pour Démétriade, il chargea Didas de l'en délivrer. Celui- ci ayant mené avec lui Démétrius dans la Péonie, lui donna du poison dans un repas qui suivit la cérémo- nie d'un sacrifice. Il n'eut pas plus tôt pris ce breuvage, ({u'il se sentit saisi de douleurs violentes. Il se retira dans son appartement, se plaignant avec amertume de la cruauté de son père, et accusant hautement le par- ricide de son frère , et le crime de Didas. Ses douleurs augmentant, deux domestiques de Didas, qui étaient entrés dans sa chambre, lui jetèrent des couvertures sur la tête, et Tétouffèrent. Telle fut la fin de ce jeune prince, qui méritait un meilleur sort. ■^N. iM.3825. Il se passa près de deux ans sans qu'on découvrit Liv. iib/40, ï'isn du complot formé par Persée contre son frère. Cependant Philippe, dévoré de chagrins et de remords, déplorait sans cesse la mort de son fils, et se repro- chait à lui-même sa cruauté. Le fils qui lui restait , qui se comptait déjà pour roi, et à qui les courtisans commençaient à s'attacher, le regardant comme devant être bientôt leur maître , ne lui causait pas moins d'a- mertume. Il voyait avec une peine infinie sa vieillesse méprisée, les uns attendant sa mort avec impatience, et les autres même Aie l'attendant pas. n. 54-57. SUCCESSEURS u' ALEX A.N J)RE. 9.o3 Parmi ceux qui rapprocha'uîiit, Antigone tenait le pieinier rang. U était neveu d'un autre Antigone ' , qui avait été tuteur de Philippe , et qui , sous ce nom et en cette qualité, avait régné pendant dix ans. il était toujours demeuré , au milieu des mouvements et des cabales de la cour , attaché inviolablement par de- voir et par affection à la personne du prince. Persée ne l'aimait pas déjà par lui-même; mais cette fidélité et cet attachement inviolable à son père l'en rendit l'ennemi déclaré. Antigone sentit à quel danger il se trouverait exposé quand ce prince serait monté sur le trône. Quand il vit que l'esprit de Philippe commen- çait à s'ébranler, et qu'il regrettait de temps en temps avec larmes et soupirs son fils Démétrius, il crut de- voir profiter de cette ouverture : et, tantôt prêtant l'o- reille aux discours qu'il tenait sur ce sujet, tantôt l'y mettant de lui-même, et regrettant la précipitation avec laquelle on s'était conduit dans cette affaire, il entrait dans ses sentiments et dans ses plaintes, et leur donnait par-là une nouvelle force; et comme la vérité laisse toujours après elle quelques vestiges et quelques traces qui la font discerner , il s'appliquait avec toute l'atten- tion possible à découvrir et à démêler les intrigues se- crètes du complot de Persée. Ceux qui y avaient eu le plus de part, et sur qui les soupçons pouvaient tomber le plus justement , étaient Apelle et Philocle, qui avaient été envoyés à Rome en qualité d'ambassadeurs, et qui en avaient rapporté , comme sous le nom de Quintius Flamini- nus , la lettre qui avait été si funeste au jeune prince. Le bruit conimun à la cour était qu'on avait supposé ' 11 avait pour !>urnoin Dosoii. 2o4 HISTOIRE ANCIENNE. cette lettre, et qu'on y avait mis une fausse signature; mais ce n'était qu'une simple conjecture, et l'on n'en avait point de preuve. Heureusement, Xychus, qui avait été à Rome avec Apelle et Philocle, en qualité de secrétaire de l'ambassade , se présenta par hasard devant Antigone : il le fit arrêter, le fit conduire au palais, et, l'ayant laissé entre les mains des gardes, il alla trouver Philippe. « Il m'a paru, lui dit-il, par plu- « sieurs discours que vous m'avez tenus , que rien ne « vous ferait plus de plaisir que de savoir au vrai ce « que vous deviez penser de vos deux fils, et d'être <( bien assuré lequel avait dressé des embûches à l'au- « tre. Vous avez en votre pouvoir l'homme du monde i< le plus capable de vous en éclaircir : c'est Xychus. « Il est dans votre palais, et vous pouvez le faire ve- « nir. » On l'amena sur-le-champ. Il commença d'a- bord par nier tout , mais faiblement , et de manière qu'on vit bien que, pour peu qu'on l'intimidât, il dé- couvrirait tout ce qu'on voulait savoir. En effet, dès que le ministre de la justice parut, et qu'on fit mine de le mettre à la question , il avoua tout , développa toute l'intrigue des ambassadeurs, et expliqua la part ([u'il y avait prise par son ministère. On fit arrêter sur-le-champ Philocle, qui se trouva à la cour. Apelle, qui était absent, ayant appris que Xychus avait toul découvert, se sauva en Italie. On ne sait pas bien cer- tainement ce qu'on tira de Philocle. Quelques-uns pré- tendent qu'après avoir d'abord nié hardiment le fait , lorsqu'on lui eut confronté Xychus il ne put pas sou- tenir sa présence. D'autres disent qu'il souffrit con- stamment la torture, et protesta , jusqu'à la fin , de son innocence. Tout cela ne servit qu'à renouveler et qu'à SUCCESSEURS OALEX A N DRE. QoS redoubler la douleur de Philippe, père également in- (brtuué et à plaindre , soit qu'il jetât les yeux sur celui de ses fils qui était mort, soit qu'il envisageât celui qui lui avait survécu. Persée, ayant appris que tout était découvert, con- naissait trop son pouvoir .et son crédit pour croire qu'il dût songer à se mettre en sûreté par la fuite : il prit seul(Mnent la précaution de se tenir éloigné de la cour, attentif alors uniquement, pendant que son père vivrait encore, à se soustraire à son indignation. Philippe n'espérait pas de pouvoir le faire arrêter , pour le punir comme il le méritait. La seule pensée' qui l'occupa, fut crempêcher qu'avec l'impunité il ne pût encore jouir du fruit de son crime. Dans cette vue, il fait venir Antigone, à qui il était redevable de la découverte du complot, et qu'il jugeait très-propre à remplir le trône de Macédoine par son mérite per- sonnel , et par la réputation et la gloire encore toute récente de son oncle Antigone. « Réduit au triste état, « lui dit-il, de souhaiter pour moi ce que les autres « pères détestent comme le plus horrible des mal- « heurs, je veux dire d'être sans enfants, je songe à « remettre entre vos mains un royaume dont je suis (c redevable à la tutelle de votre oncle , et que non-seu- « lement il m'a conservé par sa fidélité , mais qu'il a « encore beaucoup augmenté par son courage. Je n'ai « que vous que je juge digne du sceptre. Si je ne trou- « vais personne capable de le porter dignement , j'ai- « nierais mieux qu'il pérît et s'anéantît pour toujours « que de le voir passer entre les mains de Persée, « comme la récompense de sa perfide impiété. Je « croirai Démétrius sorti du tombeau , et rendu à son lo6 HISTOIRE ANCIENNE. « père, si je puis vous substituer à sa place, vous qui « seul avez pleuré sur la mort de mon fils, et sur la (( malheureuse crédulité qui me l'a f^ùt perdre. « Depuis ce discours, il le combla de toutes sortes d'honneurs pour le mettre en vue et le produire en public. Pendant que Persée était dans la Thrace , Phi- lippe visita plusieurs villes de Macédoine, et recom- manda Antigone aux grands seigneurs avec beaucoup de zèle et d'affection : et , s'il avait vécu plus long- temps, on ne doutait point qu'il ne l'eût mis en pos- session du trône. Etant parti de Démétriade, il s'était arrêté long-temps à Thessalonique ; de là il passa à Amphipolis , où il tomba dans une fâcheuse maladie. On convenait pourtant qu'il était plus malade d'esprit que de corps. Le chagrin lui causait une insomnie continuelle , et il s'imaginait souvent voir pendant la nuit l'ombre de son fils qui lui reprochait sa mort et le chargeait de malédictions. Il expira, en pleurant l'un de ses fils, et prononçant des exécrations contre l'autre. Antigone aurait pu être mis sur le trône, si la mort du roi eût été d'abord rendue publique. Le médecin Calligène, qui présidait aux consultations, n'attendit pas la mort du roi, et, dès les premiers in- dices qu'il ne pouvait pas relever de cette maladie , il dépêcha vers Persée des courriers qu'il tenait tout prêts, comme ils en étaient convenus ensemble; et, jusqu'à ce qu'il fût venu, il cela la mort du roi à tous ceux qui étaient hors du palais. Persée surprit tout le monde par sa prompte arrivée, et se mit en possession du royaume qu'il avait acquis par son crime. Son règne fut de onze années, dont les quatre der- nières furent emplovées dans la guerre contre les Ro- SI CCESSEURS D ALEXANDRF.. 90T mains, à laquelle il s'était préparé depuis qu'il était monté sur le trône. Enfin Paul Emile remporta sur lui une célèbre victoire qui mit fin au royaume de Macé (loine. Pour ne point être obligé de couper et d'inter- rompre le fil de riiistoirc de Persée, qui est presque entièrement séparée de celle des autres rois, je diffé- rerai d'en parler jusqu'au livre suivant, où je la rap- porterai tout entière et sans interruption. § II. Mort de Séleucus Phiîopator après un règne assez court et obscur. Son frère Antiochus ^ sur- nommé Epiphane , lui succède. Semences de guerre entre les rois d'Egypte et de Syrie. An-» tiochus remporte une victoire sur Ptolémée. Le vainqueur se rend maître de V Egypte, et de la personne même du roi. Sur le bruit d'une révolte générale, il passe en Palestine , assiège et prend Jérusalem, et y exerce d'horribles cruautés. Les Alexandrins , à la place de Philométor qui était entre les mains d'Antiochus , nomment pour roi son cadet Ptolémée E vergeté, surnommé aussi Physcon. Antiochus recommence la guerre en Egypte. Les deux frères s'accordent. Il marche vers Alexandrie pour l'assiéger. Popilius , un des ambassadeurs romains, l'oblige de sortir de l'Egypte, et de laisser les deux Jrères en repos. Le règne de Séleucus Pbilopator en Asie ne fut pas de longue durée, et n'eut rien de mémorable. C'est sous lui qu'arriva l'bistoire célèbre dHéliodore, rap- portée dans le second livre des Machabées. La cité ir. Madi. 3. sainte de Jérusalem jouissait alors d'une paiv pro- 2o8 HISTOIRE ANCIENNE. fonde. La piété et la fermeté du grand-prêtre Onias y faisaient observer les lois de Dieu , et inspiraient aux rois même et aux princes idolâtres un grand respect pour le lieu saint. Ils l'honoraient de riches présents, et le roi Séléucus dont nous parlons faisait fournir des revenus de son domaine tout ce qui était nécessaire pour le ministère des sacrifices; mais la perfidie d'un juif nommé Simon, préposé à la garde du temple, jeta tout d'un coup la ville dans le trouble. Cet homme, pour se venger de la résistance que le grand -prêtre Onias apportait à ses entreprises injustes, fit dire au roi qu'il y avait dans le trésor du temple des sommes jmmenses qui n'étaient point destinées à la dépense des sacrifices, et qu'il pouvait s'approprier. Sur cet avis, le roi envoya à Jérusalem Héliodore, son premier ministre, avec ordre de faire transporter tout cet argent. Héliodore après avoir été reçu du grand-prêtre avec toutes sortes d'honneurs, lui déclara le sujet de son voyage, et lui demanda si l'avis qu'on avait donné au roi touchant cet argent était véritable. Le grand-prêtre lui répondit que c'étaient des dépôts , et des sommes destinées à la nourriture des veuves et des orphelins; qu'il ne pouvait absolument en disposer au préjudice de ceux à qui cet argent appartenait, et qui avaient cru ne pouvoir mieux l'assurer qu'en le mettant en dépôt dans un temple dont la sainteté était révérée par toute la terre. Ces sommes consistaient en quatre cents talents d'argent (quatre cent mille écus), et en deux cents talents d'or (six millions). Le ministre du prince , insistant sur les ordres de la cour , lui dit nette- ment qu'il fallait, à quelque prix que ce fût, que cet argent fût porté au roi. SUCCESSEURS 1) ALEX AN OHE. ioq Le jour pris pour l'enlever, Héliodore vint au tem- ple dans le dessein d'exécuter sa commission. Toute lu ville alors fut remplie de trouble et d'effroi. Les prê- tres, revêlus de leurs robes sacerdotales, se proster- naient au pied de l'autel, conjurant celui qui est dans le ciel, et qui a fait la loi touchant les dépots, de con- server ceux qui avaient été confiés à son temple. Plu- sieurs accouraient en troupes et s'unissaient ensemble pour prier Dieu de ne permettre pas qu'un lieu si saint fût exposé au mépris. Les fdles et les femmes , cou- ^ vertes de ciliées, levaient les mains au ciel. C'était un spectacle vraiment digne de pitié de voir cette multi- tude, et sur-tout le grand-prétre, accablé d'aflliclion dans l'attente de ce qui allait arriver. Cependant Héliodore, avec ses gardes, était déjà à la porte du trésor, et il se préparait à la forcer. Mais l'esprit du Dieu tout-puissant se fit voir alors par des marques bien sensibles ' , en sorte que tous ceux qui avaient osé obéir à Héliodore furent renversés par une vertu divine, et frappés d'une frayeur qui leur ota la force et le courage; car ils virent paraître un cheval ricli€ment couvert, qui, fondant tout d'un coup sur Héliodore, lui donna plusieurs coups des deux pieds de devant. Celui qui était monté sur ce cheval avait un regard effrayant , et ses armes paraissaient d'or. En même temps on vit deux jeunes hounnes d'une écla- tante beauté, qui, s'étant mis aux deux cotés d'Hélio- dore, le frappaient sans relâche et lui donnaient de grands coups de fouet. Héliodore étant tombé par terre , on le prit, on le mit dans une chaise; et cet homme, ' « Setî spiritus omnipotentis Dei magnara fecit suae ostentationis evî- dentiara. >■ Tome FUT. Ifist. ane. j ff aïO HISTOIRE ANCIENIVE. qui un moment auparavant était entré clans le temple avec une multitude d'archers et de gardes , fut enlevé et chassé de ce saint lieu sans pouvoir être secouru de personne, parce que la vertu de Dieu s'était fait con- naître manifestement. Par un effet de cette même vertu , il était couché par terre , sans voix et sans aucune es- pérance de vie, tandis que le temple, auparavant rem- pli de trouble et de tumulte, retentissait des cris de joie de tout le peuple qui bénissait Dieu de ce qu'il venait de relever la gloire de son lieu saint par un coup de sa puissance. Alors quelques amis d'Héliodore supplièrent le grand- prêtre d'invoquer pour lui le très-Haut. Aussitôt Onias offrit pour sa guérison une hostie salutaire. Pendant qu'il faisait sa prière, les deux jeunes hommes dont on a parlé se présentèrent à Héliodore et lui dirent : « Rendez grâces au grand-pretre Onias ; car c'est en « sa considération que le seigneur vous a accordé la « vie. Après avoir été châtié de Dieu, annoncez à tout « le monde ses merveilles et sa puissance. )i Ayant ainsi parlé, ils disparurent. Héliodore offrit ses vœux , et fit de grandes pro- messes à celui qui lui avait redonné la vie. Il remer- cia Onias, et s'en retourna, rendant témoignage à tout le monde des œuvres merveilleuses du Tout-puissant, qu'il avait vues de ses yeux. Comme le roi lui deman- dait qui il jugeait qu'on pouvait encore envoyer à Jé- rusalem , il lui répondit : « Si vous avez quelque ennemi , « ou quelqu'un qui ait des' desseins sur votre couronne, « envoyez-le en ce lieu , et vous le verrez revenir dé- « chiré de coups, si néanmoins il en revient; car celui « qui habite dans le ciel est lui-même présent en ce SUCCESSEURS D A LEX A \ f)Ii K . •>, I | « lieu : il en est le protecteur, et il frappe et Tait pé- « rir ceux qui y viennent pour faire du mal. » Le roi (ut l)ioiit()l puni de ce sacrilège par celui-là int'uie qu'il avait employé pour piller le temple. An- liochus-le-Grand ayant fait avec les Romains, après sa défaite au Sipyle, cette paix ignominieuse dont j'ai parlé, -leur avait donné, entre autres otages, Antiochus un de ses fils et cadet de Séleucus. 11 y avait treize •)• I ' • \ r \ t Appinn. in ans qud était a Rome. Son frère Séleucus souhaita de Syr. p. n^; l'avoir, on ne sait pas pour (juelle raison (peut-être poiu' le charger de quelque expédition militaire dont il le croyait capahle);et, pour lobtenir, il envoya Dé- métrius, son fils unique, âgé de douze ans, à Rome, pour servir dotage en la place d'Antiochus. Pendant I absence des deux héritiers de la couronne, dont l'un av.j.c. 17/;. était allé à Rome, et l'autre n'en était pas encore re- venu, Héliodore crut qu'il lui serait aisé de l'usurper en se défaisant de Séleucus, et il le fit empoisonner. Ainsi fut accomplie la prophétie de Daniel. Après avoir parlé de la mort d'Antiochus-le-Grand, il ajoute : Un homme très -méprisable et indigne du nom de roi Dan. rr-2c.. prendra sa place ^ et il périra en peu d'années ' , non par une mort violente, ni dans un combat. Ce peu de mots désigne clairement le règne court et obscur de Sé- leucus , et son genre de mort. Le texte hébreu le ca- ractérise encore plus particulièrement. // s'élèvera en sa place (d'Antiochus) un homme qui, en qualité d' exacteur, de collecteur de taxes, fera passer, fera périr la gloire du royaume. En effet , ce fut là toute l'occupation de son règne. 11 fallait trouver tous les ■ Le mot hébreu se pieiul ('•gaiement pour/ow/i et pour années. 14. 2ia HISTOIRE ANCIENNE. ans mille talents ^ pour les Romains en vertu du traité de paix; et les douze années de ce tribut finissent jus- tement où finit sa vie. Il ne régna que onze ans. Appiau. Antiochus, surnommé depuis Epiphane, qui reve- p. 116,117. "^it de Rome en Syrie, apprit a Athènes la mort de in'*^Dan. SOU frèi'c Séleucus. On lui donna avis que l'usurpateur avait un fort gros parti, mais qu'il s'en formait pour- tant un autre pour Ptolémée, qui prétendait faire va- loir les droits de sa mère, sœur du feu roi. Antiochus eut recours à Eumène , roi de Pergame , et à son frère Attale, qui le placèrent sur le trône, après avoir chassé Héliodore. Le prophète Daniel , depuis le verset 1 \ du cha- pitre I I jusqu'à la fin du chapitre 12 , prédit tout ce qui devait arriver à Antiochus Epiphane , cruel persé- Dan. 8, 9. cutcur dcs Juifs, ct désigné ailleurs par la petite corne qui devait sortir de l'une des quatre grandes cornes,. J'expliquerai cette prophétie dans la suite. Ici, dans le verset 21 , le prophète désigne son avè- nement à la couronne : Un prince méprisé ou mépri- sable lui succédera (à Séleucus), ci qui l'on ne donne- ra point les honneurs de la rojaute. Il viendra en se- cret ou (L petit bruit , et il se rendra maître du royaume par fraude. La conduite d' Antiochus fera voir combien il était méprisable. Il est dit qu'on ne lui donnera point les honjieurs de la royauté. Il jie monta sur le trône ni par le droit de sa naissance, puisque Séleucus son frère avait laissé un fils qui était son héritier légitime, ni par le choix volontaire des peuples : Eumène et Attale le placèrent sur le trône. Etant revenu d'occi- ■ Trois millions. = 5,5oo,ooo fr. — L. SUCCESSUUllS o'ALJiXAiS DRE. i l'd (lent à petit bruit pour surprendre sou rival, il sut ga- gner le peuple par ses artifices et par les dehors d'une clémence étudiée. 11 prit le titre (XÉpiphane, c'est-à-dire ï Illustre : Athcu. 1.3, jamais ce titre ne fut plus mal appliqué. Toute la suite •' "J^" de sa vie fera voir qu'il méritait bien plus celui d'Epi- rnane que quelques-uns lui donnèrent : ce mot signifie insensé , furieux. On raconte de lui des choses qui prouvent combien est juste répithète de méprisable que lui donne l'Ecri- ture. Il sortait souvent du palais avec deux ou trois domestiques, et s'en allait courir les rues à Antioche. Il s'amusait à causer avec des orfèvres et des graveurs dans leurs boutiques, et à disputer avec eux des mi- nuties de leur art, qu'il se piquait ridiculement d'en- tendre aussi bien qu'eux. Il s'abaissait fort communé- ment jusqu'à entrer en conversation avec la plus vile populace, et se mêlait avec elle dans les lieux où elle était attroupée. Dans ces rencontres, il buvait souvent avec des étrangers de la plus basse condition. Quand il apprenait qu'il y avait quelque partie de plaisir faite par des jeunes gens, il allait, sans rien dire, faire le fou, chanter et boire avec eux, ne gardant aucune mesure ni aucune bienséance. Quelquefois il lui prenait fan- taisie de quitter ses habits royaux, de mettre une robe à la romaine, et d'allei- par la ville dans cet équipage de rue en rue, connue il l'avait vu pratiquera Rome aux élections pour la magistrature. Il demandait les suf- frages des citoyens , en donnant la main à l'un et en end)rassant un autre, et se mettait sur les rangs tantôt pour la charge d'édile, tantôt pour celle de tribun. Quand il avait été élu, il se faisait apporter la chaire 2l/| HISTOIRE ANCIENNE. curule', et, s'y plaçant, entendait les petits procès qui survenaient pour des contrats de vente et des affaires du marché , et prononçait sa sentence avec une atten- tion et une gravité aussi grandes que s'il se fût agi d'affaires de la dernière importance. On dit aussi qu'il était fort adonné à l'ivrognerie, qu'il dépensait une grande partie de son revenu en débauches, et que, quand le vin lui était monté à la tête, il allait souvent courir dans la ville en jetant l'argent à poignées parmi la canaille, et criant ^attrape qui peut. D'auties fois il sortait avec une couronne de roses et une robe à la romaine, et marchait seul dans les rues; et si quel- - qu'un s'avisait de le suivre, il avait toujours dans ces occasions sous sa robe provision de pierres qu'il lui jetait. Il allait aussi souvent se baigner aux bains pu- blics avec le commun peuple , et y faisait des extra- vagances qui le faisaient mépriser de tous ceux qui le voyaient. Qu'on juge, après tous ces traits, et j'en passe beaucoup d'autres, si Antiochus ne méritait pas à plus juste titre le surnom à' insensé que celui à' illustre. An.m.383o. a peine Antiochus était-il bien établi sur le trône, irMaciiab.' queJason, frère d'Onias, grand-prétre des Juifs, ayant ^■'i>- 'i- formé le dessein de supplanter son frère , fit offrir se- crètement à ce prince trois cent soixante talents ( un million quatre-vingt mille livres), outre quatre-vingts autres pour un autre article ( deux cent quarante mille livres), afin d'être mis en possession de la charge de souverain -sacrificateur. Sa négociation réussit : Onias, respecté généralement pour sa j)iété et sa jus- lice, fut déposé, et Jason mis à sa place. Celui-ci chan- » C'était une chaire (ri\oiie, qui n'était accintlée à Rome qu'aux pic niiers magistrats. SLCCliSSKUUS D ALEXANDRE, .il) yea loulo la religion de ses pères, et fit des maux in- finis à sa nation, comme on le peut voir dans le se- cond livre des Machabées et dans Josèphe. En Egypte, depuis la mort de Ptolémée Épipliane , An.m.383i. Cléopatre, sa veuve, sœur d'Antiochus Epipliane, avait Hkiou. m pris la régence et la tutelle du jeune roi son fils, et ^"'",[2.;']*' s'en était acquittée avec beaucouj) de soin et de pru- dence : mais, étant morte cette année, la régence tomba entre les mains de Lénée, grand seigneur du pays, et l'éducation ilu roi tut commise à Eulée, eu- nu(|uc. Dès qu'ils lurent en charge, ils firent deman- tler la Célésyrie et la Palestine à Antioclius Epi- pliane ; demande qui fut, bientôt après, la source de la guerre entre les deux couronnes. Cléopatre, ([ui était mère d'un de ces rois et sœur de l'autre, avait empêché, tant qu'elle avait vécu, qu'on n'en vînt à une rupture. La nouvelle régence n'eut pas les mêmes mé- nagcmenls pour Antioclius, et ne fit point difiiculLé tle lui demander ce qu'ils croyaient appartenir à leur maître. Il faut avouer que l'Egypte avait toujours été Poiyi>. i» I I • 1 ' I • I Excerpt. letr. en possession de la souveraineté de ces jirovinces de- „j, i^ga. puis le premier Ptolémée juscju'cà ce qu'Antioclius-le- Grand les arracha à Ptolémée Epijihane par la force, et les laissa à son fils Séleucus , sans autre droit que celui de conc[uête. De celui-ci elles avaient passé à soji frère x\iitioclius. Les Egyptiens, poin- soutenir leurs prétentions, allé- guaient que, dans le dernier partage de l'empire fiiit entre les quatre successeurs d'Alexandre, qui demeu- rèrent maîtres de tout après la bataille d'ipsus, ces jjrovinces avaient été assignées à Ptolémée Soter : que 2l() HISTOIRE ANCIENNE. lui et ses successeurs à la couronne d'Egypte en avaient toujours joui depuis jusqu'à la bataille dePanéas, dont le gain avait mis Antiochus-le-Grand en état de les leur enlever; que ce prince était convenu, en donnant sa fille au roi d'Egypte, de lui rendre en même temps ces provinces à titre de dot , et que c'avait été le prin- cipal article de ce mariage. Antiochus niait l'un et l'autre de ces faits, et préten- dait qu'au contraire, dans le partage général qui s'était fait de l'empire d'Alexandre, toute la Syrie, y compris la Célésyrie et la Palestine, avaient été assignées à Séleucus Nicator, et que par conséquent elles appar- tenaient à celui qui occupait le royaume de Syrie. Pour l'article du mariage en vertu duquel on redemandait ces provinces, il soutenait que c'était une chimère sans réalité et sans fondement. Enfin , après avoir ainsi étalé leurs raisons de part et d autre sans convenir de rien, il fallut avoir recours aux armes pour en décider. Ptolémée Philométor, étant entré dans sa quinzième année , fut déclaré majeur. On fit de grands prépara- tifs à Alexandrie pour la solennité de son couronne- ment, comme on le pratiquait en Egypte. Antiochus envoya Apollonius , un des plus grands seigneurs de sa cour, avec le caractère d'ambassadeur, pour y assis- ter, et pour féliciter de sa part le jeune roi. C'était en apparence pour faire honneur à son neveu ; mais le vrai motif était de découvrir le dessein de cette cour par rapport aux provinces de Célésyrie et de Palestine, et quelles mesures on y prenait sur cette affaire. Dès qu'il apprit, au retour d'Apollonius, que tout se dis- posait à la guerre, il alla par mer à Joppé , visita la SUCCESSEURS D ALEXANDRE. 'Il'] fiontière du pays, et y fit faire tout ce qu'il fallait pour la iiiellre eu état de se bien défendre contre tou- tes les attaques des Egyptiens. En faisant sa ronde, il passa par Jérusalem. Jason et toute la ville l'y reçurent avec beaucoup de magnifi- cence et une grande ponqje. Mais les honneurs ({u'on lui rendit ne détournèrent pas les maux qu'il fit souf- frir ensuite à cette ville et à toute la nation des Juifs. De Jérusalem il passa dans la Phénicie, et, après y avoir mis ordre à tout, il revint à Antiocbe. Le même Apollonius dont je viens de parler avait Liv. i.h. 4a, été envoyé à Rome par Antiochus à la tête d'une am- bassade. Il fit des excuses au sénat de ce que son maî- tre envoyait le tribut plus tard (ju'il n'était marqué dans le traité. Outre la somme due, il fit présent au j)euple de plusieurs vases d'or. Il demanda , au nom de ce prince, qu'on renouvelât avec lui l'alliance et l'amitié qui avait été accordée à son père , et que le peuple romain lui donnât les ordres qu'il convenait de donner à un roi qui se piquait d'être un affectionné et fidèle allié. Il ajouta que son maître n'oublierait jamais les marques de bonté qu'il avait reçues du sénat, de toute la jeunesse, et de tous les ordres de la ville, pen- dant son séjour à Rome, où il avait été traité, non comme un simple otage, mais comme un roi. Le sénat répondit obligeamment à tous ces chefs, et renvoya Apollonius comblé d'honneurs et de présents. On sa- vait, par le témoignage des ambassadeurs romains qui avaient été en Syrie, qu'il était fort considéré du roi et très-affectionné au peuple romain. L'année suivante, Jason envoya à Antiocbe son frère '^-"' M-^f'^î. ' J AV.J.C.17V.. 2i8 lllSTomE ANCIEJNJVE. Il iviidiui). Méiiélas pour payer le tribut au roi et négocier quel- ques autres affaires importantes. Mais , clans l'audience (|u'on lui donna, au lieu de se renfermer dans sa com- mission, ce traître supplanta son frère et obtint sa cliarge, ayant offert trois cents talents plus que lui. Ce nouveaux clioix fut une source de troubles, de désordres, de meurtres et de sacrilèges. La mort d'O- nias , généralement aimé et respecté , y mit le comble. Intiocbus, quelque dur et insensible qu'il fut, pleura sa perte, et punit le meurtrier comme il le ijiéritait. Je passe légèrement sur ces faits, et j'en omets les principales circonstances, parce qu'elles appartiennent proprement à l'iiistoire des Juifs, qui n'entre point dans mon plan, et dont je me contente de rapporter plus au long quelques endroits seulement, (jui sont trop intéressants pour être passés sous silence ou pour être abrégés, de sorte qu'on n'en sentirait pas la beauté. An. M. 3833. Antioclius, qui , depuis le retour d'Apollonius de la LLv.^iib.^a, ^^"^' t^'É'gypte, s'était toujours préparé à la guerre, Po'i b in tlont il voyait bien qu'il était menacé de la part de Kxcerpt.ieg. Ptoléméc Dour la Célésyrie et la Palestine, se trouvant cap. 71 , 72. • "^ .fustiu. 1. 34, enfin en état de la commencer, résolut de ne la pas ''•'I'- 2' 1 / II l'Ai j)iod.!eg.i8. attendre dans ses états, et de la porter lui-même dans Dau ceux de son ennemi. 11 crut pouvoir mépriser impu- nément la jeunesse de Ptolémée, qui n'avait que seize ans , et la faiblesse des ministres entre les mains de ([ui il était tombé. Il se persuada que les Romains, sous la protection de qui l'Egypte s'était mise , avaient trop d'affaires sur les bras pour songer à la secourir, et que la guerre qu'ils avaient avec Persée, roi de Ma- cédoine, ne leur en laisserait pas le loisir. Enfin il trou- SliCCIiSSEUKS D ALl<:XA!NDRii. '2l() vait ({Lie la conjoncture présente était très-lavorable |)our décider la querelle (ju'il avait avec l'Egypte au sujet de ces provinces. Cependant , pour garder quelques mesures avec les Honiains, il envoya représenter au sénat, par des am- bassadeurs, son dioit sur les pioviiiees de Célésyrie el de Palestine , dont il était actuellement en possession, et l'obligation oii il se trouvail d'entrer eu guerre poui- le soutenir ; et en même temps il se mit à la tête de son armée , et marcha vers la frontière de l'Egyple. I /armée de Ptolémée et la sienne se joignirent entre le mont Casius et Péluse, et l'on en vint à une ba- taille où Antiochus remporta la victone, dont il pro- hla si- bien, qu'il mit la frontière en état de servir de barrière et d'arrêter tous les efforts que pouvait fain; l'Egypte pour regagner ces provinces. Ce fut là sa pre- mière expédition contre l'Egypte. Ensuite, sans entre- prendre autre chose cette année, il retourna à Tyr, et il mit son armée en quartier d'hiver dans les places voisines. Pendant le séjour qu'il y fît, trois députés du san- Ak.m.3834. hedrm de Jérusalem vmrent lui rau-e des planites n Mâchai., contre Menelas, qu'ils convainquirent en sa présence '' '*' d'impiété et de sacrilège. Le roi était près de le con- damner : mais , sur l'avis de Ptolémée Macron , un de ses ministres, que Ménélas avait gagné, il le renvoya absous, etlîtmourir les trois députés connue calomnia- teurs; injustice, dit l'auteur sacré, qui n'aurait pas eu lieu même parmi des Scythes. Les Tyrieus, touchés de compassion, les firent enterrer lionorablement. Ce Ptolémée Macron, ayant été autrefois gouver- VoUh. nciu" de file de Cypre sous le roi Ptotémée Philopator, vaies^'p.Vlfi 10, 10 4, 29» ^' I Marliab. i, 38. 220 HISTUIKE ANCIENNE. II Maciiai). avait retenu pendant sa minorité tous les revenus du pays entre ses mains, et n'avait jamais voulu les remet- tre aux ministres qui les avaient demandés avec de vives instances, et à qui il les avait constamment refu- sés, sur les justes soupçons qu'il avait de leur infidélité. Au couronnement du roi, il apporta le tout à Alexan- drie, et le remit au fisc: exemple rare de désintéres- sement dans un homme qui manie les deniers publics! Une somme si considérable, venue si à propos, dans l'extrême besoin oii se trouvait l'état, lui avait fait beaucoup d'honneur à la cour et l'y avait rendu fort puissant. Dans la suite, piqué de quelque affront que lui firent les ministres, ou de ce qu'on ne récompen- sait pas comme il faurait voulu un service de cette importance, il se révolta contre Ptolémée, entra au service d'Antiochus, et lui livra l'île de Cypre. Il en fut reçu avec toutes sortes d'agréments. Le roi le mit au nombre de ses confidents, et lui donna le gouver- nement de la Célésyrie et de la Palestine, et envoya à sa place en Cypre Cratès, qui avait commandé dans le château de Jérusalem sous Sostrate. Il est beaucoup parlé de ce Ptolémée Macron dans les livres des Macha- bées. H Machab. Autioclius ciiiploya tout l'hiver à faire de nouveaux 1 Machàb I préparatifs de guerre pour une seconde expédition en Hiérôn^ • Éigypte , et , dès que la saison le permit , il l'attaqua ^^'\ par mer et par terre. Ptolémée avait mis une nom- Diod. ^ 1 iii Excerpt. brcusc amiéc sur pied ; mais elle ne tint pas devant i>ag 3ir. Antiochus. Celui-ci gagna une seconde bataille sur la frontière, prit la ville de Péluse, et entra jusque dans le cœur de l'Egypte. Dans cette dernière défaite des Égyptiens , il ne tint qu'à lui de n'en pas laisser échapper SUCCESSEURS D A I.EX A N DR E. 9.0.X un seul liomme : mais , pour mieux ruiner son neveu , au lieu de profiter de son avantage, il arrêta lui-même ses gens en allant de tous cotés, après la victoire, faire cesser le carnage. Cette clémence, en effet, lui gagna le cœur des Egyptiens; et ([uand il avança dans le pays, tous venaient en foule se rendre à lui : de sorte (|u'il se vit bientôt sans peine maître de Memphis et de tout le reste de l'Egvpte , à la réserve d'Alexandrie, (jui seule tint bon contre lui. Philométor ou fut pris, ou vint se mettre lui-même ' entre les mains d'Antiochus , qui lui laissa sa liberté entière. Ils mangeaient à la même table, vivaient en amis; et, pendant quelque temps même, Antiochus affectait de prendre soin des intérêts de ce jeune roi, son neveu, et de régler les affaires connue son tuteur. Mais, quand une fois il se fut rendu maître du pays, sous ce prétexte il se saisit de tout ce qui lui convenait, pilla de tous les cotés, et s'enrichit, aussi-bien que ses troupes, des dépouilles des Egyptiens. Philométor fît un triste personnage pendant tout ce Jnstin.i. 3/,, temps-là. A l'armée il s'était toujours tenu aussi loin uiod. ,.1 • Il 1 ' • ^ / 'u Kxcerpt. qu u avait pu du danger, et ne s était pas même montre vaips.p.:^io. à ceux qui combattaient pour lui. Après la bataille, ([uelle lâcheté que la manière dont il se soumit à An- tiochus, et dont il se laissa enlever un si beau royaume sans rien entreprendre pour le conserver! Ce n'était pourtant pas tant en lui manque de courage et de ca- ])acité naturelle, car dans la suite il donna des preuves du contraire, qu'un effet de l'éducation molle et effé- minée de son gouverneur Eulée. Cîet eunuque, (jui était aussi son premier ministre, avait employé tous ses soins à le plonger dans le luxe et dans la mollesse. 111 histoirt: ancienne. afin de le rendre incapable des affaires, et de se ren- dre lui-même aussi nécessaire, quand ce jeune prince serait majeur, qu'il Tavait été pendant sa minorité, et de cojîserver ainsi toujours le pouvoir entre ses mains. iMachah. I, Pendant qu'Antiochus était en Egypte, un faux H aiâchab. lîruit de sa mort se répandit dans toute la Palestine, los^' h^An J^son crut l'occasion propre à recouvrer le poste qu'il tiq. jud. Y avait perdu. Il vient avec un peu plus de mille hom- Jll). 12, C. 7. - 1 ' * Diod. 1. 54 , mes à Jérusalem , et , avec le secours de ceux de son Hi< roii. in parti qui étaient dans la ville , il la prend , en chasse Ménélas, qui se retire dans la citadelle, commet tou- tes sortes de cruautés contre ses concitoyens, et fait mourir sans miséricorde tous ceux qui lui tombent en- tre les mains, et qu'il regardait comme ses ennemis. Quand Antiodms apprit ces nouvelles en Egypte , il conclut que c'était une révolte générale des Juifs, et se mit aussitôt en marche pour la réprimer. Il était particulièrement en colère de ce qu'on lui dit que le peuple de Jérusalem avait fait de grandes réjouissan- ces sur le bruit de sa mort. Il forma le siège de la ville, la prit d'assaut; et en trois jours de temps que la ville fut livrée à la fureur du soldat, il en coûta la vie à quatre-vingt mille hommes, qu'il fit égorger. Il y en eut outre cela quarante mille faits prisonniers, et pa- reil nombre vendus aux nations voisines. Non content de cela, cet impie entra par force dans le temple, jusque dans le sanctuaire et les heux les plus sacrés, souillant même par sa présence le lieu très-saint, où le traître Ménélas le conduisit. Ensuite, ajoutant le sacrilège h la profanation, il emporta l'au- tel des parfums, la table des pains de proposition, le SUCCESSEURS D AIEXANDIU:. 9.A,) diandellor à sept l)ranclios du sanctuaire (If tout él;^ d'or), plusieurs autres vases, ustensiles, et dons des rois, aussi d'or. Il pilla la ville, et s'en retourna à An- tioehe, chargé des dépouilles de la Judée et de l'Egypte, qui, jointes ensemble, faisaient des sommes ' immen- ses. Pour mettre le comble au désespoir des Juifs, en partant il nomma pour gouverneur de la Judée un Phrygien nonnné Philippe, homme d'une cruauté bar- bare; pour gouverneur de la Samarie, Andronique, d'un caractère tout pareil; et il laissa à Ménélas, le plus méchant des trois, le titre de souverain-sacrifi- cateur , avec l'autorité qui était attachée à cet^e charge. Voilî» le commencement des maux qui avaient été rr M.ici.ai.. présagés à Jérusalem par d'étranges phénomènes qui '' '* y parurent quelque temps au])aravant pendant qua- rante jours. C'étaient des hommes, les uns à cheval, et les autres h pied, armés de boucliers, de lances et d'épées, c|ui, formant des corps assez considérables, se battaient en l'air comme font des armées ennemies. Les Alexandrins, voyant Philométor entre les mains a-vî.m.3835. d'Antiochus , à qui il laissait disposer comme il lui Porpiiyr.m plaisait de son royaume, le regardèrent comme perdu "sl'^us.^ ' pour eux, et mirent son cadet sur le trône, déclarant l'autre déchu de la couronne. On lui donna dans cette occasion le nom de Ptolémée Evergete JI^ qui fut bien- Ati.pu. i. .^ , tôt changé en celui de Cacergete. Le premier signifie ''"^' "' hieiifaisanl ; le second, malfaisanf. Tl eut dans la ' Il est marqué dans le liv. II ties quatre cent mille livres, /l/ac/irtiew, chaji. I , verset s>. I , qu'il = Ce sont des talents attirjucs, emporta du temple seul, mille huit (), 900,000 fr. — T;. cents talents, qui font cint] millions 1l[\ HISTOIRE ANCIENNE. ^ite le sobriquet de Phjscon ^ , qui veut dire g?'os ventre^ parce que ses excès de table l'avaient rendu Poiyb. in extrêmement gros et replet. C'est sous ce dernier titre Excerpt. leg. , , , , . . , /-.• ' /-. cap. 8r. que la plupart des ecnvauis en parlent. Cmeas et Cu- manus lui furent donnés pour ministres ; et on les chargea de rétablir les affaires délabrées de cet état. Antiochus, qui eut avis de cequi se passait, en prit occasion de revenir encore pour une troisième fois en Egypte, sous prétexte de rétablir le roi déposé, mais en effet pour se rendre maître absolu du royaume. 11 battit les Alexandrins dans un combat naval près de Péluse , entra par terre en Egypte, et marcha droit à Alexandrie, dans le dessein d'en former le siège. Le jeune roi consulta ses deux ministres. Ils lui conseil- lèrent de faire assembler un grand conseil, composé de tous les hauts officiers de l'armée, et de prendre leurs avis sur les ressources qu'il serait possible de trouver pour sortir de l'embarras où l'on était. Après bien des délibérations , on convint enfin que l'état des affaires demandait qu'on cherchât des voies d'accom- modement avec Antiochus, et que l'on engagerait les ambassadeurs des différents états de la Grèce, qui se trouvaient à Alexandrie, à employer leur médiation pour y réussir. On les trouva tout disposés à le faire. Ils allèrent par eau, en remontant le fleuve, trou- ver Antiochus et furent chargés des ouvertures de paix : deux ambassadeurs de Ptolémée les accompa- gnaient, qui avaient les mêmes instructions. Il les reçut fort bien dans son camp, les régala magnifiquement ce jour-là, et leur marqua le lendemain pour entendre les propositions qu'ils avaient à lui faire. Les Achéens ' 6a)«i)v , ventricosus , obesiis , de çûrrx.ri , crossuin intestiniim , vente?-. SUCCFSSJiURS d'aLEXANDKE. 225 parlèrent les premiers, et les autres ensuite cliaeun à leur tour. Tous s'accordèrent à charger Eulée, et à attribuer la guerre à sa mauvaise conduite, et au bas âge de Ptolémée Philométor, faisant adroitement l'a- pologie du nouveau roi, et tachant de radoucir An- tiochus à son égard pour le porer à traiter avec lui, appuyant beaucoup sur la parenté qui se trouvait entre eux. Antiochus, dans sa réponse, convint de tout ce qu'ils avaient dit sur la cause de la guerre, prit occa- sion de là d'étaler les droits qu'il avait sur la Célésvrie et la Palestine, allégua toutes les raisons qu'on a vues ci-dessus et produisit les pièces authentiques, qui fu- „ , , . rent trouvées si fortes, que tous les membres de ce c.8i,p.4i2. congrès furent convaincus de la bonté de son droit sur ces provinces. Pour les conditions de la paiv, il les renvoya à un autre temps, leur faisant espérer qu'il ferait dresser un traité solennel lorsqu'il aurait auprès de lui deux personnes absentes qu'il leur nomma, et sans qui il leur déclara qu'il ne voulait point y tra- vailler. Après cette réponse il décampa, vint à Naucratis, de là devant Alexandrie, et commença à en former le siège. Dans cette extrémité, Ptolémée Évergète, et Cleo- liv hl 44 pâtre sa sœur, qui étaient dans la place, envoyèrent ""• '^■ 1 I 1 V / Polyb.Leg. des ambassadeurs a Rome représenter le triste état où 90- ils étaient réduits, et implorer le secours du peuple romain. Ils parurent à l'audience que le sénat leur ac- corda, avec toutes les marques de douleur usitées alors dans les plus grandes afflictions, et tinrent un discours encore plus touchant. Ils représentèrent que l'autorité du peuple romain était si respectée par tous les peu- Tome Flir. Nist. anc. j 5 226 HISTOIRE ANCIENNE. pies et par tous les rois , et qu'Antiochus en particulier lui avait de si grandes obligations, que, s'il lui faisait déclarer par des ambassadeurs que le sénat ne trouvait pas bon qu'on fît la guerre à des rois alliés de Rome, ils ne doutaient point que sur-le-champ Antiochus ne se retirât de devant Alexandrie , et ne remenât son ar- mée en Syrie : que , si le sénat refusait de leur accor- der sa protection, Ptolémée et Cléopatre, chassés de leur royaume, seraient obligés au premier jour de se réfugier à Rome; et qu'il ne serait pas honorable au peuple romain , d'avoir laissé sans secours le roi et la reine dans une telle extrémité. Le sénat, touché de leurs remontrances, et per- suadé d'ailleurs qu'il n'était pas de l'intérêt des Ro- mains de laisser si fort agrandir Antiochus, et que son pouvoir serait exorbitant s'il joignait la couronne d'Egypte à celle de Syrie , résolut d'envoyer une am- bassade en Egypte pour mettre fin à la guerre. C. Po- pilius Lénas, C. Décimius , et C. Hostilius, furent les trois qu'on choisit pour cette importante négocia- tion. Leurs instructions portaient qu'ils iraient trouver premièrement Antiochus, et ensuite Ptolémée : qu'ils leur déclareraient de la part du sénat qu'ils eussent à suspendre toutes les hostilités, et à terminer la guerre : et que, si l'un des deux refusait de le faire, le peuple romain ne le regarderait plus comme son ami et comme son allié. Comme le danger était pressant, trois jours après la résolution prise dans le sénat, ils partirent de Rome avec les ambassadeurs d'Egypte. Poiyb. Leg, P^u de temps avant leur départ, il arriva en Egypte ^*' des ambassadeurs de Rhodes qui venaient exprès pour tâcher d'accommoder les différends des deux couron- SUCCESSEURS D A LEX AN D RE. 2U n. Il . lies. Ils débarquèrent à Alexandrie , el de là passèrent au camp d'Antioclius. Ils firent tous leurs efforts pour le porter à un accoiniuodement avec le roi d'Egyj)te , insistant beaucoup sur raniitié dont les deux couron- nes les avaient honorés depuis si long-temps , et sur l'obligation où elle les mettait d'employer leurs bons offices pour rétablir la paix entre elles. Comme ils s'étendaient beaucoup sur ces lieux communs , Antio- chus les interrompit, et leur dit en peu de mots qu'il n'était pas nécessaire de faire là-dessus de longues harangues : que la couronne appartenait à l'aîné des deux frères avec qui il avait fait la paix, et lié une étroite amitié ; que , si on voulait le rappeler et le re- mettre sur le trône, la guerre était finie. Il le disait, mais ce n'était nullement son dessein. Liv.iiv. /,5, Il ne cherchait qu'à embrouiller les affaires pour ve- nir à ses fins. La résistance qu'il trouvait dans Alexan- drie , dont il vit bien qu'il faudrait lever le siège , lui fit changer de batterie , et conclure qu'il fallait désor- mais entretenir l'animosité entre les deux frères, et allumer entre eux une guerre qui les affaiblît si fort, qu'il n'eût plus, quand il le voudrait, qu'à se montrer pour venir à bout de l'un et de l'autre , qui se trou- veraient alors tout-à-fait épuisés. Dans cette vue, il leva le siège, marcha du côté de Meinphis, et remit en apparence Philométor en possession de tout le pays, excepté Péluse , qu'il garda comme une clef pour en- trer quand il lui plairait en Egypte, dès qu'il verrait les choses venues au point oii il les fallait pour com- mencer à agir. Après avoir ainsi disposé toutes choses , il retourna à Antioche. Philométor commença enfin à revenir de l'assoupis- i5. 228 HISTOIllE ANCIENNE. sèment prodigieux oix l'avait jeté son indolente mol- lesse , et à sentir les maux que lui avaient faits toutes ces révolutions. 11 se trouva même assez de pénétra- tion naturelle pour entrevoir le dessein d'Antiochus. L'article de Péluse retenue par Antiochus lui ouvrit ' les yeux. Il vit bien qu'il ne gardait cette porte de l'Egypte que dans le dessein d'y rentrer quand son frère et lui seraient si abattus par la guerre qu'ils se faisaient, qu'ils ne pourraient plus résister, et qu'ils seraient alors tous deux en proie à son ambition. Ainsi, dès qu'il vit Antiochus parti, il fit dire à son frère qu'il était disposé à s'accommoder avec lui; et l'ac- commodement se fit effectivement par le moyen de Cléopatre leur sœur , à condition que les deux frères régneraient conjointement. Philométor revint à Alexan- drie, et l'Egypte eut la paix, au grand contentement des peuples, et sur-tout de ceux d'Alexandrie, qui avaient beaucoup souffert de la guerre. Antiochus , si ses discours avaient été sincères lors- qu'il disait que le but de son entrée en Egypte était uniquement de rétablir Philométor sur le trône, au- rait dû apprendre avec joie la réconciliation des deux frères. Mais il s'en fallait bien qu'il pensât si raison- nablement; et j'ai déjà remarqué qu'd couvrait sous ce discours spécieux le dessein réel d'accabler les deux frères, après qu'il les aurait affaiblis de part et d'autre par les pertes qu'ils auraient faites, poiyb. Leg. Les deux frères jugeant qu' Antiochus ne manquerait 89 et yi. pj^g jg revenir les attaquer vigoureusement, envoyèrent des ambassadeurs en Grèce pour obtenir des Achéens quelques troupes auxiliaires. I/assemblée se tenait à Corinthe. Les deux rois demandaient seulement qu'on SUCCESSKIKS D ALEXA]VDRF. 22() leur envoyât mille fantassins sous la conduite de \a- eortas, et deux cents chevaux sous celle de Polybc. lis avaient donné ordre aussi de lever mille soldats mer- cenaires. Callicrate , qui présidait à l'assemblée, s'op- posa à la demande des and)assadeurs, sous prétexte qu'il était de l'intérêt de la ligue de ne pas se mêler des afHiires étrangères, et qu'elle devait réserver ses troupes pour être en état de secourir les Romains, qu'on croyait devoir donner au premier jour une ba- taille contre Persée. Alors Lycortas et Polybc, prenant la parole, dirent, entre autres choses, que, l'année pré- cédente, Polybe étant allé trouver Marcius qui com- mandait l'armée romaine en Macédoine pour lui offrir le secours que la ligue des Achéens lui avait décerné, ce consul , en le remerciant, lui avait dit qu'étant une fois entré dans la Macédoine, il n'avait plus besoin des forces des alliés : qu'on ne devait donc pas se servir de ce prétexte pour abandonner les rois d'Egypte : que d'ail- leurs la ligue étant en état de mettre sur pied , sans s'incommoder, trente ou quarante mille hommes, une aussi petite diversion que celle dont il s'agissait ne di- minuerait point ses forces : que, dans les conjonctures où les deux rois se trouvaient, il fallait saisir l'occa- sion de leur être utiles : qu'on ne pouvait sans ingra- titude oublier les bienfaits qu'on avait reçus de l'Egypte; et qu'en manquant à ce devoir on violerait les traités et les serments sur lesquels l'alliance était fondée. Comme la multitude penchait à accorder le secours , (lallicrate congédia les députés , sous couleur que les lois ne permettaient pas de délibérer sur une affaire de cette nature dans une telle assemblée. On en convoqua donc une autre quelque tenijos 23o HISTOIRE AjNCIENNE. après à Sicyone; et comme on était près d'y prendre la même résolution, Callicrate, sur une lettre suppo- sée de Q. Marcius, qui exhortait les Achéens à s'en- tremettre pour finir la guerre entre les deux Ptolémées et Antiochus , fit porter un décret par lequel on se contentait d'envoyer des ambassadeurs vers ces princes. An m 3836 ^^^ qu'Antioclîus eut appris la réunion des deux Av.j.c. i68. frères, il résolut d'employer contre eux toutes ses Liv. lib. /,5, ' i ^ n. ii-i3. forces. Il envoya de fort bonne heure sa flotte en Polyb. Leg. / . , 92. Cypre pour s en conserver la possession, hn même temps il se mit en marche par terre avec une armée nombreuse, dans le dessein de faire cette fois-ci la conquête de l'Egypte tout ouvertement , sans faire mine, comme auparavant, de travailler pour un de ses neveux. Il trouva, en arrivant à Rhinocorura , des ambassadeurs de Philométor qui lui dirent que leur maître reconnaissait qu'il lui avait l'obligation de son rétablissement; qu'il le conjurait de ne pas détruire son propre ouvrage en employant la voie des armes et de la violence, et de lui marquer amiablement ce qu'il souhaitait de lui. Antiochus, levant le masque, ne parla plus de l'affection et de la tendresse dont il avait jusque-là fait tant de parade , et se déclara sans détour ennemi de l'un et de l'autre. Il dit aux ambas- sadeurs qu'il demandait qu'on lui cédât à perpétuité l'île de Cypre et la ville de Péluse, avec toutes les terres qui sont le long du bras du Nil sur lequel elle était située, et qu'il ne ferait de paix avec eux qu'à ces conditions. Il marqua aussi un jour auquel il voulait qu'on lui rendît réponse sur sa demande. Quand il vit ce jour passé sans qu'on lui eût donné la satisfaction qu'il prétendait, il commença les hosti- «I SUCCESSEURS d' A I.i: X A IN Dl! li. J 3 I lités , perça jusqu'à Memphis en soumettant tous les pays qu'il traversait , et là il reçut la soumission de presque tout ce qui restait. Il prit ensuite la route d'Alexandrie, dans le dessein de former le siège de cette ville, dont la prise l'aurait rendu maître absolu de tout le royaume. Il y aurait infailliblement réussi , s'il n'eût trouvé en y allant une ambassade de Rome qui l'arrêta et rompit toutes les mesures qu'il avait prises depuis si long-temps pour se rendre maître de l'Egypte. On a vu ci-dessus comment les ambassadeurs nom- més pour l'Egypte s'étaient pressés de partir de Rome. Ils débarquèrent à Alexandrie précisément dans le temps qu'Antiochus se mettait en marche pour en al- ler former le siège. Les ambassadeurs le rencontrè- rent à Éleusine ^ , qui n'était qu'à un pelit quart de lieue ' d'Alexandrie. Voyant Popilius , qu'il avait connu très-particulièrement à Rome pendant qu'il y était en otage, il lui tendit la main pour l'embrasser en qualité d'ancien ami. Le Romain , qui ne se regar- dait plus là comme particulier, mais comme homme public , voulut savoir , avant que de recevoir sa civi- lité, s'il parlait à un ami ou à un ennemi de Rome. Il lui présenta le décret du sénat, lui demanda de le lire, et de lui rendre sa réponse sur-le-champ. Antio- chus, après l'avoir lu , lui dit qu'il en délibérerait avec ses amis ^, et lui rendrait sa réponse dans peu. Popi- lius, indigné que le roi parlât de délai, fit avec une ' Turnèbe et Henri de Valois Henri de Valois au texte de Tile- ci'oient qu'il faut lire dansTite-Live Live, est de toute certitude. — L. Eleusinern, auVieu de Lciisi/iem. ^ C'est-ù-dire, avec ses conseil- * A 4 railles ou i lieue |. La leis : car à la cour des rois d'Egypte correction faite par Turnèbe et et de Syrie, les conseillers du roi ^32 HISTOIRE ANCIENNE. baguette qu'il avait à la main un cercle sur le sable autour d'Antiocbus; et baussant la voix : Rendez ré- ponse, lui dit-il, au sénat, avant que de sortir du cercle que je viens de tracer. Le roi, étourdi d'un ordre si fier, après avoir un peu pensé en lui-même, répondit qu'il ferait ce que le sénat souhaitait. Alors Popilius reçut ses civilités, et en usa ensuite à tous égards en ancien ami. Quelle bauteur d'ame ^ ! quelle fierté de langage! Ce Romain, d'un seul mot, jette dans l'effroi le roi de Syrie, et sauve celui d'Egypte. Ce qui inspirait à l'un tant de bardiesse , et à l'autre tant de docilité, était la nouvelle qu'on avait reçue tout fraîcbement de la grande victoire que les Romains avaient remportée sur Persée, roi de Macédoine. De- puis ce moment tout plia devant eux, et le nom ro- main devint redoutable à tous les princes et à toutes les nations. Antiocbus étant sorti d'Egypte dans le jour mar- qué, Popilius retourna avec ses collègues à Alexandrie, où il mit le sceau et la dernière main au traité d'ac- commodement entre les deux frères , qui n'était encore qu'ébaucbé. De là il passa en Cypre, en renvoya la flotte d'Antiocbus qui avait remporté une victoire sur celle des Égyptiens, fit rendre toute l'île aux rois d'Egypte à qui elle appartenait de droit , et revint à Rome rendre compte au sénat du succès de son am- basssade. Il y arriva aussi presque en même temps des ambas- étaient appelés ol çO.oi , amici , ' «Quàm efficax est animi sermo- conime je le montre dans mes Jn- nisque abscissa gravitas ! Eodem mo- tiquitée grecques de V Egypte, p. Sg. mento Syriœ regnum tenait , jî:gypti — L. texit.» (Val. Max. lib. 6, cap. .'|.) SUCCESSEURS d' ALEX A.JVDRE. 'i'S'S sadeurs de la part d'Antiochus , et de celle des deux Ptolémées et de Cléopatre, leur sœur. Les premiers dirent « que la pai.v qu'il avait plu au sénat de dou- ce ner à leur maître lui j)araissait préférable à toutes « les vieloires (ju'il aurait pu reujporter, et qu'il avait « obéi aux ordres des ambassadeurs romains comme a « ceux des dieux mômes. » Quelle bassesse, et quelle impiété! Ensuite ils félicitèrent le peuple romain sur la victoire qu'il venait de remporter sur Persée. Les autres ambassadeurs, non moins outrés dans leurs flat- teries que les premiers, déclarèrent « que les deux « frères Ptolémées et Cléopatre se croyaient plus re- « devables au sénat et au {)euple romain qu'à leurs « pères et mères, et qu'aux dieux même, ayant été (c délivrés par la protection de Rome d'un siège très- « facbeux, et rétablis sur le trône de leurs ancêtres, « dont ils étaient presque entièrement décbus. » Le sénat répondit « qu'Antioclius avait fait sagement d'o- « béir aux ambassadeurs; que le sénat et le peuple « romain lui en savaient bon "ré. » Je ne sais s'il est possible de pousser plus loin la fierté. Quant à Ptolé- mée et Cléopatre, on répondit «que le sénat était « fort aise d'avoir trouvé une occasion de leur faire ce quelque plaisir, et qu'il tâclierait de leur faire con- cc naître qu'ils devaient regarder l'amitié et la protec- cc tion du peuple romain comme le plus ferme appui ce de leur royaume. » Le préteur eut ordre de faire les présents ordinaires aux ambassadeurs. 234 HISTOIRE ANCIENNE. § III. AntiochuSy outré de ce qui lui était arrivé en Egypte^ fait tomber sa colère sur les Juifs. Il entreprend d'abolir le culte du vrai Dieu adoré à Jérusalem. Il j exerce les plus grandes cruau- tés. Géîiéreuse résistance de Mathathias , qui , en mourant, exhorte ses fils à combattre pour la loi de Dieu. Judas Machabée remporte plusieurs vic- toires sur les généraux et les armées d' Antiochus. Ce prince^ qui était allé en Perse pour y amasser des trésors, entreprend de piller un riche temple à Eljmaïde : il en est honteusement repoussé. Ayant appris la défaite de ses armées dans la Judée, il part brusquement pour exterminer tous les Juifs. En chemin la main de Dieu le frappe. Il meurt au milieu des plus vives douleurs, après un règne de onze ans. A>- M.3836 Antiochus, à son retour d'Egypte, outré de se voir iMachab.i, aiTaclier par les Romains une couronne sur laquelle if^s^aif il avait compté, et dont il se voyait déjà presque en Joseph, possession , fît tomber tout le poids de sa colère sur lib. i2,c. 7. les Juifs, qui ne lui en avaient donné aucun sujet. 11 détacha, en traversant la Palestine, vingt-deux mille hommes, dont il donna le commandement à Apollo- nius, et lui ordonna de détruire la ville de Jérusalem. Apollonius y arriva justement deux ans après la prise de cette ville par Antiochus. Il ne témoigna rien du tout au commencement qui pût faire soupçonner les ordres cruels qu'il avait , et attendit , pour les faire éclater, le premier jour de sabbat. Alors, voyant tout le peuple assemblé paisiblement dans les synagogues, SUCCESSEURS d'aLEXANDKK. '>3j el occupé à y rendre à Dieu le culte religieux, il s'ac- quitta de la commission barbare dont il était cbargé , et lâclia sur eux toutes ses troupes, avec ordre de massacrer tous les bommes, de prendre toutes les femmes et tous les enfants , et de les vendre. Ses ordres furent exécutés avec la dernière rigueur et la dernière cruauté. On n'épargna pas un seul bomme ; tous ceux qu'on put trouver furent massacrés impitoyablement , et les rues remplies de sang. On pilla la ville ensuite, et on y mit le feu en plusieurs endroits après en avoir tiré tout ce qu'il s'y rencontrait de ricbcsses. On abat- tit le reste des maisons , et on se servit des matériaux pour bâtir une bonne forteresse sur le baut d'une des éminences de la cité de David, vis-à-vis du temple, qu'elle commandait. On y mit une grosse garnison , pour tenir en bride toute la nation des Juifs : on en fit une place d'armes munie de bons magasins, et on y serra les dépouilles prises dans le sac de la ville. De là , la garnison fondait sur ceux qui venaient adorer Dieu dans le temple, et répandait leur sang de tous les côtés du sanctuaire , qu'elle souilla de toutes les manières. Ce fut alors que les sacrifices du soir et du matin cessèrent, pas un des véritables serviteurs de Dieu n'osant plus venir l'y adorer. Dès qu'Antiocbus fut de retour à Antiocbe, il or- i MachaL. i, , 1 • 1 ' ^ .'■,1-64; et II, donna que toutes les nations de ses états eussent a 6, 1-7. I . ,,.,.. , Joseph. quitter leurs anciennes cérémonies religieuses , et leurs Autiq. Jud usages particuliers; qu'elles se conformassent à la reli- ' • '^' '' gion du roi, et adorassent les mêmes dieux et de la même manière que lui. Cette ordonnance , quoique conçue en termes généraux , avait principalement en ^36 HISTOIRE ANCIENNE. vue les Juifs, dont il voulait absolument exterminer la religion aussi-bien que la nation. • Pour tenir la main à l'exécution de ce règlement, il envoya des intendants dans toutes les provinces de son empire, qui eurent ordre de le faire observer, et d'in- struire les peuples de toutes les cérémonies et coutumes auxquelles ils devaient se eonformer. Les gentils eurent moins de peine à s'y résoudre : culte pour culte, dieux pour dieux, on croirait que cela pouvait leur paraître assez indifférent : ils ne fu- rent pourtant pas insensibles à ce cbangement de reli- gion. Personne ne parut entrer plus aisément dans ce que demandait la cour que les Samaritains. Ils présen- tèrent une requête au roi, dans laquelle ils déclaraient qu'ils n'étaient point Juifs, et demandaient que leur temple, bâti sur le mont Garizim , qui jusque-là n'avait été dédié à aucune divinité ^ particulière, fût désor- mais consacré à Jupiter grec ^ et qu'il en portât le nom. Antiocbus reçut favorablement cette requête, et donna ordre à Nicanor, sous-gouverneur de la pro- vince de Samarie , de dédier leur temple à Jupiter grec comme ils le souhaitaient, et de ne les point inquiéter. Les Samaritains ne furent pas les seuls apostats qui abandonnèrent leur Dieu et leur loi dans cette épreuve. Plusieurs Juifs, soit pour éviter la persécution, soit pour faire leur cour au roi ou à ses officiers, soit enfin par inclination et par libertinage , en firent de même. Tous ces différents motifs causèrent bien des I Maciia]j.6, cliutcs CH Israël; et plusieurs de ceux qui avaient une 21-24. ' Ds parlaient ainsî , parce que hova) ne se prononçait jamais p;ii le grand nom du dieu d'Israël (/c- les Juifs. SUCCESSEURS I)' A LEX ANDRE. "xZ"] fois franchi ce pas-l;\ devenaient, comme cela est assez ordinaire, en se joignant aux troupes du roi, plus grands persécuteurs de leurs frères que les païens mêmes qu'on avait chargés de cette commission bar- bare. Ij'intendant qui fut envoyé en Judée et en Samarie pour faire exécuter l'ordonnance du roi, était Athénée, homme d'Age, et fort versé dans toutes les cérémonies fie l'idolâtrie des Grecs, qu'on jugea par cette raison fort propre à y inviter ces peuples. Dès qu'il fut arrivé à Jérusalem., il commença par faire cesser les sacri- fices qu'on offrait au Dieu d'Israël, et à supprimer toutes les observances de la religion judaïque. On souilla le temple, de sorte qu'il n'était plus propre au service de Dieu: on profana les sabbats, et les autres fêtes: on défendit de circoncire les enfants: on enleva et on brûla tous les exemplaires de la loi par-tout où on les trouvait : on abolit toutes les ordonnances de Dieu dans tout le pays , et l'on fit mourir tous ceux que Ton put reconnaître avoir contrevenu en quelque point à celle du roi. Les soldats de Syrie, et l'intendant qui les commandait , furent les principaux ministres par le moyen desquels se fit la conversion des Juifs à la reli- gion du prince. Pour l'établir plus promptement dans toute la na- tion, on bâtit dans toutes les villes des autels, et des chapelles avec des idoles : on y ajouta des bois sacrés. On y mit des officiers, qui y faisaient sacrifier tout le monde une fois le mois, le jour du mois auquel était né le roi , et (jui leur faisaient manger de la chair de pourceau, et d'autres bêtes impures qu'on y offrait en sacrifice. 238 HISTOIRE ANCIENNE. iMachaL.a, Uii dc CCS officlers , nommé Apelle^ vint à Modin, Joseph où demeurait Matliathias , de la race sacerdotale , ifb 'i*^2 ^l\ homme vénérable et fort zélé pour la loi de Dieu. 11 était fils de Jean , et petit-fils de Simon , dont le père Asmonée avait donné à sa famille le nom i^Asmo- fiéens. Il avait avec lui cinq fils, tous gens de cœur, et zélés comme lui pour la loi de Dieu : Jean , sur- nommé Gaddis; Simon, surnommé Thasij Judas, sur- nommé Machabee; Eléazar, qui avait le surnom ài'Abai'on; et Jonatlias, qui avait celui àApphus. En arrivant à Modin , Apelle fit assembler les habitants , et leur expliqua le sujet de sa commission. Ensuite, adressant la parole à Mathathias, il tacha de le per- suader de se conformer à la volonté du roi, afin d'en- traîner tout le reste des habitants par l'exemple d'un homme si respectable et si considéré. Il lui promit que, s'il le faisait, le roi le mettrait au nombre de ses amis et dans son conseil , et que lui et ses fils recevraient tous des honneurs et des bienfaits de la cour. Matha- thias lui répondit avec une voix ferme , qui le fit enten- dre de toute l'assemblée, que ^ quand toutes les nations obéiraient au roi Antiochus, et que tous ceux d'Israël abandonneraient la loi de leurs pères pour se soumet- tre à ses ordonnances, lui, ses enfants et ses frères demeureraient toujours inviolablement attachés à la loi de Dieu. Après cette déclaration , apercevant un Juif qui se présentait à l'autel que les païens y avaient élevé , pour y sacrifier selon l'ordonnance du roi ; saisi d'un zèle semblable à celui de Phinée , et transporté d'une juste ' « Etsi oranes gentes regi Antio- quisque a servitute legis patrum «•ho obediunt , ut discedat unus- suorura , et consentiat mandatis SUCCESSETTRS 1)' ALE X A NDRÏÎ. Q.3ç) el sainte indignation ' , il s'élance contre cet apostat, et le tue; puis soutenu de ses enfants et de quelques au- tres qui se joignirent à eux, il traita de la nu-uie sorte l'officier et toute sa suite. Ayant comme levé l'étendard par ce coup d'éclat, il cria à haute voix dans la ville : Que quiconque est zèle pour la loi"^ ^ et veut demeurer Jerme dans Vaillance du Seigneur, nie suive. Alors ayant assemblé toute sa famille, et ceux qui étaient vérita- blement attachés au culte de Dieu, il se retira avec eux dans les montagnes, où ils furent bientôt suivis de quel- ques autres; et en assez peu de temps les déserts de Judée furent remplis de ceux qui fuyaient la persé- cution. D'abord, comme on les attaquait des jours de sab- iMaciiab.a, bat, de peur d'en violer la sainteté ils n'osaient se dé- ^' \\_ ' '' fendre et se laissaient égorger. Mais ils comprirent Amwùd bientôt que la loi du sabbat n'obligeait personne dans i'^'^- ^■^■ le cas d'une nécessité si pressante. Antiocbus ayant avis que ses ordres ne trouvaient AN.M.38S7. pas en Judée la même soumission que par-tout ailleurs, ^Joseph. ' s y rendit en personne pour les lau'e exécuter. 11 exerça c. 4 et 5 " les plus grandes cruautés sur tous les Juifs qui refu- saient d'abjurer leur religion, pour obliger les autres, par la crainte de pareils tourments, à faire ce qu'on demandait d'eux. Ce fut alors qu'arriva le martyre n Madiah. d'Eléazar, et celui de la mère et de ses sept fils appelés ^^^■'^''^"^ ordinairement les Machabées. Quoique ces histoires soient connues de tout le monde, elles me paraissent ejus, ego, et filil mei, et fratres leur persuader de sacrifier aux mei , obedieiuus legi patruiu nostro- idoles. » ( Deuter. r 3 , 6-i i . ) rura. » 2 «Omnis, qui zelumhabet legis, • Dieu avait ordonné à son peu- statuens testamentum , exeat post pie de tuer ceux qui voudraient me. » a/jO HISTOIRE ANCIENNE. trop intéressantes et trop personnelles à Antiochus, dont je décris l'histoire , pour être passées sous silence. Je les rapporterai presque dans les termes mêmes de l'Ecriture. I.a violence de la persécution fit tomber plusieurs Juifs; mais plusieurs aussi demeurèrent fermes, et ai- mèrent mieux mourir que de se souiller par des vian- des impures. Un des plus illustres entre ceux-ci fut Eléazar : c'était un vénérable vieillard , âgé de quatre- vingt-dix ans, docteur de la loi , dont la vie avai't tou- jours été pure et^ innocente. On le pressait de manger de la chair de porc, et on voulait l'y contraindre en lui ouvrant la bouche par force; mais Eléazar, préfé- rant une mort glorieuse à une vie criminelle, alla volon- tairement et de lui-même au supplice; et persévérant dans la patience, il résolut de ne rien faire contre la loi pour l'amour de la vie. Ses amis , qui étaient présents , touchés d'une in- juste compassion, le prirent à part, et le conjurèrent de trouver bon qu'on lui apportât des viandes dont il lui était permis de manger , afin qu'on pût faire croire qu'il avait mangé des viandes du sacrifice selon le com- mandement du roi, et que par là on lui sauvât la vie; mais Eléazar , considérant ce que demandaient de lui son CTrand â^e, les sentiments nobles et généreux avec les- quels il était né, et cette vie innocente qu'il avait me- née dès son enfance, répondit selon les ordonnances de la sainte loi de Dieu, qu'il aimait mieux être envoyé au tombeau que de consentir à ce qu'on lui proposait : « Car il est indigne , leur dit-il , à l'âge oii nous som- « mes, d'user de cette fiction, qui serait cause que plu- « sieurs jeunes hommes s'imaginant qu'Eléazar, à l'âge SUCCF.SSEUllS d'aLEXANDRE. 24 I « de quatre-vingt-dix ans, aurait embrassé la vie des « païens, seraient trompés par cette feinte dont j'au- « rais usé pour conserver un petit reste de cette vie « corruptible; et ainsi je déslionorerais ma vieillesse, « et je l'exposerais à l'exécration des lionnnes. D'ail- « leurs, quand je me délivrerais présentement des sup- « plices des hommes, je ne pourrais néanmoins éviter « la main du Tout-puissant, ni pendant ma vie, ni « après ma mort. C'est pourquoi , en mourant coura- « geusement, je paraîtrai digne de la vieillesse, et je « laisserai aux jeunes gens un exem])le de fermeté , en « souffrant volontiers et avec constance une mort lio- « norable pour nos vénérables et saintes lois. » Aussi- tôt qu'il eut achevé de parler, on le traîna au supplice. Ceux qui le conduisaient, et qui jusque-là avaient fait paraître quelque douceur envers lui , entrèrent tout d'un coup en fureur à cause de ce qu'il venait de dire , et qu'ils attribuaient h orgueil. Lorsqu'il était près de mourir sous les coups, il jeta un grand soupir, et dit : « Seigneur, qui connaissez toutes choses par une science « toute sainte, vous voyez qu'ayant pu me délivrer de (c la mort, je souffre dans mon corps de cruelles dou- ce leurs; mais que dans mon ame je sens de la joie de « les souffîir, parce (jue je vous crains. » Ainsi mourut ce saint vieillard, laissant non-seulement aux jeunes hommes , mais encore à toute sa nation , un grand exemple de vertu et de fermeté dans le souvenir de sa mort. Il arriva que l'on prit aussi sept frères avec leur mère; et le roi Antiochus voulut les contraindre de manger de la chair de porc contre la défense de la loi , en les faisant déchirer à coups de fouets et d'escour- To/nc FUI. Hisl. anc. 1 G ll\1 HISTOIRE ANCIENNE. gées; mais l'un deux, qui était l'aîné, lui dit : « Que (c demandez-vous , et que voulez-vous apprendre de « nous ? Nous sommes prêts à mourir plutôt que de « violer les saintes lois que Dieu a données à nos « pères. )) Le roi , entrant en colère , commanda qu'on mît sur le feu des poêles et des chaudières d'airain; et lorsqu'elles furent toutes brûlantes , il fit couper la langue à celui qui avait parlé le premier, lui fit arra- cher la peau de la tête , et couper les extrémités des pieds et des mains à la vue de sa mère et de ses frères. Après qu'il eut été ainsi mutilé par tout le corps , on l'approcha du feu , et on le fit rôtir dans la poêle. Pen- dant qu'on le tourmentait ainsi, ses frères avec leur mère s'encourageaient l'un l'autre à mourir généreuse- ment, en disant : « Le Seigneur Dieu considérera la « vérité; il aura pitié de nous et nous consolera, comme « Moïse le promet dans son cantique. » Le premier étant mort de cette sorte, on prit le second; et, après qu'on lui eut arraché la peau de la tête avec les cheveux, on lui demanda s'il voulait manger des viandes qu'on lui présentait avant qu'on lui coupât les membres l'un après l'autre ; mais il ré- pondit en la langue du pavs : «Je n'en ferai rien. » Ainsi on lui fit souffrir les mêmes tourments qu'au premier. Etant près de rendre l'esprit, il dit au roi : « Méchant prince, vous nous ôtez la vie présente ; mais « le roi du ciel et de la terre nous ressuscitera un jour (f pour la vie éternelle , si nous mourons pour la dé- « fense de ses lois. » Après celui-ci, on alla au troisième. On lui demanda sa langue , qu'il présenta aussitôt ; il étendit les mains constamment, et dit avec confiance : « J'ai reçu ces i SUCCESSEURS d'aLKXANDRE. -^Zjj « membres du ciel , mais je les méprise maintenant << pour la défense des lois de Dieu , parce que j'espère « qu'il me les rendra un jour. » Le roi et tous ceux de sa suite étaient surpris de voir le courage de ce jeune homme, qui comptait pour rien les plus grands tourments. Le quatrième fut tourmenté de même; et, lorsqu'il allait rendre l'esprit, il dit au roi : « Il nous est avan- « tageux d'être tués par les hommes, parce que nous « espérons que Dieu nous rendra la vie en nous res- (c suscitant; mais pour vous, votre résurrection ne sera « point pour la vie. » Le cinquième, pendant qu'on le tourmentait, dit au roi : « Vous faites maintenant ce que vous voulez , « parce que vous avez en main la puissance parmi les « hommes , quoi([ue vous ne soyez qu'un homme « mortel ; mais ne vous imaginez pas que Dieu ail « abandonné notre nation. Attendez un peu, et vous « verrez sa puissance, et de quelle manière il vous « tourmentera vous et votre race. » Le sixième vint après; et il dit, un moment avant que de rendre l'esprit : « Ne vous trompez pas vous- « même. Il est vrai que ce sont nos péchés qui nous « ont attiré les maux extrêmes que nous souffrons; « mais ne vous flattez pas de l'espérance de l'impu- « nité, après avoir entrepris de faire la guerre h Dieu « même. » Cependant leur mère , soutenue par l'espérance qu'elle avait en Dieu, voyait avec une fermeté admi- rable ses sept enfants périr en un même jour. Elle les encourageait par des discours pleins de force et de sagesse; et, alliant un courage mâle avec la tendresse i6. ^44 HISTOIRE ANCIENNE. d'une mère , elle leur disait : « Je ne sais comment a vous avez été formés dans mon sein , car ce n'est « point moi qui vous ai donné l'ame, l'esprit et la vie, « ni qui ai assemblé tous vos membres ; mais je sais a que le créateur du monde, qui a formé l'homme dans (( sa naissance , et qui a donné l'être à toutes choses , « vous rendra un jour l'esprit et la vie par sa miséri- « corde, en récompense de ce que vous les méprisez « maintenant pour l'amour de ses lois. » Le plus jeune de ces enfants restait encore. Antio- clius commença à l'exhorter, et l'assura même avec serment qu'il le rendrait riche et heureux, «t qu'il le mettrait au nombre de ses favoris, s'il voulait aban- donner les lois de ses pères. Mais , ce jeune enfant étant insensible à toutes ses promesses, le roi appela sa mère, et l'exhorta à donner à son fils un conseil salutaire. Elle le lui promit : puis s'approchant de l'en- fant , et se moquant de la cruauté du tyran , elle lui dit en la langue du pays : «Mon fds, ayez pitié de « moi , qui vous ai porté neuf mois dans mon sein , « qui vous ai nourri de mon lait pendant trois ans , « et qui vous ai élevé jusqu'à l'âge où vous êtes. Je « vous conjure, mon cher enfant, de regarder le ciel « et la terre , et tout ce qui y est renfermé , et de pen- ce ser que c'est Dieu qui a fait de rien toutes choses , u aussi-bien que le genre humain. Ne craignez point « ce cruel bourreau; mais montrez-vous digne de vos « frères en recevant la mort de bon cœur, afin que, u par la miséricorde de Dieu , je vous reçoive avec vos « frères dans la gloire que nous attendons. » Lorsqu'elle parlait encore, le jeune enfant dit tout haut : « Qu'attendez-vous de moi ? Je n'obéis point au SUCCESSEURS jVa LEX A N DUE. ll\:) « commandement du roi , mais à la loi qui nous a été « donnée par Moïse. Pour vous, qui êtes l'auteur de « tous les maux qu'on fait souffrir aux Hébreux, vous « n'éviterez point la main de Dieu. Il est vrai que c'est « à cause de nos péchés que nous souffrons : mais si « le Seigneur notre Dieu, pour nous châtier et nous « corriger, s'est mis pour un peu de temps en colère « contre nous, il s'apaisera enfin, et se réconciliera « avec ses serviteurs. Mais vous, le plus méchant et le « plus impie de tous les hommes, ne vous flattez pas « d'une vaine espérance. Vous n'échapperez pas au (( jugement de Dieu, qui peut tout et qui voit tout. « Quant à mes frères , après avoir supporté une dou- « leur d'un moment, ils sont entrés dans l'alliance « éternelle. A leur exemple, j'abandonne volontiers « mon corps et ma vie pour les lois de mes pères ; et « je prie Dieu qu'il se rende bientôt favorable à notre « nation ; qu'il vous contraigne par les tourments et « les plaies de confesser qu'il est le seul Dieu ; et que « sa colère, qui est tombée justement sur notre nation, « finisse à ma mort et à celle de mes frères. » Le roi, transporté de fureur, et ne pouvant souffrir cfe se voir insulté, fit tourmenter ce dernier encore plus cruellement que les autres. Ainsi il mourut sain- tement comme ses frères, dans une parfaite confiance en Dieu. Enfin la mère souffrit aussi la mort après ses enfants. Mathathias, avant que de mourir, fit venir ses cinq AN.M.asis. fils, et, après les avoir exhortés à combattre vaillam- ^Maciiir' ment et constannnent pour la loi de Dieu contre les ^''^n-^o. ^ _ '■ Jose])ti. persécuteurs, il nomma Judas pour général, et Simon ^"''i •'"'• pour présider au conseil. Ensuite il rendit l'esprit, et ■2l[6 HISTOIRE A.NCIENNE. fut enterré à Modin , dans le sépulcre de ses ancêtres , extrêmement pleuré et regretté par tous les fidèles Israélites. Poiyb. Antlochus, voyant que Paul Emile, après avoir battu l'sI^p^^Iqs! l^ersée , et fait la conquête de la Macédoine , avait cé- j^j^Jj lébré des jeux à Amphipolis sur le Strymon, eut envie iuExrerpt. j'gj^ faire autaut àDaphné, près d'Anlioche. Il enmar- Vales.p.Sai. ^ ^ _ . qiia le temps , envoya de tous côtés inviter des specta- teurs, et en attira une foule prodigieuse. Les jeux se firent avec une pompe et une dépense extraordinaires, et durèrent plusieurs jours. Le personnage qu'il y joua pendant tout ce temps-là répondit parfaitement au trait de la prophétie de Daniel, qui l'appelle un Dan. 11,21. homme méprisable : ] en ai parlé ailleurs. Il y fit tant d'extravagances, en présence de cette multitude infi- nie de peuple assemblé de différents endroits du monde , qu'il s'attira le mépris et la risée de tous les assistants : plusieurs même en furent si choqués , que , pour éviter de voir une conduite si indigne d'un prince, et si con- traire aux règles de la bienséance et de la pudeur, ils ne voulurent plus aller aux festins où ils étaient in- vités de sa part. Poiyb. iu A peine avait-il achevé la célébration de ces jeux, ^^^oT-'iVs^^ qu'il vit arriver chez lui Tibérius Gracchus, envoyé ..^''''V,'" par les Romains en qualité d'ambassadeur pour ob- pag. 322. server quelles étaient ses dispositions. Antiochus le reçut avec tant de politesse et d'amitié , que non-seule- ment cet ambassadeur ne conçut aucun soupçon contre lui, et ne s'aperçut point qu'il eût sur le cœur ce qui s'était passé à Alexandrie, mais qu'il blâma tous ceux qui faisaient contre ce prince ces sortes de rapports. Kn effet, outre les autres honnêtetés qu' Antiochus lui SUCCKSSliLllS D ALliX (VNDRL. u!\'] (it , il sortit de son palais pour l'y loger, et peu s'en lallut (ju'il ne lui eédat aussi son diadème. En habile politique, il aurait dû se défier de toutes ees honnêtetés : ear il est certain ([u'Antiochus dès-lors était très-résolu à se venger des Romains; mais il dissimulait pour gagner du temps et s'y nneux préparer. Pendant qu'Antiochus s'amusait à Daphné à célébrer i Madiab. >, des jeux, Judas jouait un rôle bien diflérent en Judée. '"'' ;;'.„. ' Après avoir assemblé son armée, il fit fortifier les Antiq"'juJ. villes, rebâtit leurs forteresses, y plaça de bonnes gar- '• **' '• *"• nisons, et se rendit formidable dans tout le pays. Apol- lonius , qui était gouverneur de la Samarie pour An- tiochus, crut pouvoir arrêter ses progrès, et marcha droit à lui. Judas le battit, le tua, et fit un grand car- nage de ses troupes. Séron, autre commandant, qui s'était flatté de venger l'affront fait à son maître, eut le même sort qu'Apollonuis, et, connue lui, fut battu et tué dans le combat. Antiochus entra en furie quand il apprit ces deux défaites. Il fit aussitôt assembler toutes ses forces , et avec cette grosse armée il résolut d'aller détruire toute la nation juive, et de donner leur pays à d'autres. Quand il fut question de payer ses troupes, il ne se trouva pas assez d'argent dans ses coffres : il les avait épuisés dans les folles dépenses qu'il venait de faire. Faute d'argent, il fallut suspendre la vengeance qu'il voulait tirer de la nation juive, et tous les plans qu'il avait formés pour en venir à bout avec la dernière rapidité. Il avait employé des sommes immenses à ses jeux. jo.-,n,u. 1 •! • I • n Aiitiq. Jud. Outre cela, il poussait la magnincence en toutes sortes i. ,2, ,-. i,. de rencontres jusqu'à la profusion dans les présents qu'il 1l^S HISTOIRE ANCIENNE. faisait aux particuliers et à des corps entiers. Fort sou- vent il donnait son argent à pleines mains à ceux de sa suite et à d'autres, quelquefois assez a propos, mais le plus souvent sans raison. Il vérifiait en cela ce que Dan. ir, 24. le prophète Daniel avait prédit de lui , qu'il répandrait z'S^. ' parmi eux le pillage^ le butin et les richesses ; et l'Ecri- ture dit qu il avait fait des lai^gesses extraordinaires ^ et quil avait surpassé en magnificence tous les rois Athen. 1.5, quï T avaient précédé. Athénée nous apprend que les ^' '^^* fonds d'où il tirait de quoi fournir <à ces dépenses étaient, en premier lieu, le butin qu'il avait fait en Egypte contre la foi donnée au roi Philométor mineur; puis ce qu'il tirait de ses amis comme don gratuit; enfin , et cet article était le plus considérable , le pillage d'un grand nombre de temples où il avait exercé ses sacrilèges. Outre l'embarras où le jetait la disette d'argent, il en avait encore d'autres, qui lui venaient, selon la pre- Dan. 11,44; diction de Daniel, des îiouvelles de V Orient et de «t H_.eron. l' jq^^n^j^ ^ ^j^^i /g troubluient. Car , au nord , Artaxias , huuciocum. j,qJ d'Arménie, s'était révolté contre lui; et dans la Perse, qui était à l'orient, on ne lui payait plus les 1 Machab. tributs régulièrement. Là , aussi-bien que dans presque '*' '^" tout le reste de ses états, tout était, pour ainsi dire, bouleversé par la nouvelle ordonnance, qui leur otait leurs anciennes coutumes, et y établissait à leur place celles des Grecs, dont il s'était entêté. Ces agitations causaient du désordre par rapport aux paiements , qui dans ce riche et vaste empire s'étaient faits jusque-là fort régulièrement, et avaient toujours fourni aux grandes dépenses qu'il y fallait faire. Pour remédier à cet embarras , aussi-bien qu à quel- SUCCESSEURS d' A LEXAiV DR E. 249 f[ues autres, il résolut de partager ses troupes eu doux; i Madiai.. 1 'VT- -'i-I-ll^' 3l-(io, et di' douiicr uue de ses années a Lysias,f{ui était de la /,,,.,.';; u. famille royale, pour dompter les Juifs; et de mener j.'.scp'i,.' Tautre lui-même en Arménie, et ensuite en Perse, i^"!,'\'' ",**,_ pour rétablir ses affaires, et remettre l'ordre dans ces g^J''",''"', '," provinces. Il laissa donc effectivement à Lvsias le eou- H'"»" i" vernement de tout ce qui était en-deçà de l'Euplirate, et le soin de l'éducation de son fds, qlii n'avait que sept ans, et qui fut appelé dans la suite Anliodius Eupalor. Après avoir passé* le mont Taurus, il entra en Arménie, battit Artaxias, et le fit prisonnier. Il ])assa de là en Perse, oii il crut n'avoir qu'à prendre le tribut de cette ricbe province, et de celles qui étaient dans le voisinage. Il se flattait d'y trouver de quoi rem- plir son trésor, et remettre toutes les affaires sur un aussi bon pied qu'elles eussent jamais été. Pendant qu'il roulait tous ces projets dans sa tète, Lvsias , de son côté, songeait à exécuter les ordres (ju'il lui avait laissés, et sur-tout ceux qui regardaient les Juifs. Le roi lui avait commandé de les exterminer entièrement, et de n'en pas laisser un seul dans le pays, où il mettrait ensuite de nouveaux habitants, à qui il distribuerait les terres par sort. Il crut devoir faire d'autant plus de diligence dans cette expédition, qu'il apprenait tous les jours les progrès que faisait Judas, qui s'agrandissait en soumettant toutes les places dont il approchait. Philippe, à qui Antiochus avait laissé le gouverne- ment de la Judée, voyant les succès de Judas, avait dépêché des exprès pour en donner avis à Ptolémée Macron , gouverneur de la Célésyrie et de la Palestine , dont la Judée était une dépendance, et l'avait pressé l5o UISÏOIliE ANCIENNE. par ses lettres de prendre des mesures pour soutenir les intérêts de leur commun maître dans cette conjonc- ture importante. Macron avait communiqué ses avis et ses lettres à Lysias. On résolut là-dessus d'envoyer incessamment une armée en Judée. Ptolémée Macron fut nommé pour y connnander en chef. Il choisit Nicanor, son intime ami, pour son lieutenant-général, l'envoya devant avec vingt mille hommes, et lui donna Gorgias, vieil officier d'une expérience consommée, pour l'assister. Ils entrèrent dans le pays, et furent bientôt suivis de Ptolémée, avec le reste des troupes destinées à cette expédition. L'armée, après la jonc- tion, vint camper à Emmaiis , près de Jérusalem. Elle consistait en quarante mille hommes d'inianterie et sept mille chevaux. Il s'y rendit aussi une autre espèce d'armée : c'étaient des marchands qui venaient acheter les esclaves qu'ils comptaient qu'on ferait dans cette guerre. Nicanor, (|ui s'était proposé de lever par là de grosses sonnnes d'argent, et même assez pour payer les deux mille talents ' que le roi devait encore aux Romains, de l'ancien traité deSipyle, fit publier, dans tous les pays voisins, qu'on vendrait les prisonniers qu'on ferait dans cette guerre, et qu'on en aurait quatre-vingt-dix pour un talent?. Effectivement , on avait résolu de passer au fil de l'épée tous les hommes faits, et de mettre tout le reste dans l'esclavage; et cent quatre-vingt mille têtes de ces derniers, au prix qu'on vient de dire, au- raient fait la somme dont il s'agit. Les marchands ' Six millions. = 1 1,000,000 fV. — 1- ■ Mille éous. = 5,5oo fr. — L. SUCGKSSLLRS o' A. 1, KX A JN UIl K. 2 T ) I donc , voyant qu'il y aurait beaucoup à gagner pour eux, parce que ce prix était fort bas, s'y rendirent en loulc avec des sommes considérables. On compte qu'il y en avait jusqu'au nombre de mille, tous gros mar- cbands, qui vinrent au camp des Syriens dans cette occasion, sans compter leurs valets, et les gens dont ils avaient besoin pour conduire les esclaves qu'ils de- vaient acheter. Judas et ses frères, voyant le danger dont ils étaient menacés à l'approche d'une si puissante armée, (ju'ils savaient avoir reçu ordre d'exterminer entièrement leur nation, résolurent de, se défendre courageuse- ment, de combattre pour eux-mêmes, pour leur loi, et pour leur liberté, et de vaincre ou de mourir les armes à la main. Ils partagèrent les six mille hommes qu'ils avaient, en quatre corps de quinze cents hommes chacun. Judas se mit à la tête du premier, et donna le conunandement des trois autres à ses frères : en- suite il les menaà Maspha,pour y offrir tous ensemble leurs prières à Dieu, et implorer son secours dans le danger extrême auquel ils se trouvaient exposés. Il choisit cet endroit, parce que Jérusalem étant entre les mains de leurs ennemis, et le sanctuaire foulé aux pieds, ils ne pouvaient s'y assembler pour cet acte de religion; et Maspha leur parut l'endroit le plus propre pour s'acquitter de ce devoir, parce que c'était un Judic. .zo, t. lieu oii l'on servait Dieu avant la fondation du tenqile. ''"' Voilà deux armées prêtes à en venir aux mains, avec un nombre bien inégal , et des dispositions encore plus différentes. Elles conviennent en un point, c'est (jue toutes deux comptent également sur une victoire assu- rée, l'une parce cjuclle a des troupes nombreuses. 20.2 HISTOIRE ANCIENNE. aguerries, commandées par des chefs également bra- ves et expérimentés; l'autre, parce qu'elle met toute sa confiance dans le Dieu des armées. Deuterou. Après la proclamatioii faite selon la loi , que ceux. 20, 5. etc. . . , , . ' ^^ • / I qui avaient bàti, cette annee-la , une maison, ou épouse une femme, ou planté une vigne , ou qui avaient peur, pourraient se retirer, les six mille hommes de Judas se trouvèrent réduits à la moitié. Cependant ce vail- lant capitaine du peuple de Dieu, résolu de combattre la nombreuse armée des ennemis avec cette poignée de gens, et d'en abandonner l'événement à la Provi- dence, s'avança avec sa petite troupe, vint camper tout proche de l'ennemi , et déclara à ses gens , après les avoir animés par tous les motifs que la conjoncture présente lui fournissait, qu'il avait dessein de livrer bataille aux Syriens le lendemain, et qu'ils eussent à s'y préparer. JMais sur l'avis qu'il reçut le soir que Gorgias avait été détaché du camp ennemi avec cinq mille hommes d'infanterie et mille chevaux, toutes troupes choisies, et qu'il leur faisait prendre des détours que lui ensei- gnaient les Juifs apostats, dans le dessein de venir le surprendre cette nuit-là dans son camp , il ne se con- tenta pas de parer le coup qu'on lui voulait porter , il se servit du stratagème de l'ennemi même , contre lui : et son dessein lui réussit; car, quittant son camp sur- le-champ, et le laissant tout vide, il alla donner sur celui de l'ennemi affaibli par le détachement de ses meilleures troupes , et y jeta si bien la confusion et l'épouvante, qu'on le lui abandonna par la fuite, en y laissant trois mille Syriens tués. Comme Gorgias et son détachement étaient encore à SUCCESSF.URS d' ALI- X A N DR E. 253 craindre. Judas, en homme qui entend la guerre, retint ses troupes , et les empêcha de s'ahandonner au pil- hige ou à la poursuite de l'ennemi, jusqu'à ce qu'ils eussent encore défait ce corps-là : il y réussit sans combat. Gorgias, après avoir manqué Judas dans son camp, et l'avoir cherché inutilement dans les monta- gnes, oîi il crut qu'il se serait relire, revint enfin au camp; et le trouvant en feu , et l'armée débandée et en fuite, il ne fut pas le maître de ses soldats: ils jetè- rent leurs armes, et s'enfuirent aussi. Alors Judas et sa troupe les poursuivirent vivement , et leur tuèrent plus de monde qu'ils n'en avaient tué dans le camp; de sorte qu'en tout il demeura sur la place neuf mille Svriens, et la plupart de ceux qui se sauvèrent furent blessés ou estropiés. Après cela , Judas ramena ses gens recueillir les dé- pouilles du camp , où ils trouvèrent de grandes ri- chesses; et plusieurs de ceux qui étaient venus comme à une foire pour acheter les Juifs furent pris avec leur argent, et vendus eux-mêmes. J^e lendemain, qui était le sabbat, fut célébré avec beaucoup de religion. On s'y livra à ime sainte joie , et on rendit à Dieu des ac- tions de grâces solennelles de la grande et signalée déli- vrance qu'il venait de leur accorder. On voit ici sensiblement ce que c'est qu'un bras de chair contre le bras du Tout-Puissant , de qui seul dépend le sort des batailles. Il est bien évident que Judas sentait toute sa faiblesse. Comment pourrons- nous subsister devant eux y disait-il à Dieu avant le combat, si vous-même ne nous assistez? Et il n'est pas moins évident qu'il comptait sur un succès assuré. La victoire, avait-il dit auparavant, ne dépend point ^54 HISTOIRE ANCIENNE. de la grandeur des armées , mais c'est du ciel que nous vient toute la force. Mais , avec cette pleine confiance en Dieu , Judas emploie tout ce que la science la plus parfaite de la guerre et la prudence la plus consom- mée pouvaient imaginer de plus propre à lui faire vaincre les ennemis. Modèle admirable pour les géné- raux'. Prier humblement, parce que tout dépend de Dieu ; agir vivement , comme si tout dépendait de l'homme. Nous avons encore , grâces à Dieu , des généraux qui se font gloire de penser ainsi, et qui, à la tête d'armées nombreuses , composées de soldats les plus braves qui furent jamais , aussi-bien que d'officiers et de commandants d'un courage et d'un zèle qui ont peu d'exemples, ne comptent point sur tous ces avan- tages humains, mais uniquement sur la protection du Dieu des armées. H Machab. Judas , animé par l'importante victoire qu'il venait 8,3o-33. j^ remporter, et renforcé par un grand nombre de troupes que ce succès lui attira , se servit de cet avan- tage pour accabler ses autres ennemis. Sachant que Timothée et Bacchide, deux lieutenants d'Antiochus, assemblaient des troupes contre lui , il marcha à eux , les défit dans une grande bataille, et leur tua plus de vingt mille hommes. An.m.3839. Lysias, ayant appris le mauvais succès des armes du f MacLb^J; roi en Judée , et les grandes pertes qu'on y avait faites, Joseph, fut bien surpris et bien embarrassé. Néanmoins, comme l'^l^'c"?! il savait combien le roi avait à cœur d'exterminer cette nation , il fit de grands préparatifs pour une nouvelle expédition contre les Juifs. Il mit sur pied une armée de soixante mille hommes d'infanterie, et de cinq mille chevaux , tous gens de courage , se mit lui-même à leur Si;CCESSFl' RS I) AT.r.X A NDR i:. ,>.;)^ tête, et les mena en Judée, résolu de ruiner entière- ment le pays et d'exterminer les habitants. Il vint camper à Belhsura, ville située au midi de Jérusalem, vers la frontière d'Idumée. Judas l'y vint chercher à la tête de dix mille hommes; et, ne doutant point de l'assistance de Dieu, il livra la bataille avec une armée si inférieure en nombre, tua cinq mille hommes des ennemis, et mit le reste en fuite. Lysias, effravé de la valeur des soldats de Judas, qui se bat- taient avec un courage intrépide, résolus de vaincre ou de mourir , ramena à Antioche son armée battue , dans le dessein pourtant de les venir attaquer de nou- veau, l'année suivante, avec une armée encore plus nombreuse. Cette retraite de J^ysias laissant Judas maître de la iMadiab./,, campagne, il profita de ce repos pour aller à Jérusa- \'^.'ù%',ll lem tirer le sanctuaire des mains des païens, le puri- j„sepi,. fier, et le dédier de nouveau au service de Dieu. La i'^"^"';,^"'^^ solennité de cette dédicace dura huit jours, qui se passèrent en actions de grâces pour la délivrance que Dieu leur avait acordée, et il fut ordonné qu'on en renouvellerait la célébration tous les ans. Les peuples voisins , jaloux de la prospérité des Juifs, se liguèrent ensemble pour les perdre, et résolurent de se joindre à Antiochus pour exterminer entièrement cette na- tion. Ce prince était passé en Perse, pour recueillir le An.m.384o. tribut qu'on avait mancjué de payer régulièrement. Il fjï^f/chah^fj fut averti que la ville d'Élymaïde passait pour avoir de ^■'''' "'9' crandes richesses en or et en arojent: et sur-tout que ^"'yb- in ^ . , . , ^ Exoerpt. Va- dans un temple de cette ville, dédie, selon Polybe, à les. p. 145. -1^- 1 4 • V Tr ' -i ■ t ' Appian. in Diane, et, selon Appien,a Venus, il y avait des trésors .Syr.p. i3r . 256 HISTOIRE ANCIENNE. immenses. Il y alla , dans le dessein de prendre la ville et de la piller avec son temple, de même qu'il en avait usé à l'éeard de Jérusalem. Comme on fut averti de son dessein, les habitants de la campagne et les bour- geois de la ville prirent les armes pour défendre leur temple, et le repoussèrent honteusement. Il se retira à Ecbatane, outré de cette disgrâce. Pour surcroît de douleur, il y reçut la nouvelle de ce qui venait d'arriver en Judée à Nicanor et à Timo- thée. Transporté de rage, il se mit en chemin pour venir en diligence faire sentir à cette nation les effets les plus terribles de sa colère, ne respirant tout le long du chemin que menaces, et ne parlant que de ruine et de destruction totale. En s' avançant ainsi vers la Babylonie, qui se trouvait sur sa route, il reçut de nouveaux courriers qui lui apportaient la nouvelle de la défaite de Lysias , et qui lui apprirent comment les Juifs avaient repris le temple, abattu les autels et les idoles qu'il y avait mises, et rétabli leur ancien culte. A ces nouvelles sa rage redouble : il commande à son cocher de le mener à toute bride , afin d'arriver plus tôt sur les lieux et d'assouvir sa vengeance , menaçant de faire de Jérusalem le sépulcre de toute la nation juive, et de n'en pas laisser un seul. A peine eut-il prononcé ce blasphème, que la main de Dieu le frappa. Il fut attaqué d'une effroyable douleur dans les entrailles, et d'une colique qui le tourmentait cruellement. Et ce fut avec beaucoup de justice, dit l'Ecriture, /?ww^?^ 7/ avait déchiré lui-même les entrailles des autres par un îirand nombre de nouveaux tourments. Mais ce pre- mier coup n'abattit point encore son orgueil; au con- traire , se laissant aller aux transports de sa fureur , et SUCCESSEUllS d'aLEXANDUT,. -i^n ne respirant que feu et flammes contre les Juifs, il commanda qu'on liâtat son voyage. Lorsque ses chevaux couraient avec impétuosité, il tomba de son chariot, et eut tout le corps froissé, et les membres tout meurtris de cette chute. Il fallut le mettre dans une litie>re, oij il souffrit des tourments horribles. 11 sortait des vers de son corps; toutes les chairs lui tombaient par pièces , avec une odeur si effroyable, que toute l'armée n'en pouvait souffrir la puanteur. Ne pouvant lui-même la supporter: Il est juste, s'écria- 1- il, que l'homme soit soumis h Dieu, et que celui qui est mortel ne s'égale pas au Dieu souverain. Reconnaissant que c'était la main du Dieu d'Israël qui le frappait, à cause des' maux qu'il avait faits dans Jérusalem , il promit de combler son peuple de faveurs, d'enrichir de dons précieux le saint temple de Jérusalem qu'il avait pillé, de fournir de ses revenus les dépenses nécessaires pour offrir des sacrifices, de se faire lui-même Juif, et de parcourir toute la terre pour publier la toute-puissance de Dieu. Il espérait fléchir sa colère par ces magni- fiques promesses, que la vivacité des douleurs pré- sentes, et la crainte des maux futurs arrachaient de sa bouche, non de son cœur. Mais \ ajoute l'Écriture, ce scélérat priait le Seigneur , de qui il ne dei^ait point recevoir miséricoi^de. En effet , ce meurtrier '^ et ce blasphémateur (ce sont les noms que le Saint-Esprit substitue au surnom ^illustre que les hommes avaient donné à ce prince) frappé d'une horrible plaie, et ■ « Orabat autem hic scelestus pessimè percussus , et ut ipse alios Dominum, à quo non esset miser!- tractaverat. . . miserabili obifu vitA cordiam consecuturus. >> funcfus est. >■ ' «Igifur homicidaet blasplicmus Tome Fin. Hist. anc. 1 ^ 258 HISTOIRE ANCIENNE. traité comme il avait traité les autres, finit sa vie cri- minelle par une misérable mort ^. Avant que de mourir, il avait fait venir Philippe, son frère de lait et son favori, et lui avait donné la régence de Syrie pendant la minorité de son fils, âgé pour-lors de neuf ans. Il lui avait mis entre les mains sa couronne , le sceau de l'empire et toutes les autres manques de la royauté , en lui recommandant sur-tout d'employer tous ses soins à élever son fils de la manière la plus propre à lui enseigner l'art de régner et de gou- verner les peuples avec justice et modération. Ce sont des instructions que la plupart des princes ne donnent à leurs enfants qu'en mourant , après leur avoir donné pendant toute leur vie des exemples touL contraires. Philippe prit le soin de faire transporter le corps du roi à Antioche. Ce prince avait régné onze ans. § IV. Prophéties de Daniel qui regardent Antiochus Epiphane. Comme Antiochus Epiphane fut un grand persécu- teur du peuple de Dieu qui formait l'église judaïque, et qu'il est la figure de l'Antéchrist qui doit persécuter dans la suite des siècles l'Eglise chrétienne, la prophé- tie de Daniel s'étend beaucoup plus sur ce prince que sur aucun des autres dont elle parle. Cette prophétie a deux parties, dont l'une regarde ses guerres avec I Polybe atteste ce fait , et dit étaient inconnues , assigne pour qu Antiochus tomba dans un délire cause de cette punition l'entreprise continuel, croyant avoir toujours sacrilège que ce prince avait formée devant les yeux des spectres qui lui contre le temple de Diane à Ely- reprochaient ses crimes. Cet histo- maide. ( Polyb. in Excerpt. Vales. rien, à qui les saintes Ecritures pag. i45.) SUCCESSEURS I)' A LKX A.N DR E. 25() l'Egypte, et l'autre la persécution qu'il a faite au peu- ple juif. Nous les traiterons séparément en réunissant les divers endroits où il en est parlé. I. GUERRES d'aNTIOCHUS ÉPIPIIANE CONTRE l'ÉGYPTE , PRÉDITES PAR LE PROPHETE DANIEL. Un prince méprisé^ ou méprisable , lui succédera Dan. n (à Séleucus Philopator), a qui Von ne donnera point les honneurs de la royauté. Il viendra en secret , et il se rendra maître du l'ojaume par fraude. Ce verset , ({ui désigne l'avènement d'Aiitiochus à la couronne, a été expliqué ci-devant. Lesjbrces de ceux qui auront inondé la Syrie se- > • 22 ront renversées des qu'il ( Antiochus Epiphane)y^(7/v?/- tra : elles seront détruites, aussi - bien que le chef de ce parti. Héliodore , meurtrier de Séleucus , et ses par- tisans, aussi-bien que ceux du roi d'Egypte, qui avaient quelques desseins sur la Svrie, furent vaincus par les forces d'Attale et d'Eumène, et dissipés par l'arrivée d'Antiochus, dont la présence déconcerta tous leurs desseins. Par le chef du parti, on peut entendre ou Héliodore, chef du complot qui avait oté la vie à Sé- leucus, ou plutôt Ptolémée Epiphane, roi d'Egypte, qui périt par une conspiration de ses propres sujets dans le temps même qu'il songeait à porter la guerre en Syrie. Ainsi la Providence fit disparaître ce puissant adversaire pour aplanir les voies à Antiochus et le con- duire sur le tronc. Il paraît que le prophète, dans les versets suivants, désigne assez clairement les quatre diverses expéditions d'Antiochus dans l'Egvpte. 17- 260 HISTOIRE ANCIENNE. Première expédition d'Antiochus en Egypte. ^. a3. Et après avoir fait amitié avec lui (avec Ptolémée Pliilométor, son neveu, roi d'Egypte), ille trompera, ils'avancem dans V Egypte, et prévaudra avec peu de troupes. Antiochus, quoiqu'il eût déjà des desseins de guerre dans le cœur, conservait pourtant les dehors d'amitié avec le roi d'Egjpte. Il envoya même Apol- lonius à Memphis à la fête du couronnement du jeune Pliilométor, pour marquer la part qu'il y prenait. Mais bientôt après , sous prétexte de défendre son neveu , il marcha contre l'ÉgN pte avec une armée encore mé- diocre^ en comparaison de celles qu'il y mena dans la suite. Le combat se donna près de Péluse. Antiochus prévalut, et remporta la victoire , après laquelle il re- tourna à Tyr : et c'est à quoi se termina sa première expédition. Seconde expéditian d' Antiochus en Egypte. y. 24- Il entrera dans les riches provinces (de l'Egypte V dajis le temps qu elles jouiront d'une paix profonde, et il fera ce que ne firent jamais ses pères ni ses aïeux. Il partagera à ses troupes le butin, les dépouilles et les richesses de ce royaume. Il formera des entreprises contre les villes les plus fortes ; mais cela ne durera quun temps. j. a5. Sa force se réveillera; son cœur s'animera contre le roi du Midi (de l'Égyptej. // l'attaquera avec une grande armée : le roi du Midi armera puissamment pour faire la guerre avec de fortes et nombreuses SLCCESSEURS d' A LEX A N DR E. a6 I troupes, mais il ne se soutiendra pas , parce quon formera des desseins contre lui. Ceux qui mangeront avec lui (avec le roi d'Egypte) ^. a6. le ruineront. Son armée sera accablée , et un grand nombre des siens mis a mort. On reconnaît dans ces trois versets les principaux caractères de la seconde expédition d'Antiochus contre l'Egypte; ses nombreuses armées, ses rapides con- quêtes, les riches dépouilles qu'il en emporta, la dis- simulation et la fourbe dont il commença d'user à l'é- gard de Ptolémée. Antiochus, après avoir employé tout l'hiver h faire de nouveaux préparatifs de guerre pour une seconde expédition en Egypte, l'attaqua par mer et par terre dès que la saison le permit. « 11 entra, dit l'auteur du iMachab.i, « livre des Machabées, dans l'Egypte avec une puis- « santé armée, avec des chariots, des éléphants, de la « cavalerie et un grand nombre de vaisseaux. Ptolémée « eut peur devant lui , et il s'enfuit avec perte de beau- ce coup des siens. Et Antiochus prit les villes les plus « fortes de l'Egvpte , et s'enrichit de ses dépouilles. » Daniel, quelques versets après, prédit le même évé- nement dans un détail encore plus circonstancié. Le roi du Midi combattra contre lui (il s'agit de ^. 40, Ptolémée) au temps qui a été marqué; et le roi de V Aquilon ( Antiochus ) marchera contre lui comme une tempête avec une multitude de chariots et de gens de cheval., et avec une grande Jlotte. Il entrera dans ses tenues, il ravagera tout, et il j. 41. passera au travers de son pays. Il étendra sa main contre les pi-ovinces , et lepajs ^, 4,.. d' Egypte n échappera point. 262 HISTOIRE ANCIENNE. i-. 43. !^ se rendra maître des trésors d'or et d'argent, et de tout ce quUy a de plus précieux dans V Egypte. En comparant le récit des Machabées avec la pré- diction de Daniel , on trouve une parfaite ressem- blance, si ce n'est que le prophète est encore plus clair et plus précis que l'historien. Diodore dit qu'Antiochus , après cette victoire, se rendit maître de toute l'Egypte ; du moins il s'en fallut peu; car toutes les villes, à l'exception d'Alexandrie, ouvrirent leurs portes au vainqueur. Il fit la conquête de l'Egypte avec une facilité étonnante, et exécuta ce que ses pères et ses aïeux iiavaient jamais pu faire. •Ptoiémée lui-même se remit ou tomba entre les mains d'Antiochus, qui le traita d'abord avec bonté, mangea avec lui familièrement, parut embrasser ses intérêts, et lui laisser la possession de son royaume, mais en retenant Péluse , qui en était la clef; car il n'affec- tait tous ces dehors d'amitié que pour le tromper et pour le perdre plus sûrement. Ceux qui mangeront avec lui le ruineront. Antiochus ne demeura pas pour -lors long -temps en Egypte. Le bruit d'une révolte générale des Juifs l'obligea de marcher contre eux. Cependant les habitants d'Alexandrie, irrités que Philométor eût fait alliance avec Antiochus, mirent sur le trône en sa place Evergète son cadet. Antiochus, qui eut avis de ce qui s'était passé à Alexandrie, en prit occasion de revenir encore en Egypte, sous prétexte de rétablir le roi déposé, mais en effet pour se rendre maître absolu du royaume. SUCCESSEURS d'alexandre. ^03 Troisième expédition cV Antiochus en Egypte. Ces deux rois auront le cœur attentif à se faire du s- ■'■■:■ mal l'un a Vautre : étant assis h la même table, ils diront des paroles pleines de mensonge , et ils ne réussiront point , parce que lajîn est différée en un autre temps. Antiochus retournera en son pays avec de grandes yi. 28. richesses. Il serait difficile de mieux caractériser la troisième expédition d'Antiochus. Ce prince, ayant appris que les Alexandrins avaient mis sur le trône Evcrgète, revint en Egypte sous le spécieux prétexte de rétablir Pliilométor : per honestam speciem majoris Ptolomœi Lï^- i'Ij- 44, reducendi in regnum. Après avoir vaincu les Alexan- drins à Péluse dans un combat naval , il mit le siège devant Alexandrie. Mais comme il traînait en longueur, il se contenta de se rendre <^e nouveau maître du reste M. m.. 45, de l'Egypte au nom de son neveu , pour les intérêts de qui il faisait entendre qu'il travaillait : cui regnum Hieron. i» quœri suis viribus simulabat. Ils se virent pour-lors à Memplîis; Us mangeaient ensemble; ils se parlaient avec toutes les apparences d'une amitié sincère. L'oncle paraissait plein de zèle pour son neveu, et le neveu plein de confiance pour son oncle : mais il n'en était rien ; de part et d'autre c'était pure grimace. L'oncle lIv. iih. 45, songeait à opprimer son neveu : cui regnum quœri suis viribus simulabat , ut mox victorem aggredej^etur\ et le neveu, qui s'aperçut bien de son dessein , voluntatis ejus non ignarus., songea dès-lors à faire son accom- modement avec son frère. Ainsi ils ne réussirent point y. 3o. 264 HISTOIRE ANCIENNE. de part ni d'autre à se tromper. Il n'y eut encore rien de décidé, et Antiochus retourna en Syrie. Quatrième expédition d' Antiochus contre V Egypte. Il retowmera quelque temps après, et reviendra vers le midi^ mais ce dernier voyage ne ressemblera pas au premier. Des vaisseaux de Cèthim viendront contre lui. Il sera percé de douleur et de dépit. Il s'en retournera , et il i^épandra son indignation contre l'alliance du sanctuaire. C'est ainsi qu'on lit dans l'hébreu. La \ul- gate porte : Les Romains viendront coiUre lui sur des vaisseaux : il sera frappé , il retournera , et il i-épan- dra, etc. Antiochus, sur la nouvelle que les deux frères s'é- taient réconciliés, leva le masque, et déclara alors ou- vertement qu'il prétendait à l'Egypte pour lui-même. Et pour soutenir ses prétentions , il retourna vers le midi, c'est-à-dire en Egypte; mais il n'y réussit pas comme auparavant. Comme il s'avançait pour former Liv. lib. 45, le siège d'Alexandrie, Popilius et les autres ambassa- deurs romains, qui étaient arrivés sur une flotte com- posée de vaisseaux macédoniens ou grecs ( c'est ce que signifie le mot hébreu kittim ) qu'ils avaient trouvée à l'île de Délos, l'obligèrent de mettre bas les armes et de sortir de l'Egypte. Il obéit, mdâs plein de douleur et de dépit, et il répandit son indignation sur la ville et le temple de Jérusalem, comme on va le voir. Quand le prophète aurait été témoin de cet événe- ment, aurait-il pu le marquer d'une manière plus claire et plus précise? n. 10. SUCCESSEURS UALEXANURT. sGj il. l'£RSÉCUTIO.NS CRUlil-LES EXERCEKS l'AH ATSTIOCHUS CONTRE LES JUIFS, ET PREDITES PAR LE PROPHETE DANIEL. .l'ai rapporté et expliqué ailleurs la description que fait le prophète Daniel du règne d'Alexandre-le-Grand et de ses quatre successeurs : Un bouc viendra de F occident , qin parcourra tout Uau. 4 , i. le monde sans toucher la /e/ve... .Peut-on mieux dési- gner la rapidité des conquêtes d'Alexandre? Ce bouc >. s. ensuite deviendra extrêmement grand: après quoi sa grande corne se i-ompra , et il s' élèvera quatre cornes en sa place , qui regarderont les quatre vents du ciel. Ce sont les quatre successeurs d'Alexandre. De l'une j. y. de ces quatre cornes il en sortii^a une petite, qui s'a- gj-andira fort vers le midi, vers l'orient, et contre la force. C'est d'Antiochus Epiphane, qui remporta plu- sieurs victoires vers le midi et l'orient , et qui s'éleva beaucoup conti'e lafoî'ce, c'est-à-dire contre l'armée du Seigneur et le peuple juif, dont Dieu était le pro- tecteur et la force. Le prophète marque ensuite la guerre qu'Epiphane déclara au peuple de Dieu, aux prêtres du Seigneur, à ses lois, à son temple. Il élèvera sa grande corne jusqu'aux armées du y. i". ciel, et il en fera tomber plusieurs de ceux qui étaient comme des étoiles , et il les foulera aux pieds. Il >• n- s'élèvera même jusqu'au prince de cette armée, jus- ({u'à Dieu: // lui ravira son sacrifice perpétuel, et il déshonorera le lieu de son sanctuaire. La puissance >. 12. lai sera donnée contre le sacrifice perpétuel , a cause "^■66 HISTOIRE ANCIENNE. des péchés des hommes ; et la vérité sera renversée sur la te?re. Il entreprendra tout, et tout lui réussira. Daniel donne plus d'étendue à cette même prophétie dans le chapitre XI. %'. 28. Son cœur se déclarera contre V alliance sainte: il fera y. 3o. beaucoup de mcaix... Il retournera, et concevra une grande indignation contre V alliance du sanctuaire. Pendant le siège d'Alexandrie, il avait couru un bruit qu'Antiochus était mort, et on avait accusé les Juifs d'en avoir témoigné beaucoup de joie. Il marcha iMachab.i, contre leur ville, la prit de force, et y commit toutes 5, s-âi.' les violences que lui inspira sa fureur. Il y eut, dans de^Maèiiab. l'espacc de trois jours, quatre-vingt ^ mille hommes ^^^' de tués, quarante mille faits prisonniers, et pareil nombre vendu aux nations voisines. Antiochus monta I Maciiab i '^^ temple, le souilla, et en tira tous les vases, les tré- 3o-34^ii, gQj,g gj- Jpg ornements précieux. 5, 24-26. i Quand Popilius l'eut obligé de sortir d'Egypte , outré de fureur , il fit tomber sa colère sur les Juifs. Il en- voya contre eux Apollonius , avec ordre de faire mourir tous les hommes en âge de porter les armes, et de vendre les femmes et les enfants. Apollonius fit main- basse sur tout ce qu'il trouva à Jérusalem , brûla la ville , abattit les murailles , et emmena captifs les femmes et les enfants. V. 3o. ^^ reviendra, et il pensera a ceux qui ont aban- ^^_ 3i_ donné Vaillance du sanctuaire. Des hommes puissants viendront de sa part, et souilleront le sanctuaire du Dieu fort. Ils feront cesser le sacrifice perpétuel, et ils mettront dans le temple Vabonùnation de la deso- ' Josèphe ne compte que quarante mille hommes de tués. SUCCESSEURS d' ALEX A]N DUE. iG'J lation. Et les impies contre l'alliance useront de dé- j. 3.^. guisements. Antioclius se déclara ouvertement pour tous ceux i Macimi.. i, qui renoncèrent à la loi. Ayant donné une ordonnance nVa'chab. (lul obli"c'ait tous les Juifs de cliaiiiïc'r de rolifrion sous 4;7.etc. 1 O f D et 6, 1 , etc. peine de la vie, il envova à Jérusalem des officiers avec ordre de souiller le temple, et d'y faire cesser le culte du Seigneur. Ils dédièrent ce temple à Jupiter olym- pien, et y placèrent sa statue. Ils érigèrent dans toute la ville des temples et des autels profanes , et contrai- gnirent les Juifs d'y sacrifier et de manger des viandes immolées aux idoles. Plusieurs, par la crainte des sup- plices, firent semblant de consentir à tout ce qu'on demandait d'eux, et portèrent même les autres à imi- ter leur déguisement pour couvrir leur lâche apostasie. Antiochus engagera par ses caresses les prèvarica- y. 32. leurs de V alliance a faire semblant d' end>rasser l'ido- lâtrie : mais le peuple, qui connaîtra son Dieu, s'atta- chera fortement a la loi , et fera ce qu'elle ordonne. Il est aisé de reconnaître ici le vieillard Eléazar, les sept frères Machabées avec leur mère, et beaucoup d'autres d'entre les Juifs, qui résistèrent courageuse- ment aux ordres impies du roi. Ceux qui seront sai>ants parmi le peuple en in- ^._ 33 struiront plusieurs y et ils seront tourmentés par l'epée, par la flamme, par la captivité, et par des brigan- dages qui dureront plusieurs jours. Ceci regarde prin- cipalement Mathatliias et ses fils. Fa après qu'ils seront abattus , ils se relèveront par j.zi^. un petit secours, et plusieurs se joindront a eux secrè- tement et sans bruit. INIathathias et Judas Macliabée soutinrent la nation opprimée, et la religion presque Ïï68 HISTOIRE ANCIENNE. généralement abandonnée , avec de si petites forces , qu'on ne peut considérer que comme un miracle le succès que Dieu donna à leurs armes et à leurs tra- vaux. Leur troupe se grossit peu-à-peu , et devint ensuite fort considérable. j. S5. Il j en awa entre ces savants , qui succomberont , cifin que , passant par le feu de la tribulation, ils de- viennent purs et blancs de plus en plus, jus qu'au temps prescrit, parce qu'il j a encore un autre temps. Les souffrances et la mort de ceux qui refusèrent constam- ment d'obéir au roi furent leur gloire et leur triomphe, j. 36. Le roi agira selon quil lui pleura: il s'élèvera, et il portera le faste de son orgueil contre tout dieu. Il parlera insolemment contre le Dieu des dieux. Il réus- sira jusqu'à ce que la colère de Dieu soit accomplie , parce qu'il a été ainsi arrêté. i'. 37. // n'aura aucun égard au dieu de ses pères: Usera dans la passion des femmes : il ne se souciera de quel- que dieu que ce soit, parce qu il s' élèvera contre tou- tes choses. Epiphane tournait toutes les religions en ridicule. 11 pilla les temples de la Grèce, et voulut encore dé- pouiller celui d'Elymaïde. Il exerça principalement sa fureur impie contre Jérusalem et les Juifs, sans pres- que y trouver de résistance. Dieu sembla dissimuler pour un temps toutes les abominations qui se commet- taient dans son temple, jusqu'à ce que sa colère contre son peuple fiit satisfaite. >'. 44. // sera troublé par des nouvelles qui lui viendront de l'orient et de l'aquilon, et il sortira avec une grande colère pour perdre tout , et pour faire un grand carnage. SUCCESSKUHS DALEX ANDRF. '^Gq Antioclms fut troublé de la jiouvelle qu'il reçut que les provinces d'orient, et qu'Artaxias, roi d'Arménie au septentrion, remuaient, et étaient prêts à se sou- lever contre lui. Tacite assure qu'en ce temps -là', c'est-à-dire lorsqu'il s'était mis dans la tête de faire changer de religion aux Juifs, et de leur faire prendre celle des Grecs, les Parthcs s'étaient révoltés contre Antiochus. Avant que de partir pour les provinces de delà l'Euphrate, il donna à Lysias, qu'il laissait pour i Macimb. ;. gouverner le royaume en son absence, la moitié de toute son armée, avec ordre d'exterminer la nation juive, et de donner leur pays à d'autres peuples. // dresseru ses tentes dans Apadiio des deux mers ^ ji-. 45. près la montagne sainte de Zabi. Il arrivera a sajîn , et il n'j- aura personne pour le secourir. Ce verset, traduit ici littéralement selon l'hébreu , souffre de grandes difficultés pour la première partie, à cause de ces deux noms, Apadno et Zabi, inconnus dans la géographie ancienne. On sait que je n'entre point dans ces sortes de difficultés. Porphyre, qui ne doit pas nous être suspect, a cru que ce verset regardait l'ex- pédition d'Antiochus au-delà de l'Euphrate, et sa mort arrivée dans ce voyage. C'est le sentiment de presque tous les interprètes , et cela doit nous suffire. Le prophète marque donc qu' Antiochus campera près de la montagne de Zabi ( la même sans doute que poiyb. in Taba-', où Polybe dit qu'il mourut), et que là il ^pag'^J;,!"'- trouvera sa fin et périra, abandonné de Dieu, et sans ' « Antiochus demere superstitio- pestate Arsaces deFeceiat. >> (Tacit. nein, et mores Graecorum dare ad- lib. 5, cap. 8.) nixus, quominùs teterrimam geri- ^ Jaia était dans la Perse, seloi\ tcni in melius mutaret , Parthorum Polybe, et dans la Parétacène , selon bcllo proliibitiis est : nam eâ tem- Quinte-Curce. 270 HISTOIRE ANCIEJVIVE. secours. On a vu comment il était mort au milieu des plus vives douleurs, et touché d'un repentir inutile, qui ne servit qu'à augmenter ses tourments. Théodoret, saint Jérôme, et plusieurs interprètes, entendent de l'Antéchrist, dans un second sens, tout ce que le prophète Daniel dit d'Antiochus Épiphane. Il est certain que ce prince, également impie et cruel, est une des figures les plus sensibles et les plus ex- pressives de cet ennemi de Jésus-Christ et de sa sainte religion. On ne peut point, en lisant cette prophétie, n'être pas extraordinairement frappé de la justesse et de l'exactitude avec laquelle le prophète peint les prin- cipaux caractères d'un roi qui a eu un si grand rap- port avec l'histoire du peuple de Dieu; et l'on voit bien que c'est pour cette raison que le Saint-Esprit, omettant ou ne faisant que parcourir légèrement les actions d'autres princes beaucoup plus éclatantes , s'ar- rête si long-temps sur celles d'Antiochus Epiphane. Avec quelle certitude Daniel prédit - il une foule d'événements si éloignés, et qui dépendaient de tant de circonstances arbitraires ! Combien l'Esprit qui lui découvrait l'avenir le lui montrait- il comme présent, et par une lumière aussi infaillible que s'il l'avait vu des yeux corporels! La divinité des Ecritures, et, par une suite nécessaire, la certitude de la religion chré- tienne, ne deviennent-elles pas, par de telles preuves, comme sensibles et palpables? Jamais prophétie n'a eu un accomplissement si clair, si parfait, si incontestable que celle -ci. Porphyre % ' Poq)hyre était un savant païen, qui avait écrit un gros volume con- né à Tyr Tan de Jésus-Christ 233, tre la religion chrétienne. SUCCESSEURS DALEXAxNDKE. 27 I l'eiineini déclaré du christianisine, aussi-bien que dos saintes Ecritures, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, se trouvant infiniment embarrassé par la conformité des faits prédits par Daniel , avec ce qu'en disaient les meilleures histoires, ne songea point à la nier, car c'aurait été heurter le bon sens et nier le soleil en plein midi. Il prit un autre tour pour saper l'autorité des Ecritures. Il travailla lui-même, en citant tous les historiens qu'on avait pour-lors, et qui depuis se sont perdus, à faire voir avec beaucoup d'étendue que tout ce qui est écrit dans le onzième chapitre tle Daniel était arrivé précisément comme Daniel le dit; et il concluait de cette parfaite uniformité, que tout ce détail si juste de tant d'événements ne pouvait pas avoir été écrit par Daniel tant d'années avant qu'ils fussent arrivés; et qu'il fallait absolument que ce fût l'ouvrage de quelqu'un qui avait vécu depuis Antiochus tpiphane, et emprunté le nom de Daniel. Dans ce procès entre les chrétiens et les païens , le christianisme gagnait sa cause sans réplique et sans appel, s'il venait à bout de démontrer par de bonnes preuves que les prophéties de Daniel étaient véritable- ment de lui. Or, c'est ce que les chrétiens prouvaient d'une manière incontestable, en citant un peuple en- tier de témoins, je veux dire les Juifs, dont le témoi- gnage ne pouvait être suspect ni récusé, puisqu'ils étaient ennemis du christianisme encore plus violem- ment déclarés que les païens même. Le souverain respect qu'ils avaient pour les Ecritures, dont la Pro- vidence les avait constitués gardiens et dépositaires, était porté si loin , qu'ils auraient regardé comme un crime et comme un sacrilège d'y transposer un seul Ps. ^1 , 5. ^72 HISTOIRE ANCIENNE. mot, OU d'y changer quelque lettre : combien plus , de supposer quelques livres ! Voilà les témoins qui attes- taient la réalité des prophéties de Daniel. Vit -on jamais des preuves si convaincantes, et une cause si victorieuse ? Testimonia tua credibilia facta siiut fiiinis. SUCCESSEURS d'aLEXANDRE. in'i LIVRE VINGTIÈME SUITE DE L'HISTOIRE DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE. *•^•e•c•7e»«a V>(E vingtième livre contient deux articles. Dans le premier, on expose l'histoire de Persée, dernier roi de JMaccdoine, dont le règne dura onze ans, et finit Tan du monde 3836, Le second article s'étend depuis la dé- faite de Persée jusqu'à la ruine de Corintlie, qui fut prise et brûlée l'an du monde 3858 , et renferme vingt et un ans. Tome T'III- Hift. ane. ■X']l^ HISTOIRE ANCIENNE. ARTICLE PREMIER. Cet article comprend l'espace de onze années , qui est le temps qu'a duré le règne de Persée, dernier roi de Macédoine, depuis l'an du monde 8826 jus- qu'à 3837. § I. Persée se prépare sourdement à la guerre contre les Romains. Il tâche inutilement de se concilier les Achéens. Les mesures secrètes quil prenait n'étaient point inconnues à Piome. Eu- mène j arrive, et en avertit de nouveau le sénat. Persée entreprend de se défaire de ce prince^ d'abord par un assassinat , puis par le poison. Les Piomains rompent avec Persée. Sentiments et dispositions des /vis et des villes par rapport à la guerre de Macédoine. Après plusieurs am- bassades de part et d'autre, la guerre est dé- clarée dans les formes. An. M. 3826. La mort de Philippe arriva fort à propos pour dif- Li^^iib '40 f^i'^i' 'a guerre contre les Romains, et pour leur laisser oros'i'^i le temps de s'y préparer. Ce prince avait formé un cap. 20. étrange dessein , et avait déjà commencé à le mettre à exécution : c'était de faire venir de la Sarmatie euro- péenne , qui fait partie de la Pologne , un nombre con- sidérable de troupes , tant d'infanterie que de cavalerie. Des Gaulois s'étaient établis près les embouchures du Borysthène , appelé maintenant le Niéper, et avaient pris le nom de Bastarnes. Cette nation n'était accou- tumée ni à labourer la terre, ni à nourrir des trou- SlfCCJ£SSF.URS i/aLKXAIS DRF. ^r^) peaux, ni à faire le commerce : elle vivait de guerre, et vendait ses services aux peuples qui voulaient l'em- ployer. Après qu'ils auraient passé le Danube, Phi- lippe devait les établir à la place des Dardaniens, qu'il avait résolu de détruire absolument , parce que, comme ils étaient très-voisins de la Macédoine, ils ne man- quaient pas d'y faire des irruptions dès qu'ils en trou- vaient l'occasion favorable. Les Bastarnes, laissant leurs femmes et leurs enfants dans ce nouvel établis- sement, devaient passer en Italie pour s'enrichir du butin opulent qu'ils espéraient y faire. Quel que dût être le succès, Philippe comptait y trouver de grands avantages. S'il arrivait que les Bastarnes fussent vaincus par les Romains, il se consolerait facilement de leur défaite en se voyant délivré par leur moyen du voisi- nage dangereux des Dardaniens; et si leur irruption dans l'Italie réussissait , pendant que les Romains seraient occupés à repousser ces nouveaux ennemis il aurait le temps de recouvrer tout ce qu'il avait perdu dans la Grèce. Les Bastarnes s'étaient déjà mis en marche, et étaient assez avancés, lorsqu'ils apprirent la mort de Philippe. Cette nouvelle, et divers accidents qui leur arrivèrent, suspendirent leur premier dessein, et ils se dissipèrent de coté et d'autre. Antigone , que Philippe destinait pour son successeur, avait été em- ployé malgré lui à cette intrigue. A son retour, Persée le fit mourir; et pour mieux s'affermir sur le trône, il envoya des ambassadeurs aux Romains leur demander qu'ils renouvelassent avec lui l'alliance qu'ils avaient faite avec son père, et que le sénat le reconnût pour roi. Il ne cherchait qu'à gagner du temps. Une partie des Bastarnes avait poursuivi sa route, i8. 1']6 HISTOIRE ANCIEIVNE. AN.M.3S29. et était actuellement en guerre avec les Dardaniens. Freinsïiem. Les Romains en prirent ombrage. Persée s'excusa par ses ambassadeurs, et fît entendre que ce n'était point lui qui les avait mandés, et qu'il n'avait influé en rien dans leur entreprise. Le sénat, sans approfondir da- vantage la chose, se contenta de le faire avertir qu'il eût soin de conserver inviolablement les conditions du traité fait avec les Romains. Les Bastarnes, après avoir remporté d'abord quelques avantages, furent enfin obli- gés, du moins pour la plupart, de retourner dans leur pays. On dit qu'ayant trouvé le Danube glacé, et ayant entrepris de le passer, la glace s'ouvrit sous leurs pieds et qu'il y en eut un grand nombre d'engloutis dans le fleuve. an.m.3S3o. On apprit à Rome que Persée avait envoyé des am- Liv. iib. 41, bassadeurs à Carthage, et que le sénat leur avait don- "■ ^"'^^' né audience de nuit dans le temple d'Esculape. On jugea à propos de faire passer des ambassadeurs en Macédoine pour veiller sur la conduite de ce prince. Il venait de réduire par la force des armes quelques- uns des Dolopes ^ , qui refusaient de lui obéir. Après cette expédition , il s'avança vers Delpbes , sous pré- texte d'aller consulter l'oracle, mais en effet, à ce qu'on crut, pour avoir occasion de parcourir la Grèce et de s'y faire des alliés. Ce voyage jeta d'abord l'alarme dans le pays; Eumène même en fut effrayé jusque dans Pergame. Mais Persée, dès qu'il eut consulté l'o- racle , retourna dans son royaume en traversant la Phthiotide, l'Achaïe et la ïhessalie, sans faire aucun tort dans les terres par où il passait. Il envoya ensuite dans presque toutes les villes qu'il avait parcourues ' La Dolopie était une région de la Tbessalie, qui coiifînait avec l'Epire. suce ESS£L lis 1) ALli XAIN i)llK. '^77 des ambassadeurs, ou des lettres circulaires, [)uur de- mander qu'on oubliai les sujets di; mécontonleunuit qu'on pouvait avoir eus sous le règne de son père, (|ui devaient être ensevelis avec lui. Sa principale attention fut de se réconcilier avec les Achéens. Leur ligue et la ville d'Atbènes avaient porté leur colère et leur liaine contre les Macédoniens jusqu'à rompre par un décret tout commerce avec eux. Cette dissension déclarée donnait lieu aux es- claves qui fuyaient de i'Acbaïe de se retirer dans la Macédoine, où ils trouvaient un asyle assuré, et où ils savaient bien qu'on n'irait pas les cbercher ni les re- demander depuis le décret d'interdiction générale. Per- sée fît arrêter tous ces esclaves , et les renvoya aux Achéens, avec une lettre obligeante, où il les exhor- tait à prendre des mesures qui empêchassent leurs es- claves de se retirer encore de la même sorte dans ses états. C'était demander tacitement qu'on rétablit l'an- cien commerce. Xénarque , qui était pour -lors en charge, et qui chercliait à faire sa cour au roi, ap- puya fort sa demande, et il était soutenu par ceux qui desiraient vivement de recouvrer leurs esclaves. Callicrate, l'un des principaux de l'assemblée, qui était persuadé que le salut de la ligue consistait à gar- der inviolablement le traité conclu avec les Romains , représenta que c'était y donner une atteinte ouverte que de se réconcilier avec la Macédoine, qui se pré- parait à leur déclarer la guerre au premier jour. l\ conclut à laisser les choses dans l'état oii elles étaient, en attendant que le temps fît connaître si ses craintes étaient vaines ou non : que si les Macédoniens conser- vaient la paix avec Roiiu-, li sei'ait assez temps pour- l'jS HISTOIRE ANCIENNE. lors de rentrer en commerce avec eux : qu'avant cela la réunion serait prématurée et dangereuse. Arcon , frère de Xénarque , qui prit la parole après Callicrate, s'efforça de montrer qu'on jetait de vaines terreurs dans les esprits : qu'il ne s'agissait point de faire un nouveau traité et une nouvelle alliance avec Persée , et encore moins de rompre avec les Romains ; mais simplement de changer un décret auquel les in- justices de Philippe pouvaient avoir donné lieu, mais ([ue Persée, son fils, qui n'y avait aucune part, ne méritait point certainement : que ce prince lui-même comptait hien qu'en cas de guerre contre les Romains, la ligue ne manquerait pas de se déclarer pour eux. Mais, ajoutait -il, pendant que la paix subsiste, si l'on ne veut pas faire cesser entièrement les haines et les dissensions, n'est-il pas raisonnable qu'au moins on les suspende et qu'on les laisse dormir pour un temps? On ne finit rien dans cette assemblée. Comme on avait trouvé mauvais que le roi se fût contenté de lui adresser simplement une lettre, il envoya depuis des ambassadeurs pour l'assemblée qui avait été convoquée à Mégalopolis : mais ceux qui craignaient de choquer Rome firent tant, qu'on refusa de leur donner au- dience. Aîr.M.383r. Lcs ambassadcurs que le sénat avait envoyés en Ma- Liv. lijj. 4.,, cédoine marquèrent à leur retour qu'ils n'avaient pu ■ ^' ' ■ approcher du roi, sous prétexte, tantôt qu'il était ab- sent, tantôt qu'il était incommodé; double prétexte également faux : qu'au reste, il leur avait paru claire- ment que tout se préparait à la guerre, et qu'il fallait s'attendre qiielle éclaterait au premier jour. Ils ren- SUCCESSEURS D ALEXANDRE. '279 dirent compte aussi de Tétut oii ils avaient trouvé l'E- tolie, agitée de discordes intestines, que racliarne- nient des deux partis opposés portait à des excès fu- rieux, sans que leur autorité eût pu rapprocher et adoucir ceux qui en étaient les chefs. Connue à Rome on s'attendait à la guerre contre la Macédoine , on commença à s'y préparer par les céré- monies de religion, qui, chez les Romains, précédaient toujours les déclarations de guerre; c'est-à-dire par l'expiation des prodiges, et par divers sacrifices qu'on offrait aux dieux. Marcellus était un des ambassadeurs que le sénat avait envoyés dans la Grèce. Après avoir pacifié autant qu'il était possible les troubles de l'Etolie, il passa dans le Péloponnèse, où il avait fait convoquer l'as- semblée des Achéens. Il loua extrêmement leur zèle d'avoir constamment soutenu le décret qui défendait tout commerce avec les rois de Macédoine. C'était dé- clarer ouvertement ce que les Romains pensaient à l'égard de Persée. Ce prince ne cessait de solliciter les villes de la Grèce par de fréquentes ambassades, et par de magnifiques promesses qui passaient de beaucoup ses forces. On y était assez porté d'inclination pour lui, et beaucoup plus que pour Eumène, quoique ce dernier eût rendu de grands services à la plupart de ces villes, et que celles qui faisaient partie de son domaine n'eussent pas voulu changer leur condition avec les villes qui étaient entièrement libres. 11 n'y avait cependant nulle comparaison à faire entre ces deux princes pour le caractère et pour les mœurs. Persée était absolu- ment décrié pour ses crimes et pour sa cruauté. On iSo HISTOIRE ANCIENJVli. ' l'accusait d'avoir tué sa femme de sa propre main depuis la mort de son père, de s'être défait secrète- ment d'Apelle , du ministère duquel il s'était servi pour faire périr son frère, et d'avoir commis beau- coup d'autres meurtres, tant au-dedans qu'au-dehors de son royaume : au lieu qu'Eumène s'était rendu re- commandable par sa tendresse pour ses frères et ses proches, par la justice avec laquelle il gouvernait ses sujets , et par son penchant généreux à faire du bien et à rendre service aux autres. Malgré cette différence de caractère, on lui préférait Persée, soit que l'an- cienne grandeur des rois de Macédoine leur inspirât du mépris pour un état dont l'origine était toute ré- cente et qu'ils avaient vu naître, soit que les Grecs aspirassent à quelque changement, soit enfin parce qu'ils étaient bien aises d'avoir en lui un appui qui tînt en respect les Romains. Persée s'appliqua en particulier à rechercher l'ami- tié des Rhodiens et à les détacher du parti de Rome. C'était de Rhodes qu'était partie Laodice, fille de Sé- leucus, pour aller partager le trône de ISIacédoine avec Persée en l'épousant. Les Rhodiens lui avaient équipé la flotte la plus brillante qu'il soit possible d'imaginer. Persée en avait fourni les matériaux; et jusqu'aux sol- dats et aux matelots qui lui avaient amené Laodice, tous reçurent de lui un ruban d'or. Un jugement que Rome prononça en faveur des Lyciens contre ceux de Rhodes avait extrêmement irrité ceux-ci. Persée tâcha de profiter de leur indisposition contre Piome pour se les attacher. Les Romains n'ignoraient pas les mesures que pre- nait Persée pour gagner les peuples et les villes de la SUCCESSEURS d' ALEX AN D RE. 281 Grèce. Eumène vint exprès à Rome achever de les en liv. iii>. /.i, éclaircir. On l'y reçut avec toutes les marques de dis- tinction possibles. Il déclara qu'outre le désir de venir rendre ses liommagcs aux dieux et aux hommes à qui il était redevable d'un établissement qui ne lui laissait rien à souhaiter, il avait exprès entrepris ce voyage pour avertir en personne le sénat d'aller au-devant des entreprises de Persée ; que ce prince avait hérité de la haine de Philippe, son père, conti'e les Romains, aussi- bien que de son sceptre, et qu'il n'omettait rien pour se préparer à une guerre qu'il croyait lui être échue comme par droit de succession : que la longue paix dont la INIacédoine avait joui lui fournissait de nom- breuses troupes et très-vigoureuses ; qu'il avait un riche et puissant rovaume ; qu'il étuit lui-même dans la fleur de l'âge , plein d'ardeur pour les expéditions militaires, dont il avait fait l'apprentissage sous les yeux et sous \d conduite de son père, et où il s'était depuis fort exer- cé en diverses entreprises contre ses voisins : qu'il était fort considéré dans les villes de la Grèce et de l'Asie, sans qu'on pût bien dire par quelle sorte de mérite il avait acquis ce crédit, si ce n'est que sa haine pour - ' les Romains lui en tenait lieu : qu'il n'avait pas moins d'autorité chez de puissants rois ; qu'il avait épousé la fdle de Séleucus et donné sa sœur en mariage <à Prusias : qu'il avait su s'attacher les Réotiens , nation fort belliqueuse, que son père n'avait jamais pu gagner; et que, sans l'opposition de quelques particuliers af- fectionnés aux Romains, il avait été tout près de re- nouer connnerce avec la ligue acliéenne : que c'était à Persée que les Etoliens , dans leurs troubles domesti- (jues, s'étaient adressés pour lui demander du secours. 283 HISTOIRE ANCIENNE. et non aux Romains : que, soutenu par de si puis- sants alliés, il faisait par lui-même des préparatifs de guerre qui le mettaient en état de se passer de secours étrangers : qu'il avait trente mille hommes de pied, cinq mille chevaux, des vivres pour dix ans ; qu'outre les revenus immenses qu'il tirait, chaque année, des mines, il avait de quoi stipendier pendant un pareil nombre d'années dix mille hommes de troupes étran- gères, sans compter celles du pays : qu'il avait amassé dans ses arsenaux des armes pour équiper trois armées aussi grosses que celle qu'il avait actuellement; et que, quand la Macédoine serait hors d'état de lui fournir des troupes, il avait à sa disposition la Thrace, qui était une pépinière d'hommes , inépuisable. Eumène ajouta qu'il n'avançait rien ici sur de simples conjec- tures, mais sur la connaissance certaine qu'il avait prise des faits par d'exactes informations. « Au reste, « dit-il en finissant, après' m'être acquitté d'un devoir ce que mon respect et ma reconnaissance pour le peuple « romain m'imposaient, et avoir, s'il est permis de « parler ainsi , délivré ma conscience , il ne me reste « qu'à prier les dieux et les déesses de vous inspirer « les pensées et les desseins qui conviennent à la gloire « de votre empire et à la sûreté de vos alliés et de vos « amis, dont le salut dépend du votre. » Ce discours toucha fort les sénateurs. On ne sut point pour le présent ce qui s'était passé dans le sénat , sinon que le roi Eumène y avait parlé ; et rien ne transpira au dehors, tant on gardait un se- cret inviolable dans les délibérations de cette auguste assemblée ! On donna , quelques jours après , audience aux am- SUCCESSEURS d'alexandue. iH'i l)assadeurs du roi Perst'e. Us trouvèrent le sénat fort prévenu eontre leur maître; et celui d'entre eux qui portait la parole (il s'appelait Harpale) aigrit encore les esprits par son discours. Il dit que Persée souhai- tait qu'on le crût sur sa parole, lorsqu'il déclarait n'a- voir rien dit ni fait qui ressentît l'ennemi ; qu'au reste, s'il s'apercevait qu'on cherchât opiniâtrement contre lui un sujet de guerre, il saurait bien se défendre avec courage : que le sort des armes est toujours hasardeux, et l'événement de la guerre incertain. Les villes de la Grèce et de l'Asie, inquiètes de l'ef- fet que ces ambassades produiraient à Rome , y avaient aussi envoyé des députés sous différents prétextes; les Rhodiens sur-tout, qui se doutaient bien qu'Eumène les aurait mêlés dans les accusations qu'il avait for- mées contre Persée, et ils ne se trompaient pas. Dans une audience qui leur fut accordée, ils s'emportèrent avec violence contre Eumène, en lui reprochant qu'il avait soulevé la Lycie contre les Rhodiens, et qu'il s'était rendu plus insupportable à l'Asie qu'Antiochus même. Ce discours fit plaisir aux peuples de l'Asie , ([ui favorisaient sous main Persée, mais déplut fort au sénat , et n'eut d'autre effet que de rendre les Rho- ' (liens suspects, et de faire considérer davantage Eu- mène par cette espèce de conspiration qu'on voyait se former contre lui. On le renvoya comblé d'honneurs et de présents. Harpale, étant retourné en Macédoine avec le plus Liv. lib. 42, (le diligence qu'il lui fut possible, rapporta à Persée qu'il avait laissé les Romains dans la disposition de ne pas tarder long-temps à lui déclarer la guerre. Le roi n'en était pas fâché, se croyant en état, avec les grands pré- 284 HiSTOIRii AKCIEJNWE. paratifs qu'il avait faits, de la soutenir avec succès; il en voulait sur-tout à Euniène, par qui il soupçonnait que Rome avait été instruite de toutes ses démarches les plus secrètes; et ce fut contre lui qu'il connnença à se déclarer, non par la voie des armes, mais par celle du crime et de la trahison. Il aposta Évandre de Crète, général de ses troupes auxiliaires, et trois Ma- cédoniens, qui lui avaient déjà prêté leur ministère en pareille occasion, pour assassiner ce prince. Persée savait qu'il se préparait à faire un voyage à Delphes; il adressa les assassins à une femme de condition nom- mée Praxo , chez qui il avait logé lorsqu'il avait été à Delphes. Ils se mirent en embuscade dans un défilé si étroit, que deux hommes n'y pouvaient passer de front : quand le roi y fut arrivé, les assassins ^ d'une hauteur oii ils s'étaient placés , roulèrent contre lui deux grosses pierres , dont l'une lui tomba sur la tête et le jeta par terre sans connaissance, et l'autre le blessa considérablement à l'une des épaules; puis ils l'accablèrent encore d'une grêle de moindres pierres. Tous ceux qui l'accompagnaient prirent la fuite, ex- cepté un seul qui demeura pour le secourir. Les as- sassins, comptant le roi pour mort, s'enfuirent au haut du mont Parnasse. Ses officiers, étant revenus, le trou- vèrent sans mouvement et presque sans vie. Quand enfin il fui un peu revenu à lui, on le transporta à Corinthe , et de là dans l'ile d'Égine , où l'on travailla à le panser de ses blessures , mais avec tant de secret , que personne n'était admis dans sa chambre: ce qui donna lieu de croire qu'il était mort ; le bruit s'en répandit jusque dans l'Asie. Attale le crut trop focilement pour un bon frère, et, se comptant déjà pour roi, songea à SUCCESSEURS d'aLEXANDRE. 285 épouser la veuve. Eumène, à la première entrevue, ne put s'empêcher de lui en faire ([uclcjues légers re- proches, quoiqu'il eût résolu d'ahord de dissimuler cette imprudence. Persée avait tenté en môme temps contre lui la voie du poison, par le moyen de Rammius, qui avait fait un voyage en Macédoine. C'était un riche citoyen de Brunduse, qui recevait chez lui tous les généraux ro- mains, tous les seigneurs étrangers, et même les princes qui passaient par cette ville. Le roi lui mit entre les mains un poison très -subtil pour le donner à Eumène quand il le recevrait chez lui. Rammius n'avait osé re- fuser cette commission, quelque horreur qu'il en eût, de peur que le roi ne fît sur lui l'essai de ce breuvage; mais il était parti bien résolu de ne la point exécuter. Ayant appris que Yalère , qui revenait de son ambas- sade en Macédoine, était à Chalcis, il alla l'y trouver, lui découvrit tout, et le suivit à Rome. Valère amenait aussi avec lui Praxo,chez qui les assassins avaient logé à Delphes. Quand le sénat eut entendu ces deux té- moins, il ne délibéra plus, après de si noirs complots, s'il fallait déclarer la guerre à un prince qui employait les assassinats et les poisons pour se défaire de ses ennemis, et prit cependant toutes les mesures néces- saires pour réussir dans cette importante entreprise. Deux ambassades qui arrivèrent dans ce même temps à Rome firent grand plaisir au sénat. Ea pre- mière était de la part d'Ariarathe, roi de Cappadoce, cinquième du même nom; il envoyait à Rome son fils, qu'il destinait à lui succéder , pour y être élevé dès sa plus tendre enfance dans les principes des Romains , et pour s'v former au grand art de régner, par la con- 286 HISTOIRE ANCIEiYÎVE. versation et l'étude des grands hommes qu'il y verrait; et il priait le peuple romain de vouloir bien lui tenir lieu de père et de tuteur. Le jeune prince fut reçu avec toutes les marques de distinction. qu'on pouvait désirer; et le sénat lui fit préparer aux dépens du pu- blic, pour lui et pour sa suite, un 3 maison convenable. L'autre ambassade était des Thraces, qui demandaient de faire alliance et amitié avec les Romains. Dès qu'Eumène fut entièrement rétabli , il se rendit à Pergame, et travailla aux préparatifs de la guerre avec une application que le nouveau crime de son en- nemi rendait plus vive et plus ardente que jamais. Le sénat lui envoya des ambassadeurs pour le compli- menter sur l'extrême danger qu'il venait d'éviter; il en fît partir aussi pour confirmer les rois amis dans l'alliance ancienne avec le peuple romain. Liv. ub. 42, Le sénat en avait envoyé d'autres vers Persée pour lui porter ses plaintes et lui demander satisfaction. Voyant qu'ils ne pouvaient obtenir d'audience pendant plusieurs jours, ils partirent pour retourner à Rome; le roi les fit rappeler. Ils lui représentèrent que le trai- té conclu avec Philippe, son père, et renouvelé de- puis avec lui-même, portait, en termes exprès, qu'il ne pourrait porter la guerre hors de son royaume, ni at- taquer le peuple romain : ils lui rapportèrent ensuite toutes ses contraventions à ce traité , et le sommèrent de restituer aux alliés tout ce qu'il leur avait enlevé de force. Le roi ne leur répondit que par des empor- tements et des injures, se plaignant de l'avarice et de l'orgueil des Romains , qui traitaient les rois avec une hauteur insupportable, et prétendaient leur faire la loi comme h des esclaves. Gomme ils demandaient une n. 23-27. SUCCESSEURS d'aLEXAM)RE. 9.87 réponse positive , il les remit au lendemain , voulant la leur donner par éerit. Elle portait que le traité con- clu avec son père ne le regardait point ; que , s'il l'avait accepté, ce n'était point ([u'il l'approuvât, mais j)arce qu'il n'avait pas pu faire autrement, n'étant pas en- core bien affermi sur le trône: que, si les Romains voulaient songer à un nouveau traité, et proposer des conditions raisonnables, il délibérerait sur ce qu'il au- rait à faire. Le roi, après leur avoir remis cet écrit, se retira brusquement. Les ambassadeurs lui déclarè- rent que le peuple romain renonçait à son alliance et à son amitié. Il se retourna plein de colère , et leur dé- nonça, d'un ton menaçant, qu'ils eussent à sortir de son royaume avant trois jours. De retour à Rome, ils rendirent compte de tout ce qui s'était passé dans leur ambassade , et ajoutèrent qu'ils avaient remarqué , dans toutes les villes de Macédoine par où ils avaient passé, qu'on travaillait fortement aux préparatifs de la guerre. Les ambassadeurs qu'on avait envoyés vers les rois alliés rapportèrent qu'ils avaient trouvé Eumène en Asie, Antiochus en Syrie, Ptolémée en Egypte, bien disposés pour le peuple romain, et prêts à faire tout ce qu'il soubaiterait d'eux. Persée les avait tous solli- cités de se joindre à lui, mais inutilement. Le sénat ne voulut point accorder d'audience aux ambassadeurs de Gentius, roi d'Ulyrie, accusé d'être d'intelligence avec Persée; et il remit à entendre ceux des Rbodiens, qui s'étaient aussi rendus suspects , cjuand les nouveaux consuls seraient entrés en charge. Cependant, pour ne point perdre de temps, on donna ordre de préparer une flotte de cinquante galères pour la Macédoine, et 288 HISTOIRE ANCIENNE. de la faire partir au plus tôt avec des troupes : ce qui fut exécuté sans délai. An. M.3S33. On nomma pour consuls P. Licinius Crassus et C. LiV. lib/iaj Cassius Longinus. La Macédoine échut par le sort à "ctle.^''' Licinius. Non-seulement Rome et l'Italie, mais tous les rois et toutes les villes, tant de l'Europe que de l'Asie, avaient les yeux tournés sur les deux puissants peuples qui allaient entrer en guerre. Eumène était animé par une ancienne haine contre Persée, et encore plus par le nouveau crime qui lui avait presque arraché la vie dans son voyage à Delphes. Prusias , roi de Bithynie , avait résolu de ne point prendre de parti , et d'attendre l'événement. Il se flat- tait que les Romains n'exigeraient pas qu'il prît les armes en leur faveur contre le frère de sa femme; et il espérait, si Persée était vainqueur, que ce prince se laisserait aisément fléchir aux prières de sa sœur. Ariarathe, roi de Cappadoce, outre qu'il avait pro- mis en son nom du secours aux Romains, se tenait inviolahlement attaché, soit pour la guerre, soit pour la paix, au parti que suivait Eumène, depuis qu'il avait contracté avec lui affinité en lui donnant sa fille en mariage. Antiochus songeait à s'emparer de l'Egypte, comp- tant sur la faihlesse du roi pupille , et sur l'indolence et la lâcheté de ses tuteurs , et s'imaginait avoir trouvé un prétexte plausible de faire la guerre h ce prince en lui disputant la Célésyrie , et que les Romains , oc- cupés à la guerre de IMacédoine , n'apporteraient point d'obstacle à ses desseins ambitieux. Cependant il avait déclaré au sénat, par ses ambassadeurs, qu'il pouvait SUCCESSEURS d' A LEX AJY D RE. u8c) absolument disposer de toutes ses forces et de toutes ses troupes, et avait répété la même promesse aux ambassadeurs que Rome lui avait envoyés. Ptolémée, à cause de la faiblesse de son âge, n'était pas en état de disposer de lui-même. Ses tuteurs se préparaient h la guerre contre Antiochus pour s'assurer la Célésyric, et promettaient tout aux Komains pour la guerre de Macédoine. Masinissa aidait les Romains de blé, de troupes, d'éléphants; et il songeait à envoyer à cette guerre son fils Misagène. Voici quel était son plan et ses vues politiques. Masinissa songeait à s'emparer du territoire des Carthaginois. Si les Romains étaient vainqueurs, il comptait ne pouvoir pas exécuter ce projet, parce que les Romains ne souffriraient jamais qu il poussât à bout les Carthaginois : en ce cas, il faisait donc état de demeurer tel qu'il était. Si au contraire la puis- sance romaine, qui seule, par politique, l'empêchait d'étendre ses conquêtes, et qui soutenait alors Car- tilage, venait à succomber, il comptait se rendre maître de toute l'Afrique. Gentius, roi d'Illyrie, n'avait réussi qu'«^ se rendre très-suspect aux Romains, sans savoir néanmoins lui- même encore quel parti il devait suivre; et il parais- sait que ce serait par caprice et par boutade qu'il s'at- tacherait aux uns ou aux autres plutôt que par un plan fixe et par un dessein suivi. Pour Cotys de ïhrace , roi des Odryses, il s'était déclaré ouvertement pour les Macédoniens. Telle était la disposition des rois à l'égard de la guerre de Macédoine. Pour ce qui regarde les jieuples et les villes libres, presque par-tout la populace pen- Toine fin. Hist. anc. I i) 2gO ÏIISTOIRi: ANCIENNE. chait du côté du roi et des Macédoniens. Les sentnnents des principaux qui dominaient chez ces peuples et dans ces villes étaient partagés comme en trois classes. Quel- ques-uns se livraient si bassement aux Romains , que par ce dévouement aveugle ils perdaient parmi leurs citoyens tout crédit et toute autorité : et de ceux - là peu étaient touchés de la justice du gouvernement romain ; le grand nombre n'envisageaient que leur propre intérêt , persuadés qu'ils auraient du crédit dans leurs villes à proportion des services qu'ils rendraient aux Romains. La seconde classe était de ceux qui étaient absolument livrés au roi, les uns parce que leurs dettes et le mauvais état de leurs affaires leur faisaient souhaiter le changement , les autres parce que leur caractère vain et fastueux s'accommodait davantage de la pompe qui règne dans la cour des rois et dont Persée se piquait. Une troisième classe, et c'était la plus sensée et la plus prudente^ s'il eût fallu prendre nécessairement parti, aurait préféré les Romains aux rois : mais si la chose eût été laissée à son choix, elle aurait souhaité qu'aucun des deux partis ne devînt plus puissant en opprimant l'autre, mais que, conservant une sorte d'égalité et d'équilibre, ils demeurassent toujours entre eux en paix : parce qu'a- lors, l'un des deux partis prenant la protection des villes faibles qu'on voudrait opprimer, rendrait leur condition bien plus tranquille et plus assurée. Dans cette espèce de neutralité indécise , ils regardaient comme d'un lieu sûr les combats et les dangers de ceux qui avaient pris parti pour les uns ou pour les autres. Les Romains, après avoir, selon leur coutume, satisfait à tous les devoirs de la religion, avoir offert SUCCESSEURS D ALEXANDRE. J.C)1 iiiix (lieux des prières publiques et des sacrifices, et leur avoir fait des vœux pour l'heureux succès de l'eu- treprise à laquelle ils se préparaient dej)uis long-temps, déclarèrent en forme la guerre à Persée, roi de Macé- doine, s'il ne donnait ime prompte satisfaction sui- divers griefs qu'on lui avait déjà expliqués plus d'une fois. Dans le même temps survinrent des ambassadeurs de sa ])art, (pii dirent (jue le roi leur maître était fort étonné.qu'on eût fait passer des troupes en Macédoine, et qu'il était prêt à donner au sénat toutes les satis- factions qu'on exigerait de lui. Connne on savait que Pérsée ne cherchait qu'à gagner du temps , on leur ré- pondit que le consul Licinius arriverait bientôt avec son armée en Macédoine, et que, si le roi demandait la paix de bonne foi, il pourrait lui envoyer ses am- bassadeurs: mais qu'il ne songeât point à en faire venir en Italie, où ils ne seraient plus reçus ; et pour ceux- ci, ils eurent ordre d'en sortir avant douze jours. Les Romains n'omettaient rien de tout ce qui pou- lw. lih. 49., vait contribuer au succès de leurs entreprises. Ils en- poiyh. voyèrent de tous cotés des ambassadeurs vers la plu- *^^'^'' part de leurs alliés pour animer et fortifier ceux qui leur étaient constamment attachés, pour déterminer ceux qui étaient flottants et incertains , et pour -inti- mider ceux qui paraissaient mal disposés. Pendant qu'ils étaient à Larisse en Thessalie, il y arriva des ambassadeurs de Persée , qui avaient ordre de s'adresser à Marcius, l'un des ambassadeurs romains, de le faire ressouvenir de l'ancienne liaison et amitié que le père de ce Romain avait eue avec le roi Phi- lippe, et de lui demander une entrevue avec leur •9- 0,gi HISTOIRE ANCIENNE. maître. Marcius répondit qu'effectivement son père lui avait souvent parlé de l'amitié et de l'hospitalité qui le liait avec Philippe , et il marqua pour l'entrevue un endroit près du fleuve Pénée. Ils s'y rendirent peu de jours après. Le roi avait un grand cortège, et était environné d'une foule de grands seigneurs et de gardes. Les ambassadeurs n'étaient pas moins bien accom- pagnés, plusieurs des citoyens de Larisse et des dé- putés des villes qui s'y étaient rendus s'étant fait un devoir de les suivre, et étant bien aises de rapporter chez eux ce qu'ils auraient vu et entendu. On était curieux d'assister à cette entrevue d'un grand roi et des ambassadeurs du plus puissant peuple de la terre. Après quelques difficultés qui intervinrent sur le cé- rémonial, et qui furent bientôt levées à l'avantage du Romain, qui eut les honneurs, ils s'abouchèrent. L'a- bord fut fort gracieux de part et d'autre. Ils ne se trai- tèrent point comme ennemis, mais plutôt comme des amis liés par le droit sacré de Thospitalité. Marcius, qui prit le premier la parole, commença par s'excuser sur la triste nécesssité où il se trouvait de faire des reproches à un prince pour qui il avait une grande considéra- tion. Il déduisit ensuite fort au long tous les sujets de plainte que le peuple romain formait contre lui, et les différentes atteintes qu'il avait données aux traités. Il insista beaucoup sur l'attentat commis contre Eumène, et finit en témoignant qu'il desirait que le roi pût lui fournir de bonnes raisons et le mettre en état de plai- der sa cause et de le justifier devant le sénat. Persée, après avoir coulé légèrement sur le fait d'Eu- mène, qu'il paraissait étonné qu'on osât lui imputer sans aucune preuve plutôt qu'à tant d'autres ennemis SUCCESSEURS d'Alexandre. 2^3 qu'avait ce prince, descendit dans un grand détail , et répondit le mieux qu'il lui fut possible à tous les chefs d'accusation formés contre lui. « Ce que je puis « assurer*, dit-il en finissant, c'est que ma conscience « ne me reproche point d'avoir fait sciemment et de « propos délibéré aucune faute contre les Romains; et « si j'en ai commis quelqu'une par inattention, averti « comme je viens de l'être je puis me corriger. Je « n'ai rien fait certainement qui mérite qu'on me pour- « suive avec une haine opiniâtre comme vous faites , et « comme si j'étais coupable de crimes énormes et atroces « qui ne peuvent s'expier ni se pardonner. C'est bien « sans fondement qu'on vante par-tout la clémence et la « bonté du peuple romain, si, pour de si légers sujets, ce qui méritent à peine quelques plaintes et quelques « reproches, vous prenez les armes et portez la guerre « contre des rois qui sont vos alliés. » Le résultat de la conférence fut que Persée enver- rait de nouveaux ambassadeurs à Rome afin de tenter toutes les voies possibles pour n'en point venir à une rupture et à une guerre ouverte. C'était un piège que le rusé commissaire tendait à la simplicité du roi pour gagner du temps. Il feignit d'abord de trouver de grandes difficultés à la trêve que demandait Persée pour envoyer à Rome ses ambassadeurs, et il ne parut enfin s'y rendre que par considération pour le roi. La véritable raison était que les Romains n'avaient encore ' «Conscîus mih! sum, nihil nie seatis coramisi: aut frustra clemen- scientem deliquisse; et,siquid fece- tiaegravitatisquevestrae f'ama vulgata riin imprudentiâ lapsus, corrigi me per gentes est, si talibus de causis, et emendari castigatione Lâc posse. quae vix querelà et expostulatione IVihil certèinsanabile, nec quodbel- digna; sunt, arma capitis, et regibus lo et armis perscquendum esse cen- sociis bella inferlis. » (Liv.) 294 HISTOIRE ANCIENNE. ni troupes ni général en état d'agir, au lieu que du côté de Persée tout était prêt, et que, s'il n'eût point été aveuglé par une vaine espérance de paix, il aurait dû saisir ce moment , qui lui était si favorable et si contraire aux ennemis, et se mettre d'abord en cam- pagne. Après cette entrevue les ambassadeurs romains s'a- vancèrent vers la Béotie, où il y avait eu de grands mouvements, les uns se déclarant pour Persée, les autres pour les Romains ; mais enfin ce dernier parti l'emporta. Les Thébains, et à leur exemple les autres peuples de Béotie , firent alliance avec le peuple ro- main, chacun par leurs députés particuliers, et non par le consentement du coi'ps entier de la nation se- lon l'ancien usage. C'est ainsi que les Béotiens, pour avoir pris témérairement le parti de Persée, après avoir formé pendant long-temps une république qui, en différentes occasions , s'était heureusement délivrée des plus grands périls , se virent dispersés et gouver- nés par autant de conseils qu'il y avait de villes dans la province, qui toutes dans la suite demeurèrent in- dépendantes les unes des autres, et ne formèrent plus une seule ligue comme auparavant. Et ce fut un effet de la politique romaine, qui les divisa pour les affai- blir, sachant qu'il était bien plus aisé par là de les ga- gner et de les asservir que si elles eussent toujours été unies toutes ensemble. Il n'y eut presque dans la Béotie que Coronée et Haliarte qui persistèrent dans l'alliance avec Persée. De la Béotie les commissaires passèrent dans le Pé- loponnèse. L'assemblée de la ligue achéenne fut convo- quée à Argos. Ils demandèrent mille hommes seule- SUCCESSEURS D ALEXANDRE. '2i^D ment pour les mettre en garnison dans Clialcis, jus- qu'à ce que l'armée romaine passât en Grèce, et ils y furent envoyés sur-le-champ. Marcius et Atilius , ayant terminé les affaires de la Grèce, retournèrent à Rome au commencement de l'hiver. Vers le même temps Rome envoya encore de nou- lw. ui). /,2, veaux commissaires vers les îles de l'Asie les plus con- Poiyb. sidérahlcs pour les exhorter à lui donner un puissant secouis dans la guerre contre Persée. Les Rhodiens se signalèrent dans cette occasion. Hégésiloque, qui pour- lors était prytane (on appelait ainsi le premier magistrat), avait préparé les esprits, et avait repré- senté qu'il fallait effacer par des actions , et non sim- plement par des paroles, toutes les mauvaises impres- sions qu'Eumène avait tâché d'inspirer aux Romains sur leur fidélité. Ainsi, à l'arrivée des ambassadeurs, ils leurs montrèrent une flotte de quarante galères , tout équipée, et prête à se mettre en mer au premier ordre. Une surprise si agréable fit un grand plaisir aux Romains , qui s'en retournèrent extrêmement con- • tents d'un zèle si marqué, qui avait même prévenu leurs demandes. Persée, en conséquence de son entrevue avec Mar- cius , envoya des ambassadeurs à Rome pour y traiter de ce qui avait été proposé dans. cette conférence. Il chargea d'autres ambassadeurs de lettres pour Rhodes et pour Byzance , dans lesquelles il exposait ce qui s'é- tait passé dans l'entrevue, et déduisait fort au long les raisons sur lesquelles son droit était appuyé. Il ex- hortait en particulier les Rhodiens à demeurer en re- pos, et à attendre en simples spectateurs quel parti prendraient les Romains. « Si , malgré les traités qui ^9^ HISTOIRE ANCIENNE. « ont été faits entre nous, ils m'attaquent, vous serez, « leur disait-il , les médiateurs entre les deux peuples. « Tout le monde est intéressé à les voir vivre en paix , « mais il ne sied à personne plus qu'à vous de travail- ce 1er à les réunir. Défenseurs, non-seulement de votre « liberté , mais encore de celle de toute la Grèce , plus ce vous avez de zèle et d'ardeur pour un si grand bien, «belliqueuse; car, n'en doutez point, si vous refusez « de faire la guerre , et que vous vouliez vous sou- « mettre aux ordres de ces maîtres orgueilleux, il faut 3o4 HISTOIRE ANCIENNE. « VOUS résoudre à leur livrer vos armes avec votre roi « et son royaume. « A ces mots, toute l'armée, qui avait applaudi modé- rément au reste du discours, jeta des cris de colère et d'indignation, exhortant le roi à concevoir d'heureuses espérances, et demandant avec instance qu'on la menât contre les ennemis. Persée ensuite donna audience aux ambassadeurs des villes de Macédoine, qui venaient lui offrir de l'ar- gent et des vivres, chacune selon son pouvoir, pour les besoins de l'année. Le roi les remercia avec bonté, mais n'accepta point leurs offres, apportant pour rai- son que l'armée était abondamment fournie de tout ce qui lui était nécessaire. Il leur demanda seulement des voitures pour transporter les béliers, les catapultes et les autres machines de guerre. Cependant les deux armées étaient en mouvement. Celle des Macédoniens, après quelques jours de mar- che, arriva à Sycurie, ville située au bas du mont OEta; celle du consul, à Gomphi dans la Thessalie, après avoir surmonté d'horribles difficultés dans des chemins et dans des défilés qui étaient presque impra- ticables. Les Romains eux-mêmes avouaient que si l'ennemi avait gardé ces défilés , il aurait pu facilement v faire périr leur armée. Le consul s'avança à trois milles près de la contrée appelée Tripolis , et campa sur les bords du fleuve Pénée. Dans le même temps Eumène arriva à Chalcis avec ses frères Attale et Athénée ; le quatrième , nommé Phi- létère, était resté à Pergame pour la défense du pays. Eumène et Attale se joignirent au consul avec quatre SUCCESSEURS d' ALEX ANDRE. 3o5 mille hommes de pied et mille chevaux. Ils avaient lais- sé à Chalcis deux mille hommes de pied sous la con- duite d'Athénée pour fortifier la garnison de cette importante place. Il vint aussi de la part des alliés d'autres troupes, mais en assez petit nombre, et plu- sieurs galères. Persée cependant envoya plusieurs dé- tachements pour ravager le pays voisin de Phères, es- pérant que, si le consul quittait son camp pour venir au secours des villes alliées, il pourrait le surprendre et l'attaquer li son avantage; mais son espérance fut vaine, et il se contenta de distribuer à ses soldats le butin qu'il avait fait , ([ui était fort considérable , et con- sistait principalement en bétail de toute espèce. Le consul et le roi tinrent conseil dans le même temps, chacun de leur coté, pour décider par où ils devaient commencer la guerre. Le roi , tout fier de ce qu'on lui avait laissé ravager impunément les terres desPhéréens, était d'avis d'aller, sans perdre de temps, attaquer les Romains dans leur camp. Les Romains sentaient bien que leur lenteur et leurs retardements les décriaient dans l'esprit des alliés, et ils se repro- chaient à eux-mêmes de n'avoir point porté de secours à ceux de Phères. Pendant qu'ils délibéraient sur le parti qu'ils devaient prendre (Eumène et Attale étaient du conseil), arrive un courrier à la hâte, qui leur ap- prend que les ennemis étaient proche avec une armée nombreuse. Sur-le-champ on donne le signal pour faire prendre les armes aux soldats, et l'on détache pour aller à la découverte cent chevaux, et autant de fan- tassins armés à la légère. Persée, sur les dix heures du matin, ne se trouvant éloigné du camp des Romains que d'une petite demi-lieue, fait laire halte à son in- Tome Fin. Hist. anc. 10 3o6 HISTOIRE a:scit.^]se. fanterle , et s'avance avec sa cavalerie et les soldats ar- més à la légère. A peine avait-il fait un quart de lieue, qu'il aperçoit un gros des ennemis : il envoie contre eux un petit corps de cavalerie , soutenu par quelques troupes armées à la légère. Comme ces deux détache- ments étaient de nombre à peu près é-gal , et que ni de part ni d'autre on n'envoya point de nouvelles troupes à leur secours , le combat finit sans qu'on pût dire de quel coté était la victoire. Persée ramena ses troupes à Sycurie, Persée, le lendemain, à la même heure, fait avan- cer toutes ses troupes vers le même endroit : elles étaient suivies de chariots chargés de vaisseaux rem- plis d'eau : car , pendant près de quatre lieues , on n'en trouvait point, et le chemin était plein de poussière; et il aurait pu arriver que les troupes, épuisées par la soif, eussent été obligées d'abord de combattre, ce qui les aurait fort incommodées. Les Romains s'étant tenus en repos, et ayant même fait rentrer les corps de garde dans les retranchements, les troupes du roi s'en retournèrent dans leur camp. Elles firent la même chose pendant quelques jours, dans l'espérance que les Romains ne manqueraient pas de détacher leur cava- lerie pour attaquer leur arrière -garde; et que pour- lors, les ayant tirés assez loin de leur camp , et le com- bat étant engagé, ils tourneraient face : et comme la cavalerie du roi l'emportait de beaucoup sur celle des Romains, aussi-bien que ses fantassins armés h la lé- gère, ils comptaient qu'ils en viendraient aisément à bout. Ce premier dessein ne réussissant pas, le roi alla camper plus près de l'ennemi, n'en étant pas plus éloi- SUCCESSEURS d' AL EX A N DP. E. 3o7 gné que crun peu plus de deux lieues. Dès la pointe du jour, ayant rangé son infanterie dans le morne lieu où il avait coutume de le faire les jours précédents, c'est-à-dire à mille pas de l'ennemi, il mène toute sa cavalerie et ses troupes armées à la légère vers le camj) des Romains. La poussière qui paraissait, et plus pro- che que de coutume, et excitée par un plus grand nombre de troupes , y jeta l'alarme; et à peine le pre- mier qui en apporta la nouvelle put-il faire croire que 1 ennemi fût si près, parce qu'auparavant, plusieurs jours de suite, il n'avait paru que sur les dix heures, et que pour-lors le soleil ne commençait qu'cà se l'jver. Mais quand, aux cris de plusieurs qui confirmaient cette nouvelle, et qui accouraient en foule des portes, il n'y eut plus moyen d'en douter, le trouble fut fort grand dans le camp. Tous les officiers se rendent pré- cipitamment à la tente du général , et les soldats cha- cun dans leur tente particulière. La négligence du consul, si mal instruit des mouvements d'un ennemi qui était tout près de lui , et qui devait jour et nuit le tenir en haleine , ne donne pas grande idée de son mérite. Persée avait rangé ses troupes à moins de cinq cents pas des retranchements du consul. Cotys , roi des Odryses dans la Thrace, commandait la gauche avec la cavalerie de sa nation : les armés à la légères étaient distribués d'espace en espace dans les premiers rangs. La cavalerie macédonienne, mêlée de même de Cretois, formait l'aile droite : à la pointe des deux ailes était la cavalerie du roi et celle des troupes auxiliaires. Le roi occupa le centre avec la cavalerie qui accompagnait toujours sa personne, et il plaça devant lui les fron- 20. 3o8 HISTOIRE anciennî:. deurs et les gens de trait, qui pouvaient être au nom- bre de quatre cents. Le consul ayant rangé en bataille son infanterie dans le camp même, en fit sortir la cavalerie seule et les troupes armées à la légère , qu'il rangea devant les retranchements. L'aile droite, composée de toute la cavalerie d'Italie, était commandée par C. Licinius Crassus, frère du consul; la gauche, composée de la cavalerie des Grecs alliés, par M. Valérius Lévinus : l'une et l'autre étaient entremêlées de leurs troupes armées à la légère. Q. Mucius était placé dans le centre avec un corps choisi de cavalerie; et il avait devant lui deux cents cavaliers gaulois , et trois cents tirés des troupes d'Eumène. Quatre cents cavaliers de Thessalie étaient placés un peu au-dessus de l'aile gauche, comme un corps de réserve. Le roi Eumène et Attale son frère, avec leur troupe, occupaient l'espace entre les retranchements et les derniers rangs. Ce ne fut ici qu'un combat de cavalerie, laquelle de part et d'autre était à peu près égale pour le nombre, et pouvait monter de chaque côté à quatre mille hommes, sans compter les armés à la légère. I^'action commença par les frondeurs et les gens de trait, qui étaient placés à la tête : mais ce n'en fut là que comme, le prélude. Les Thraces, connne des bêtes qu'on a tenues long -temps enfermées, et qui n'en deviennent que plus féroces, se jetèrent les premiers avec fureur contre l'aile droite des Italiens, qui, tout braves et intrépides qu'ils étaient, ne purent soutenir un choc si rude et si violent. Les fantassins armés à la léeère, que les Thraces avaient parmi eux, abattaient avec leurs épées les lances des ennemis; et tantôt ils coupaient succiiSSiiijRs u'alexajvdri;. 3(>() les jarrets de leurs chevaux, tantôt ils les perçaient dans le flanc. Persée, ayant attaqué le centre des en- nemis, nn't d'abord les Grecs en désordre : et comme ils étaient vivement pressés dans leur fuite, la cavalerie thessalienne, laquelle, séparée de l'aile gauche par un médiocre intervalle, formait un corps de réserve, et qui, dans le connnencement de l'action , n'avait été que spectatrice et témoin du combat, fut d'un grand secours quand l'aile gauche vint à plier; car cette ca- valerie, se retirant doucement et en bon ordre, après qu'elle se fut jointe aux troupes auxiliaires d'Eumène, donna une retraite assurée dans ses rangs aux fuyards, qui étaient dispersés de coté et d'autre; et voyant que l'ennemi ne les pressait plus si vivement, elle osa même aller au-devant d'eux pour les soutenir et les rassurer; et comme cette cavalerie marchait en bon ordre, et gardait toujours ses rangs, celle du roi, qui, en poursuivant les fuyards, s'était débandée, n'osa pas attendre les Thessaliens, ni en venir aux mains avec eux. Hippias et Léonat, ayant appris l'avantage que la cavalerie avait remporté, pour ne pas faire manquer au roi une occasion si favorable de mettre le comble à la gloire de cette journée en poussant vivement les ennemis, et allant les attacjuer dans leurs retranche- ments, lui amenèrent de leur propre mouvement et sans ordre la phalange macédonienne. Il paraissait en effet que, pour peu d'effort c[ue fît le roi, il pouvait rendre sa victoire complète, et que, dans l'ardeur où étaient ses troupes, et dans l'effroi qu'elles avaient jeté parmi les Romains, la pleine défaite de ceux-ci était assurée. Pendant , la ville d'Haliarte en Béotie. Après une longue et vi- ' ' goureuse résistance, elle fut prise enfin d'assaut, livrée au pillage, puis ruinée de fond en comble. Tbèbes, bientôt après, se rendit. Lucrétius alors retourna à la flotte. Persée cependant, qui n'était pas loin du camp des Romains, les incommodait fort, barcelant leurs trou- pes, et tombant sur leurs fourrageurs pour peu qu'ils s'écartassent. Il prit un jour jusqu'à mille cbariots, remplis la plupart des gerbes de blé que les Romains venaient de moissonner, et fit six cents prisonniers. Il alla ensuite attaquer un petit corps de troupes, qui était dans le voisinage, dont il espérait se rendre maî- tre sans peine; mais il y trouva plus de résistance qu'il ' 3l8 HISTOIRE A^fCÎENNE. n'avait cru. Ce petit corps était commandé par un brave officier, nommé L. Pompéius, qui, s'étant reli- re sur une hauteur , s'y défendit avec un courage intré- pide , déterminé à périr avec tous les siens plutôt que de se rendre. Il était près d'être accablé par le nombre, lorsque le consul arriva à son secours avec un gros dé- tachement de cavalerie et de troupes armées à la légère : il avait donné ordre aux légions de le suivre. La vue du consul rendit l'espérance à Pompéius et à sa troupe, qui était de huit cents hommes , tous Romains. Persée manda aussitôt sa phalange ; mais le consul n'attendit pas qu'elle fût arrivée, et en vint aussitôt aux mains. Les Macédoniens, après avoir résisté quelque temps très-vigoureusement, furent enfin enfoncés, et mis en déroute. Il y demeura sur la place trois cents hommes de pied et vingt-quatre des principaux cavaliers de la compagnie appelée l'escadron sacrée dont le com- mandant même, nommé Antimaque, fut tué. Le succès de cette action ranima les Romains, et alarma fort Persée. Ayant laissé une forte garnison à Gonne, il remena ses troupes en Macédoine. Le consul, après avoir soumis la Perrhébie, pris Larissa et quelques autres villes , renvoya tous les alliés, excepté les Achéens ; répandit ses troupes dans la Thes- salie, où il les laissa en quartier d'hiver; et passa dans la Béotie, à la prière des Thébains, que ceux de Co- ronée inquiétaient. SUCCESSEURS d'aLEXAXDRE. SiQ § III. Le sénat fait une sage ordonnance y pour ar- rêter l'avarice des généraux et des magistrats qui vexaient les alliés. Le consul Marcius , après avoir essuyé de rudes fatigues , pénètre dans la Macédoine. Persée prend f alarme j et lui en lais- se Ventrée libre : puis il reprend courage. Am- bassade insolente des Âhodiens à Rome. Il ne se fit rien de fort mémorable Tannée suivante. An.m.3S34. Le consul Hostilius avait envoyé en Illyrie Ap. Clau- Liv.iib.43i dius avec quatre mille lionnnes d'infanterie, pour dé- "• 9''°- fendre les habitants du pays qui étaient alliés des Ro- mains ; et celui-ci avait trouvé le moyen de joindre à ce premier corps de troupes huit mille hommes qu'il avait levés parmi les alliés. Il alla camper à Lychnide, ville des Dassarètes. Près de là était une autre ville nommée Uscana, qui appartenait à Persée, et oi^i il avait une grosse garnison. Claudius, sur la parole qu'on lui avait donnée de lui livrer la place, dans l'es- pérance d'y faire un riche butin, s'en approcha avec, toutes ses troupes, sans ordre, sans défiance, et sans avoir pris aucune précaution. Lorsqu'il y pensait le moins, la garnison fit une furieuse sortie contre lui, mit toutes ses troupes en fuite, les poursuivit fort loin , et en fit un grand carnage. De onze mille hommes à peine deux mille purent-ils se sauver dans le camp , où il en était resté mille pour le garder. Claudius remena à Lychnide les débris de son armée. La nouvelle de cette perte affligea beaucoup le sénat, d'autant plus qu'elle avait été causée par l'imprudence et l'avarice de Claudius. 3-20 HISTOIRE ANCIENNE. Poiyb. C'était pour -lors la maladie presque générale des i,iv*!^hb.''43, commandants. Le sénat reçut diverses plaintes de plu- " '^ sieurs villes, tant de la Grèce que d'autres provinces, contre les officiers romains, qui les traitaient avec une avarice et une cruauté inouïes. Il en punit quelques- uns, répara les torts qu'ils avaient fliits aux villes, et renvoya les ambassadeurs fort contents de la manière dont leurs remontrances avaient été reçues. Bientôt après, pour obvier, à l'avenir, à de pareils désordres, il fit une ordonnance qui marquait que les villes ne fourniraient rien aux magistrats romains au-delà de ce que le sénat aurait réglé; et cette ordonnance fut pu- bliée dans toutes les villes du Péloponnèse. C. Popilius et Cn. Octavius, qui furent chargés de cette commission, allèrent d'abord à Tlièbes, dont ils louèrent fort les citoyens, et les exhortèrent à demeurer fermes dans l'amitié du peuple romain. Parcourant en- suite les villes du Péloponnèse, ils vantèrent par-tout la douceur et la modération du sénat, dont ils appor- taient pour preuve le décret qu'il venait de faire en faveur des Grecs. Ils trouvèrent une grande division presque dans toutes les villes, sur-tout chez les Eto- liens, causée par les deux factions qui les partageaient. Tune pour les Romains, l'autre pour les Macédoniens. L'assemblée d'Achaïe n'était pas exempte de ces mou- vements; mais la sagesse de ceux qui avaient le plus d'autorité en arrêta les suites. L'avis d'Archon, l'un des principaux de la ligue , était qu'on devait se con- duire selon les conjonctures, ne pas donner lieu à la calomnie d'irriter l'une ou l'autre puissance contre la république, et éviter les malheurs oii étaient tombés ceux qui n'avaient pas assez connu le pouvoir des Ro- SUCCESSKIIUS n'ALEXANDRE. 39.1 mains. Cet avis prévalut; et l'on corivint de donner la première magistrature à Arehon , et de faire Volyhc eapitaiue-général de la cavalerie. Sur ces entrefaites, Attale, ayant quelque chose à obtenir de la ligue achéenne, fît sonder le nouveau magistrat, qui, déterminé à favoriser les Romains et leurs alliés , promit à ce prince d'appuyer ses deman- des de tout son pouvoir. Il s'agissait de faire révoquer un décret par lequel on avait ordoimé que toutes les statues du roi Eumène seraient otées des lieux j)ul)lics. Au premier conseil qui se tint , on introduisit dans l'assemblée les ambassadeurs d'Attale, qui demandèrent qu'en considération du prince qui les avait envoyés, on rendît à Eumène, son frère, les honneurs que la ré- publique lui avait autrefois décernés. Arehon appuya sa demande , mais d'une manière modeste. Polybe parla avec plus de force , fit valoir le mérite et les services d'Eumène, montra l'injustice du premier décret, et conclut à le casser. Toute l'assemblée applaudit à son discours , et il fut ordonné qu'Eumène serait rétabli dans tous ses honneurs. C'est dans le temps dont nous parlons ici que Rome envoya Popilius vers Antiochus Epiphane pour arrêter ses entreprises sur l'Egypte, comme nous l'avons ra- conté ci-devant. Le soin de la guerre de Macédoine occupait fort les Romains. Q. Marcius Philippus, l'un des deux consuls qui venaient d'être élus, en fut chargé. Avant qu'il partît, Persée avait cru devoir profiter du temps de l'hiver pour faire une expédition contre rillvrie, ([ui était le seul endroit d'oii la Macédoine eût à craindre des irruptions pendant que le roi serait Tnme y m. Uhl. aac. '1 l 3a-2 HISTOIRE ANCIENNE. occupé contre les Romains. Cette expédition lui réussit fort heureusement, et presque sans aucune perte de sa part. Il commença par le siège d'Uscana , qui était tombée au pouvoir des Romains on ne sait pas com- ment, et la prit après une assez longue résistance. Il se rendit maître ensuite de toutes les places fortes du pays, dont la plupart avaient garnison romaine, et il fit un grand nombre de prisonniers. An. M. 383.';. Persée envoya dans le même temps des ambassa- Liv. lib. 43, deurs à Gentius, un des rois d'Illyrie, pour l'engager eriS-Vs. à quitter le parti des Romains et à embrasseï' le sien. ^"(i^et "^^^ Gentius y était assez disposé; mais il marqua que, n'ayant ni préparatifs de guerre ni argent, il n'était point en état de se déclarer contre les Romains : c'é- tait s'expliquer assez clairement. Persée , qui était avare, n'entendit point ou plutôt fit semblant de ne point entendre sa demande, et lui envoya une seconde am- bassade sans parler d'argent; et il en reçut la même réponse. Polybe observe que cette crainte de faire de la dépense, qui marque une ame basse, et qui désho- nore entièrement un prince, lui fit manquer plusieurs entreprises, et que, s'il eût voulu sacrifier quelques sommes assez peu considérables, il aurait engagé dans son parti plusieurs républiques et plusieurs princes. Comprend-on un tel aveuglement ! Polybe le regarde comme une punition de la part des dieux. Persée, ayant ramené ses troupes en Macédoine, les fit ensuite marcher vers Stratus , ville très-forte des Eto- liens au-dessus du golfe d'Ambracie. On lui avait fait espérer qu'elle se rendrait aussitôt qu'il paraîtrait de- vant ses murailles : mais les Romains le prévinrent, et y firent entrer du secours. SUCCESSEURS d' A LE X A N D RE. 3^3 Dès que le printemps fut venu, le consul JVIarclus partit de Rome, se rendit en Thessalie, et de là, sans perdre de temps, s'avança vers la Macédoine, persuadé que c'était, dans le cœur de ses états qu'il fallait atta- quer Persée. Sur le bruit que les armées romaines étaient prêtes Pohh. il • • Légat. -8. a se mettre en campagne, Arclion, premier magistrat des Achéens, pour justifier par des faits sa patrie des soupçons et des mauvais bruits qu'on avait répandus contre elle, conseilla aux Acbéens de dresser un dé- cret par lequel il serait ordonné qu'on mènerait une armée dans la Thessalie, et qu'on partagerait avec les Romains tous les périls de la guerre. Le décret ratifié, l'on donna ordre à Archon de lever des troupes et de faire tous les préparatifs nécessaires. On résolut ensuite d'envoyer des ambassadeurs au consul , pour l'informer de la résolution que la république avait prise, et pour savoir de lui oii et quand il jugeait à propos que l'armée acbéenne joignît la sienne. Polybe , notre historien , fut choisi pour cette ambassade, avec quelques autres. Ils trouvèrent en arrivant les Romains hors de la Thes- salie, campés dans la^Perrhébie, entre Azore et Doli- clîée , et fort embarrassés sur le chemin qu'ils devaient tenir. Ils les suivirent pour attendre une occasion favo- rable de parler au consul, et partagèrent avec lui tous les dangers qu'il courut pour entrer dans la Macédoine. Persée, qui ignorait quelle route prendrait le consul, i-''- '•'>• 44. avait placé des troupes assez considérables dans deux endroits par lesquels il était vraisemblable qu'il ten- terait le passage. Pour lui , il campa avec le reste des troupes près deDium, marchant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, sans beaucoup de dessein. 2 I . 'i-lli HISTOIRE ANCIENNE. Maixius, après une longue délibération, se déter- mina à passer les bois qui couvraient les hauteurs d'Oc- tolophe. Il eut des peines incroyables à surmonter, tant les chemins étaient escarpés et impraticables. Il avait eu la précaution de s'emparer d'une hauteur qui favo- risait son passage, et d'où l'on découvrait le camp des ennemis, qui n'était pas éloigné de plus de mille pas, et tout le pays des environs de Dium et de Phila; ce qiii anima beaucoup les soldats , qui avaient sous leurs veux des contrées si opulentes où ils espéraient s'en- richir. Hippias, que le roi avait placé dans ce passage pour le défendre avec un corps de douze mille hommes, voyant la hauteur occupée par un détachement des Ro- mains, marcha à la rencontre du consul, qui s'avançait avec toute son armée, harcela ses troupes pendant deux jours , et les incommoda fort par les fréquentes attaques qu'il leur donnait. Marcius était fort inquiet, ne pouvant ni avancer avec sûreté, ni reculer sans honte et même sans danger. 11 ne lui restait d'autre parti que de pousser vivement une entreprise formée peut-être trop hardiment et trop témérairement , mais qui ne pouvait réussir que par une constance opiniâtre, qui souvent est suivie et couronnée, à l'a fin, d'un heu- reux succès. Il est certain que, si le consul avait eu affaire à ini ennemi semblable aux anciens rois de Macédoine , dans le défilé étroit où ses troupes se trou- vaient enfermées, il aurait infailliblement reçu un grand échec. Mais Persée, au lieu d'envoyer des troupes fraî- ches pour soutenir celles d'Hippias, dont il entendait presque de son camp les cris qu'elles jetaient en com- battant, et d'aller lui-même en personne attaquer les i^nnemis, s'amusait à faire des courses inutiles avec sa sircci:ssi:i;iis d' A.Li;x,Vi\i)ui:. 3^5 cavalerie aux environs de Dium, et par cette négligence donna lieu aux Romains de se tirer du mauvais pas oii ils s étaient engages. Ce ne fut point sans des peines infinies, les chevaux diargés du bagage succombant sous le poids dans la descente de la montagne, et tombant presque à cba([ue pas qu'ils faisaient. Les éléphants sur-tout leur cau- sèrent un grand embarras. Il fallut trouver un nouveau moyen de les faire descendre dans ces endroits extrême- ment escarpés. Ayant pris le niveau dans ces pentes, on enfonçait en terre, vers le bas, dans ce chemin, deux poutres, distantes l'une de l'autre un peu plus que la largeur d'un éléphant; puis on étendait sur ces poutres des planches longues de trente pieds, qui for- maient une espèce de pont, et on les couvrait de terre. Au bout de ce premier pont, mais à quelque intervalle-, on en construisait un second pareil, puis un troisième, et plusieurs autres ensuite de la même sorte. L'élé- phant passait de la terre-ferme sur le pont, et, avant qu'il fût arrivé au bout , on baissait insensiblement les poutres qui le soutenaient, et on faisait descendre doucement le pont avec l'éléphant, qui passait de là sur le second pont, et ainsi des autres. Il est difficile d'exprimer les fatigues qu'ils eurent à essuyer dans ce passage, les soldats étant souvent obligés de se rouler par terre avec leurs armes, parce qu'ils ne pouvaient pas s'y soutenir en marchant sur leurs pieds. On con- venait qu'avec une j)oignée de gens les ennemis au- raient pu défaire entièrement toute l'armée romaine. Enfin, après bien des peines et des dangers, elle arriva dans la plaine, "et se trouva en sûreté. Comme le consul semblait alors avoir heureusement Leg.78. 326 HISTOIRE ANCIENNE. Pohh. terminé ce qu'il y avait de plus difficile dans son en- treprise, Polybe prit ce moment pour présenter à Mar- cius le décret des Achéens, et pour l'assurer de la ré- solution où ils étaient de venir avec toutes leurs forces partager avec lui tous les travaux et tous les périls de cette guerre. Marcius, après avoir remercié gra- cieusement les Achéens de leur bonne volonté, leur dit qu'ils pouvaient s'épargner la peine et la dépense où cette guerre les engagerait ; qu'il les dispensait de l'une et de l'autre ; et que , dans l'état où il voyait les affaires, il n'avait nul besoin du secours des alliés. Après ce discours, les collègues de Polybe retournè- rent dans l'Acliaïe. Polybe resta seul dans l'armée romaine jusqu'à ce que le consul , ayant appris qu'Appius , surnommé Centon^ avait demandé aux Achéens de lui envoyer cinq mille hommes en Épire, le renvoya dans son pays, en l'exhortant de ne pas souffrir que sa république don- nât ces troupes et s'engageât dans des-frais qui étaient tout-à-fait inutiles, puisque Appius n'avait nulle raison d'exiger ce secours. Il est difficile, dit l'historien, de découvrir le vrai motif qui portait Marcius à parler de la sorte. Voulait - il ménager les Achéens , ou leur tendre un piège, ou laisser Appius hors d'état de rien entreprendre? Pendant que le roi était au bain , on vint lui ap- prendre que les ennemis approchaient. Cette nouvelle le jeta dans une terrible alarme. Incertain du parti qu'il devait prendre, et de moment à autre changeant de résolution, il jetait des cris, et plaignait son sort de se voir vaincu sans combat. Il fit revenir les deux officiers à qui il avait confié la garde des passages, fit SUCCESSEURS d' ALEXANDRE. Ssiy transporter clans sa flotte les statues dorées qui étaient à Diuin ' , de peur qu'elles ne tombassent entre les mains des Romains; donna ordre qu'on jetât dans la mer les trésors qu'il avait à Pella, et qu'on brûlât à Tbessalonique toutes ses galères. Pour lui, il se retira à Pydna. Le consul s'était engagé dans un endroit d'où il ne pouyait plus retourner en arrière malgré tes ennemis. Il n'avait que deux forêts par oli il pouvait passer : l'une , en perçant les vallons de Tempe pour entrer en Tliessalie; l'autre au-delà de Dium, pour pénétrer dans la Macédoine ; et ces deux postes importants étaient occupés par de fortes garnisons que le roi y avait pla- cées. Ainsi, si Persée, sans prendre l'alarme, eût at- tendu seulement dix jours, il aurait été impossible aux Romains de passer dans la Tbessalie par Tempe , et le consul n'aurait point eu de passage pour y faire en- trer ses vivres : car les chemins par Tempe sont bor- dés de précipices si profonds, que l'œil n'en saurait soutenir la vue sans éblouissement. Les troupes du roi gardaient ce passage à quatre endroits différents, dont le dernier était si étroit, que dix hommes seulement bien armés en pouvaient défendre l'entrée. Ne pouvant donc ni recevoir des vivres par les passages étroits de Tempe, ni y passer eux-mêmes, il fallait regagner les montagnes par où ils étaient descendus; ce qui leur était devenu impraticable, parce que les ennemis en occupaient les hauteurs. L'unique parti qui leur res- tait à prendre était de pénétrer dans la Macédoine ' C'étaientles statuesdescavaliers faire par Lysippe , et qu'il avait pla- qui avaient été tués au passage du cées à Dium. Granique, qu'Alexandre avait fait 3^8 HISTOIRE ANCIENNE. jusqu'à Dlum à travers les ennemis : ce qui ne leur au- rait pas été moins difficile, si les dieux, dit Tite-Live, n'eussent ôté à Persée le conseil et la prudence ; car , en faisant un fossé et des retranchements au défilé fort étroit qui se trouve au pied du mont Olympe , il leur en fermait absolument l'entrée, et les arrêtait tout court. Mais dans l'aveuglement où la terreur avait jeté le roi, il ne vit et ne fit rien de tout ce qui pou- vait le sauver, laissa toutes les entrées de son royaume ouvertes et libres à l'ennemi , et se réfugia avec pré- cipitation à Pydna. Le consul sentit bien qu'il devait son salut à la ti- midité et à l'imprudence du roi. Il donna ordre au pré- teur Lucrétius, qui était à Larissa, de s'emparer des postes voisins de Tempe, que Persée avait abandonnés, afin de préparer à ses troupes une sortie en cas d'acci- dent , et envoya Popilius pour reconnaître les passages qui conduisaient à Dium. Quand il sut que les che- mins étaient ouverts et libres, il y arriva le second jour, et fit camper son armée près d'un temple de Jupiter qui était dans le voisinage, pour en empêcher le pillage. Étant entré dans la ville, qui était remplie d'édifices magnifiques et très-bien fortifiée , il fut dans le dernier étonnement de voir que le roi l'eiit si faci- lement abandonnée. Il continua sa marche, et se ren- dit maître de plusieurs places sans trouver presque aucune résistance. Mais plus il avançait, moins il trou- vait de vivres, et plus la disette augmentait; ce qui l'obligea de revenir à Dium. Il fut même obligé de quitter cette ville pour se retirer à Phila, oli le pré- ' " Quod , nisi dii mentem régi adeinissent , ipsum ingentis difflcul- tatis erat. » (Liv.) SUCCESSEURS d'aLEXAIVDRE. 829 tcur Lucrétiiis lui avait marqué qu'il trouverait des vivres en abondance. Son départ de Diuni avertit Per- sée qu'il devait maintenant recouvrer par son courage ce qu'il avait perdu par sa timidité. Il reprit donc pos- session de cette ville, et en répara promptement les ruines. Popilius, de son coté, assiégea et prit lléraelé(?, qui n'était éloignée de Phila que d'un (juart de lieue. Persée, revenu de sa frayeur, et ayant repris ses es- prits , souhaitait fort ([u'on n'eût pas exécuté les or- dres qu'il avait donnés de jeter dans la mer les trésors qu'il avait à Pella, et de brûler à Tbessalonique toutes ses galères. Andronic, chargé de ce dernier ordre, avait traîné en longueur, pour laisser lieu au repentir qui pourrait suivre de près ce commandement, comme en effet cela arriva. Nicias, moins précautionné, avait jeté dans la mer ce cpi'il avait trouvé d'argent à Pella. Sa faute fut bientôt réparée, des plongeurs ayant reti- ré du fond de la mer presque tout cet argent. Pour récompense, le roi les fit tous mourir en secret, aussi- bien qu'Andronic et Nicias; tant il avait de honte de l'indigne frayeur à la quelle il s'était livré, dont il ne voulait laisser aucun témoin ni aucune trace. Il se fit de part et d'autre plusieurs expéditions tant ^j^. ,jjj ,^ par mer que par terre , qui n'eurent pas beaucoup de "• '°''^- suites, et ne furent pas fort importantes. Quand Polvbe revint de son ambassade dans le Pé- poiyb. loponnèse, la lettre d'Appius, par laquelle il deman- ^^*"S- 7^ dait cinq mille hommes, y avaijt déjà été portée. Peu de temps après, le conseil assemblé à Sicyone pour délibérer sur cette affaire jeta Polvbe dans un grand embarras. Ne point exécuter l'ortlre qu'il avait reçu de Marcius , c'eût été une faute inexcusable. D'un autre n. i4-iti. 33o HISTOIRE ANCIENNE. côte, il était dangereux de refuser des troupes, qui pouvaient être utiles aux Romains , et dont les Acliéens n'avaient pas besoin. Pour se tirer d'une conjoncture si délicate , il eut recours à un décret du sénat romain, qui défendait qu'on eût égard aux lettres des généraux , à moins qu'elles ne fussent accompagnées d'un ordre du sénat, et x\ppius n'en avait pas joint aux siennes. Il dit donc qu'avant de rien envoyer à Appius, il fal- lait informer le consul de sa demande, et attendre ce qu'il en déciderait : par là Polvbe épargna aux Acliéens une dépense qui serait montée à plus de six vingt mille écus. Liv. lib. 44, Cependant il arriva à Rome des ambassadeurs de la part de Prusias, roi de Rithvnie, et de celle des Rho- diens en faveur de Persée. Le premier s'exprima fort modestement en déclarant que Prusias jusque-là avait toujours été attaché au parti des Romains , et ne ces- serait de l'être tant que durerait la guerre ; mais qu'ayant promis à Persée d'employer pour lui ses bons offices auprès des Romains pour en obtenir la paix, il les priait, si cela était possible, de lui accorder cette grâce, et de faire de sa médiation l'usage qu'ils juge- raient à propos. Les Rhodiens tinrent un langage bien différent. Après avoir étalé avec un style fastueux les services qu'ils avaient rendus au peuple romain , et s'être attribué la plus grande part dans les victoires qu'ils avaient remportées , et sur-tout dans celle contre Antiochus, ils ajoutèrent que, pendant que la paix subsistait entre les Macédoniens et les Romains, ils avaient commencé à entrer en alliance avec Persée ; qu'ils l'avaient suspendue malgré eux, et sans aucun sujet de plainte contre le roi , parce qu'il avait plu SUCCESSEURS d' A I.EX A N DR E. 33l aux Romains de les engager dans leur parti : que de- puis trois ans que durait cette guerre, ils en souffraient beaucoup d'incommodités ; que , le commerce de la mer étant interrompu, nie sentait une grande disette par le retranchement des revenus et des émoluments qu'ils en retiraient : que, ne pouvant plus porter des pertes si considérables, ils avaient envoyé des ambassadeurs en Macédoine au roi Persée pour lui déclarer que les Rhodiens jugeaient nécessaire qu'il fit la paix avec les Romains ; qu'on les avait aussi envoyés à Rome pour y faire la même déclaration : que, si quelqu'un des deux partis refusait de se rendre à une proposition si raison- nable, et de mettre fin à la guerre, les Rhodiens ver- raient ce qu'ils auraient à faire. On juge aisément de quelle manière fut reçu un discours si vain et si présomptueux. Il y a des historiens qui ont dit que pour toute réponse on fit lire en leur présence une ordonnance du sénat, qui déclarait les Cariens et les Lyciens libres. C'était les piquer au vif, et les' mortifier par l'endroit le plus sensible; car ils prétendaient avoir autorité sur ces deux peuples. Selon d'autres, le sénat répondit, en peu de mots, qu'on con- naissait depuis long-temps à Rome la disposition des Rhodiens, et leurs trames secrètes avec Persée; que, quand Rome l'aurait vaincu, ce que l'on espérait qui arriverait au premier jour, elle verrait h son tour ce qu'elle aurait à faire, et traiterait alors ses alliés chacun selon leurs mérites. On fit pourtant à leurs ambassa- deurs les présents ordinaires. On fit ensuite lecture de la lettre du consul Q. Mar- cius,dans laquelle il rendait compte de la manière dont il était entré dans la Macédoine après avoir essuyé des 332 HISTOIRE ANCIENNE. peines incroyables clans le passage d'un défilé fort étroit. Il ajoutait que, par la sage prévoyance du pré- teur, il avait des vivres pour tout l'hiver, ayant reçu des Epirotes vingt mille mesures de froment et dix mille d'orge, dont il fallait payer le prix à leurs am- bassadeurs qui étaient à Rome; qu'il fallait aussi lui envoyer des habits pour les soldats , et qu'il avait besoin de deux cents chevaux, qui fussent sur-tout de Numidie, parce qu'il n'en trouvait point dans le pays. Tous ces articles furent exécutés exactement et promptement. On donna après cela audience à un seigneur de Macédoine, appelé Otiésime. Il avait toujours porté le roi à la paix ; et le faisant souvenir que Philippe son père, jusqu'au dernier jour de sa vie, s'était toujours fait lire régulièrement deux fois chaque jour le traité qu'il avait conclu avec les Romains, il l'avait exhorté d'en faire autant, sinon avec la même régularité, du moins de temps en temps. Ne pouvant le détourner de la guerre , il avait commencé par se retirer des conseils sous différents prétextes, pour ne point être témoin des résolutions qu'on y prenait , et qu'il ne pouvait point approuver. Enfin, voyant qu'il était devenu su- spect et regardé tacitement comme un traître, il se ré- fugia chez les Romains , et fut d'un grand secours au consul. Ayant exposé au sénat tout ce que je viens de dire, il en fut très -bien reçu, et le sénat pourvut magnifiquement à sa subsistance. SUCCESSEURS I)' A LLX A N DJli:. 'W3 ^ [V. Pcuil Emile est choisi pour consul. Il part pour la Macédoine avec le préteur Cn. Octavius , qui commandait la flotte. Pcrsée sollicite de tous côtés des secours : son avarice lui en fait perdre de considérables. Victoire du préteur Anicius dans r II/) rie. Célèbre victoire remportée par Paul Emile sur Persée, près de la ville de Pjdna. Persée est pris avec tous ses enfants. Le commandement de la Macédoine est proiogé à Paul Emile. Décret du sénat, qui accorde la liberté aux Macédoniens et aux llly riens. Paul Emile, pendant le quartier dldver, parcouil les plus célèbres villes de la Grèce. De retour à Amphipolis, il y donne une grande fête. Il prend le chemin de Rome. En passant, il abandonne toutes les villes de VEpire au pillage. Il entre à Bome en triomplw. Mort de Persée. On ac- corde aussi le triomphe à Cn. Octavius et à L. Anicius. Le tein])s des comices, c'est-à-cllre des asseinlilécs An. m. :58'î6. ,,. , ^ , , , , Av.j.c.168. pour élire a nome des consuls, approchant, tout le liv. iib. 44, monde attendait avec inquiétude sur qui tomberait un i"iut!'ia choix si important, et l'on ne parlait d'autre chose ,, "5(> ^o,,] dans toutes les conversations. On n'était point content des consuls qui depuis trois ans avaient été employés contre Persée, et qui avaient fort mal soutenu l'hon- neur du nom romain. On rappelait dans son esprit les célèbres victoires remportées contre Philippe son père, qui avait été obligé de demander par grâce la paix; contre Antiochus, qui avait été relégué au-delà du 334 HISTOIRE ANCIENNE. mont Taurus, et forcé de payer un gros tribut; enfin, ce qui était encore plus considérable, contre Annibal, le plus habile de tous les généraux qu'on eût vus jus- que-!^, contraint de quitter Tltalie après plus de seize ans de guerre , e,t vaincu dans sa patrie presque au pied des murailles de Carthage. Les formidables pré- paratifs qu'avait faits Persée, et quelques avantages qu'il avait remportés dans les premières campagnes, augmentaient la crainte des Romains. Ils voyaient bien qu'il n'était plus temps de donner le commandement des armées à la brigue ou à la faveur: et qu'ils devaient choisir un général qui eût de la sagesse, de l'expérience et du courage; en un mot, qui fût en état de conduire une guerre aussi importante que celle dont il s'agissait actuellement. Tout le monde jetait les yeux sur Paul Emile. Il y a des occasions oii un mérite singulier réunit tous les suffrages du public; et rien n'est plus flatteur qu'un tel jugement, fondé sur la connaissance des services qu'un homme a déjà rendus, sur l'estime que les troupes font de sa capacité, et sur le besoin pressant qu'a l'état de sa valeur et de sa sagesse. Paul Emile avait près de soixante ans ; mais l'âge , sans rien diminuer de ses forces, n'avait fait que lui ajouter une maturité de conseil et de prudence plus nécessaire encore à un général que le courage et la bravoure. Il avait été nommé consul il y avait treize ans, et s'était fait estimer généralement dans son consulat; mais le peuple ne paya ses services que d'ingratitude, ayant refusé de l'élever de nouveau au premier rang, quoiqu'il le de- mandât avec assez d'empressement. Depuis plusieurs années il menait une vie retirée et particulière, unique- SUCCESSEURS d'aLEX A N D li F.. 335 ment occupé de l'éducation de ses enfants; et jamais père n'y réussit mieux que lui, et ne fut plus heureuse- ment récompensé de ses peines. Tous ses parents, tous ses amis le pressaient de répondre aux vœux du peuple qui l'appelait au consulat; mais, ne se croyant plus en état de commander, il évitait de paraître en public, se tenait renfermé, et fuyait les honneurs avec autant d'empressement que les autres ont coutume de les re- chercher. Cependant, quand il vit que tous les matins on ^'assemblait en foule à sa porte, qu'on l'appelait à la place, et qu'on criait hautement contre son refus opiniâtre, il se rendit enfin à de si fortes instances; et, paraissant parmi ceux qui aspiraient à cette dionité, il sembla moins aller recevoir le commandement des armées que donner au peiqDle des assurances d'une victoire prochaine et complète. Le consulat lui fut accordé d'une commune voix : et, selon Plutarque, le commandement de l'armée de Macédoine lui fut dé- cerné préférablement à son collègue ; Tite - Live dit pourtant qu'il lui échut par le sort. On dit que ce jour-hà même qu'il fut nommé géné- ral pour aller faire la guerre contre Persée, comme il s'en retournait chez lui acaompagné de tout le peuple qui le suivait pour lui faire honneur , il trouva sa fille Tertia , encore petite enfant , qui fondait en larmes. Il l'embrasse, et lui demande le sujet de ses pleurs, Tertia, le serrant avec ses petits bras , et le baisant : Fous ne savez donc pas, mon père, lui dit-elle, que notre Persée est mort? Elle parlait d'un petit chien qu'elle élevait , et qui avait nom Persée. Paul Emile , frappé de ce mot, lui dit: A la bonne heure, ma chère en- Jant ; f accepte de bon cœur cet augure. Les Anciens 336 HISTOIRE ANCIENI^E. portaient fort loin la superstition sur ces sortes de ren- contres fortuites. LiT. lih. i8, L''! manière dont s'y prit Paul Emile pour se pré- H.'it.^in pai'ei' à la guerre dont on lavait chargé, fit juger du AEmii Paul, succès ciu'on cu dcvait attendre. Avant tout il deman- p. aOo. i da au sénat qu'on envoyât des commissaires en Macé- doine pour visiter les armées et les flottes, et pour faire leur rapport, après une exacte enquête de ce qu'il fau- drait ajouter de troupes , soit par terre, soit par mer. Ils devaient aussi s'informer, autant que cela serait .pos- sible, à quel nombre montaient les troupes du roi, où elles étaient actuellement , aussi-bien que celles , des Ptomains; si ceux-ci avaient leur camp dans les fo- rets, ou s'ils les avaient entièrement passées et étaient arrivés dans la plaine : sur 4:piels alliés on pouvait cer- tainement compter; qui étaient ceux dont la fidélité paraissait douteuse et chancelante, et que l'on devait regarder comme des ennemis déclarés : pour combien de temps on avait de vivres, et d'oii il fallait en faire transporter, soit par des voitures de terre, soit dans des vaisseaux: ; ce qui s'était passé dans la dernière campagne, soit dans les armées de terre, soit dans la .flotte. En général habile et expérimenté, il voulait qu'on descendît dans ce détail, persuadé qu'on ne pouvait former le plan de la campagne oii il allait en- trer, ni en bien régler les opérations, que sur toutes ces connaissances. Le sénat approuva fort de si sages mesures, et nomma des commissaires au gré de Paul Emile, qui partirent deux jours après. En attendant leur retour, on donna audience aux ambassadeurs de Ptolémée et de Cléopatre , roi et reine de l'Egypte, qui portaient des plaintes à Rome contre sicCF.ssEURS d'alkxwdht:. yd'j les entreprises injustes d'Antiochus , roi de Syrie, Tl en a été parlé dans ce volume. Les commissaires avaient fait une grande diligence. Étant de retour à Rome, ils firent leur rapport, et dirent que Marcius avait forcé les passages de la Ma- cédoine pour V faire entrer l'armée, mais avec plus de péril que d'utilité ; que le roi s'était avancé dans la Piérie, et l'occupait actuellement : que les deux camps étaient fort voisins l'un de l'autre, n'étant séparés que par le fleuve Enipée ; que le roi évitait le combat, et que l'armée romaine n'était point en état de l'y contrain- dre , ni de le forcer dans ses lignes : qu'aux autres in- commodités était survenu un hiver fort rude, qui se faisait sentir vivement dans un pays de montagnes, et qui empêchait absolument d'agir; et qu'il ne restait de vivres que pour six jours : qu'on faisait monter l'armée des Macédoniens à trente mille hommes : que si Ap- pius Claudius avait eu une armée assez forte aux en- virons de Lychnide dans l'illyrie , il aurait pu fort embarrasser le roi Gentius; mais qu'actuellement ce général, et ce qu'il avait avec lui de troupes, était en grand danger, si on ne lui envoyait au plus tôt un ren- fort considérable , ou si on ne lui faisait quitter le poste qu'il occupait : qu'après avoir visité le camp , ils s'é- taient rendus à la flotte : qu'ils avaient entendu dire qu'une partie de l'équipage avait péri de maladie; que les autres alliés, sur-tout ceux de Sicile, étaient re- tournés chez eux, et que la flotte manquait absolu- ment de matelots et de soldats : que ceux qui étaient restés n'àvaient point reçu leur paie et étaient sans habits: qu'Eumène et sa flotte, après s'être un peu Tome Fin. Hist.anc. 22 !^38 HISTOIRE ANCIENIVE. montrés, avaient disparu presque aussitôt sans qu'on en pût dire de bonnes raisons, et qu'il ne paraissait pas qu'on pût ni qu'on dût compter sur ses disposi- tions; mais que pour Attale son frère, sa bonne volonté n'était pas douteuse. Sur ce lapport des commissaires, après que Paul Emile eut dit son avis, le sénat ordonna qu'il partira^it incessamment pour la Macédoine , aussi-bien que le préteur Cn. Octavius, qui avait le commandement de la flotte; et que L. Anicius, autre préteur qui devait succéder à Ap. Claudius , se rendrait aux environs de Lychnide dans l'Illyrie. Le nombre des troupes que chacun d'eux devait commander fut réglé de la ma- nière qui suit : Les troupes qui composaient l'armée de Paul Emile montaient à vingt-cinq mille huit cents hommes, savoir : deux légions romaines , chacune de six mille hommes de pied et de trois cents chevaux ; autant d'in- fanterie des alliés d'Italie, et le double de cavalerie. Il avait de plus six cents chevaux levés dans la Gaule cisalpine. On tira encore quelques troupes auxiliaires des alliés de Grèce et d'Asie; le tout ne montait pas vraisemblablement à plus de trente mille hommes. Le préteur Anicius devait pareillement avoir deux légions, mais qui n'étaient composées chacune que de cinq mille deux cents hommes de pied et de trois cents che- vaux , avec dix mille hommes des alliés d'Italie et huit cents chevaux; ce qui faisait en tout vingt et un mille deux cents hommes. Les troupes qui servaient sur la flotte étaient de cinq mille hommes. Ces trois corps réunis ensemble faisaient cinquante-six mille deux cents hommes. SUCCESSEURS d'alexandre. 33() Comme la guerre qu'on se préparait de l'aire cette année dans la Macédoine paraissait de la dernière con- séquence, on prit tontes les précautions cajiahles de la faire réussir. C'était aux deux consuls et au peupK- à choisir les tribuns qui devaient servir, et qui com- mandaient chacun à leur tour le corps entier de la légion. Il fut ordonné (ju'ils ne choisiraient pour ces emplois que des hommes qui eussent déjà été en charge : et on laissa à Paul Emile la liberté de prendre pour son armée, parmi tous les tribuns, ceux quil lui plairait ; il v en avait douze pour les deux légions. Il faut avouer que Rome se conduisit ici avec une grande sagesse. Elle avait, connue on l'a vu, nommé d'un consentement unanime pour consul et pour gé- néral celui des Romains qui était incontestablement le plus habile guerrier de son siècle. Elle vent qu'on élève à la charge de tribuns les officiers qui ont le plus de mérite, le plus d'expérience, le plus d'habileté recon- nue par des services réels; avantages que ne donnent pas toujours ni la naissance ni l'ancienneté , auxquelles aussi les Romains n'étaient point du tout astreints. Rome fait plus; et par une exception singulière, com- patible avec le gouvernement républicain, elle laisse Paul Emile maître absolu de choisir parmi les tribuns ceux qu'il lui plaira, sachant de quelle importance il est qu'il v ait une parfaite union entre le général el les officiers subalternes qui servent sous lui , afin ([ue les ordres que donne le premier, qui est comme l'ame de toute l'armée , et qui en doit régler tous les mouvements, soient exécutés avec la dernière exacti- tude; ce qui ne peut se taire, s'il ne règne entre eux une grande intelligence, fondée sur l'amour du bien 11. 34o HISTOIRE ANCIEINNE. public, et que ni l'intérêt, ni la jalousie, ni l'ambition, ne soient capables de troubler. Après que tous ces règlements eurent été faits, le consul Paul Emile passa du sénat à l'assemblée du peuple , et il y tint ce discours : « J'ai cru apercevoir , « Romains , que vous avez fait paraître plus de joie « encore lorsque la Macédoine m'est échue par le sort « que quand je fus nommé consul ou quand j'entrai « en charge; et il m'a semblé que le sujet de votre «joie était l'espérance que vous aviez que je termi- « nerais d'une manière digne de la grandeur et de « la réputation du peuple romain une guerre qui , selon «vous, traîne trop en longueur. J'ai heu de croire « que les mêmes dieux qui m'ont fait échoir la Macé- « doine par le sort ^ m'aideront aussi de leur protec- « tion pour faire et terminer cette guerre heureu- « sèment; mais de quoi je puis vous répondre avec « assurance , c'est que je ferai tous mes efforts pour ne « pas rendre vaine votre espérance. Le sénat a réglé « sagement tout ce qui est nécessaire pour l'expédition « dont je suis chargé ; et comme il m'a ordonné de par- « tir incessamment, à quoi je n'apporterai point de dé- « lai, je sais que C. Licinius mon collègue, plein de « zèle pour le bien public, travaillera à la levée et au « départ des troupes qui me sont destinées, avec la « même ardeur et la même promptitude que si c'était « pour lui-même. J'aurai soin de vous mander exacte- « ment, aussi-bien qu'au sénat, tout ce qui arrivera , et « vous pouvez compter sur la certitude et la vérité de « mes lettres ; mais je vous demande par grâce de ne • C'était une opinion établie de tout temps chez tous les peuples , que la Divinité présidait au sort. SUCCESSEURS I) 'a LEX A N DR E. 34 l « point ajouter foi ni donner du poids par votre cré- « dulité aux bruits vagues, et sans auteur, qui se ré- « pandront. Je m'aperçois dans cette guerre, plus que « dans toute autre , que , quelque force d'ame qu'on « puisse avoir pour se mettre au-dessus de ces bruits, « ils ne laissent pas de faire impression et d'inspirer je «ne sais quel découragement. Il y a des gens qui, «dans les cerles, et même à table, conduisent les ar- «mées, règlent nos démarclies, et prescrivent toutes « les opérations de la campagne. Ils savent mieux que «nous oii il faut camper, et de quels postes il faut « se saisir; dans quel temps et par quel défilé on doit « entrer dans la Macédoine; oii il est à propos d'éta- « blir des greniers et des magasins; par où, soit par « terre, soit par mer, on peut faire venir des vivres; « quand il faut en venir aux mains avec l'ennemi , et « quand il faut demeurer en repos. Et non-seulement « ils prescrivent ce qu'il y a de meilleur à faire : mais, « pour peu qu'on s'écarte de leur plan , ils en font un « crime au consul et le citent à leur tribunal. Sachez, « Romains, que c'est là un grand obstacle pour vos «généraux; tous n'ont pas, pour mépriser des bruits «fâcbeux, la fermeté et la constance de Fabius, qui « aima mieux souffrir que le peuple, sur de pareils « bruits , donnât atteinte à son autorité , que de laisser « périr les affaires pour se conserver un vain nom. Je « suis tien éloigné de croire que les généraux n'aient «pas besoin de recevoir des avis; je pense, au con- « traire, que quiconque veut seul tout conduire par « sa tête, et sans consulter, marque plus de présomp- « tion que de sagesse : que peut-on donc faire raison - « nablement? C'est que personne ne s'ingère de donner 342 HISTOIRE ANCIENNE. « dès avis à vos généraux que ceux premièrement qui « sont habiles clans le métier de la guerre , et à qui « l'expérience a appris ce que c'est que de comman- « der ; et secondement ceux qui sont sur les lieux, « qui connaissent l'ennemi , qui sont témoins par eux- « mêmes des conjonctures, et qui partagent avec nous (c les dangers. Si quelqu'un se flatte de pouvoir m'ai- « der de ses conseils dans la guerre dont vous m'avez « chargé, qu'il ne refuse point de rendre ce service à « la république, et qu'il vienne avec moi en Macé- « doine : galères, chevaux, tentes, vivres, je le défraie- « rai de tout. Mais si l'on ne veut pas prendre cette « peine, et qu'on préfère le doux loisir de la ville aux « dangers et aux fatigues du camp , qu'on ne s'avise « pas de vouloir tenir le gouvernail en demeurant tran- « quille dans le port. La ville, par elle-même, fournit « une assez grande matière de discours sur d'autres « sujets; mais que pour ceux-ci elle s'impose silence, « et qu'elle sache que nous ne ferons cas que des con- te seils qui se donneront dans le camp même. » Ce discours de Paul Emile, plein de sens et de rai- son, montre que les hommes, dans tous les temps, sont toujours les mêmes. On a une démangeaison in- croyable d'examiner, de critiquer, de condamner la conduite des généraux, et l'on ne s'aperçoit pas qu'en cela on pèche visiblement et contre le bon sens et contre l'équité : contre le bon sens; car quoi de plus absurde et de plus ridicule que de voir des gens sans aucune connaissance de la guerre , et sans aucune expérience, s'ériger en censeurs des plus habiles gé- néraux, et prononcer d'un ton de maîtres sur leurs actions? contre l'équité; car les plus experts même SUCCESSEL us d'a LE \ .V JN 1) H E. 343 n'en peuvent juger sainement, s'ils ne sont sur les lieux, la moindre eireonstanee du temps, du lieu, de la dispositioti des troupes , des ordres même se- erets qui ne sont pas connus, pouvant changer abso- lument les règles ordinaires. Mais il ne faut pas espé- rer qu'on se corrige de ce défaut, qui a sa source dans la curiosité et dans la vanité naturelles à l'honmie; et les généraux, à l'exemple de Paul Emile, font sage- ment de mépriser ces bruits de ville et ces rumeurs de gens oisifs, sans occupation, et souvent sans juge- ment. Paul Emile, après avoir satisfait, selon la coutume, aux devoirs de religion , partit pour la Macédoine avec le préteur Cn. Octavius, destiné à commander la (lotte. Pendant qu'on avait travaillé à Rome aux prépara- Liv. lii.. 4/,, tifs de la guerre , Persee de son cote ne s était pas en- Poiyh. l'T • 11 I'1 •!'■ Lf-gat. 85 dormi. La cranite du danger prochani dont 11 était «t 87. menacé l'ayant enfin emporté sur son avarice, il con- i>a„i"AEi"ii. vint de donnera Gentius , roi d'Illyrie, trois cents ta- P- 2(^0,261. lents d'argent ' (trois cent mille écus), et acheta à ce prix son alliance. Il envoya en même temps des ambassadeurs à Rho- des, persuadé que, si cette ville, très-puissante alors sur mer, embrassait son parti, Rome serait fort em- barrassée. Il en députa aussi vers Eumène et Antio- chus, deux rois très- puissants, et fort en état de le secourir. C'était sagesse à Persée de recourir à ces moyens, et de chercher à se fortifier par de tels appuis; mais il s'en avisait trop tard. Il aurait fallu commencer ' i,63o,oi)o fr. — L, 344 HISTOIRE ANCIEJNNK. par là , et en faire le premier fondement de son entre- prise. Il ne songe à remuer ces puissances éloignées que lorsqu'il est déjà réduit presque à l'extrémité, et que ses affaires sont presque absolument désespérées. C'était appeler plutôt des spectateurs et des associés de sa ruine que des soutiens et des appuis. Les instruc- tions qu'il donne à ses ambassadeurs sont très -solides et très -capables de persuader, comme on va le voir; mais il les fallait employer trois ans plus tôt, et en at- tendre l'effet, avant que de s'embarquer presque seul dans la guerre contre un peuple si puissant, et qui avait tant de ressources dans ses malheurs. Les ambassadeurs avaient les mêmes instructions pour ces deux rois. Ils leur représentèrent qu'il y avait une inimitié naturelle entre les républiques et les mo- narchies : que le peuple romain attaquait les rois l'un après l'autre , et, ce qui était le comble de Tindignité, qu'il employait les forces des rois mêmes pour les rui- ner successivement : qu'ils avaient accablé son père par le secours d'Attale ; que, par celui d'Eumène, et en partie aussi de son père Philippe , Antiochus avait été subjugué : qu'actuellement ils avaient armé contre lui Eumène et Prusias : qu'après que le royaume de Macédoine aurait. été détruit, viendrait le tour de l'Asie , dont ils avaient déjà envahi une partie sous le spécieux prétexte de rétablir les villes dans leur an- cienne liberté; et que la Syrie suivrait de près ; qu'on commençait déjà à préférer Prusias à Eumène par des distinctions d'honneur particulières , et qu'on arrachait à Antiochus le fruit de ses victoires en Egypte. Persée les exhortait ou à porter les Romains à laisser la Ma- cédoine en paix, ou, s'ils persévéraient dans Tinjuste SUCCESSEURS d'a^^EX AN DIIK. 345 dessein de lui faire la guerre, à les regarder comme les euiiemis communs de tous les rois. Les ambassa- deurs agirent ouvertement et sans détour avec Antio- clîus. Pour ce qui regarde Eumène , ils couvrirent leur voyage du prétexte de racheter les prisonniers, et ne traitèrent qu'en secret de ce qui en était la véritable cause. H y avait déjà eu sur le même sujet plusieurs pourparlers en différents temps et en différents lieux, (}ui avaient commencé à rendre ce prince fort suspect aux Romains. Ce n'est pas qu'Eumène, dans le fond, souhaitât que Persée pût remporter la victoire sur les Romains; l'énorme pouvoir qu'il aurait eu pour-lors lui aurait fait ombrage, et aurait vivement piqué sa jalousie : il ne voulait pas non plus se déclarer ouver- tement contre lui, ni lui faire la guerre. Mais, croyant voir les deux partis également disposés à la paix, Per- sée par la crainte des maux qui pouvaient lui arriver, les Romains par l'ennui d'une guerre qui traînait fort en longueur , il cherchait à se rendre le médiateur de cette paix , et à vendre chèrement à Persée sa média- tion , ou du moins son inaction et sa neutralité. On était déjà convenu du prix, qui était quinze cents ta- lents ^ (quatre millions cinq cent mille livres). Il n'y avait plus de dispute que sur le temps du paiement de cette somme. Persée voulait attendre que le service fût rendu, et cependant mettre la somme en dépôt dans la Samothrace. Eumène par là ne se croyait pas en sûreté , parce que la Samothrace dépendait de Per- sée, et il voulait que dès-lors on lui payât une partie de la somme. C'est ce qui ron>pit le traité. ' Sj-îSojOOo fr, — L. 34(3 HISTOIRE ANCIENNE. Il en manqua encore un autre, qui ne lui aurait pas été moins favorable. Il avait fait venir d'au-delà du Danube un corps de troupes gauloises composé de dix mille cavaliers, et d'autant de fantassins, et il était convenu de donner dix pièces d'or à chaque cavalier, cinq à chaque fantassin, et mille à leur général. Ces Gaulois s iipY>^\aïenl Basiarnes. T ai marqué auparavant où ils s'étaient établis. Quand il les sut arrivés sur les frontières de ses états, il alla au-devant d'eux avec la moitié de ses troupes, et donna ordre que dans les villes et les villages par où ils devaient passer on tint des vivres préparés en abondance, du blé, du vin et des troupeaux. Il avait quelques présents pour les prin- cipaux officiers, des chevaux, des ha mois, des casaques: il y joignit aussi quelque argent, qui devait être distri- bué entre un petit nombre; il comptait gagner la mul- titude par cette amorce. Le roi s'arrêta auprès du fleuve Axius % et y campa avec ses troupes. Il députa Anti- gone, un des seigneurs macédoniens, vers les Gaulois, qui étaient environ à trente lieues de là. Antigone fut étonné quand il vit des hommes d'une taille prodi- gieuse , adroits à tous les exercices du corps et à bien manier les armes , fiers et audacieux en paroles pleines de bravades et de menaces. Il leur fit beaucoup valoir les ordres que son maître avait donnés pour qu'ils fus- sent bien reçus par-tout où ils passeraient, et les pré- sents qu'il leur préparait : ensuite il les invita à s'avancer jusqu'à un certain lieu qu'il leur marquait, et à envoyer les principaux d'entre eux vers le roi. Les Gaulois n'étaient pas gens à se payer de paroles. ' Axliis est uulleuve du Mvi;donie. SUCCESSEURS d' ALEX A N DU M. S,']- Clondicus, le chef et le roi de ces étrangers, alla droil au fait, et demanda si l'on apportait la somme dont on était convenu. Comme on ne lui donnait point de réponse : Allez ^ dit-il, déclarer a votre prince ^ qua- vant qu'il ait envoyé les otages et les sommes con- venus ^ les Gaulois ne partiront point d'ici. Le roi, au retour de son député, assembla son conseil. Il pres- sentit oLi iraient les avis; et, comme il était meilleur gardien de son argent que de son royaume, pour colorer son avarice il s'étendit fort sur la perfidie el la férocité des Gaulois, cijoutant qu'il serait dangereux de donner entrée dans la Macédoine à une midlitude si nombreuse de qui l'on aurait tout à craindre, et que cinq mille cavaliers lui suffiraient. On sentait bien qu'il ne craignait que pour son argent ; mais personne n'osa le contredire. Antigone retourna vers les Gaulois, et leur dit que son maître n'avait besoin que de cinq mille cavaliers. A cette parole , il s'éleva un frémissement et un nnu'mure général contre Persée, qui les avait fait venir de si loin pour leur insulter. Clondicus ayant encore demandé à Antigone s'il apportait de l'argent pour les cinq mille cavaliers, comme celui-ci cherchait des détours et ne répondait point nettement, les Gau- lois entrèrent en fureur; et peu s'en fallut qu'ils ne se jetassent sur lui pour le mettre en pièces, et lui-même l'appréhendait fort. Cependant ils respectèrent sa qua- lité de député, et le renvoyèrent sans lui avoir fait au- cun mauvais traitement. Les Gaulois partirent sur-le- champ, reprirent le chemin du Danube, et ravagèrent la ïhrace, qui se trouvait sur leur passage. Persée, avec un renfort si considérable, aurait fort embarrassé les Romains. Il pouvait faire passer ces 348 HISTOIRE ANCIENNE. Gaulois dans la Thessalie, où ils auraient ravagé le pays , et pris les places les plus fortes. Par là , demeu- rant tranquille auprès du fleuve Énipée , il aurait mis les Romains hors d'état , et de pénétrer dans la Macé- doine, dont il leur fermait l'entrée par ses troupes, et de subsister plus long-temps dans le pays, parce qu'ils n'auraient plus tiré comme auparavant leurs vivres de la Thessalie, qui aurait été entièrement ravagée. L'ava- rice qui le dominait l'empêcha de profiter d'un si grand avantage. Elle lui en fit perdre encore un autre pareil. Pressé par l'état de ses affaires , et par l'extrême danger dont il se voyait menacé, il avait enfin consenti de donner à Gentius les trois cents talents qu'il lui avait demandés depuis plus d'un an pour lever des troupes et équiper une flotte. Pantauchus avait ménagé ce traité de la part du roi de Macédoine, et avait commencé par faire toucher au prince d'Illyrie dix talents (dix mille écus) sur la somme qui lui était promise. Gentius fit partir ses ambassadeurs , et avec eux des gens sûrs pour transporter l'argent. Il leur donna ordre aussi , quand tout aurait été terminé , de se joindre aux ambassadeurs de Persée, et d'aller ensemble à Rhodes pour porter cette république à faire alliance avec eux. Pantauchus avait représenté que, si les Rhodiens y consentaient, Rome ne pourrait tenir contre ces trois puissances réunies. Persée reçut ces ambassadeurs avec toutes les marques de distinction possibles. Après que de part et d'autre on eut livré les otages et prêté les serments, il ne restait plus qu'à livrer les trois cents talents. Les ambassadeurs et les agents de l'iUyrien se rendirent à Pella, où l'argent leur fut compté et mis dans des srccKSSKURS d'alexandri:. 349 cuisses scellées du cachet des ambassadeurs pout- être transporté en lllyrle. Persée avait fait dire sous main à ses gens chargés de ce transport de marcher lente- ment et à petites journées , et , quand ils seraient ar- rivés aux frontières de Macédoine, de s'arrêter, et d'y attendre ses ordres. Pendant tout ce temps-là, Pan- tauchus, qui était demeuré à la cour d'iUyrie, pressait fort le roi de se déclarer contre les Romains par quel- que acte d'hostilité. 11 y arriva pour-lors deux ambas- sadeurs de Rome pour faire alliance avec Gentius. Il avait déjà touché dix talents comme des arrhes , et avait nouvelle que la somme entière était en chemin. Sur les instances réitérées de Pantauchus, violant tous les droits divins et humains, il fit emprisonner les deux ambassadeurs, sous prétexte que c'étaient des espions. Dès que Persée en eut reçu la nouvelle, le croyant en- gagé suffisamment et sans retour contre les Romains par ce coup d'éclat, il fit revenir ceux qui portaient les trois cents talents , se félicitant lui-même en secret de riieureux succès de sa perfidie, et de son habileté à conserver son argent. Mais il ne faisait que le garder et le mettre en réserve pour le vainqueur, au lieu qu'il aurait dû s'en servir pour se défendre contre lui , et pour le vaincre, selon la maxime de Philippe et d'Alexandre son fils, les plus illustres de ses ancêtres, qui avaient coutume de dire que l'on doit acheter la victoire par V argent , et non pas conserver V argent aux dépens de la victoire. Les ambassadeurs de Persée et de Gentius étant ar- rivés à Rhodes, y furent reçus très-agréablement. On leur fit part du décret par lequel la république avait résolu d'employer tout son crédit et toutes ses forces 35o HISTOIRE ANCIENJSE. pour obliger les deux partis à faire la paix, et à se déclarer contre celui qui refuserait d'entrer dans des propositions d'accommodement. Liv. lib. /,4, Dès le commencement du printemps les généraux romains s'étaient rendus chacun a leur département : le consul en Macédoine, Octavius à Orée avec la flotte, Anicius dans rillyrie. Ce dernier eut un succès aussi rapide qu'heureux. Il avait à soutenir la guerre contre Gentius. Il la termina avant qu'on sût à Rome qu'elle était commencée. Elle ne dura que trente jours. Ayant traité avec bonté Scorda, la capitale du pays, qui s'était rendue, les autres villes suivirent bientôt son exemple. Gentius lui- même fut obligé de venir se jeter aux pieds d' Anicius, et d'implorer sa miséricorde, avouant, les larmes aux yeux, sa faute, ou plutôt sa foUe, d'avoir abandonné le parti des Romains. Le préteur le traita humaine- ment. Son premier soin fut de tirer de prison les deux ambassadeurs. Il envoya l'un d'eux, nommé Perpenna , à Rome, pour y porter la nouvelle de sa victoire; et peu de jours après y fit conduire Gentius, sa mère, sa femme, ses enfants et son frère, avec les principaux seigneurs du pays. La vue de prisonniers si illustres augmenta fort la joie du peuple. On rendit des actions de grâces publiques aux dieux, et il se fit aux temples un grand concours de personnes de tout âge et de tout sexe. ici.ihid. Quand Paul Emile fut approché des ennemis, il piurt^' trouva Persée campé près de la mer, au pied du mont Paul. AEmii. oUmoe, daus des lieux qui paraissaient inaccessibles. Il avait devant lui l'Enipee , dont les bords étaient tort élevés ; et , sur la rive qui était de son coté, il avait con- SUCCESSEURS d'aLEXANDRF. 35 I struit do bons retrancliements, avec des tours d'espace en espace, où il avait placé des balistes et d'antres niacliines pour laricer des traits et des pierres contre les ennemis, s'ils osaient en approcher. Persée s'y était fortifié de telle sorte, qu'il se croyait dans une entière sûreté, et qu'il espérait de consumer et de rebuter enfin Paul Emile par la longueur du temps, et par les difficultés qu'il aurait à faire subsister ses trou|:)es dans un pays déjà mangé par l'ennemi, et à s'y maintenir. Il ne savait pas quel adversaire on lui avait mis en tête. Paul Emile n'était occupé que du soin de tout préparer pour une action , et cberchait continuellement dans son esprit toutes sortes d'expédients et de moyens pour faire avec succès quelque entreprise. Il commença par établir une exacte et sévère discipline dans son armée, qu'il avait trouvée corrompue par la licence où on la laissait vivre. Il réforma plusieurs choses, soit j)our les armes, soit pour les sentinelles. Les soldats étaient accoutumés à critiquer leur général, à examiner entre eux toutes ses actions, à lui prescrire ses devoirs, et à marquer ce qu'il devait faire ou ne pas faire. Il leur parla avec fermeté et dignité. Il leur fit entendre que ces discours convenaient mal au soldat : que trois choses seulement devaient l'occuper : le soin de son corps, pour le rendre robuste et agile; le soin de ses armes , afin qu'elles fussent toujours propres et en bon état ; le soin des vivres ^ , afin d'être toujours prêt à partir au premier ordre : que du reste il devait s'en reposer sur la bonté des dieux innnortels, et sur la vigilance du général : que , pour lui , il n'omettrait rien ' Chez les Romains , les soldats portaient des vivres quelquefois pour dix ou douze jours. 35j histoire ANClEINÎSf . de tout ce qui serait nécessaire pour leur donner oc- casion de montrer leur courage ; qu'ils eussent soin seulement, quand on leur en donnerait le signal, de bien faire leur devoir. Il est incroyable combien ce discours les anima. Les vieux soldats avouaient que ce n'était que de ce jour- là qu'ils avaient appris ce qu'ils devaient faire. On aperçut tout d'un coup un changement merveilleux dans le camp. Personne n'y demeurait oisif. On voyait les soldats aiguiser leurs épées; polir leurs casques, leurs cuirasses , leurs boucliers ; s'essayer à se mouvoir agilement sous leurs armes ; agiter avec bruit leurs javelots, et faire briller leurs épées nues; enfin se rompre et s'endurcir dans tous les exercices militaires : de sorte qu'il était aisé de voir qu'à la première occa- sion qu'ils auraient d'en venir aux mains avec les en- nemis, ils étaient déterminés ou à vaincre ou à mourir. Le camp était placé dans un endroit très-favorable; mais qui manquait d'eau , et c'était une grande incom- modité pour l'armée. Paul Emile, qui songeait à tout, voyant devant lui le mont Olympe très -haut et tout couvert d'arbres fort verts et fort touffus, jugea, par la quantité et par la qualité de ces arbres, qu'il v avait nécessairement dans les creux de cette montagne des o sources d'eau vive; et se mit en même temps à faire des ouvertures au pied, et à creuser des puits dans le sable. A peine en eut-on effleuré la surface ^ , qu'on vit sortir de plusieurs sources des eaux, troubles d'abord ' « Vix deducta summa arena lut deùm dono , cœperunt. Aliquan- erat , quum scaturigines tuibida? tùm ea quoque res duci famae et primo et tenues emicare , dein liqui- aucloritatis apud milites adjecif. >• dam multamque fundere aquam ,ve- (Ltv.) STTrCESSFURS d' A L RX A N Dlî F. 353 et en petite quantité, mais bientôt après très - claireîi et Irès-abondantes. Cet événement, qui était naturel, fut regardé par les soldats comme une faveur sin- gulière des dieux qui avaient pris Paul Emile sous leur protection; ce qui le leur rendit encore plus cher et plus respectable. Quand Persée vit ce qui se passait dans le camp des Romains, l'ardeur des soldats, les mouvements qu'ils se donnaient, les divers exercices par lesquels ils se préparaient au combat , il entra dans une vraie inquié- tude, et vit bien qu'il n'avait plus affaire à un Lici- nius, un Ilostilius, un Marcius, et que dans l'armée romaine tout était changé avec le général. Il redoubla son attention et ses soins de son coté, anima les sol- dats, s'appliqua aussi à les former par différents exer- cices, ajouta de nouveaux retranchements aux anciens et travailla à mettre son camp hors d'insulte. Cependant arrive la nouvelle de la victoire rempor- tée dans riUyrie , et de la prise du roi et de toute sa famille. Elle causa dans l'armée romaine une joie in- croyable, et excita parmi les soldats une ardeur de se signaler pareillement, de leur coté, qui ne peut s'ex- primer; car c'est l'ordinaire qu'entre deux armées qui agissent en divers endroits , l'une ne veuille point céder • à l'autre en courage ni en gloire. Persée tacha d'abord d'étouffer cette nouvelle; mais le soin qu'il prenait de la dissimuler ne servit qu'à la rendre plus publique et plus certaine. L'alarme fut générale parmi ses troupes, et leur fit craindre un sort pareil. Dans ce même temps arrivent les ambassadeurs rlio- diens, qui venaient faire, touchant la paix, la même proposition à l'armée, qui avait excité à Rome une si Tome FUI. Hist. anr. 2 3 354 HISTOIRE ANCIFNKE. grande indignation dans le sénat. Il est aisé de juger comment elle fut reçue dans le camp. Quelques-uns, transportés de colère, voulaient qu'on les renvoyât avec insulte. Le consul crut leur marquer mieux son mépris en leur répondant froidement qu'il leur ren- drait réponse dans quinze jours. Pour montrer le peu de cas qu'il faisait de la média- tion pacifique des Rhodiens , il assembla son conseil pour délibérer sur les moyens d'entrer en action. Il y a ap- parence que l'armée romaine, qui, l'année précédente, avait pénétré jusque dans la Macédoine, en était sortie , et retournée en Tliessalie, peut-être pour y chercher des vivres : car maintenant on est en peine pour s'ou- vrir un passage dans la Macédoine. Quelques-uns, et c'étaient les plus anciens officiers, voulaient qu'on en- treprît de forcer, les retranchements des ennemis sur les bords de l'Énipée : ils prétendaient que les Macé- doniens, qui, l'année précédente, avaient été chassés d'endroits plus élevés et plus fortifiés, ne pourraient soutenir le choc des légions romaines. D'autres étaient d'avis qu'Octavius avec* la flotte allât vers Thessaloni- que ravager les côtes maritimes , afin d'obliger le roi , par cette diversion , à retirer une partie de ses troupes de l'Énipée pour la défense de son pays, et à laisser ainsi quelque passage ouvert. Il est bien important qu'un général habile et expérimenté soit maître de prendre le parti qui lui plaît davantage. Paul Emile avait des vues toutes différentes. Il voyait que la rive de l'Énipée , tant par sa situation naturelle que par les fortifications qu'on v avait ajoutées, était inacces- sible. D'ailleurs il savait, sans parler des machines dis- posées de toutes parts , que les troupes ennemies SUCCESSEURS d' ALEX ANDRE. 355 étaient beaucoup plus habiles que les siennes à lancer des javelots et des traits. Entreprendre de forcer des lignes aussi impénétrables que cellos-là, c'eût été expo- ser les troupes à la boucherie; et un bon général épar- gne le sang des soldats , j)arce qu'il s'en regarde comme le père, et qu'il croit devoir les ménager comme ses en- fants. Il se tint donc (juolques jours en repos sans faire le moindre mouvement. On prétend, dit Plutarque, qu'il n'y a point d'exemple que deux armées si nom- breuses aient été si long-temps en présence dans une paix si profonde et dans une. si grande tranquillité. En tout autre temps le soldat, plein d'ardeur et- d'impa- tience, aurait murmuré : mais Paul Emile lui avait ap- pris à se laisser conduire. Enfin, à force de chercher et de s'informer, il ap- prit de deux marchands perrhébiens , dont la prudence et la -fidélité lui étaient connues, qu'il y avait un chemin qui, en traversant la Perrhébie, menait à Py- thium , ville située au plus haut du mont Olimpe ^ : que ce chemin n'était pas d'un difficile accès, mais qu'il était bien gardé ; Persée y avait envoyé un déta- chement de cinq mille hommes. Il conçut qu'en faisant attaquer de nuit et à l'improviste ce corps -de -garde par de bonnes troupes, on pourrait le chasser de ce poste et s'en emparer. Il s'agissait de tromper l'enne- mi et de lui cacher son dessein. Il fait venir le préteur Octavius; et, s'étant ouvert à lui, il lui ordonne d'al- ler à Héraclée avec sa flotte, et de prendre assez de ' Le mont Olympe, à l'endroit où = Dix stades valent 6000 pieds était Pythium , avait de hauteur, grecs et i85o mètres. Les oLserva- prise perpendiculairement , plus de tions donnent au plus haut pic de dix stades, c'est-à-dire plus dune l'Olympe 1948 mètres ou 10 sta- demi-lieue. des |. — L. 23. 356 HISTOIRE ANCIENNE. vivres pour mille hommes pendant dix jours, afin de faire croire à Persée qu'on allait ravager la cote mari- time. En même temps il fait partir Fabius Maximus son fils , encore tout jeune, et Scipion Nasica, gendre de Scipion l'Africain, sans leur découvrir encore son véritable dessein; leur donne un détachement de cinq mille hommes de troupes choisies , et leur fait prendre le chemin de la mer vers Héraclée, comme s'ils de- vaient s'y embarquer, selon ce qui avait été proposé dans le conseil. Quand ils furent arrivés, le préteur leur fit savoir les ordres du consul. Dès que la nuit fut venue, quittant le chemin de la hier, ils s'avancent, sans s'arrêter, vers Pythium, à travers les montagnes et les rochers, conduits par les deux guides de Per- rhébie. On était convenu qu'ils y arriveraient le troi- sième jour vers la fin de la nuit. Cependant Paul Emile, pour amuser l'ennemi et lui ôt^r toute autre pensée, le lendemain dès le matip dé- tache ses troupes armées à la légère comme pour at- taquer les Macédoniens. Il se donna un léger combat dans le lit même de la rivière, qui était fort basse. Des deux côtés la rive, depuis le haut jusqu'au lit de la rivière, avait dans sa pente l'espace de trois cents pas, et le lit même en avait mille de largeur. L'action se passa à la vue du roi et du consul , qui étaient, cha- cun avec leurs troupes, à la tête de leur camp. Le consul fit sonner la retraite vers le midi. La perte fut a. peu près égale de part et d'autre. Le jour suivant le combat recommença encore de la même sorte, et à peu près à la même heure ; mais il fut plus vif, et du- ra plus long-temps. Les Romains n'avaient pas affaire seulement à ceux avec qui ils en venaient aux mains , SUCCESSEURS d'aL LX A NDR E. 357 ils étaient encore accablés de tiaits et de pieries cjue lançaient contre eux les ennemis du haut des tours disposées le long du rivage. Le consul perdit beaucoup plus de monde ce jour-là, et fit retirer ses troupes plus tard. Le troisième jour, Paul Emile se tint en re- pos, et parut avoir dessein de tenter un autre passage plus près de la mer. Persée ne se doutait en aucune manière du danger qui le menaçait. Scipion était arrivé la nuit du troisièmi; jour près de Pythium. Ses troupes étaient fort fatiguées : il les fit reposer le reste de la nuit. Persée cependant était fort tranquille. Mais tout-à-coup un transfuge de Crète, qui s'était dérobé des troupes de Scipion, alla le tirer de cette sécurité en lui apprenant le circuit que fai- saient les Romains pour le surprendre. Le roi , effrayé de cette nouvelle, détache sur-le-champ dix mille sol- dats étrangers avec deux mille Macédoniens sous la conduite de Mllon, et lui ordonne de faire toute la diligence possible pour occuper une haute^ur qui res- tait à passer aux Romains avant que d'arriver à Py- thium. Il les prévint en effet. Il y eut un combat fort rude sur cette hauteur, et la victoire demeura quelque temps douteuse. IMais enfin les troupes du roi furent forcées de toutes parts et mises en déroute. Scipion les poursuivit vivement , et mena sa troupe victorieuse dans la plaine. Les fuyards, étant arrivés dans le camp de Persée, y répandirent une si grande terreur, que ce prince délogea sur l'heure, et se retira par ses derrières, saisi de frayeur et presque sans espérance. 11 tint un grand conseil pour délibérer sur le parti qu'il fallait prendre. Il s'agissait de savoir s'il devait s'arrêter devant les 358 HISTOIRE ANCIENNE. murailles de Pydna pour tenter le hasard d'une ba- taille, ou partager ses troupes dans ses places, les bien munir de vivres , et y attendre les ennemis , qui ne pourraient pas subsister long -temps dans un pays qu'il aurait pris soin de ravager , et qui ne fournirait ni four- rages po.ur les chevaux , ni nourriture pour les hommes. Ce dernier parti avait de grands inconvénients, et mar- quait un prince réduit à la dernière extrémité, et à qui il ne restait ni ressource ni espérance, sans par- ler de la haine qu'exciterait contre lui le ravage des terres, commandé et exécuté par le roi même. Pen- dant que Persée , incertain du parti qu'il, doit prendre , flotte dans ce doute , les principaux officiers lui repré- sentent que son armée est très-supérieure à celle des Romains, que ses troupes sont très-résolues de bien faire, ayant à défendre leurs femmes et leurs enfants; qu'étant lui-même le témoin de toutes leurs actions , et combattant à leur tête, elles redoubleront de cou- rage , et doiyieront à l'envi des marques de leur valeur. Ces raisons raniment le prince. Il se retire sous les murs de Pydna, y établit son camp, se prépare à donner bataille, n'oublie rien pour profiter de l'avantage des lieux, assigne à chacun son poste, et donne tous les ordres avec beaucoup de présence d'esprit, résolu d'at- taquer les Romains dès qu'ils paraîtraient. Le lieu où il campait était une campagne rase et unie, très -propre à mettre en bataille un corps nom- breux de gens de pied pesamment armés. A droite et à gauche il y avait des coteaux qui, touchant les uns aux autres, fournissaient une retraite sûre à l'infan- terie légère et aux gens de trait, et leur donnaient aussi moyen de dérober leur marche, et d'aller enve- SLiCCESSELllS d' ALEX. ils DUJi. 359 lopper l'enneini et l'attaquer par les flancs. Tout le front de Tannée était couvert de deux petites rivières, qui n'avaient pas alors bciuicoup d'eau à cause de la saison (car on était sur la lin de l'été), mais dont les rives escarpées pouvaient faire de la peine aux Ro- mains et rompre leurs rangs. Paul Emile, étant arrivé à Pytliium, et ayant rejoint le détachement de Scipion, descend dans la plaine, et marche en ordre de bataille vers l'ennemi, en côtoyant toujours la mer, d'où la flotte romaine lui envoyait des vivres sur des barques. Mais, quand il fut arrivé à la vue des Macédoniens, et qu'il eut considéré la bonne disposition de leur armée et le nombre de leui-s troupes, il fit halte pour penser à ce qu'il avait à faire. Les jeunes officiers, pleins d'ardeur et d'impatience pour le combat, s'avancent à la tête des troupes, s'ap- prochent de lui, et le conjurent de donner sur l'en- nemi sans différer davantage. Scipion, dont la con- fiance était augmentée par le succès qu'il venait d'avoir sur le mont Olympe, se distingue sur tous les auj.res par son empressement, et fait de plus fortes instances. Il lui représente que les généraux qui l'avaient précé- dé avaient donné lieu à l'ennemi, par leurs délais, de s'échapper de leurs mains; qu'il craignait que Persée ne s'enfuît pendant la nuit, et qu'on ne fût obligé de le poursuivre avec grande peine et grand danger jus- • que dans le fond de son royaume, en faisant prendre de longs circuits à l'armée au travers des défilés et des forets, comme il était arrivé les dernières années. 11 lui conseillait donc, pendant que l'ennemi était dans une plaine campagne, de l'attaquer sur-le-champ, et de ne pas perdre une si belle occasion de le vaincre. 36o HISTOIRE AIVCIENJVE. « Autrefois, dit le consul au jeune Scipion en lui ré- « pondant, j'ai pensé comme vous faites aujourd'hui; « et un jour vous penserez aussi comme moi. Je vous « rendrai compte de ma conduite dans un autre temps : « reposez - vous - en maintenant sur \ù. prudence d'un « ancien général. » Le jeune officier se tut, bien per- suadé que le consul avait de bonnes raisons pour en user ainsi. En achevant ces mots, il commanda que les troupes qui étaient à la tête de l'armée exposées à la vue de l'ennemi, se missent en bataille, et présentassent un front comme pour combattre. Elles étaient rangées, selon la coutume des Romains, sur trois lignes \ En même temps des pionniers , couverts par ces trois lignes, travaillèrent à former un camp. Comme ils étaient en grand nombre, l'ouvrage fut bientôt ache- vé. Alors le consul fit défiler peu-à-peu ses bataillons , en commençant par les derniers, qui étaient les plus voisins des travailleurs , et retira toute son armée dans ses retranchements, sans confusion, sans désordre, et sans que l'ennemi s'en fût aperçu. Le roi , de son côté , voyant que les Rojmains refusaient de combattre, se retira aussi dans son camp. C'était chez les Romains une loi inviolable^, n'eus- sent-ils eu à séjourner dans un endroit qu'un jour ou bien une nuit, de s'enfermer dans un camp, et de s'y fortifier. Par là ils se mettaient hors d'insulte , et évi- taient toute surprise. Les soldats regardaient cette de- ' Hastati , Principes, Triarii. nibus, et tentoriumsuum cuiquemi- ' "Majores ■vestri castra munita liti domus ac pénates sunt Ca- portum ad omnes casiis exercitiis stra sunt victori receptarulum , vî- ducebant esse... Patria altéra est mi- cto perfugium.» (Liv. 1. 44,ii- 39.) litaris ba'c sedes vallumque pro mœ- siicrEssj-ur.s n'ALEXANonr. 36 1 meure militaire comme leur ville : les retranchements leur tenaient lieu de murailles, et les tentes de mai- sons. En cas de bataille, si l'armée était vaincue, le camp lui servait de retraite et d'asyle; et si elle était victorieuse, elle y trouvait un repos tranquille. La nuit étant venue, et les troupes ayant pris de la nourriture, comme on ne songeait qu'à aller pren- dre du repos, tout-à-coup la lune, qui était dans son plein et déjà fort haute, commença à s'obscurcir, et, la lumière lui manquant pcu-à-peu, elle changea plu- sieurs fois de couleur, et s'éclipsa enfin tout entière. Uji tribini de soldats , appelé C. Sulpitius G a Uns , qui était un des [)rincipaux officiers de l'armée, ayant assemblé, la veille, les soldats avec la permission du consul, les avait avertis de cette éclipse, et avait mar- qué le moment précis oii elle devait commencer, et le temps qu'elle devait durer. Les soldats romains ne fu- rent donc point étonnés de cet accident; ils crurent seulement que Sulpitius avait une sagesse plus qu'hu- maine. Mais tout le camp des Macédoniens fut saisi d'épouvante et d'honeur, et un bruit sourd se répan- dit dans toute l'armée que ce prodige les menaçait de la perte du roi. Le lendemain au point du jour, Paul Emile, qui était fort religieux observateur de toutes les cérémo- nies prescrites pour les sacrifices, ou plutôt qui était fort superstitieux, se mit à immoler des bœufs à Her- cule. Il en immola jusqu'à vingt de suite, sans pouvoir trouver dans ces victimes aucun signe favorable. En- fin, au vingt- unième, il crut en voir qui lui promet- taient la victoire, s'il ne faisait que se défendre sans attaquer. En même temps, il voue à ce môme dieu un "56-2 HISTOIRE ANCIENNE. sacrifice de cent bœufs, et des jeux publics. Ayant achevé toutes ces cérémonies de religion vers les neuf heures, il assemble son conseil. Il avait entendu les plaintes qu'on faisait de sa lenteur à attaquer les en- nemis. Il voulut bien, dans cette assemblée, rendre compte de sa conduite , sur-tout par rapport à Scipion, à qui il l'avait promis. Les raisons qu'il avait eues de ne pas donner le combat, la veille, étaient très-solides. Premièrement l'armée ennemie était beaucoup supé- rieure en nombre à la sienne, qu'il avait été obligé d'affaiblir encore considérablement par le gros déta- chement destiné à garder les bagages. En second lieu, y aurait-il eu de la prudence de mettre aux mains avec des troupes toutes fraîches les siennes qui étaient épui- sées par une longue et pénible marche, par le poids excessif de leurs armes, par l'ardeur du soleil qui les avait toutes brûlées, et par une soif qui leur causait des peines insupportables? En dernier lieu, il insista fortement sur la nécessité indispensable pour un bon général de ne point donner la bataille avant que d'a- voir derrière lui un camp bien retranché, qui pût, en cas d'accident, servir de retraite à l'armée. La conclu- sion de son discours fut de se préparer pour ce jour- là au combat. On voit ici ' qu'autre est le devoir des soldats et des officiers subalternes, autre celui du général. Les premiers ne doivent s'occuper que du soin et du désir de combattre : c'est au général , qui a dû tout prévoir, tout peser, tout comparer, à prendre son parti après '« Divisa inter exeicllum duces- dendo, consultando , cunctatione que muiiia. Militlbus cupidineiu saepiùs quàm temeritate prodesse. » pugnandi couveïiire : duces provL- ( 'I'ac. Hist. lib. 3,cap. 20. ) succiiSSEURs d'alexakduk. 363 une mûre délibération; et souvent par un sage délai de quel([ues jours, ou même de quchjues heures, il sauve une armée, qu'iiu empressement inconsidéré au- rait exposée au danger de périr. Quoique des deux côtés la résolution de combattre lût prise, cependant ce fut plutôt une espèce de ha- sard qui engagea la i)ataille que Tordre des généraux, qui de part ni d'autre ne se pressaient pas beaucoup. Des soldats thraces chargèrent quehpies Romains (pii revenaient du fourrage. Sept cents Liguriens couru- rent au secours de ces fourrageurs. Les Macédoniens firent avancer des troupes pour soutenir les Thraces; et, les renforts qu'on envoyait aux uns et aux autres grossissant toujours , enfin la bataille se trouva engagée. Il est fâcheux que nous ayons perdu l'endroit où Polybe, et après lui Tite-Live, décrivaient l'ordre de cette bataille : c'est ce qui me met hors d'état d'en don- ner une juste idée, ce que nous en dit Plutarque étant tout différent du peu qui en reste dans Tite-Live. La charge étant commencée, la phalange macédo- nienne se distingua parmi toutes les troupes du roi d'une manière particulière. Paul Emile alors s'avance aux premiers rangs , et trouve que les Macédoniens qui formaient la tête de la phalange enfonçaient le fer de leurs piques dans les boucliers de ses soldats, de' sorte que ceux-ci, quelque effort qu'ils fissent, ne pouvaient les atteindre avec leurs épées; et il voit en même temps toute la première ligne des ennemis join- dre leurs boucliers, et présenter leurs piques. Ce rem- part d'airain , et cette forêt de piques impénétrable à ses légions, le remplissent d'étonnement et de crainte. Il parlait souvent depuis de l'impression .qu'avait faite 364 HISTOIRE ANCIENNE sur lui ce terrible spectacle, jusqu'à le faire douter de la victoire. Mais , pour ne pas décourager ses troupes, il leur cacha son inquiétude; et, leur montrant vni visage gai et serein , il parcourut à cheval tous les rangs sans casque et sans cuirasse, les animant par ses dis- cours, et encore plus par son exemple. On voyait le général, âgé de plus de soixante ans, s'exposer au dan- ger et à la fatigue comme un jeune officier. Les Péligniens, peuples d'Italie, qui avaient atla- qué la phalange macédonienne , ne pouvant la rompre avec tous leurs efforts , un de leurs officiers prit l'en- seigne de sa compagnie, et la jeta au milieu des enne- mis. Les autres se jettent donc à corps perdu sur ce bataillon : il se fait là des exploits inouïs de part et d'autre. Les Péligniens tâchent de couper avec leurs épées les piques des Macédoniens , ou de les repousser avec leurs boucliers; ou ils essaient avec leurs mains de les arracher ou de les détourner pour se faire une entrée: mais les ?vIacédoniens , se serrant toujours, et tenant à deux mains leurs piques, présentent ce rem- part de fer, et donnent de si grands coups à ceux qui se lancent sur eux, que, perçant boucliers et cuirasses, ils jettent morts à la renverse les plus hardis de ces Péligniens, qui, sans aucun ménagement, allaient comme des bêtes féroces s'enferrer eux-mêmes , et se pré- cipiter dans une mort qu'ils voyaient devant leurs yeux. Toute la première ligne étant donc mise en dé- sordre , la seconde , découragée , commença à se ralen- tir. Véritablement elle ne prit pas la fuite: mais, au lieu d'avancer , elle faisait sa retraite vers le mont Olocre ' ; ce que voyant Paul Emile, il déchira ses ha- ■ Celte monlagne faisait appaveiiiment partie du mont Olympe. SI Cr.FSSElJUS d'aLEX ANDRE. 365 })lts, pénétré do la plus vive douleur de ce que, ses premières troupes étant rendues, les Romains crai- gnaient d'affronter la phalange. Elle présentait un front couvert de pi([ues épaisses. et serrées comme d'un re- tranchement impénéuahle, et, se maintenant invin- cihle, ne pouvait être ni rompue ni entamée. Mais enfin, l'inégalité du terrain et la grande étendue du front de la bataille ne permettant pas à l'ennemi de continuer par-tout cette haie de boucliers et de piques, Paul Emile remarqua que la phalange des Macédo- niens était forcée de laisser des ouvertures et des in- tervalles, et qu'elle reculait d'un coté pendant qu'elle avançait de l'autre , comme cela arrive nécessairement dans les grandes armées, lorsque les troupes, ne fai- sant pas toutes le même effort, combattent aussi avec différents succès. Paul Emile, en habile capitaine qui sait profiter de tout, séparant ses troupes par pelotons, leur ordonne de se jeter dans les espaces vides de la bataille des en- nemis, et de ne les plus attaquer tous ensemble de front et d'un commun effort , mais par troupes déta- chées et par différents endroits tout-à-la-fois. Cet ordre, donné si à propos , fut cause du gain de la bataille. Les Romains s'insinuent d'abord dans le& intervalles, et mettent par là l'ennemi hors d'état de se servir de ses longues piques : ils le prennent en flanc et en queue par où il était découvert. En un moment cette phalange est rompue; et toute sa force, qui ne consistait que dans son union et dans l'impression qu'elle faisait tout ensemble, s'évanouit et disparaît. Quand on en vint à combattre d'homme à homme , ou par pelotons sépa- rés , les Macédoniens av^ec leurs petites épées frap- 366 HISTOIRE ANCIENNE. paient sur les boucliers des Romains qui étaient très- forts et très-solides , et qui les couvraient presque de- puis la tête jusqu'aux pieds; et, au contraire, ils n'op- posaient que de petits pavois aux épées des Romains , qui étaient lourdes et massives, et maniées avec tant de force et de roideur, qu'elles ne portaient et ne déchargeaient point de coup qui ne perçât ou ne fit \'oler en éclats et boucliers et cuirasses , et qu'on ne vît couler le sang. Ainsi les plialangites, tirés de kur avantage et pris par leur faible, ne résistèrent qu'avec beaucoup de peine, et furent enfin renversés. Le roi de Macédoine, se laissant emporter à sa frayeur , s'était sauvé à toute bride dès le commence- ment du combat , et s'était retiré dans la ville de Pyd- na, sous prétexte d'aller faire un sacrifice h Hercule: comme si, dit Plutarque , Hercule était un dieu à re- cevoir les timides sacrifices des lâches, et à exaucer des vœux injustes! car il n'est pas juste que celui qui n'ose attendre l'ennemi remporte la victoire : au lieu que ce dieu recevait favorablement les prières de Paul Emile, parce qu'il lui demandait la victoire les armes à la main, et qu'en combattant avec courage il l'appelait à son aide. Ce fut à l'attaque de la phalange, oii se fit le plus CTrand effort, et oii les Romains trouvèrent le plus de résistance; et ce fut là aussi que le fils de Caton, gen- dre de Paul Emile, après avoir fait des prodiges de valeur, perdit malheureusement son épée , qui lui échappa de la main. A cet accident, hors de lui-même et inconsolable , il parcourt les rangs ; et ramassant au- tour de lui une troupe de jeunes gens hardis et déter- minés, il se jette avec eux tête baissée et à corps per- SrCCESSEURS D ALEXANDRE. 'M')l du sur les JMacédoniens. Après des efforts extraordi- naires et une boucherie horrible, ils les poussent, et, demeurés maîtres du terrain, ils se mettent à chercher cette épée, qu'ils trouvent enfin à grand'peine enseve- lie sous des monceaux d'armes et de morts. Ravis de cette bonne fortune, et poussant des cris de victoire, ils se jettent avec une nouvelle ardeur sur ceux des ennemis qui font encore ferme, de sorte qu'enfin les trois mille ^Macédoniens qui restaient, distingués des phalangites, furent tous taillés en pièces, sans qu'au- cun d'eux quittât son rang et cessât de combattre jusqu'au dernier soupir. Après cette défaite, tout le reste prit la fuite, et on en tua un si grand nombre, que toute la plaine jusqu'au pied de la montagne était couverte de morts, et que le lendemain les Romains, passant la rivière de Leucus, en trouvèrent les eaux encore toutes tein- tes de sang. On dit qu'il périt dans ce combat du coté des Macédoniens plus de vingt-cinq mille hommes; les Romains n'en perdirent que cent, ils firent onze ou douze mille prisonniers. La cavalerie, qui n'avait point eu part au combat , voyant la déroute de l'infan- terie, s'était retirée; et les Romains, acharnés sur les phalangites, ne songèrent point pour-lors à la pour- suivre. Cette grande bataille fut décidée si promptement, que , le combat ayant commencé vers les trois heures après midi, la victoire se déclara avant quatre heures. Le reste du jour fut employé à courir après les fuvards, que l'on poursuivit fort loin, de sorte que l'on ne re- vint que bien avant dans la nuit. Tous les valets de l'armée courent au-devant de leurs maîtres avec de 368 HISTOIlîE ANCIENNE. grands cris de joie, et les ramènent aux flambeaux: dans leurs tentes, où Ton avait fait des illuminations, et que l'on avait couvertes de festons de lierre et de cou- ronnes de lauriers '. Mais, au milieu de cette grande victoire, le général était plongé dans une extrême affliction. De deux fds qu'il avait à ce combat, le plus jeune, qui n'avait que dix-sept ans, et qu'il aimait le plus tendrement, parce qu'il donnait dès-lors une grande espérance, ne parais sait point. On craignit qu'il n'eût été tué. L'alarme fut générale dans le camp , et changea les cris de joie en un morne silence. On le cherche avec des flambeaux parmi les morts , mais inutilement. Enfin , comme la nuit était déjà fort avancée, et qu'on désespérait de le retrouver, il revint de la poursuite des fuyards, accom- pagné seulement de deux ou trois de ses camarades, tout couvert du sang des ennemis. Paul Emile crut le recouvrer d'entre les morts, et ne commença à sentir la joie de sa victoire que dans ce moment. Il était ré- servé à d'autres larmes et à d'autres pertes non moins sensibles. Le jeune Romain dont nous parlons ici est le second Scipion , qui dans la suite fut appelé Africain €t Numantius pour avoir ruiné Carthage et Numance; il fut adopté par le fils de Scipion vainqueur d'Annibal. Le consul fît partir sur-le-champ trois courriers dis- tingués (Fabius, son fils aîné, en était un), pour porter à Rome la nouvelle de cette victoire. Cependant Persée , continuant sa fuite, avait passé I C'était la coutume des Romains. talus et de quelques autres , couvertes César écrit, dans le troisième livre de lierre. L. etiam LentuU et non- de la guerre civile, qu'il trouva dans miUorum tahernacnla protecta hè- le camp de Pompée les tentes de Len- derâ. sirccESSEURS d'alexandke. 36q la ville de Pydna, et tâchait de gagner celle de Pellu avec toute sa cavalerie , qui s'était sauvée de la bataille sans aucun échec. Les gens de pied (jui fuyaient en désordre, l'ayant rencontré sur le chemin, se mettent à accabler d'injures ces cavaliers , les appelant des lâches et des traîtres; et poussant plus loin leur res- sentiment, ils les renversent de cheval, et en blessent un fort grand nombre. Le roi , qui craignait les suites de ce tumulte, quitte le grand chemin; et pour n'être pas reconnu, il plie son manteau royal, le met devant lui , détache son diadème de sa tête, le porte à la main ; et, afin de pouvoir s'entretenir avec ses amis, il met pied à terre, et mène son cheval par la bride. Plusieurs de ceux qui l'accompagnaient prirent d'autres routes que lui sous différents prétextes, moins pour se dérOTror à la poursuite des ennemis que pour se mettre à cou- vert de la fureur de leur prince , dont la défaite n'avait servi qu'à aigrir et à irriter la férocité qui lui était naturelle. De tous ses courtisans, trois seuls demeu- rèrent avec lui , encore tous étrangers. Évandre de Crète, celui qu'il avait chargé d'assassiner le roi Eu- mène, en était un. Il lui demeura fidèle jusqu'à la fin. Etant arrivé sur le minuit dans Pella, il tua de sa main à coups de poignard les deux gardes de son trésor, qui avaient eu la hardiesse de lui représenter les fautes qu'il avait faites, et, avec une liberté hors de saison, lui avaient donné des conseils sur ce qu'il devait faire pour se relever. Ce traitement cruel à fégard de deux des principaux officiers de sa cour , qui n'avaient manqué que par un zèle indiscret et placé mal à pro- pos, aliéna de lui tous les esprits. Alarmé par la dé- sertion presque générale de ses officiers et de ses cour- roie VllI. lUsl. anc. 2/1 370 HISTOIRE ANCIEI^NE. tisans, il ne se crut pas en sûreté à Pella , et en partit la même nuit pour se rendre à Amphipolis, emportant avec lui la plus grande partie de ses trésors. Quand il y fut arrivé, il envoya des députés à Paul Emile, pour implorer sa miséricorde. D' Amphipolis il passa dans l'île de Samothrace , et se réfugia dans le temple de Castor et de PoUux, Toutes les villes de Macédoine ouvrirent leurs portes au vainqueur, et firent leur soumission. Le consul, étant parti de Pydna, arriva le lendemain à Pella, dont il admira Theureuse situation. Le trésor du roi avait été dans cette ville; mais on n'y trouva alors que les trois cents talents ^ que Persée avait fait n^ir pour Gentius, roi de Thrace, et qu'ensuite il amt fait revenir, Paul Emile, ayant appris que Persée était dans la Samothrace , se rendit à Amphipolis, pour passer de là dans l'île. Il était campé à Sires ^, dans la contrée odomantique, o 3-9. lorsqu'il reçut une lettre de Persée , qui lui tut pre- AEmii. Paul, scntée par trois députés d'une condition et d'une nais- p. 269,270. ^^^^g pg^^ considérables. Il ne put s'empêcher de verser des larmes, en faisant réflexion à l'inconstance des choses humaines , dont l'état présent de Persée lui don- nait un exemple bien sensible. Mais quand il vit que la lettre avait pour inscription et pour titre , Le roi Persée au consul Paul Emile, salut, l'ignorance stu- pide où était ce prince, de son état, étouffa en lui tout sentiment de compassion; et quoique la teneur de la lettre fût d'un style humble et suppliant, et qui con- venait peu à la dignité royale, il renvoya les députés I Trois cent mille écus. * Ville obscure et inconnue, à — I 65o 000 fr. L. rextrémité orientale de la Macédoine. SLFCCKSSEURS d'aLEXANDRE. 871 sans faire de réponse. Quelle hauteur dans ces fiers républicains, qui dégradent ainsi sur-le-champ un roi malheureux ! Persée sentit quel nom désormais il de- vait oublier. Il écrivit une seconde lettre, où il ne mit que son nom simple sans qualité. Il demandait qu'on lui envoyât des commissaires avec qui il pût traiter; ce qui lui fut accordé. Cette ambassade fut sans effet , parce que d'un coté Persée ne voulait point renoncer à la qualité de roi, et que de l'autre Paul Emile exi- geait qu'il remît son sort absolument à la disposition du peuple romain. Pendant ce temps-là le préteur Octavius, qui com- mandait la flotte , était abordé à Samothrace. Il n'ar- racha pas Persée de cet asyle, par respect pour les dieux qui y présidaient; mais il tâcha, mêlant les menaces aux promesses, de l'engager à sortir de l'asyle et à se livrer aux Romains. Ses efforts furent inutiles. Un jeune Romain (il s'appelait ylcilius^)^ soit de son mouvement propre, soit de concert avec le préteur, prit un autre tour pour tirer le roi de l'asyle. Etant entré dans l'assemblée des Samothraciens , qui se tenait actuellement : «Est-ce avec vérité, leur dit-il, ou sans « fondement qu'on dit que votre île est sacrée , et « qu'elle est dans toute son étendue un asyle saint et « inviolable ? » Tout le monde ayant rendu témoignage à la sainteté de l'asyle : «Pourquoi donc, continua-t-il , « un homicide, souillé du sang du roi Eumène, en a-t-il « violé la sainteté ? et , quoiqu'on commence toutes les « cérémonies de religion par en exclure ceux qui n'ont « pas les mains pures, comment pouvez -vous souffrir « que votre temple même soit souillé et profané par la « présence d'un infâme meurtrier ? « Cette accusation M. 372 HISTOIRE A]>fClE]VNE. tombait sur Persée; mais les Samothraciens aimèrent mieux l'appliquer à Evandre, que tout le monde savait avoir été le ministre de l'assassinat projeté contre Eu- mène. Ils envoyèrent donc au roi lui dire qu'Evandre était accusé d'assassinat; qu'il vînt, selon les lois éta- blies pour leur asyle, se justifier devant les juges; ou, s'il craignait de le faire, qu'il prît ses sûretés et sortît du temple. Le roi ayant fait venir Evandre, lui con- seilla fort de ne point subir un tel jugement. Il avait ses raisons pour lui donner ce conseil, craignant qu'il ne déclarât que c'était par son ordre qu'il avait entre- pris cet assassinat. Il lui fit donc entendre qu'il ne lui restait d'autre parti que de se donner à lui - même la mort. Evandre parut y consentir, et, témoignant qu'il aimait mieux employer pour cela le poison que le fer, il songea à se dérober par la fuite. Le roi l'ayant ap- pris, et craignant que les Samothraciens ne fissent retomber sur lui leur colère, comme ayant soustrait le coupable au supplice qu'il méritait , il le fit tuer. C'était souiller la sainteté de l'asyle par un nouveau crime : mais il corrompit à force d'argent le premier magistrat, qui déclara dans l'assemblée qu'Evandre s'était lui-même donné la mort. Le préteur , n'ayant pu persuader à Persée de quitter son asyle, s'était réduit à lui ôter tous les moyens de s'embarquer et de s'enfiiir. Cependant, malgré toutes ses précautions, Persée gagna secrètement un certain Oroandes de Crète, qui avait un vaisseau marchand, et lui persuada de le recevoir dans son bord avec toutes ses richesses : elles montaient à deux mille talents, c'est-à-dire à six millions. Mais, soupçonneux comme il était, il ne se dessaisit pas du tout, n'en envoya succESSiiURS d'alkxandrk. 373 qu'une partie, et réserva à faire porter le reste avec lui. Le Cretois, suivant en cette rencontre le génie de sa nation, embarqua sur le soir tout l'or et l'argent qu'on lui avait envoyé, manda à Pcrsée qu'il n'avait qu'à se rendre vers le minuit sur le port avec ses enfants et les gens qui lui étaient absolument nécessaires pour le ser- vice de sa personne. I/heure du rendez-vous approcbant, Persée se glissa avec des peines infinies par une fenêtre très -étroite, traversa un jardin, et sortit par une vieille masure avec sa femme et son fils. Le reste de son trésor le sui- vait. On ne saurait exprimer sa douleur et son désespoir lorsqu'il apprit qu'Oroandes, avec sa riche charge, était en pleine mer. Il fallut qu'il retournât à son asyle avec sa femme et Philippe son fils aîné. Il avait confié ses autres enfants à Jon de Thessalonique, qui avait été son favori, et qui le trahit dans sa mauvaise fortune ; car il livra ses enfants à Octavius; ce qui fut la prin- cipale cause qui obligea Persée à se remettre lui-même au pouvoir de ceux (|ui avaient ses enfants entre leurs mains. il se livra donc, lui et Philippe son fils, au préteur Octavius; et celui-ci le fit embarquer pour être con- duit au consul, à qui auparavant il en avait donné avis. Paul Emile envoya au-devant de lui son gendre Tubéron. Persée, vêtu de noir, entra dans le camp avec son fils seul. Le consul ^ , qui l'attendait avec une assez nombreuse com])agnie , le voyant arriver, se lève ' Je me suis conformé ici , en ex- dans celui de Plutarque , que jai suivi posant l'entrevue de Paul Kniile et en exposant la même histoire dans de Persée, au récit qu'en fait Tile- le Traité des Études, tome 11. Live. Il y a quelques dil'férences 374 HISTOIRE A.NCIENNE. de son siège, et, s'étant un peu avancé, lui tend la main. Persée se jette à ses pieds; mais il le relève sur-le- champ , et ne souffre pas qu'il embrasse ses genoux, li'ayant introduit dans sa tente, il le fît asseoir vis-à- vis de ceux qui formaient l'assemblée. Il commença par lui demander « quel sujet de mé- « contentement l'avait porté à entreprendre avec tant « d'animosité contre le peuple romain une guerre qui « l'exposait lui et son royaume aux derniers dangers. » Comme , au lieu de la réponse que tout le monde at- tendait, le roi, tenant les yeux baissés en terre et ver- sant des larmes, gardait le silence, Paul Emile conti- nua de la sorte : « Si vous étiez monté encore jeune « sur le trône, je m'étonnerais moins que vous eussiez « ignoré ce que c'était que d'avoir le peuple romain « pour ami ou pour ennemi : mais, ayant assisté à la a guerre que votre père a faite contre nous, et vous « souvenant encore de la paix que nous avons fidèle- « ment observée avec lui, comment avez-vous pu ai- « mer mieux être en guerre qu'en paix avec un peuple « dont vous avez éprouvé la force dans la guerre et la « fidélité dans la paix? » Persée ne répondant pas plus à ce reproche qu'il n'avait fait à la première question : « De quelque manière cependant , reprit le consul , « que ces choses soient arrivées, soit par une faute ce dont tout homme est capable, soit par un effet du « hasard, soit par la fatale destinée, prenez courage. « La clémence dont le peuple romain a usé à l'égard « de beaucoup de rois et de peuples doit vous inspirer, « je ne dis pas seulement quelque espérance, mais une « confiance presque assurée qu'il vous traitera de la « même sorte. » Il parla ainsi en grec à Persée : puis , SUCCESSEURS 1)' A LE X AlVD R E. 3']^ se tournant vers les Romains et reprenant sa langue : « Vous voyez ' , leur dit-il , un grand exemple de l'in- « constance des choses humaines. C'est à vous prin- « cipalement , jeunes Romains, que j'adresse ce dis- K cours. L'incertitude de ce qui peut nous arriver « d'un jour à un autre doit nous apprendre à n'user «jamais, dans la prospérité, de fierté ni de violence à « l'égard de cjui que ce soit, et à ne point comj)ter sur « le honheur présent. La preuve d'un vrai mérite et « d'un vrai courage, c'est de ne se laisser ni élever par « les bons succès, ni abattre par les mauvais. » Paul Emile, ayant renvoyé l'assemblée, chargea Tubéron de prendre soin du roi. Il l'invita ce jour-là à venir man- ger avec lui , et ordonna qu'on lui rendit tous les hon- neurs (ju'on pouvait lui rendre dans l'état oii il se trouvait. Ensuite l'armée fut mise en quartier d'hiver. Am- phipolis reçut la plus grande partie des troupes; le reste fut partagé dans les villes voisines. Ainsi fut ter- minée la guerre entre les Romains et Persée, laquelle avait duré quatre ans; ainsi finit un royaume si illus- tre tant dans l'Europe que dans l'Asie. Persée avait régné onze ans. On le comptait pour le quarantième roi depuis Caranus ^ , qui le premier avait régné en Macédoine. Une conquête si importante ne coûta à Paul Emile que quinze jours, ' << Exemplum insigne cernitis ^ erit, cujus animum nec prospéra fla- inqtiit , niutationis reruin Iiiimana- tu suo el'feret , nec advcrsa infria- ruin. Vohis hoc pnecipuè rlico, ju- get. » (Liv. ) venes. Ideô in secundis rébus nihil ' Tite-Live, tel qu'on Ta dit, le in quemquam superbe ac violenter vingtième : 3\isûn, le trentième. Ou consulere decet, nec praesenti cre- croit qu'il y a faute dans le chiffre, dere fortunœ; quum , quld vesper et qu'il faut substituer f/;/arrt«rièw, / . ' 'lin" ^9' •^*^- était convenu avec eux, et étant entres dans la salle de rassemblée oii se trouvait un grand nombre de Ma- cédoniens , il s'assit dans son tribunal ; et après avoir fait faire silence par l'huissier , Paul Emile, exposa en latin ce que le sénat , et ce que lui avec les commis- saires, avaient réglé au sujet de la Macédoine. Les principaux articles étaient , que la Macédoine était déclarée libre ; qu'elle ne paierait aux Romains que la moitié des tributs qu'elle payait au roi, et cette somme fut fixée à cent talents, c'est-à-dire à cent mille écus; qu'elle aurait un conseil public. Composé d'un certain nombre de sénateurs , où les affaires seraient discutées et jugées ; qu'elle serait désormais partagée en quatre régions , quatre cantons, qui auraient cha- cun leur conseil, où leurs affaires particulières seraient examinées , et que personne ne pourrait contracter des mariages, ni acheter des terres ou des maisons hors de son canton. Il ajouta encore quelques autres articles moins importants. Le préteur Octavius, qui était présent à cette assemblée , expliquait en grec chaque article à mesure que Paul Emile les énonçait en latin. L'article de la liberté et celui de la dimi- nution des tributs firent un extrême plaisir aux Macé- doniens , qui s'y attendaient peu: mais ils regardaient 384 HISTOIRE ANCIEJYNE. la division de la Macédoine en diverses régions qui n'auraient plus le commerce ordinaire entre elles comme si on eût déchiré un corps en séparant les membres , qui ne sont vivants et ne subsistent que par le mutuel secours qu'ils se prêtent les uns aux autres. Liv. rib. 45. Le consul ensuite donna audience aux Etoliens. "■ ^^' J'exposerai ailleurs ce qui y fut traité, id. ibid. Après qu'on eut terminé ces affaires étrangères , °" ^^' Paul Emile appela de nouveau les Macédoniens dans l'assemblée pour mettre la dernière main aux règle- ments. On parla d'abord des sénateurs qui devaient composer le -conseil public oii se traiteraient les affaires de la nation, et on leur en laissa le choix. Puis on lut la liste des principaux du pays qui devaient passer en Italie avec ceux de leurs enfants qui auraient plus de quinze ans. Ce règlement parut d'abord fort dur; mais on reconnut bientôt qu'il n'avait été fait que pour assurer davantage la liberté du peuple : car on nomma dans cette liste les grands seigneurs , les gé- néraux d'armée, les capitaines de vaisseau, tous ceux qui avaient quelque charge h la cour ou qui avaient été employés dans les ambassades , et beaucoup d'autres officiers accoutumés à faire bassement leur cour au roi, comme des esclaves, et à commander aux autres avec fierté. C'étaient tous gens riches, qui faisaient une grande dépense , qui avaient des équipages su- perbes , et qui ne se seraient pas facilement réduits à un genre de vie tout différent, oii la liberté égale tous les citoyens , et oii tout le monde est également sou- mis aux lois. Ils eurent donc tous ordre de sortir de Macédoine , et de passer en Italie , sous peine de mort pour les contrevenants. Les règlements que Paul II. :>■?.. SUCCI-SSIXKS n'ALEXANDIiK. 38.^ Emile donna à la Macédoine étaient si raisonnables , cju'ils paraissaient faits non pour des ennemis vaincus, mais pour de fidèles alliés dont on aurait eu tout sujet d'être content ; et l'usage , qui seul lait sentir \c i'aible des lois, ne trouva rien, pendant un fort long- temps , à corriger dans celles (jue ce sage magistrat avait établies. A ces occupations sérieuses succéda une rej)résen- Plut, in lation de jeux qu'il avait ])réparée de longue-main, et pajl/J;!!'''' à laquelle il avait eu soin d'inviter tout ce qu'il y avait ^"' ''■'" '''^' de personnes les plus considérables dans les villes de l'Asie et de la Grèce. 11 fît de magnifiques sacrifices aux dieux, et donna des fêtes superbes, tirant abon- dannnent des trésors du roi de quoi fournir à cette grande dépense, mais ne tirant que de lui-même le bon ordre et le bon goût qui y régnaient : car, ayant à recevoir tant de milliers d'bommes , il témoigna un si juste discernement et une connaissance si exacte de la qualité de tous les conviés, que cliacun y fut logé, placé et traité selon son rang et son mérite, et qu'il n'y eut personne qui n'eût à se louer de sa politesse et de son Iionnêteté. Les Grecs ne pouvaient se lasser d'admirer que dans les jeux même , cliose inconnue jusque-là aux Romains, il portât tant d'exactitude et de soin, et (ju'un honnne occupé des plus grandes af- faires ne négligeât pas la moindre bienséance dans les petites. Il avait rassemblé en un monceau toutes les dé- pouilles qu'il ne voulait point transporter à Rome, des arcs, des carquois ,des fièclies, des javelines , enfin des armes de toutes sortes, et les avait rangées comme Tome FIFÏ. Jlist. anc. 23 386 HISTOIRE ANCIENNE. en trophées. Le flambeau à la main il y mit le pre- mier le feu , et les principaux officiers après lui. Il exposa ensuite aux yeux des spectateurs , dans un lieu élevé et préparé exprès pour cela , tout ce qu'il y avait de plus riche et de plus magnifique dans le bu- tin qu'il avait fait en Macédoine , et qui devait être porté à Rome : des meubles précieux ; des statues et des tableaux de la mai-n des plus grands maîtres; des vases d'or, d'argent, d'airain, d'ivoire. Jamais Alexan- drie , dans les temps de sa plus grande opulence , n'avait eu rien de pareil à celle qui était ici étalée. Mais la plus grande satisfaction que Paul Emile reçut de sa magnificence , et qui flattait le plus l'a- mour-propre, ce fut de voir qu'au milieu de tant de choses rares , et de tant de spectacles si capables d'at- tirer les yeux , on ne trouvait rien de si merveilleux et de si digne d'attention et d'admiration que lui-même. Et comme on était surpris de la belle ordonnance qui régnait à sa table , il disait agréablement que le même esprit qui servait à bien ranger une bataille , servait aussi à bien ordonner un festin ; l'une pour rendre une armée formidable à ses ennemis , l'autre pour ren- dre un repas agréable à ses conviés. En louant sa magnificence et sa politesse, on ne louait pas moins son désintéressement et sa magnani- mité : car tout l'or et l'argent qu'on avait trouvé dans les trésors du roi , et qui montait à de très-grandes sommes , il ne daigna pas seulement le, voir , mais il le fit remettre entre les mains des trésoriers pour le porter dans l'épargne. Il permit seulement à ses fils , qui aimaient l'étude , de retenir pour eux les livres de la bibliothèque de Persée. Les jeunes seigneurs pour- SUCCESSEURS d' A LEX A.N D H E-. 'dS'] lors, et ceux qui étaient destinés à connnander iiii jour les armées , ne témoignaient donc pas de mépris pour rétude,et ne la croyaient pas, ou indigne de leur naissance, ou inutile à la profession ties armes. Quand Paul Emile eut réglé toutes les affaires de Liv lii.. 4.1;, la Macédoine , il prit congé des Grecs; et après avoir exhorté les Macédoniens à ne pas abuser de la liberté que les Romains leur avaient accordée , et à la con- server par le bon gouvernement et par l'union , il par- llt poiu' rE|5ire avec un décret du séjiat qui lui ordon- nait d'en abandonner au pillage à ses troupes toutes les villes qui s'étaient révoltées pour embrasser le parti du roi. Il avait aussi envoyé Scipion Nasica et Fabius, son fils, avec une partie des troupes, pour ravager le pays des Illvriens, qui avait donné du se cours à ce prince. Le général romain , arrivé en Epire , crut devoir s'y prendre prudemment pour exécuter sa commis- sion, de sorte qu'on ne pût pas prévoir son dessein. Il envoya dans toutes les villes des officiers , sous prétexte d'en tirer les garnisons afin que les Epirotes jouissent de la liberté comme les Macédoniens. On ap- pelle prudence une si indigne finesse. Puis il fit signi- fier à dix des principaux citoyens de chaque ville qu'ils eussent à apporter sur la place, à certain jour, tout l'or et l'argent qui était dans toutes les maisons et dans tous les temples , qu'il destinait pour le trésor public , et il distribua ses cohortes dans toutes les villes. Le jour marqué étant venu, on apporta dès le matin tout l'or et l'argent dans la place publique : et à dix heures, dans toutes les villes, le soldat se jeta avidement dans les maisons particulières dont le pil- 25. 388 HISTOIRE ANCIENNE. lage lui avait été abandonné. Il v eut cent cinquante ^ mille hommes faits esclaves. Après avoir pillé les villes, on en rasa les murailles : le nombre en montait à peu près à soixante et dix. On vendit tout le butin ; et de la somme qu'on en recueillit, il en revint à chaque «avalier pour sa part deux cents francs ' (quatre cents deniers ) , et à chaque fantassin cent francs ^ ( deux cents deniers ). Après que Paul Emile , contre son naturel, qui était doux et humain, eut fait exécuter ce décret, il des- cendit vers la mer à la ville d'Orique. Quelques jours après, Anicius, ayant assemblé ce qu'il restait d'Epi- rotes et d'Acarnaniens, ordonna aux principaux, dont LW. lib. 45, . , , , , . / 1 n. 35-40. la cause avait été réservée au iu^rement du sénat, de Vhit.ia . ' ^ ;VEmii. Paul, le suivre en Italie. ^'■^''* Paul Emile étant arrivé à l'embouchure du Tibre, remonta cette rivière sur la galère du roi Persée, qui était à seize rangs de rames, et où Ton avait étalé, non-seulement les armes captives, mais encore les plus riches étoffes et les plus beaux tapis de pourpre trouvés parmi le butin. Tous les Romains, sortis au-devant de cette galère, l'accompagnaient en foule de dessus le rivage, et semblaient rendre par avance au proconsul les honneurs du triomphe qu'il avait si bien mérité. Mais les soldats, qui avaient vu d'un œil avide les im- menses trésors du roi,€t qui n'en avaient pas eu toute ia part qu'ils s'étaient promise, en conservaient un vif ressentiment, et étaient très-mal disposés pour Paul Emile. Ils lui reprochaient publiquement qu'il les avait traités avec trop de dureté et d'empire; et ils parais- * 3?." fv. 5o c— X. » i63 Iv. -5 c. — L, SLCCKSSELllS I)' A Lt'X ANDRIi. 38() salent résolus de lui refuser, par leurs suffrages, l'hon- neur du triomphe. Le soldat apj)elait dureté l'exaetitude de ce général à faire observer la discipline; et son mé- contentement, causé par l'avarice, jetait un voile sur les excellentes qualités de Paul Emile, à ([ui pourtant ils étaient forcés de rendre justice en eux-mêmes en reconnaissant la supériorité de son mérite en tout genre. Aj)rès quelcjues débats, le triomphe lui fut accordé. Jamais on n'en avait encore vu de si superbe. 11 dura trois jours de suite. Je n'entre point ici dans un détail (jui paraît étranger à l'histoire grecque. L'argent mon- nayé qu'on V porta , sans compter un nombre infini de vases d'or et d'argent, montait à plus de vingt-cinq millions. Une seule coupe d'or massif, que Paul Emile avait fait faire du poids de dix talents ^ , et qui était enrichie de pierreries, valait, pour l'or seul, plus de cent mille écus. Elle fut consacrée à Jupiter dans le Capitole. Après toutes ces richesses et ces trésors ({ui étaient portés en pompe , on voyait le char de Persée avec ses armes, et sur ses armes son bandeau royal. A peu de distance suivaient ses enfants avec leurs gouverneurs, leurs précepteurs , et tous les officiers de leur maison , (jui, fondant tous en larmes, tendaient leurs mains au j)euple, et enseignaient ces petits enfants à lui tendre aussi leurs mains captives, et à tacher de le fléchir par leurs supplications et par leurs prières. Ils étaient deux fils et une fille, qui, à cause de leur bas âge, sentaient peu la grandeur de leur calamité, circonstance (jui e\- ' Le talent pesait solxanle livres. =: Seulement 53 livres. — L^ 3r)0 > HISTOIRE ANCIEjVjVE. citait encore plus la compassion. Tous les yeux étaient attachés sur eux, sans qu'on fît presque d'attention à leur père; et, au milieu de la joie publique, on ne pouvait refuser des larmes à un si triste spectacle. Le roi Persée marchait après ses enfants et toute leur suite, enveloppé d'un manteau noir. Il paraissait, à son air et à sa démarche, que l'excès de ses maux lui avait aliéné l'esprit. Il était suivi d'une troupe de ses amis et de ses courtisans, qui marchaient la tête baissée, et qui, fondant tous en pleurs, et les regards toujours attachés sur lui, faisaient assez connaître aux spectateurs que, peu touchés de leur propre infortune, ils ne sentaient que les malheurs de leur roi. On dit que Persée avait envoyé prier Paul Emile de ne pas le donner en spectacle aux Romains, et de lui épargner l'affront d'être mené en triomphe. Paul Emile répondit froidement : la grâce qu'il me demande est en son pouvoir , et il peut lui-même se la procurer. Il lui reprochait par ce peu de mots sa lâcheté, et son amour excessif pour la vie , dont les païens croyaient qu'on devait, dans une telle conjoncture, faire un généreux sacrifice. Ils ignoraient qu'il n'est jamais per- mis d'attenter sur soi-même. Mais ce n'était pas cette vue qui arrêtait Persée. Paul Emile, monté sur un char superbe et magnifi- quement orné, fermait la marche. Il avait à ses cotés ses deux fils. Quelque compassion qu'il eût des malheurs de Persée, et quelque porté qu'il fût à le servir, il ne put autre chose pour lui que de le faire transférer de la prison publique dans un lieu plus commode. Lui, et son fils Alexandre , furent menés par ordre du sénat à SUCCKSSEURS d'aLEX AN DR E. 3<)l Albe, où il fut gardé, et où on lui fournit de l'argent, des meubles, et des gens pour le servir. La plupart des auteurs prétendent qu'il se fit mourir lui-même en s'abstenant de manger. Il avait régné onze ans. La Macédoine ne fut réduite en province que quelques années après. Le triomphe fut aussi accordé à Cn. Octavius et à L. Anicius : au premier, pour ses victoires navales; à l'autre, pour celle qu'il avait remportée dans l'illyrie. Cotys, roi de Thrace, envoya redemander son fils, qu'on avait enfermé en prison après l'avoir mené en triomphe. Il s'excusait de son attachement au parti de Persée, et offrait une riche rançon pour le rachat du prisonnier. Le sénat, sans recevoir ses excuses, répondit iE. Pergame dans la conjoncture présente, où les Gaulois songeaient à l'envahir. Quelle indignité pour les Romains de souffler et d allumer ainsi le feu de la discorde parmi des frères ! de quel prix alors doit paraître un ami sincère , pru- dent, désintéressé! Quel bonheur pour un prince de donner à ceux qui l'approchent la liberté de lui parler avec force, et d'être connu d'eux sur ce pied! Les sa- ges remontrances de Stratius firent leur effet sur l'es- prit d'Attale. Ce prince, ayant été introduit dans le sénat, sans parler contre son frère, et sans demander qu'on partageât le royaume de Pergame, se contenta de féliciter le sénat, au nom d'Eumène et de ses frères, sur la victoire remportée dans la jMacédoine. Il fit mo- destement valoir le zèle et l'affection avec laquelle il avait servi dans la guerre contre Persée. Il pria qu'on envoyât des ambassadeurs pour réprimer l'insolence des Gaulois, et les réduire à leur premier état. Il finit par prier qu'on lui donnât l'investiture d'iEnus et de INIaronée , villes de Tlirace , qui avaient été conquises par Philippe, père de Persée, et lui avaient été con- testées par Eumène. Le sénat, s'imaginant qu'Attale redemanderait une autre audience pour parler en particulier de ses pré- tentions sur une partie du royaume de son frère, pro- mit d'avance qu'il enverrait de ambassadeurs, et fit au prince les présents accoutumés. Il lui promit encore de le mettre en possession des deux villes qu'il avait demandées. IMais quand on sut qu'il était parti de Ro- me , le sénat, piqué de voir qu'il n'avait rien fait de ce qu'on attendait de lui , et ne pouvant s'en venger d'une siTccKSSF.ijRs i)\vT,r.xANnn F. 397 mitre manière, révoqua la promesse ([iril lui avait faite, et, avant que le prince fût hors d'Italie, déclara yEnus et Maronée villes libres et indépendantes. On envova cependant vers les Gaulois une ambassade à la tête de laquelle était P. TJcinius, mais avec des instructions tout autres que celles qu'Attale avait demandées. La politique romaine se dévoile encore ici pleinement , bien clifTérente de la franchise et de la probité des premiers temps. T^e sénat, quelques jours après, donna une audience Poiyb. aux Rhodiens, qui fit beaucoup de bruit. On avait re- u^^nfot fusé d'abord de les entendre, comme s'étant rendus, ï'^- ''^'■^•■"'• par leur conduite, indignes de cet honneur, et Ton parlait même de leur déclarer la guerre. Rhodes, alar- mée, envoya deux nouveaux députés. Avant obtenu avec grande peine d'être admis dans le sénat, ils y pa- rurent comme suppliants, revêtus d'habits lugubres et le visage baigné de lannes. Astymède porta la parole, et, d'une voix entrecoupée de sanglots, prit la défense de sa patrie infortunée. Il se donna bien de garde de paraître d'abord la vouloir justifier: il reconnut qu'elle s'était justement attiré la colère du peuple romain; il avoua ses fautes: il rappela le souvenir d'une indiscrète ambassade , que l'insolente fierté de l'orateur qui por- tait la parole avait rendue encore plus criminelle ; mais il pria le sénat de mettre de la différence entre le corps entier de la nation et quelques particuliers; désavoués qu'elle était prête à leur livrer. Il représenta c{a'il n'y avait point de république, point de ville qui ne ren- fermât dans son sein quelques mauvais citoyens : qu'a- près tout, on ne leur objectait pour crimes que des paroles, folles à la vérité, téméraires, extravagantes 3C)8 HISTOIRE ANCIENNE. ( il avouait que c'était le caractère et le défaut de sa na- tion ) , mais dont des personnes sages font ordinaire- ment peu de cas , et qu'elles ne punissent pas avec la dernière ligueur, non plus que Jupiter ne lance point sa foudre contre tous ceux qui parlent de lui peu res- pectueusement. « Mais , dit-il , on regarde la neutralité (c que nous avons gardée dans la dernière guerre comme « une preuve certaine de notre mauvaise volonté à vo- ce tre égard. Y a-t-il quelque tribunal au monde oii « l'intention, quand elle est sans effets soit punie « comme l'action même? Mais je veux que vous pous- « siez la sévérité jusqu'à cet excès, au moins le châti- « ment ne peut tomber avec justice que sur ceux qui ont « eu cette intention , et le grand nombre parmi nous « en est innocent. En supposant même que cette neu- « tralité et cette inaction nous rendent tous coupables, « les services réels que nous vous avons rendus dans « les deux guerres précédentes ne doivent-ils être comp- « tés pour rien, et ne peuvent-ils pas couvrir l'omis- « sion qu'on nous impute pour la dernière ? Que Phi- « lippe, Antiochus et Persée prononcent ici dans notre <( cause. Les deux premiers suffrages seront certai- « nement pour nous , et nous absoudront ; et le troi- « sième , tout au plus et à la rigueur , paraîtra douteux « et incertain. Pouvez-vous, dans cet état, porter un « arrêt de mort contre Rhodes? car votre décret va « décider si elle subsistera encore, ou si elle sera « entièrement détruite. Vous pouvez nous déclarer la « guerre, mais vous ne pouvez pas nous la faire; car ' « Neque moribus, neque legl- perlie, si nihil fecerit quo id fiât, bus ullius civitatis ita comparatum capitis damnetur. » (Liv.) rsse, ut, si quis vt-llet iniinicum SUCCESSEURS d'aLEX ANDRE. SqQ « aucun des Rliodiens ne prendra les armes contre « vous. Si vous persévérez dans votre colère , nous vous « demanderons le temps d'aller faire à Rhodes le rappoil « de notre députation; et, dans le moment même, tout « ce qu'il y a dans la ville d'hommes , de femmes et « de personnes libres , nous nous embarquerons avec « tous nos biens et tous nos effets; abandonnant nos « dieux pénates publics et particuliers, nous viendrons « à Rome; et, après avoir jeté à vos pieds tout notre « or et tout notre argent, nous nous livrerons, nous, « nos femmes et nos enfants, à votre discrétion. Nous « souffrirons ici sous vos yeux tout ce que vous nous a ordonnerez de souffrir. Si Rhodes est condamnée au « pillage et au feu, du moins le spectacle de son dés- ce astre nous sera épargné. Vous pouvez , ])ar votre « sentence, nous déclarer ennemis: mais une voix se- rt crête , sortie du fond de notre cœur , en portera une « toute contraire; et, quelque hostilité que vous exer- ce ciez contre nous , vous ne trouverez en nous que des c( amis et des serviteurs. » Après ce discours, les députés se prosternèrent tous par terre; et, tenant des branches d'olivier, ils ten- daient les mains vers les sénateurs pour leur demander la paix. Quand on les eut fait sortir du sénat, on alla aux suffrages. Tous ceux qui avaient servi dans la Ma- cédoine en qualité de consuls, ou de préteurs, ou de lieutenants, et qui avaient vu de près leur sot orgueil et leur mauvaise volonté pour les Romains, leur fu- rent très-contraires. M. Porcius Caton , ce célèbre cen- seur, connu par la sévérité de son caractère qui allait souvent jusqu'à la dureté, s'adoucit ici en faveur des Rliodiens, el parla pour eux d'une manière fort vive Lih. -, c. 3. 4oO HISTOIRE ANCIE]\'NE. et fort éloquente. Tite-Live ne rapporte point son dis- cours, parce qu'on le trouvait alors dans un ouvrage de Caton même, intitulé des Origines^ oii il avait in- séré ses harangues. On a sujet de regretter la perte d'un si précieux re- cueil. Aulu-Gelle nous a conservé quelques fragments de ce discours de Caton , par lesquels il paraît qu'il employa à peu près les mêmes raisons que l'ambassa- deur de Rhodes. J'en citerai quelques endroits en latin au bas de la page, pour aider le lecteur à connaître et à discerner le style mâle et énergique qui était le caractère de l'éloquence romaine dans ces temps an- ciens, où l'on était plus attentif à la force des pensées qu'à l'élégance des mots. Caton commence son discours par représenter aux Romains qu'ils ne doivent pas, en conséquence de la victoire remportée sur le roi de Macédoine, s'abandon- ner aux transports d'une joie excessive : que la pro- spérité % pour l'ordinaire, inspire de l'orgueil et de l'insolence; qu'il craint que dans la délibération pré- sente on ne prenne une mauvaise résolution qui attire sur Rome quelque malheur, et fasse évanouir la joie frivole à laquelle on se sera livré. « L'adversité, dit-il, « en domptant l'esprit, nous, rappelle à nous-mêmes, « et nous apprend ce qu'il convient de faire. I.,a pro- ' " Scio solere pleilsque homini- titia nimis luxuriosè eveniat. Aflver- l)iis rebus secundis atque prolixis sae res se domant, et docent quid atque prosperis animum excellera, opus sit facto : secundœ res Ia;titi.î superbiam atque ferociam augescerc transversum trudere soient a recte atque crescere : quod mlbl nunc ma- consulendo atque intelligendo. Quo gnae curae est, quiaJiafc res tain se- majore opère edico suadeoque , uti cundè processit , ne quid in consu- ba-c res aliquot dies proferatur, dum lendo adversi eveniat, quod nostras ex tanto gaudio in potestatem nos- serundas res confulet ; neve bicc la;- tram rcdeamus. » SUCCESSLUKS d' A LLX AND 11 E. 47- donna que les deux frères régneraient conjointement. C'était une politique assez ordinaire aux Romains de partager ainsi les royaumes entre des frères, afin de les affaiblir par ce partage, et de laisser entre eux des semences perpétuelles de divisions. Attale , dans les premières années de son règne, le rétablit entière- ment sur le trône , ayant vaincu et chassé son compé- titeur. Eumène fut toujours suspect aux Romains, et près- An.m.ssa/;. que toujours en guerre, ou avecPrusias, ou avec les suJb^Liî', Gallo-Grecs. Enfin il mourut après avoir régné trente- P"^' ^^'*' huit ans \ Il laissa son royaume à son fils Attale, surnommé Philométor^ encore enfant, qu'il avait eu de Stratonice, sœur d'Ariarathe, et nomma pour tu- teur de son fils et régent du royaume son frère, Attale Philadelphe , qui gouverna le royaume pendant vingt et un ans. Polybe fait un grand éloge d'Eumène. Ce prince, p^iy},. in dit-il, avait le corps faible et délicat, l'ame grande et ^-^''^■'y''^^- * ' O et Vit. pleine des plus beaux sentiments. Il ne cédait en rien, l'^s- '^6- I Strabon lui donne quarante- 24). et Tite-Live (XXXIII, 21), trois ans de règne: mais on prétend lui donnent 44 ans de règne et -2 fjue c'est une faute. de vie. — L. = Pourquoi? Polybe (XVIII, Tome VIII. Hist. anc, 0 1 4 '8 inSTOIRi: ANCIENNE. pour beaucoup d'autres qualités , aux rois de son temps , et du côté des belles inclinations il les surpas- sait tous. Le royaume de Pergame, quand il le reçut de son père, se réduisait à un très - petit nombre de villes qui méritaient à peine ce nom. Il le rendit si puissant, qu'il pouvait le disputer à presque tous les plus grands grands royaumes. Il ne dut rien ni au ha- sard ni à la fortune : c'est toujours Polybe qui parle. Tout lui vint de sa prudence, de son assiduité au tra- vail, de son activité. Avide d'une belle réputation, il fît plus de bien à la Grèce et enrichit plus de particu- liers qu'aucun des princes de son siècle. Pour achever son portrait, il avait si bien possédé l'art de s'attirer le respect de ses trois frères , et de les contenir par son autorité sans la leur faire sentir , que , quoiqu'ils eus- sent tous un âge et des talents pour entreprendre par eux-mêmes, et qu'ils partageassent avec lui les fonc- tions de la souveraineté, ils ne sortirent jamais des bornes de la soumission, mais lui demeurèrent tou- jours parfaitement unis, et, par un zèle égal pour son service, lui aidèrent à défendre et à agrandir le rovaume. Il serait difficile de trouver un pareil exemple d'auto- rité sur des frères jointe à une union et une concorde inaltérables. Je ne devrais pas omettre ici une chose qui fait beau- coup d'honneur à la mémoire d'Eumène, c'est d'avoir établi la fameuse bibliothèque de Pergame , ou du moins de l'avoir considérablement augmentée : mais je me réserve à en parler ailleurs. AN.M.3848. La division qui avait presque toujours subsisté entre Poiyb.Leg. Prusias et Eumène continua sous Attale, qui avait suc- 133-135" ^^^^^ '^^ dernier. Prusias, l'ayant vaincu dans un com- i36. SUCCESSEÏTRS d'aLEXANDRE. 4i9 bat, entra dans Pergame; et, outré de douleur d'avoir An.m.îs^o. , y ... -1 /- 1 Av. J.C. i.'"):» man([ue a se sai.sH' do sa personne, il iit t()inl)er sa vengeance sur les statues et les temples des dieux , ren- versant et brûlant tout ce qui se rencontrait sur sa marche. Attale envoya son frère Athénée h Rome pour -implorer le secours du sénat, cjui fit défendre à Pru- sias de continuer la guerre contre Attale, et lui en- voya plusieurs ambassades, à différentes reprises, dont il éluda les ordres, ou ])ar des délais, ou même par des periidies, ayant un jour entrepris, sous prétexte d'une entrevue , de se saisir de l'ambassadeur romain et d'At- tale. Le complot fut découvert et demeura sans exécu- tion, mais le crime n'en était pas moins grand. Rome, dans d'autres temps, l'aurait puni par la destruction entière du royaume. Elle se contenta pour-lors d'en- voyer dix commissaires, qu'elle chargea de finir cette guerre, et d'obliger Prusias h faire satisfaction à At- tale pour les dommages qu'il lui avait causés. Cepen- dant Attale, secouru par ses alliés, avait assemblé de nombreuses troupes , tant par terre que par mer. Tout se disposait pour l'ouverture de la campagne, lorsqu'on apprit que les connnissaires étaient arrivés. Attale les joignit. Après quelques conférences sur l'affaire pré- sente, ils partirent pour la Bithynie. Là, ils déclarè- rent à Prusias les ordres dont ils étaient chargés pour lui de la part du sénat. Ce prince veut bien accepter une partie des conditions qui lui étaient prescrites, et refuse d'obéir à la plupart des autres. Les commis- saires, choqués de cette résistance, rompent l'alliance et l'amitié avec lui, reprennent sur-le-champ la route de Pergame, et laissent Prusias dans une mortelle in- quiétude. Ils conseillèrent à Attale de se tenir avec son /|20 " HISTOIRE ANCIENNE. armée sur les frontières de son royaume , sans faire le premier aucun acte d'hostilité; et quelques-uns d'eux retournèrent à Rome pour y informer le sénat de la rébellion de Prusias. Enfin il ouvrit les yeux, et de nouveaux commissaires envoyés de Rome l'obligèrent à mettre bas les armes et à souscrire au traité de paix qu'ils lui présentèrent. Ce traité portait que Prusias donnerait pour le présent vingt galères pontées à At- tale, qu'il lui paierait cinq cents talents ^ (cinq cent mille écus) dans l'espace de vingt ans; que les cfeux rois se renfermeraient dans les bornes de leur état, telles qu'elles étaient avant la guerre; que Prusias, en réparation des dommages qu'il avait causés dans les terres de quelques villes voisines qui étaient nommées, leur restituerait cent talents ^ (cent mille écus). Quand il eut accepté et signé ces conditions, Attale ramena ses troupes tant de terre que de mer danè son royaume. Ainsi fut terminée la guerre que les différends d' Attale et de Prusias avaient allumée. p^, ,^ Le jeune Attale , fds d'Eumène , quand la paix eut Légat. 140. ^1^^ établie entre les deux états , fit le voyage de Rome pour se faire connaître au sénat, pour demander la continuation de son amitié , et sans doute aussi pour le remercier de la protection qu'il avait accordée à son oncle , qui régnait en son nom. Il reçut du sénat toutes les marques d'amitié qu'il devait attendre , et tous les honneurs qui convenaient à son âge : après quoi il repartit pour ses états. A M 3855 Prusias envoya aussi dans la suite son fils ISTicomède Av.j.c.1/,9. ^^ Rome ; et sachant qu'il y était fort considéré, il le Appian. m v j <■ 2i75o,ooo fr. — L. * 55o,ooo fr. — L. SL) CCESSKURS J)' A LEX A.NDKE. [\ll cliargea de demander au sénat (ju'il lui remît ce qu'il Mninidit. lui restait à payer de la sonnne ([u'il devait h. Attale. j'iisiinûs. Il lui associa Menas dans cette ambassade. Il l'avait ' '"*^''*' chargé de faire mourir secrètement ce jeune prince : c'était pour avancer les enfants (|u'il avait eus d'une seconde fennne. La grâce ([ue demandail Prusias lui fut refusée , l'ambassadeur d' Attale ayant montré que cette somme n'égalait pas l\ beaucoup près les torts qu'on avait faits à son maître. Menas , au lieu d'exé- cuter l'affreuse commission dont il s'était chargé, dé- couvrit le tout à Nicomède. Ce jeune prince , étant Aw.M.ss^r). ■' . ^. ' Av.j.c.148. sorti de Rome pour retourner en Bithynie , crut de- voir prévenir les desseins meurtriers de son père. Sou- teim du secours d'Attale , il se révolte contre lui , et entraîne dans son parti la plus grande partie du peuple , de qui Prusias s'était fait haïr par ses vio- lences et ses cruautés. Ce malheureux ])rince , aban- donné de tous ses sujets , se réfugia dans un temple , où il fut tué par des soldats qu'avait envoyés Nico- mède, et, selon quelques-uns, par Nicomède même. Quelles horreurs de part et d'autre! Prusias était sur- nommé le chasseiu' j et avait régné au moins trente- six ans. C'est chez lui qu'Annibal s'était retiré. Ce roi de Bithynie , du coté du corps, n'avait rien Poiyb. in ([ui prévint en sa faveur; et il n'était pas mieux avan- ., /n^^'ir/,. tagé du côté de lame. Ce n'était par la taille qu'une moitié d'homme , et qu'une femme par le cœur et le courage. Non -seulement il était timide, mais encore mou , incapable de travail : en un mot , d'un corps et d'un esprit efféminés ; défaut qu'on n'aime nulle part dans les rois, mais qu'on aimait moins encore qu'ail- burs chez les Bithyniens. Les belles-lettres , la philo- 422 HISTOIRE ANCIENNE. Sophie , et toutes les autres connaissances qui en dé- pendent, lui étaient parfaitement étrangères : enfin, il n'avait nulle idée du beau ni de l'honnête; nuit et jour il vivait en vrai Sardanapale. Aussi ses sujets , à la première lueur d'espérance, se portèrent-ils avec im- pétuosité à prendre parti contre lui , et à le punir de la manière dont il les avait gouvernés. J'ai différé de parler de deux ambassades qui arri- vèrent à Rome à peu près dans le même temps. An. M. 3849- L'une venait de la part des Athéniens, qui, ayant (lie i. 2, dé été condamnés par une sentence des Sicyoniens , mais AuLGeU. sous Tautorité du sénat de Rome, à une amende de hb. 7,c. 14. q[i^(^^ cents talents % pour avoir ravagé les terres de la ville d'Orope , envoyaient demander la remise de cette amende. Les ambassadeurs étaient trois célèbres phi- losophes : Carnéade , de la secte académique; Dio- gène, de la secte stoïque ; et Critolaïis, péripatéticien. Le goût de la philosophie et de l'éloquence n'avait pas encore pénétré jusqu'à Rome ; ce fut à peu près dans le temps dont nous parlons qu'il commença à s'y répandre, et la réputation de ces trois philosophes n'y contribua pas peu. Les jeunes gens de Rome qui avaient quelque goût pour les sciences se firent un honneur et un plaisir de les visiter , et étaient ravis d'admiration en les entendant, sur-tout à l'égard de Carnéade , dont l'éloquence vive et douce , solide et ornée en même temps , les enlevait et les enchantait. Par-tout on disait qu'il était arrivé un Grec d'un rare mérite , qui était au-dessus de l'homme par son grand savoir, et qui, calmant et adoucissant par son élo- ' Quinze cent mille livres. SUCCESSEURS u' A LE X iV JV DRE. 4^3 ([Licnce les passions les plus violentes , inspirait aux jeunes gens un certain amour qui les portait à quitter tous les autres plaisirs et toutes les autres occupations pour se livrer uni<{uenient à la philosophie. Il eut pour auditeurs tout ce (ju'il y avait de personnes con- sidérables à llonie. Ses discours, traduits en latin par un des sénateurs , coururent dans toute la ville. Tous les Romains voyaient avec grande joie leurs enfants s'adonner à cette érudition grecque , et s'attacher à ces hommes merveilleux. Le seul Caton en parut fâché, craignant que ce goût des belles-lettres n'étouffât dans les jeunes gens celui de la science militaire , et qu'ils ne préférassent la gloire de bien parler à celle de bien faire. L'exemple du second Scipion l'Africain, élevé, dons ce temps-là même, par les soins de Polybe, dans le goût des sciences , montre combien cette préven- tion de Caton était mal fondée. Quoi qu'il en soit , il (it de vifs reproches aux sénateurs de ce (ju'ils rete- naient si long-temps ces ambassadeurs dans la ville ; et ayant fait expédier l'affaire qui les y avait amenés, il hâta leur départ. Par le jugement du sénat, l'a- mende à laquelle les Athéniens avaient été condanniés fut modérée, et réduite à cent talents au lieu de cin([ cents. L'autre ambassade était envoyée par les Marseillais. Poivi,. hi ils avaient déjà été souvent inquiétés par les Ligu- riens '■ ; mais , dans le temps dont nous parlons, réduits aux dernières extrémités, ils envoyèrent à Rome des ambassadeurs pour implorer le secours du sénat. Il ' La Ligurie répondait eu partie = Excepté qu'elle s'étendait an à ce qu'on appelle maintenant la nord jusqu'au fleuve du Pô. — L. cote de Gènes. Légat. l'Ji et 4.24 HISTOIRE ANCIENNE. fut résolu qu'on députerait vers les Liguriens pour les rappeler à des sentiments d'équité et de paix par la voie de la douceur et de la négociation. Ils n'en de- vinrent que plus fiers, et portèrent l'insolence jusqu'à maltraiter les députés et à violer dans leur personne le droit des gens. Le sénat , informé de ce triste évé- nement , fit partir sur-le-champ le consul Quintus Opimius avec une armée. Il mit le siège devant la ville' où l'insulte avait été faite aux ambassadeurs ro- mains , la prit d'assaut , en réduisit les habitants en esclavage , et envoya liés et garrottés à Rome les prin- cipaux auteurs de l'insulte pour y être punis comme ils le méritaient. Les Liguriens furent battus plusieurs fois et taillés en pièces. Le vainqueur distribua aux Marseillais toutes les terres qu'il venait de conquérir. Il voulut que les Liguriens envoyassent à Marseille des otages que l'on changerait de temps en temps pour les tenir en bride , et pour les empêcher d'in- c[uiéter encore les Marseillais comme ils avaient fait jusque-là. Rome a 'toujours eu une extrême considération pour les Marseillais , fondée sur leur rare mérite et sur la fidélité inviolable avec laquelle ils avaient été toujours attachés au parti des Romains. Us étaient originaires He< od. 1. I , de Phocée , ville de l'Ionie. Lorsque Cyrus envoya j.istm't'i.Ts, Harpagus pour l'assiéger , ses habitants , plutôt que *'''i'-^' de subir le joug et de se soumettre aux barbares, comme tant d'autres avaient fait, s'embarquèrent , eux , leurs femmes et leurs enfants , avec tous leurs effets ; et, après divers événements, ayant jeté dans la mer une masse de fer ardente , ils s'engagèrent tous par ' jEgitna. SUCCESSEURS d' ALEX AIV DR E. 4^5 serment de ne point revenir à Pliocée ([ue celte niasse de fer n'eût surnagé sur l'eau ; et dans la suite, étant abordés aux rives di' la (îaule, près de l'embouchure du Rhône , ils s'y établirent du consentement du roi de cette contrée , et bâtirent une ville qui fut depuis appelée Marseille. Quelques auteurs croient que cette ville subsistait déjà , et qu'elle avait été fondée par une ancienne colonie des mêmes Phocéens , sous le règne de Tarcjuin l'ancien , vers la deuxième année de la l\^^ olympiade , environ six cents ans avant la naissance de Jésus-Christ , et que ceux ([ui vinrent s'y établir en fuyant Ilarpagus en furent nommés les fondateurs , parce qu'ils augmentèrent beaucoup l'é- tendue et la puissance de cette ville. Cette seconde fondation se fit la Go*^ olympiade , environ cinq cent quarante ans avant Jésus-Christ , pendant que Servius ïullius régnait à Rome. Le roi qui les avait reçus dans ses états avec bonté Justin i.v^, étant mort, son fils ne se montra pas si favorable à leur égard. La puissance naissante de leur ville lui donna de l'ombrage. On lui fit entendre que ces étran- gers, qu'on avait reçus dans le pays à titre d'hôtes et de suppliants , pourraient bien un jour s'en rendre les maîtres à titre de conquête. On employa à cet ef- fet l'apologue de la chienne , qui demanda d'abord à sa compagne sa cabane pour huit jours seulement, afin d'y mettre bas ses petits; puis, à force de prières, obtint un second terme pour avoir le temps de les nourrir ; et enfin , quand ils furent grands et forts , se rendit maîtresse et propriétaire d'un lieu d'oîi l'on ne pouvait plus la chasser. Les Marseillais eurent donc d'abord une rude guerre à essuyer ; mais ayant rem- 4^6 HISTOIRE ANCIENNE. porté la victoire , ils demeurèrent paisibles possesseurs du terrain qu'on leur avait accordé , et ne s'y tinrent pas long-temps enfermés. stiab-ii i8o. Ils établirent dans la suite plusieurs colonies , et bâtirent plusieurs villes , Agde , Nice, Antibes, Olbie , qui étendirent fort leur domaine et augmentèrent leur puissance. Ils avaient des ports , des arsenaux , des flottes qui les rendaient formidables à leurs ennemis. Justin. 1.43, Tant de nouveaux établissements contribuèrent à répandre davantage les Grecs dans les Gaules, et y causèrent un changement merveilleux. Les Gaulois, quittant peu à peu leur ancienne rusticité , commen- cèrent à s'humaniser, et à prendre des mœurs plus douces. Au lieu que , pour la plupart , ils ne respi- raient auparavant que les armes , ils s'accoutumèrent à suivre les lois d'un sage gouvernement. Ils apprirent à mettre en valeur les terres , à cultiver les vignes, à planter des oliviers. Par tous ces moyens ^ , il se fit un si merveilleux changement et dans les provinces et dans les peuples qui les habitaient, qu'on eût dit, non que la Grèce était passée dans les Gaules , mais que les Gaules avaient été transférées dans la Grèce. stiai). 1. 4, Les habitants de la nouvelle ville y firent des lois pag '79- très-sages pour la police et pour le gouvernement , qui était aristocratique , c'est-à-dire entre les mains des anciens. Six cents sénateurs formaient le conseil de la ville ; ils exerçaient leur charge pendant toute leur vie. De ce nombre, on en choisissait quinze pour prendre soin du courant des affaires , et trois pour ' « Adeô iiiagnus et homiiiibus et Gallia in Graîciam translata videre- rebus impositus est nitor , iit non tur.» (Justin.) Graecla iu Galliaiu ejuigrasse, sed SUCCESSEURS d' ALEX A N I) Il E. 4^7 présider aux assemblées en qualité de premiers ma- gistrats. L'hospitalité était chez les Marseillais en une sin- ..y»'- Max. l liL. 2, c. 0. gulière recommandation, et s'y exerçait avec toute sorte d'humanité. Pour maintenir la sûreté de l'a- syle quils donnaient aux étrangers, on ne souffrait point que personne entrât armé dans la ville. Il y avait à la porte des gens préposés |)()ur garder les armes de ceux qui y entraient, et pour les leur rendre à leur sortie. On en fermait l'entrée à tous ceux qui auraient voulu y introduire ou la paresse, ou une vie délicate et voluptueuse; et l'on avait un soin particulier d'en écarter toute duplicité et tout mensonge. Ils se piquaient sur -tout de sobriété, de frugalité, sn-.ib.p.iSi. de modestie. Chez eux la dot la plus considérable ne passait jam.ais cent pièces d'or, c'est-à-dire à peu près cent pistoles. On n'en pouvait employer que cinq pour les habillements, et autant pour les bijoux. Valère lu.. 7,0. 6. Maxime, qui vivait sous Tibère, admire les règlements de police qui s'observaient encore de son temps à Mar- seille. « Cette ville ^ , dit-il , austère gardienne de Tan- ce cienne sévérité des mœurs, exclut de son théâtre les « comédiens dont les pièces roulent en grande partie « sur des amours illicites. » La raison qu'on apporte de cette maxime est encore plus belle et plus remarqua- ble que la maxime même : « De peur, ajoute l'auteur, « ([u'en se familiarisant avec ces sortes de spectacles , ' "Eadem civitas severitatis custos nent actus , ne talia spectancli cou- acerrima est : nullum aditiim in -sc-e- suetudo etiam imitandi licentiam iiain nlniis dandu , quorum argumen- sumat. >> ta majore ex parte stuprorum couti- /pS IIISÏOIKE ANCIENNE. « on ne se portât aisément à imiter ce qu'ils repré- « sentent. » Elle voulait que la cérémonie des funérailles se fît sans ces pleurs et ces lamentations indécentes qui ont coutume de l'accompagner, et qu'elle se terminât le jour même par un sacrifice domestique et par un re- pas entre les parents et les amis. «Car enfin, con- « vient-il de s'abandonner sans bornes h une douleur « humaine ^ , ou de savoir mauvais gré à la Divinité « de ce qu'il ne lui a pas plu de partager son immor- « talité avec nous ? » Tacite dit un mot de la ville de Marseille , qui en est un grand éloge : c'est dans la vie de Julius Agri- cola , son beau-père. Après avoir parlé de l'excellente éducation qu'il reçut par les soins et la tendre affec- tion de Julia Procilla ^ , sa mère , dame d'une rare vertu , qui lui fit employer les premières années de sa jeunesse dans l'étude des arts et des sciences qui convenaient a sa naissance et à son âge, il ajoute : « Ce qui lui épar- « gna les dangers qui entraînent ordinairement les jeu- ce nés gens dans le désordre, fut, outre son bon natu- « rel, le bonheur d'avoir pour école, dès son enfance, « la ville de Marseille, qui, par un heureux mélange, (( joint à la politesse des Grecs la simplicité et la re- « tenue des provinces. » Arcebat eiun ab iUecebris pec- cantium ^ prœter ipsius boiiam integramque naturani, qiîbd slat'un par^'ulus sedem ac magistram sliidionini « « Et enim quîd atlînet , aut hu- castitatis. lu hujus siiiu indulgen- mano dolori indulgeri, aut divino tiaque educatus , per omnem hones- nuinini invidlaui lîeii , quôd immor- taruin artiuin cidtum pueritiam ado- talitatem suam nobiscum paitirl no- lescentiamque transegit. » (Tac. in luerit?» .^ij'Wc. cap. 40 ^ « Mater Julia Procilla fuit , rarœ SUCCESSEURS d' ALEX ANDRE. ^"2^ I\lassilia?n liahiierit ^ locuin grœcâ comllate et provin- ciali parcinionid mis/ uni cic bcne composUiun. On voit, par ce que jo viens de rapporter, que Mar- seille était devenue une école célèbre de politesse , de sagesse, de vertu , et en même temps de tous les arts et de toutes les sciences. On y professait publiquement l'éloquence, la pbilosopbie, la médecine, les mathé- matiques, la jurisprudence, la théologie fiibuleuse, et toute sorte de littérature. C'est du sein de cette ville voss. 1 "Il "1 1 Hy-v • 1 '" Histor. qu est sorti le plus ancien des savants de i Occident, gra>c. je veux dire Pythéas, très-habile géographe et astro- nome, qui vivait du temps de Ptolémée Philadelphe , ou même d'Alexandre-le-Grand. Elle continua toujours de cultiver les arts et les sciences avec la môme ardeur et le même succès. Stra- bon rapporte que de son temps (il vivait sous Auguste ) la jeune noblesse de Rome allait se former à Marseille, à qui il donnait la préférence même sur la ville d'A- thènes. C'est beaucoup dire, et nous avons déjà vu qu'elle était encore en possession de ce privilège du temps de Tacite l'historien. Les Marseillais ne se distinguèrent pas moins par la sagesse de leur gouvernement que par leur habileté et leur goût pour l'étude. Cicéron, dans une de ses harangues , relève extrêmement la manière dont ils conduisaient leur république. « On peut assurer' , dit- ce il, que non -seulement dans la Grèce, mais même ' << Cujuse},'o civitatîsdisciplinam quiim in ultiniis terris cincta Gallo- atque gravitatem,non solùmGrœcirc, rum gciitihus , barbariœ fluclibus al- sed haud scio an cunctis gentibus, luatur, sic optiraatum consilio gu- anteponendam jure dicam : quœ taiu bernatur , ut oranes ejus înstituta procul a Grseciiruiu omnium regio- laiidare faciliùs possint , quàm acmu- nibns, disciplinis, linguâque divisa lari. >> {^Orat. pro Flacco , ii. 63.) /j3o HISTOIRE ANCIENNE. « parmi toutes les autres nations, rien n'est compara- « ble à la sage police établie à Marseille. Cette ville , « si fort éloignée du pays, des mœurs et du langage de « tous les autres Grecs, placée dans les Gaules au nii- « lieu de peuples barbares qui l'environnent de toutes « parts, est conduite si prudemment par les conseils de « ses anciens, qu'il est plus aisé de louer la sagesse de « son gouvernement que de l'imiter. » strab.p.So. l's avaient posé pour règle fondamentale de leur po- litique , dont ils ne se départirent jamais, de se tenir attachés inviolablement aux Romains , aux mœurs des- quels leur caractère était bien plus conforme qu'à celles des barbares qui les environnaient. D'ailleurs le voisi- nage des Liguriens, dont ils étaient également enne- mis, devait contribuer à les unir par l'intérêt com- mun , cette union les mettant en état de faire une utile diversion de part et d'autre, en-deçcà et en-deLi des Alpes. Ils rendirent donc aux Romains de grands ser- vices dans tous les temps, et ils en reçurent aussi en plusieurs occasions des secours considérables. Justin.1.43, Justin rapporte un fait qui serait bien honorable *'^^'^' pour les Marseillais, s'il était bien constant. Ayant ap- pris que les Gaulois avaient pris et brûlé Rome, ils pleurèrent ce désastre de leurs alliés comme s'il était arrivé à leur propre ville. Ils ne s'en tinrent pas à de stériles larmes; de l'or et de l'argent, tant pu])Iic que particulier, qui se trouva chez eux, ils formèrent la somme à laquelle les Gaulois avaient taxé les vaincus pour leur faire acheter la paix, et l'envoyèrent à Rome. Les Romains, infiniment sensibles à une si noble gé- nérosité, accordèrent à Marseille le privilège d'immu- nité, et le droit de séance aux spectacles entre les se- SUrCESSETTRS d'aT.FX ANDRF. f\?>\ natrurs. Ce qui est l)ien certain, c'est ([ue jicndaiit la i.iv. iih. 5..1, guerre contre Annihal, Marseille aida les llomains par i.ir,,n,' :{<;.' toutes sortes de bons offices, sans (jue les mauvais suc- cès qu'ils eurent dans les premières années de la guerre, et fjui leur enlevèrent presque tous leurs alliés, fussent capables d'ébranler le moins du monde leur fidélité. Dans la guerre civile entre César et Pompée, cette ville garda une conduite qui marque bien la sagesse de son çouvernement. César, à qui elle avait fermé c-nsar. do „ . , , . , licll. Civil. ses portes, ht venir dans son camp les quuize sena- lib. i. teurs qui avaient en main l'autorité , et leur représenta qu'il était fâcheux que la guerre commençât par l'at- ta([ue de leur ville; (ju'ils devaient plutôt se rendre à l'autorité de toute l'Italie que de se livrer aveuglément au désirs d'un seul homme ; et il ajouta tous les mo- tifs les plus capables de les toucher. Après avoir fait leur rapport au sénat, ils revinrent dans le camp, et rendirent réponse à César : qu'ils savaient que le peu- ple romain était divisé en deux partis ^ ; qu'il ne leur appartenait point de décider de quel côté était le bon droit : que les deux chefs de ces partis étaient égale- ment les protecteurs de leur ville; que tous deux en étaient les amis et les bienfaiteurs : que , pour cette raison, obligés de leur témoigner à tous deux égale- ment leur reconnaissance, il était de leur devoir de ne point aider l'un au préjudice de l'autre, et de ne le point recevoir dans leur ville ni dans leur port. Ils ' •< Intelligere se divisum esse po- rem patronos civitatis... Paribus eo- puluin in partes duas : iieque sui ju- rum benelîcirs parem se quoque dicii, iieqiie suarmn esse virium dis- volunlatem tribuere debere, et neu- cernere ulra pars justiorera habeat triim eoruiii contra alleruni juvare, causam: principes \ero esse earuni aut urbe aut portubus recipere.» parlium Cn. Ponipeituu et C.Caesa- 432 HISTOIRE ANCIENNE. Cavs.de souffrirent un long siège, où ils firent paraître tout le ^lib 2.' courage possible; mais enfin l'extrême nécessité oii ils se trouvèrent réduits, manquant de tout, les obligea de se rendre. Quelque irrité que fût César d'une ré- sistance si opiniâtre , il ne put refuser à l'ancienne ré- putation de la ville de la sauver du pillage et de con- server ses citoyens. Je croirais avoir dérobé quelque chose à la gloire de la nation, et à celle d'une ville qui tient un des premiers rangs dans le royaume, si je n'avais ramassé ici une partie des témoignages avantageux que l'anti- quité lui rend. J'espère que les lecteurs me pardonne- ront cette digression , qui d'ailleurs entre dans mon plan , et fait partie de l'histoire grecque. Les affaires de la Grèce, de la Bithynie, dePergame, et quelques autres que j'ai cru devoir traiter de suite et sans interruption, m'ont fait suspendre celles de la Macédoine, de la Syrie et de l'Egypte; il est temps d'y revenir. Je commencerai par la Macédoine. § III. Andriscus y qui se disait fils de Persée^ se rend maître de la Macédoine et s'y fait proclamer roi. Le préteur Juventius V attaque ^ et est tué dans le combat avec une partie de son armée. Métel- lus , qui lui succède, répare cette perte. L'usur- pateur est vaincu , pris et envoyé à Rome. Un secondât un troisième usurpateur sont pareil- lement vaincus. M 3S5a Quinze ou seize ans après la défaite et la mort de Av j.c. i52. Persée, un certain Andriscus d'Adramvtte, ville de la Kpitom. ' _ J ' LivLi, Troade dans l'Asie Mineure, homme de la plus basse SUCCESSr.UIlS i/aLEXA]\1)RI-. 4'^3 naissance, se donnant, ])oijr un fils de Perséc, prit le lii,. 48-50. n^in de Pliilippe, et entra en Macédoine dans Tespé- ex^'îw. rance de s'y faire reconnaître pour roi par les habi- i^"^*"c'"i'; tants du pays. Il avait composé sur sa naissance une ^■''"•"«. i- '^t f 1 I '1 l'i • • V -1 . / cap. 14. fal)le (juil débitait partout ou il passait, prétendant qu'il était né d'une concubine de Persée, et que ce prince l'avait fait élever secrètement à Adramytte, afin qu'en cas de malbeur dans la guerre qu'il faisait con- tre les Romains, il restât (pielque rejeton de la race royale; qu'après la mort de Persée, il avait été nourri et élevé à Adramytte jusqu'à l'jige de douze ans; et que celui qui passait pour son père , se voyant près de mourir, avait révélé le secret à sa femme, lui avait confié un écrit signé de la main de Persée, qui attes- tait tout ce qui vient d'être dit , et qu'elle devait re- mettre entre les mains de lui Philippe lorsqu'il serait en Age de se sentir. Il ajoutait que, son mari l'ayant conjurée de tenir la chose absolument cachée jus(jue-là , elle avait été très-fidèle à garder le secret, et lui avait remis cet écrit important dans le temps manjué, en le pressant de sortir du pays avant que ce bruit fût par- venu aux oreilles d'Eumène, ennemi déclaré de Per- sée , de peur qu'il ne le fît mourir. Il avait espéré qu'on le croirait sur sa parole, et qu'il se ferait dans la Ma- cédoine un grand mouvement en sa faveur. Quand il vit que tout y demeurait tranquille, il se retira en Sy- rie, chez Démétrius Soter, dont la sœur avait épousé Persée. Ce prince , qui connut tout d'un coup la fourbe , le fit arrêter et l'envoya à Rome. Comme il ne produisait aucune preuve de sa pré- tendue noblesse, et quil n'avait rien dans l'extérieur ni dans les manières qui ressentît le prince, on n'en fit Tome fin. Hist. anc. 2 3 434 HISTOIRE ANCIENNE. pas grand cas à Rome, et il y fut traité avec beau- coup de mépris, sans qu'on se mît en peine de le gar- der exactement et de le tenir resserré de fort près. Il AN.M.3S54. profita de la néglisence de ses s^ardes et s'échappa de Av.J.C.iSo. ^ / , 11 Rome. Ayant trouve le moyen de lever une assez grosse armée chez les Thraces , qui entrèrent dans ses vues , pour se délivrer ensuite par son moyen du joug des Ro- mains , il se rendit maître de la Macédoine , soit de gré , soit de force, et prit les marques de la dignité royale. Non content de cette première conquête , qui lui avait peu coûté, il attaqua la Thessalie et en soumit une partie à ses lois. Jja chose pour -lors commença à paraître plus sé- rieuse aux Romains. Ils nommèrent Scipion Nasica pour aller apaiser ce tumulte dans sa naissance, le jugeant très-propre pour cette commission. En effet, il avait l'art de manier les esprits , et de les amener à son point par la persuasion ; et si Ton se trouvait obligé de décider cette affaire par les armes , il était très- capable de former un projet avec sagesse et de l'exécu- ter avec courage. Dès qu'il fut arrivé en Grèce, et qu'il eut été exactement instruit de l'état des affaires dans la Macédoine et dans la Thessalie , il en donna avis au sénat, et, sans perdre de temps, il parcourut les villes des alliés afin de lever promptement des trou- pes pour la défense de la Thessalie. Les Achéens , qui étaient encore pour-lors les plus puissants de la Grèce, furent ceux qui lui en fournirent le plus grand nom- bre, oubliant leurs mécontentements passés. Il enleva bientôt au faux Philippe toutes les villes qu'il avait prises dans la Thessalie, en chassa ses garnisons, et le repoussa lui-même dans la Macédoine. PT^CCESSEURS d'aLEXANDRF. /|35 Cependant à Rome on vit bien, sur les lettres de an.m.3s;ï5. Scipion, que la Macédoine avait besoin d'un prompt ^ ''*■' secours. Le préteur P. Juventius Thalna eut ordre d'y passer au plus tôt avec une armée. Il s'y rendit sans perdre de temps. Mais ne regardant Andriscus que comme un roi de tliéatre, il ne crut pas devoir pren- dre de grandes précautions contre lui, et il s'engagea témérairement dans un combat , où il perdit la vie avec une partie de son armée : le reste ne se sauva qu'à la faveur de la nuit. Le vainqueur , enorgueilli par cet heureux succès, et croyant son autorité suffisamment établie, s'abandonna à tous ses mauvais penchants sans mesure et sans retenue , comme si c'était être vérita- blement roi de ne reconnaître d'autre loi ni d'autre règle que sa passion. Il jetait avare, fier, cruel .«On ne voyait par-tout que violences, que confiscations de biens, que meurtres. Profitant de la terreur que la défaite des Romains avait jetée dans les esprits, il recouvra bientôt tout ce qu'il avait perdu en Thessalie. Une am- bassade que les Carthaginois , qui étaient actuellement attaqués par les Romains, lui envoyèrent, avec pro- messe d'un prompt secours , lui enfla extrêmement le courage. Q. Cécilius Metellus, nommé récemment préteur, Aw.M.BSàfi. avait pris la place de Juventius. Andriscus avait résolu d'aller à sa rencontre ; mais il ne crut pas devoir s'é- loigner beaucoup de la mer, et il s'arrêta à Pydna, où il fortifia son camp. Le préteur romain l'y sui- vit bientôt. Les deux armées étaient en présence. Il se donnait tous les jours des escarmouches. Andriscus remporta un avantage assez considérable dans un petit combat de cavalerie. Le succès aveugle ordinairement 9.8. 436 HISTOIRE ANCIENNE. ceux qui ont peu d'expérience, et leur devient funeste. Andriscus, se croyant supérieur aux Romains, fît un gix3S détachement pour défendre ses conquêtes en Thes- salie. Ce fut une faute grossière; et Métellus, qui était attentif à tout , ne manqua pas d'en profiter. L'armée restée en Macédoine fut battue, et Andriscus obligé de prendre la fuite. Il s'était retiré chez les Thraces, d'oîi il revint bientôt avec une nouvelle armée. Il eut la té- mérité de hasarder une seconde bataille , qui fut encore moins heureuse pour lui que la première. Il y eut dans ces deux combats plus de vingt-cinq mille hommes dé tués. 11 ne manquait à la gloire du Romain que de se saisir d'Andriscus, qui s'était réfugié chez un petit roi de Thrace, à la bonne foi duquel il s'était abandonné. Mais 1q3 Thraces ne se piquaient pas trop de bonne foi, et la faisaient céder à leurs intérêts. Celui-ci remit son hôte et son suppliant entre les mains de Métellus, pour ne point s'attirer la colère et les amies des Ro- mains : il fut envoyé à Rome. Un autre aventurier, qui se disait aussi fils de Per- sée, et qui se faisait nommer Alexandre ^ eut le même sort que le premier, si ce n'est que Métellus ne put l'arrêter: il s'était retiré dans la Dardanie, où il se tint caché. Ce fut pour-lors que la Macédoine fut entièrement soumise aux Romains , et réduite en province. Un troisième usurpateur, quelques années après, parut encore sur les rangs , et se donna pour fils de Persée , sous le nom de Philippe. Sa prétendue royauté fut de peu de durée. Il fut vaincu et tué en Macédoine vano de P''^^' Trémcllius , surnommé Scrq/a, parce qu'il avait dit qu'il dissiperait les ennemis, ut scrofa porcos. Re Rustic. 1. II, c. 4. SLCCESSELRS d' A LEX A iV DR i;. l\5'J § IV. Troubles dans VAchaïe : elle déclare la guerre aux Lacédémoniens. Métellus envoie des députés à Corinthe pour apaiser les troubles: ils sont maltraités. Thèbes et Clialcis se joignent aux Achéens. Métellus., après les avoir exhortés inutilement à la paix , leur livre an combat, et les défait. Le consul Mumnnus lui succède , et, après le gain d'une bataille , prend Corinthe, y met le feu , et la détruit de fond en comble. La Grèce est réduite en province romaine. Diverses actions et mort de Poljbe. Triomphes de Mé- tellus et de Mumniius. Métellus, après avoir pacifié la Macédoine, y de- An.m. 3357. meiira encore quelque temps. Il s'était élevé dans la 'pàusau.'ia ligue des Achéens de violents troubles, excités par la p.'^a'r-laS témérité et l'avarice de ceux qui y occupaient les pre- Po'j'^Leg. niières places. Ce n'étaient plus la raison, la prudence, '^ ■" 1, , . / . . , . , Excerpt. de 1 équité, qui formaient les résolutions des assemblées, vin. et vit. • iv / \ I • 1 • 1 . P- 181 -189. mais 1 intérêt et la passion des magistrats, et le caprice Justin. aveugle d'une multitude intraitable. La ligue acliéenne pioniib. 2, et Sparte avaient envoyé des ambassadeurs à Rome sur '^"^'" * " une affaire qui les partageait. Damocrite cependant (c'était le premier magistrat des Achéens) avait fait déclarer la guerre à Sparte. Métellus le fit prier de surseoir les hostilités, et d'attendre l'arrivée des com- missaires que Rome avait nommés pour terminer leurs querelles. Il n'en fit rien, non plus que Diaeus, qui lui avait succédé. L'un et l'autre entrèrent à main armée dans la Laconie, et la ravagèrent. Les commissaires étant arrivés, l'assemblée fut coii- 438 HISTOIRE ANCIENNE, voquée à Corinthe. ( Aurélius Orestes était à la tête de la commission. ) Le sénat leur avait donné ordre d'af- faiblir le corps de la ligue, et pour cela d'en séparer le plus de villes qu'ils pourraient. Orestes notifia à l'asseiAblée le décret du sénat, qui tirait de la ligue Sparte, Corinthe, Argos, Héraclée, près du mont OEta , et Orchomène d'Arcadie , sous prétexte que ces villes n'avaient point fait d'abord partie du corps des Achéens. Quand les députés , sortis de l'assemblée , eurent rendu compte de ce décret à la multitude, elle entra en fureur, se jeta sur tous les Lacédémoniens qui se rencontrèrent à Corinthe, et les massacra, arracha de la maison des commissaires ceux qui s'y étaient ré- fugiés , et les aurait eux - mêmes maltraités s'ils ne s'étaient dérobés à sa violence par la fuite. Orestes et ses collègues, de retour à Rome, expo- sèrent ce qui leur était arrivé. Le sénat en fut très- indigné, et députa sur-le-champ Julius dans l'Achaïe, avec quelques autres commissaires ; mais il les chargea de se plaindre modérément, et d'exhorter simplement les Achéens à ne pas prêter l'oreille à de mauvais con- seils, de peur que, par imprudence, ils n'encourussent la disgrâce des Romains , malheur qu'ils pouvaient éviter en punissant eux-mêmes ceux qui les y avaient exposés. Cartilage n'était pas encore prise , et l'on avait intérêt de ménager des alliés aussi puissants que les Achéens. Les commissaires trouvèrent en chemin un député que les séditieux envoyaient à Rome : ils le ramenèrent avec eux à Egium, oii la diète de la nation avait été convoquée. Ils y parlèrent avec beaucoup de modération et de douceur. Dans leur discours ils n'in- sérèrent pas un mot du mauvais traitement fait aux srccESSEUiîs d'alexandre. 4^9 commissaires, ou ils l'excusèrent mieux que les Achéens eux-mêmes n'auraient fait. Us ne firent point mention non plus des villes qu'on voulait soustraire à la ligue. Ils se bornèrent à exhorter le conseil à ne pas agraver leur première faute, à ne pas irriter davantage les Romains, et à laisser Lacédémone en paix. Des remon- trances si modérées furent extrêmement agréables à tout ce qu'il y avait de gens sensés. Mais Diœus, Cri- tolaùs, et ceux de leur faction, tous choisis dans chaque ville entre ce qu'il y avait de gens les plus scélérats, les plus impies, et les plus pernicieux, soufflaient dans les esprits le feu de la discorde, faisant entendre que la douceur des Romains ne venait que du mauvais état de leurs affaires en Afrique, où ils avaient eu du des- sous en plusieurs rencontres, et de la crainte qu'ils avaient que la ligue achéenne ne se déclarât contre eux. Cependant on prit avec les commissaires des ma- nières assez polies. On leur dit qu'on enverrait Théa- ridas à Rome ; qu'ils n'avaient qu'à se rendre à Tégée % qu'à traiter là avec les Lacédémoniens, et les disposer à la paix. Us s'y rendirent en effet , et amenèrent ceux de Lacédémone à s'accommoder avec les Acliéens et à suspendre toute hostilité, jusqu'à ce que de nouveaux commissaires vinssent de Rome pour pacifier tous leurs différends. JNIais la cabale de Critolaûs fit en sorte que personne , excepté ce magistrat , ne se rendît au con- grès. Pour lui , il y arriva lorsqu'on ne l'attendait pres- que plus. On conféra avec les Lacédémoniens; mais Critolaiis ne voulut se relâcher sur rien. Il dit qu'il ne lui était pas permis de rien décider sans l'aveu de la ' Ville située sur les bords de = Ville d'Arcadie , assez éloignée l'Eurotas. de lEurotas. — L. 44^^ HISTOIRE ANCIliiSNE. nation, et qu'il rapporterait l'affaire clans la diète gé- nérale, qui ne pourrait être convoquée que dans six mois. Cette mauvaise ruse, ou plutôt cette mauvaise foi, choqua vivement Julius. Après avoir congédié les Lacédémoniens, il partit pour Rome, où il dépeignit Critolaiïs comme un homme extravagant et furieux. Les commissaires ne furent pas plus tôt sortis du Péloponnèse , que Critolaiïs courut de ville en ville pendant tout l'hiver, et convoqua des assemblées sous prétexte de faire connaître ce qui avait été dit aux Lacédémoniens dans les conférences tenues à Tégée, mais, dans le fond, pour invectiver contre les Romains, et pour donner un tour odieux à tout ce qu'ils disaient, afin d'inspirer contre eux la haine et l'aversion dont il était animé lui-même , et il n'y réussit que trop. Il défendit de plus aux juges de poursuivre aucun Achéen, et de l'emprisonner pour dettes, jusqu'à la conclusion de l'affaire commencée entre la diète et Lacédémone. Par là il persuada tout ce qu'il voulut , et disposa la multitude à recevoir tous les ordres qu'il voudrait lui donner. Incapable de faire des réflexions sur l'avenir, elle se laissa prendre aux amorces du premier avantage qu'elle lui proposa. Métellus, ayant appris en Macédoine les troubles dont le Péloponnèse était agité, y députa quatre Ro- mains d'une naissance distinguée , qui arrivèrent à Corinthe dans le temps que le conseil y était assemblé. Ils y parlèrent avec beaucoup de modération, exhortant l*;s Achéens à ne pas s'attirer par une légèreté impru- dente et téméraire la colère des Roinains. Ils furent moqués, et chassés ignominieusement de l'assemblée. Il s'asseuîbla une troupe innombrable d'ouvriers et SUCCESSEURS Jd' A LEX A .V I) U E. 4'M d'artisans autour d'eux pour les insulter. Toutes les villes d'Achaïe étaient alors comme en délire : mais Corintlie l'emportait sur toutes les autres , et était livrée à une espèce de fureur. On leur avait persuadé que Rome voulait les asservir toutes, et détruire abso- lument la ligue achéenne. Critolaïis , voyant avec complaisance que tout réus- • sissait à son gré, harangue la multitude, l'irrite contre ceux des magistrats qui n'entraient pas dans ses vues, s'emporte contre les ambassadeurs mêmes, soulève les esprits contre Rome, et fait entendre que ce n'est point sans avoir pris de bonnes mesures qu'il avait en- trepris de faire tête aux Romains; qu'il avait des rois dans son parti, et que des républiques aussi étaient prêtes à s'y joindre. Par ces discours séditieux, il vint à bout de faire déclarer la guerre aux Lacédémonlens , et par contre-coup aux Romains. Alors les ambassa- deurs se séparèrent. Un d'eux se rendit à Lacédémone pour observer de là les démarches de. l'ennemi; un autre partit pour Naupacte ; et deux restèrent à Athènes, jusqu'à ce que Métellus y fût arrivé. Le magistrat des Béotiens ( il s'appelait Pfthcas)^ aussi téméraire et aussi violent que Critolaûs, entra dans ses vues, et engagea les Béotiens à joindre leurs armes à celles des Achéens : ils étaient mécontents d'un jugement que Rome avait rendu contre eux. La ville de Chalcis se laissa aussi entraîner dans leur parti. Les Achéens, avec de si faibles secours, se crurent en état de soutenir tout le poids de la puissance romaine, tant ' leur fureur les aveuglait ! Les Romains avaient choisi pour l'un des consuls A.>f.M.3858. Mun)mius, et l'avaient chargé de la guerre d'iVchaïe. 44^ HISTOIRE AKCIEIN^E. Métellus, pour lui enlever la gloire d'avoir terminé cette guerre, envoya de nouveaux ambassadeurs aux Achéens, et leur fît promettre que le peuple romain oublierait tout le passé, et leur pardonnerait leurs fautes, s'ils rentraient dans leur devoir, et s'ils consen- ta'ient que certaines villes, qu'on avait désignées au- paravant, fussent démembrées de la ligue. Cette pro- position fut rejetée avec hauteur. Alors Métellus fit avancer ses troupes contre les rebelles. Il les atteignit près de Scarphée, ville de la Locride, et remporta sur eux une victoire considérable, où il fit plus de mille prisonniers. Critolaûs disparut dans la bataille, sans qu'on ait su depuis ce qu'il était devenu. On croit qu'en fuyant il tomba dans des marais, où il fut noyé. Diaeus prit le commandement à sa place, accorda la liberté aux esclaves, et arma tout ce qui se trouva d'hommes, chez les Achéens et les Arcadiens, capables de porter les armes. Ce corps de troupes montait à quatorze mille fantassins, et six cents chevaux. Il or- donna encore à chaque ville d'autres levées. Les villes épuisées étaient dans la dernière désolation. Plusieurs particuliers réduits au désespoir se donnaient la mort; d'autres abandonnaient une patrie malheureuse, où ils voyaient pour eux une perte assurée. Malgré l'extrémité de ces maux, ils ne songeaient point à prendre l'unique parti qui pouvait les en délivrer. Ils détestaient la témérité de leurs chefs, et cependant la suivaient. Métellus , après le combat dont il a été parlé , ren- contra mille Arcadiens dans la Béotie près de Ché- ronée,qui cherchaient à retourner dans leur pays : ils furent tous passés au fil de l'épée. De là, il marcha SUCCESSIiLRS d'aLEXA-NDRE. 44^ avec son armée victorieuse vers Thèbes, qu'il trouva presque entièrement déserte. Touché du triste état de cette ville , d défendit qu'on touchât aux temples ou aux maisons, et qu'on tuât ou qu'on fit prisonniers aucuns des habitants qu'on trouverait dans la ville ou dans la campagne. Il excepta de ce nombre Pythéas, l'auteur de tous leurs maux, ([ui lui fut amené, et mis à mort. De Thèbes, après avoir pris IMégare, dont la garnison s'était retirée à son approche, il fit marcher ses troupes vers Corinthe , ou Diaeus s'était enfermé. Il y envoya trois des principaux de la ligue qui s'étaient réfugiés vers lui , pour exhorter les Achéens à revenir à eux, et à accepter les conditions de paix qu'on leur offrait. jNIétellus souhaitait passionnément de terminer l'affaire avant l'arrivée de Mummius. Les habitants, de leur côté, desiraient avec ardeur de voir finir leurs maux : mais ils n'étaient pas les maîtres, et la faction de Diaeus disposait de tout. Les députés furent jetés en prison, et auraient été mis à mort, si Diaeus n'eût vu la multitude extrêmement irritée du supplice qu'il avait fait souffrir à Sosicrate, qui parlait de se rendre aux Romains. Ainsi les prisonniers furent renvoyés. Les choses étaient en cet état lorsque Mummius ar- riva. Il avait hâté sa marche, dans la crainte de trouver tout pacifié à son arrivée, et qu'un autre que lui n'eût la gloire d'avoir terminé cette guerre. Métellus lui laissa le commandement, et retourna en Macédoine. Quand Mummius eut rassemblé toutes ses troupes, il s'approcha de la ville, et dressa son camp. Un corps- de- garde avancé se tenant négligemment dans son poste , les assiégés firent une sortie , l'attaquèrent vive- ment, en tuèrent plusieurs, et poursuivirent le reste 444 HlSTUlKE AyCiEiSSE. jusque près dû camp. Ce petit avantage enfla le courage des Achéens, et par là leur devint funeste. Diœus offrit la bataille au consul. Celui-ci, pour augmenter sa té- mérité, retient ses troupes dans le camp, comme si la crainte l'arrêtait. La joie et l'audace des Achéens s'ac- crurent à un point qui ne peut s'exprimer. Ils s'avan- cent fièrement avec toutes leurs troupes, avant placé leurs femmes et leurs enfants sur des hauteurs voisines pour être témoins du combat, et se faisant suivre d'un grand nombre de chariots destinés à porter le butin qu'on ferait sur les ennemis, tant ils comptaient sur une victoire assurée! Jamais confiance ne fut plus téméraire ni plus mal fondée. Les factieux avaient écarté du service et des conseils tout ce qu'il y avait de gens capables de com- mander les troupes et de conduire les affaires, et leur en avaient substitué d'autres sans talents et sans habi- leté, afin d'être plus maîtres du gouvernement, et de dominer sans résistance. Les chefs , sans connaissance de l'art militaire, sans courage, sans expérience, n'a- vaient pour tout mérite qu'une fureur aveugle et fré- nétique. C'était déjà la dernière des folies de hasarder sans nécessité une bataille qui devait décider de leur sort, au lieu de songer à se défendre long-temps et bra- vement dans une place aussi forte qu'était Corinthe , et à obtenir de bonnes conditions par une vigoureuse résistance. Le combat se donna près de Leucopétra '■ et du défilé de l'isthme. Le consul avait placé une partie de sa cavalerie dans une embuscade , d'où elle sortit à propos pour attaquer en flanc celle des Achéens, qui, surprise par une attaque imprévue, plia dans le ■ Ce lieu est Inconnu. SUCCESSEURS d'aLEXANDRT. 44^ moment. L'infanterie fit un peu plus de résistance : mais comme elle n'était plus ni couverte ni soutenue parla cavalerie, elle fut bientôt rompue, et mise en fuite. Si DiiTus s'était retiré dans la place; il aurait pu y tenir encore du temps, et obtenir une capitula- tion honorable de Mummius, (jui ne cherchait ({u'à terminer cette guerre. Mais, livré au désespoir, il cou- rut à toute bride vers Mégalopolis sa patrie , et , étant entré dans sa maison, il y mit le feu, tua sa femme pour l'empêcher de tomber entre les mains des enne- mis, avala du poison, et mit ainsi lui-même à sa vie une fin digne de tous les crimes qu'il avait commis. Après la déroute, les habitants perdirent l'espérance de se défendre. Comme ils se trouvaient sans conseil, sans chefs, sans courage, sans dessein , personne ne songea à rallier les débris de la défaite pour faire en- core quelque résistance, et pour obliger le Vainqueur à leur accorder quelque condition supportable. Ainsi tous ceux des Achéens qui s'étaient retirés à Corinthe, et la plupart des citoyens, en sortirent la nuit sui- vante, et se sauvèrent où ils purent. Le consul étant entré dans la ville, l'abandonna au pillage. On fit main- basse sur tout ce qui était resté d'hommes : les femmes et les enfants furent vendus : après avoir placé à l'écart les statues, les tableaux, et les meubles les plus pré- cieux , pour les envoyer à Rome , on mit le feu à toutes les maisons, et la ville entière ne fut plus qu'un incendie général, qui dura plusieurs jours. On prétend, mais sans fondement, que l'or, l'argent et l'airain , fon- dus ensemble dans cet incendie, formèrent un métal nouveau et précieux. Ensuite on abattit les nmrailles, et on les détruisit jusque dans les fondements. Tout 446 HISTOIRE ANCIENNE. cela s'exécutait par ordre du sénat, pour punir l'inso- lence des Corinthiens, qui avaient violé le droit des gens en maltraitant les ambassadeurs que Rome leur avait envoyés. Ainsi périt Corinthe , la même année que Carlhage fut prise et détruite par les Romains , neuf cent cin- quante-deux ans depuis qu'elle eut été fondée par Alé- tès, fils d'Hippotes, le sixième des descendants d'Her- cule. Il ne paraît point, ni qu'on songeât à lever de nouvelles troupes pour la défense du pays, ni qu'on convoquât aucune assemblée pour délibérer sur le parti qu'il fallait prendre, ni que personne se mît en devoir de proposer quelque remède aux maux publics , ni en- fin qu'on cherchât à apaiser les Romains par quelques députés qui auraient imploré leur clémence. On aurait dit, à voir cette inaction, que la ligue achéenne en- tière avait été ensevelie sous les ruines de Corinthe, tant l'affreuse destruction de cette ville avait jeté l'a- larme dans tous les esprits , et abattu généralement les courages! On punit aussi les villes qui avalent pris part à la révolte des Achéens, en abattant leurs murailles, et leur ôtant les armes. Les dix commissaires envoyés par le sénat pour régler, conjointement avec le consul, les affaires de la Grèce , abolirent dans toutes les villes le gouvernement populaire , et y établirent des magis- trats, qui devaient avoir de leur fonds un certain re- venu. Du reste, ils leur laissèrent leurs lois et leur li- berté. On abolit aussi toutes les assemblées communes qui se tenaient chez les Achéens, les Béotiens, les Phocéens , et autres peuples : mais elles furent réta- blies peu de temps après. Depuis ce temps - là , la SUCCESSEURS Jd' A LE X AND R E. 44? Grèce fut réduite en province romaine , sous le nom de province d'Achaïc, parce que, lors de la prise de Corinthe, les Achéens étaient le peuple le plus puis- sant de la Grèce : le peuple romain y envoyait tous les ans un préteur pour la gouverner. Rome, en détruisant ainsi Corinthe, crut devoir donner cet exemple de sévérité pour jeter la terreur parmi les peuples, que sa trop grande clémence ren- dait hardis et téméraires par l'espérance qu'ils avaient d'obtenir du peuple romain le pardon de leurs fautes. D'ailleurs ', la situation avantageuse de cette ville, où des peuples révoltés auraient pu se cantonner et en faire une place d'armes contre les Romains, les déter- mina à la ruiner absolument. Cicéron, qui n'improu- vait point qu'on eût traité de la sorte Carthage et Nu- mance, aurait souhaité qu'on eût épargné Corinthe. On vendit le butin pris dans Corinthe, et l'on en ^^^^^ j g tira des sommes considérables. Parmi les tableaux il v ..p-^'^'- •y Plin. lib. 7 , en avait un de la main du peintre le plus renommé "p. 3S;et de la Grèce ^, qui représentait Raccbus, dont la beauté ïo.' " ne fut point connue des Romains : ils ignoraient alors tout ce qui regarde les beaux-arts. Polybe, qui était pour-lors dans le pays, comme je le dirai bientôt, eut la douleur de voir ce tableau servir de table aux sol- dats pour jouer aux dés. Il fut adjugé à Attale, dans la vente qu'on fit du butin, pour six cent mille ses- ' «Majores nostrî... Caithaginem * Ce peintre s'appelait Aristide. et Numantiam funditùs sustulerunt. Le tableau dont il est parlé ici NoUem Corinthum. Sed credo illos était si estimé, qu'on disait cominu- secutos opportunitatem loci niaxi- nément : tous les tableaux ne sont mè, ne posset aliquandô ad bellum rien en comparaison de Bacchus. laciendum locus ipse adbortari. >> (Cic. tft'O^c. 1. r, n. 35.) 448 HISTOIRE ANCIENNE. terces, c'est-à-dire soixante-quinze mille livres '. Pline parle d'un autre tableau du même peintre, que le même Attale acheta cent talents, ou cent mille écus '. Les richesses de ce prince étaient immenses , et avaient passé en ^voyexhe ^ A Ualicis conditionibus . Ces sommes néanmoins paraissent hors de vraisemblance. Quoi qu'il en soit, le consul, surpris qu'on eût fait monter à un si haut prix le tableau dont il s'agit, usa de son au- torité , et le retint contre la foi publique , et malgré les plaintes d' Attale, parce qu'il s'imagina qu'il y avait dans cette pièce quelque vertu cachée qu'il ne connais- sait pas. Ce n'était point pour son intérêt particulier qu'il en usait ainsi ^, ni dans le dessein de se l'appro- prier , puisqu'il l'envoya à Rome pour y servir d'or- nement à la ville : par où, dit Cicéron, il orna et em- bellit sa maison bien plus réellement que s'il y avait placé ce tableau. La prise de la ville la plus riche et la plus opulente qui fût dans la Grèce ne l'enrichit pas d'un denier. Ce noble désintéressement était en- core pour-lors commun à Rome, et paraissait moins la vertu des particuhers que celle du siècle même. Pro- fiter du commandement pour s'enrichir , c'était non- seulement une honte et une infamie , mais une préva- rication criminelle. Le tableau dont je parle fut placé dans le temple de Cérès, oii les connaisseurs l'allaient voir par curiosité comme un chef-d'œuvre de l'art, et t J22 "oo fr. — L. mihi videtur ornatior... Laus absti- 2 555 ooo fr. L. iientiœ, non honiinis est solùm, sed 3 «Numquid L. Munimiuscopio- etiam tempoium... Habeie quacstui sior , quum copiosisslmam uibem renipublicam non modo turpe est , funditùs sustulisset? Italiam orna- sed seeleialum etiam et nefarium. » re, quàm domum suara, maluit. (Cic. ^e O^c. lib. 2 , n. 76, 77.) Quanqiiam Italiâ ornatà doraiis ipsa SUCCESSELTRS d' ALKX A N DR i;. 449 il y demeura jusqu'à ce qu'il périt dans Tincendie de ce temple. Mummius était un grand homme de guerre et un erand homme de hicii, mais sans littérature, sans con- naissance des arls, sans goût pour les ouvrages de peinture et de scidpture, dont il ne discernait point le mérite, ne croyant pas qu'il y eût quelque diffé- rence entre tableau et tableau, statue et statue, ni que le nom dos grands maîtres de l'art y nn't le prix. Il le fit bien voir dans l'occasion dont il s'agit. Il avait char- gé des entrepreneurs de faire transporter à Rome plu- sieurs tableaux et plusieurs statues des plus excellents maîtres ^ . Jamais perte n'aurait été moins réparable que celle d'un pareil dépôt, composé des chefs-d'œuvre de ces artisans rares qui contribuent presque autant que les grands capitaines à rendre leur siècle respectable à la postérité. Cependant Mummius, en recomman- dant le soin de cet amas précieux à ceux à qui il le con- fiait, les menaça très -sérieusement, si les statues, les tableaux , et les choses dont il les chargeait de ré- pondre , venaient à se perdre ou à se gâter en chemin, de les obliger à en fournir d'autres à leurs frais et dépens. Ne serait-il pas à souhaiter, dit un historien qui nous a conservé ce fait, que cette heureuse ignorance subsistât encore ? et une telle grossièreté ne serait-elle • « Mummius tam rudisfuit, ut, Vinici , quin magis pro republica capta Corintbo , quum maximoiura fuerit , maneie adhuc rudem Co- artificura perfectas manibus fabulas rintbiorum intellectura , quàm in ac statuas in Itallam portandas lo- tanlum ea inteUigi; et quin bàc pru- caret, juberet praedici conducenti- dentiâ illa imprudentia decori pu- bus, si eas perdidissent , novas eus blico fuerit convenientior. » (Vei.i.. reddituros.Nontamenputodubites, Patercul. 1. i , n. i3.) Tome Vm.Uist.anc. ^(J 4jO histoire A]VCir_\NE. pas infiniment préférable, par rapport au bien public, à cette extrême délicatesse où notre siècle a porté le goût pour ces sortes de raretés ? Tl parlait dans un temps où ce goût pour les pièces rares était aux ma- gistrats une occasion d'exercer dans les provinces tou- tes sortes de vols et de brigandages. ^ J'ai dit que Polybe , en revenant dans le Péloponnèse , eut la douleur de voir la destruction et l'incendie de Corinthe , et sa patrie réduite en province de l'empire p j Y, romain. Si quelque chose fut capable de le consoler in Excerpf. (|ans unc conioncturc si funeste, ce fat l'occasion qu'il p. 190-1 y?.. •' _ ' eut de défendre la mémoire de Philopémen , son maî- tre dans la science de la guerre. J'ai déjà marqué qu'un Romain, s'étant mis en tête de faire abattre les statues qu'on avait dressées à ce béros , eut la bardiesse de le poursuivre criminellement comme s'il eût été en vie, et de l'accuser devant Mummius d'avoir été l'ennemi des Romains, et d'avoir toujours traversé leurs desseins autant qu'il avait pu. Cette accusation était outrée ; mais elle avait quelque couleur, et n'était pas tout-à- fait sans fondement. Polybe prit bautement sa défense*, ïl représenta Pbilopémen comme le plus grand capi- taine que la Grèce eût produit dans ces derniers temps, qui pouvait peut-être avoir quelquefois porté un peu trop loin son zèle pour la liberté de sa patrie , mais ([ui , en plusieurs occasions , avait rendu des services considérables au peuple romain , comme dans les guer- res contre Antiochus et contre les Etoliens. Les com- missaires, devant qui il plaidait une si belle cause, touchés de ses raisons , et encore plus de sa reconnais- sance pour son maître, décidèrent que l'on ne toucbe- rait point aux statues de Pbilopémen , en quelque ville SUCCESSEURS i)' ALKX /V W DR F. /|5[ qu'elles se trouvassent. Polybe, profitant de la bonne volonté de Munimius, lui demanda encore les statues d'Aratus et d'Achéus, et elles lui furent accordées, ([uoiqu'elles eussent déjà été transportées du Pélopon- nèse dans l'Acarnanie. Les Achéens furent si charmés du zèle ([uc Polybe avait fait paraître en cette occasion pour l'honneur des grands hommes de son pays, qu'ils lui érigèrent à lui-même une statue de marbre. Dans le même temps il donna une preuve de son désintéressement, qui lui fit autant d'honneur parmi ses citoyens que sa défense de la mémoire de Philopé- men. Après la destruction de Corinlhe , on soneea à punu- les auteui^s de l'insulte faite aux ambassadeurs romains; et l'on mit leurs biens à l'encan. Lorsqu'on en vint à ceux de Diœus, qui y avait eu le plus de part, les dix connnissaires ordonnèrent au questeur qui les mettait en vente de laisser prendre à Polybe parmi ces biens tout ce qu'il trouverait à sa bienséance sans rien exiger de lui , et sans en rien recevoir. Il re- fusa cette offre, quelque avantageuse qu'elle parût: et il aurait cru se rendre complice en quelque sorte des crimes de ce scélérat, s'il avait pris ([uelque partie de ses biens; outre qu'il regardait comme honteux de s'en- richir des dépouilles de son concitoyen. Non-seulement il ne voulut rien accepter; il exhorta encore ses amis de ne rien souhaiter de ce qui avait appartenu à Diœus, et tous ceux qui suivirent son exemple furent extrême- ment loués. Cette action fit concevoir aux commissaires une si Poivb grande estime pour Polvbc , qu'en sortant de la Grèce '" ^''<=*''"i'^- ils le prièrent de parcourir toutes les villes (jui ve- naient d'être conquises, et d'accommoder leurs diffé- / /j5vi HISTOIRE ANCIENNE. rends, jusqu'à ce que l'on s'y fût accoutumé au chan- gement qui s'y était fait, et aux nouvelles lois qui leur avaient été données. Polybe s'acquitta d'une commis- sion si honorable avec tant de douceur, de justice et de prudence, que , soit pour le gouvernement général, soit pour les affaires des particuliers, il ne s'élevait plus dans l'Achaïe aucune contestation. En reconnais- sance d'un si grand bienfait, on lui érigea des statues en différents endroits, une, entre autres, dont la Base portait cette inscription : que la Grèce il" aurait pas fait de fautes, si des le commencement elle eût été docile aux conseils de Polybe; mais qu après ses fautes , il avait été seul son libérateur. Polybe, après avoir ainsi établi l'ordre et la tran- quillité dans sa patrie, retourna joindre Scipion à Rome, d'où il le suivit à Nuniance, au siège de la- quelle il fut présent. Lorsque Scipion fut mort, il re- in Macrob. pj^j^ ]^ routc dc SOU pays ; et ayant joui là pendant six ans de l'estime , de la reconnaissance et de l'amitié de ses chers citoyens, il mourut à l'âge de quatre-vingt-. deux ans, d'une blessure qu'il s'était faite en tombant de cheval. Métellus, de retour à Rome, fut honoré du triom- phe, comme vainqueur de la Macédoine et de l'Achaïe, et il prit le surnom de Macédonicus. Le faux roi An- driscus était traîné devant son char. Entre les autres déoouilles, il fît passer ce qu'on appelait la troupe d^Alexandre-le- Grand. Ce prince, à la bataille du Granique, avait perdu vingt-cinq de ses amis : il leur fit faire à chacun par Lysippe , le plus habile ouvrier en ce genre, une statue équestre, et y joignit la sienne. Ces statues avaient été placées à Dium , ville de Ma- Luclan. SUCCESSEURS d'a I.EX A N DU E. /{i)'^ cédoine; Métellus les (it transporter à Rome, et en décora son triomphe. Mummius obtint aussi l'honneur du triomphe; et en conséquence de la conquête qu'il avait faite de l'Achaïe, il prit le sinnom ^Âchaïcus. Il fit passer dans son triomphe un grand nombre de statues et de tableaux, qui firent, depuis, l'ornement des édifices publics de Rome et de plusieurs autres villes d'Italie : mais aucune n'entra dans la maison du trioniphateur. § V. Réflexions sur les causes de la grandeur , puis de la décadence et de la ruine de la Grèce. Après avoir vu la ruine totale de la Grèce, qui nous a fourni pendant tant de siècles de si beaux exemples de vertu et des événements si mémorables, il doit nous être permis de retourner sur nos pas pour con- sidérer en abrégé et d'un même coup-d'œil la nais- sance, les progrès, la décadence des principaux états qui la composent. On peut partager tout le temps de leur durée en quatre âges. Premier et second âge de la Grèce. Je ne m'arrêterai point à l'ancienne origine dès Grecs, ni aux temps fabuleux qui précèdent la guerre de Troie, et qui composent le premier âge, et, pour ainsi dire, l'enfance de la Grèce. liC second âge, qui s'étend depuis la prise de Ti-oie jusqu'au règne de Darius 1*"*^ chez les Perses , fut comme son adolescence et sa jeunesse, où elle se forma , se fortifia , se prépara aux grandes choses 454 lirSTOIRE ANCIENNE. qu'elle devait faire clans la suite, et jeta les fondements de cette puissance et de cette gloire qui depuis por- tèrent si haut sa réputation. Les Grecs, comme l'observe M. Bossuet, naturelle- ment pleins d'esprit, avaient été cultivés par des rois et des colonies venues d'Egypte, qui, s'étant établies en divers endroits du pays, répandirent par-tout cette excellente police des Égyptiens. C'est de là qu'ils ap- prirent les exercices du corps, la lutte, la course à pied, la course à cheval et sur des chariots, et les autres exercices qu'ils mirent dans leur perfection par les glorieuses couronnes des jeux olympiques : mais ce que les Égyptiens leur avaient appris de meilleur, était à se rendre dociles , et à se laisser former par les lois pour le bien public. Ce n'étaient pas des particuliers qui ne songent qu'à leurs affaires, et ne sentent les maux de l'état qu'autant qu'ils en souffrent eux-mêmes ou que le repos de leur famille en est troublé ; les Grecs étaient instruits à se regarder et à regarder leur famille comme partie d'un grand corps, qui était le corps de l'état. Les pères nourrissaient leurs enfants dans cet esprit; et les enfants apprenaient dès le berceau à re- garder la patrie comme une mère commune , à qui ils appartenaient plus encore qu'à leurs parents. Les Grecs, ainsi policés peu à peu, se crurent ca- pables de se gouverner eux-mêmes ; et la plupart des villes se formèrent en républiques, sous différentes for- mes de gouvernements , qui toutes avaient pour ame la liberté, mais une liberté sage, raisonnable, et sou- mise à la loi. L'avantage de ce gouvernement était que les citoyens s'affectionnaient d'autant plus à leur pays qu'ils se conduisaient en commun, et qu'ils pouvaient SUCCESSEURS d' A LE X A N Dllli. l\55 tous parvenir aux lionneurs. D'ailleurs l'état de sim- ples particuliers ou rentraient ceux qui sortaient de charge les empêchait d'abuser d'une autorit«î dont ils ])ouvaient bientôt être dépouillés; au lieu que souvent elle devient fière, injuste et violente, quand elle n'est arrêtée par aucun rrein,et qu'elle doit avoir une lon- gue ou continuelle durée. L'amour du travail écartait les vices et les passions, qui causent ordinairement la ruine des étais. Il me- naient une vie laborieuse et occupée, faisant cas de la culture des terres et des arts, n'excluant pas des pre- mières dignités de l'état un laboureur ni un artisan ; conservant entre tous les citoyens et tous les membres de l'état une grande égalité, sans faste, sans luxe , sans ostentation. Celui qui avait eu une année le commande- ment de l'armée , ou exercé la souveraine magistrature , combattait l'année suivante dans le rang de simple offi- cier, et ne rougissait point des fonctions les plus com- munes, soit dans l'armée de terre, soit sur la flotte. Le caractère dominant de toutes les villes de la Grèce était une estime particulière de la pauvreté, d'une for- tune médiocre; de la simplicité dans les bâtiments, dans les meubles, dans les vêtements, dans les équi- pages, dans les domestiques, dans la table. On est étonné de voir les petites rétributions dont ils se con- tentaient pour leurs peines dans les fonctions publi- ques et pour les services rendus à l'état. Que ne devait-on point attendre de peuples formés de la sorte, élevés et nourris dans ces principes, imbus dès la plus tendre enfance de maximes si propres à élever l'ame et à lui inspirer de grands et de nobles 456 HISTOIRE ANCIENNE. sentiments? L'effet surpassa toute l'idée et toute Tes- pérance qu'on aurait pu en concevoir. Troisième âge de la Grèce. Ce sont ici les beaux jours de la Grèce, qui ont fait et qui feront l'admiration de tous les siècles. Le mérite et la vertu des Grecs , renfermés dans l'enceinte obscure de leurs villes, n'avaient encore paru que faiblement jusqu'ici, et avaient jeté peu d'éclat. Pour les faire éclore pleinement et les mettre dans tout leur jour, il fallait quelque grande et importante occasion , où la Grèce, attaquée par un ennemi formidable, et exposée aux dangers les plus extrêmes, fût contrainte en quel- que sorte de sortir d'elle-même , et de se montrer au- dehors telle qu'elle était. C'est ce que fit l'invasion des Perses dans la Grèce, d'abord sous Darius, puis sous Xerxès. L'Asie entière , armée de tolites ses forces , se déborde tout d'un coup comme un torrent impétueux, et vient fondre avec des troupes innombrables, tant de terre que de mer, contre un petit coin de la Grèce, qui paraît devoir au premier choc être absorbé entiè- rement et abymé. Cependant deux faibles villes , Sparte et Athènes, non-seulement résistent à ces armées for- midables, mais les attaquent, les défont, les poursui- vent, et en exterminent la plus grande partie. Qu'on repasse dans sa mémoire, car mon dessein n'est ici que d'en rappeler le souvenir, les prodiges de valeur et de fermeté qui éclatèrent alors , et qui continuèrent encore long-temps dans la suite. A quoi les Grecs fu- rent-ils redevables de succès si étonnants et si fort au- SUCCESSEURS d'a I,E X A NDIl L, 4^7 dessus de toute vraisemblance , sinon aux principes dont j'ai parlé, gravés profondément dans leur esprit par l'éducation, par les exemples , par la pratique, et deve- nus en eux, par une longue habitude, comme une seconde nature? Ces principes, on ne peut trop le répéter, étaient: l'estime de la pauvreté, le mépris des richesses, l'oubli de ses propres intérêts, l'attachement au bien public, le désir de la gloire, l'amour de la {)atrie; mais sur- tout un zèle pour la liberté, que nul péril n'était ca- pable d'intimider, et un haine irréconciliable contre quiconcpie songeait à v donner la moindre atteinte, qui réunissait tous les esprits, et faisait cesser dans le moment toute dissension et toute discorde. Il y avait de la différence entre les républiques pour l'autorité et la puissance, mais il n'y en avait point pour la liberté ; de ce coté l'égalité était parfaite. Les états de l'ancienne Grèce étaient exempts de cette am- bition qui cause tant de guerres dans les monarchies, et ne songeaient point à s'agrandir aux dépens les uns des autres, ni à faire des conquêtes. Us se bornaient à cultiver leur terrain, à le faire valoir, à le défendre, et ne cherchaient point à rien usurper sur leurs voi- sins. Les plus faibles villes, paisibles dans la possession de leur domaine , ne craignaient point l'invasion de celles qui étaient plus puissantes. C'est ce qui donna lieu à cette multitude de villes, de républiques , d'états de la Grèce, qui ont subsisté jusqu'aux derniers temps dans une parfaite indépendance, conservant leur gou- vernement particulier, leurs lois propres, leurs cou- tumes et leurs usages héréditaires. Quand on examine avec quelque soin la conduite 458 HISTOIRE ANCIENNE. de ces peuples , soit au-dedans , soit au-dehors , leurs assemblées, leurs délibérations, leurs motifs dans les résolutions qu'ils prennent, on ne se lasse point d'ad- mirer la sagesse de leur gouvernement, et l'on est tenté de se demander à soi-même d'oii a pu donc venir h ces bourgeois de Sparte et d'Athènes cette grandeur d'ame, cette noblesse de sentiments, cette prudence consommée dans la politique, cette connaissance pro- fonde et- universelle de la science militaire, soit pour l'invention et la construction des machines, soit pour l'attaque et la défense des places, soit pour ranger une armée en bataille et en régler tous les mouvements; enfin cette souveraine habileté dans la marine, qui rendit toujours leurs flottes victorieuses, qui leur pro- cura si glorieusement l'empire de la mer, et qui obli- gea les Perses à y renoncer pour toujours par un traité solennel. On voit ici une différence remarquable entre les Grecs et les Romains. Ceux-ci, immédiatement , après leurs conquêtes, se laissèrent corrompre par le faste et le luxe. Après qu'Antiochus eut subi le joug des Romains , l'Asie, domptée par leurs armes victorieuses, dompta à son tour les vainqueurs par ses richesses et ses délices, et ce changement de mœurs fut très- prompt et très-rapide , sur-tout depuis que Carthage , la fière rivale de Rome , eut été renversée. Il n'en fut pas ainsi des Grecs. Rien n'était plus brillant que les victoires qu'ils remportèrent sur les Perses, rien de plus flatteur que la gloire qu'ils s'acquirent par leurs grandes et illustres actions. Après cette époque si glo- rieuse, on voit encore persévérer long-temps chez les Grecs le même amour de la simplicité, de la frugalité, SUCCESSEURS d' ALEX A.1VDRE. 4^') (le la jjauvreté, le HRine éloignement du faste et des délices, le même zèle et lu même ardeur pour défen- dre sa liberté et pour conserver les mœurs anciennes. On sait combien les îles et les provinces de l'Asie Mi- neure , dont les Grecs triomplièrent tant de fois, étaient livrées à la mollesse et au luxe : néanmoins ils ne se laissèrent jamais infecter par cette tlouce contagion , et ils se défendirent constamment des vices des peuples vaincus. Il est vrai qu'ils n'en faisaient pas la conquête : mais le commerce seul et l'exemple pouvaient leui- devenir fort dangereux. L'introduction de l'or et de l'argent dans Sparte , d'où jusque-là ils avaient été bannis sévèrement, n'ar- riva qu'environ quatre-vingts ans après la bataille de Salamine ; et l'antique simplicité des mœurs s'y con- serva encore très-long-temps depuis, malgré ce viole- ment des lois de Lycurgue. Il en faut dire autant du reste de la Grèce, qui ne s'affaiblit et ne dégénéra que lentement et par degrés. C'est ce qui nous reste à voir. Quatrième âge de la Grèce. La principale cause de l'affaiblissement et de la dé- cadence des Grecs fut la désunion qui se mit entre eux. La Perse , qui les avait reconnus invincibles du côté des armes tant qu'ils demeuraient unis , mit toute son attention et loute sa politique à jeter parmi eux des semences de discorde. C'est à quoi depuis elle employa son or et son argent , qui lui réussirent bien mieux que n'avaient fait auparavant le fer et les armes. Les Grecs, attaqués sourdement de la sorte par les. 46o HISTOIRE ANCIENNE. présents qu'on faisait couler de temps en temps dans les mains de ceux qui avaient le plus de part au gou- vernement , se divisèrent par des jalousies intestines , et tournèrent contre eux-mêmes leurs armes victo- rieuses, qui les avaient rendus supérieurs à leurs en- nemis. Cet affaiblissement donna lieu à Philippe et à Alex- andre de les asservir. Ces princes , pour les accou- tumer doucement à la servitude , prirent le prétexte de les venger de leurs anciens ennemis. Les Crées donnèrent aveuglément dans ce piège grossier , qui porta le coup mortel à leur liberté. Leurs vengeurs leur devinrent plus funestes que leurs propres enne- mis. Le joug, imposé parles mains qui avaient vaincu l'univers , demeura toujours sur leurs têtes : il ne fut plus libre à ces petits états de le secouer. De temps en temps la Grèce , animée par le souvenir de son ancienne gloire , se réveillait de son assoupissement , et faisait quelques tentatives pour se rétablir dans son ancien état : mais c'étaient des efforts mal con- certés et mal soutenus d'une liberté mourante , qui n'aboutissait qu'à la rendre encore plus esclave , parce que les protecteurs qu'elle appelait à son secours s'en ' rendaient aussitôt les maîtres. Ainsi elle ne faisait que changer de chaînes , et que les appesantir. Les Romains la soumirent enfin totalement, mais i ce fut par degrés, et avec beaucoup d'artifice. Comme ils poussaient toujours leurs conquêtes de province en province, ils sentirent qu'ils trouveraient une bar- rière à leurs projets ambitieux dans la Macédoine , redoutable par son voisinage, par sa situation avan- tageuse , par sa réputation dans les armes , et très- SUCCliSSELUS UALEXAiVDRi;. 4^' puissante par elle-même et par ses alliés. Les Romains se tournèrent adroitement du côté des petits états de la Grèce, de qui ils avaient moins à craindre, et cher- chèrent à les gagner par l'attrait et l'appât de la li- herté , qui était leur passion dominante, et dont ils surent réveiller en eux les anciennes idées. Après s'être hahilement servis des Grecs pour abattre et détruin; la puissance macédonienne, ils soumirent tous ces peu- ples les uns après les autres sous différents prétextes. Ainsi la Grèce fut enfin absorbée dans l'empire ro- main , et en devint une province sous le nom ^Achaïe. Elle ne perdit point avec sa puissance ce vif amour de la liberté qui faisait proprement son caractère. Les Romains, en la réduisant en province, conservèrent à sirab. i. ,;. ses peuples presque tous leurs privilèges ; et Sylla , qui les punit si cruellement soixante ans après pour iuSyiia. avoir favorisé les armes de Mithridate , ne toucha j)oint à la liberté de ceux qui échappèrent à sa ven- geance. Les guerres civiles de l'Italie étant survenues, on vit les Athéniens embrasser avec chaleur le parti de Pompée , qui. combattait pour la république. Jules César ne s'en vengea qu'en déclarant qu'il leur par- donnait à la considération de leurs ancêtres. Mais , V 1 1 T 1 /-' ' 1 1 Diod. 1. lyl , après le meurtre de Jules Gesar , leur penchant pour p. iyr;pt la liberté leur fit oublier sa clémence. Ils élevèrent '''P' ^' des statues à Rrutus et à Gassius , ptès de celles d'IIar- modius et d'Aristogiton, anciens libérateurs d'Athènes, et ne les abattirent qu'à la sollicitation d'Antoine , devenu leur ami , leur bienfaiteur , leur magistrat. Après qu'elle eut été dépouillée de son ancien pou- voir , il lui resta une autre souveraineté que les Ro- mains ne purent lui enlever , et à laquelle eux-mêmes / ^6-2 HISTOIRE AKCIEA'NE. furent obligés de se soumettre et de rendre hommage. Athènes demeura toujours la métropole des sciences, récole des beaux-arts , le centre et la règle du bon goût pour toutes les productions de l'esprit. Plusieurs villes , comme Bysance , Césarée , Alexandrie , Ephèse , Rhodes, partagèrent avec elle cette gloire , et ouvri- rent à son exemple des écoles qui devinrent très-fa- meuses. Rome , toute fière qu elle était , reconnut ce glorieux empire. Elle envoyait ses plus illustres ci- toyens se perfectionner et s'enrichir en Grèce. On y apprenait toutes les parties d'une bonne philosophie , la connaissance des mathématiques , la science des choses naturelles, les règles des mœurs et des devoirs, l'art de raisonner juste et conséquemment. On y pui- sait toutes les richesses de l'éloquence , et Ton appre- nait à traiter les plus grands sujets avec méthode , avec justesse, avec force , avec agrément , avec clarté. Un Cicéron , déjà Fadmiration du barreau , jugea qu il lui manquait quelque chose , et ne rougit point de devenir le disciple des grands maîtres que la Grèce avait dans son sein. Pompée , au milieu de ses glo- rieuses conquêtes , ne crut pas se déshonorer , en passant par Rhodes , d'aller entendre les leçons des célèbres philosophes qui y enseignaient avec beaucoup de réputation , et de se rendre en quelque sorte leur disciple. Rien ne fait mieux voir le respect que l'on conser- vait pour l'ancienne réputation de la Grèce , qu'une i,iii. p., lettre de Pline le jeune. Voici ce qu'il écrit à Maxime , o,,!st. ?.',. j^^j^j^^ p^j. Xrajan au gouvernement de cette province : K Mettez-vous devant les yeux , mon cher Maxime , (( que vous allez dans l'Achaïe , la véritable Grèce , la SLCCKSSE[jRS I)' A L KX Ax\ D R K . /j^^ i< Grèce toute pure , d'oii sont sorties les lettres et la « politesse , où l'agriculture même a été inventée , « suivant l'opinion conmiune. Souvenez-vous que vous « êtes envoyé pour gouverner des villes , des hommes « libres, s'il y en eut jamais, et qui, par leurs vertus, « leurs actions , leurs alliances , leurs traités , leur re- « ligion , ont su se conserver la liberté qu'ils ont reçue « de la nature. Révérez les dieux leurs fondateurs : « respectez leurs héros , l'ancienne gloire de la nation , « et la vieillesse sacrée des villes, la dignité , les grands « exploits , et jusqu'aux fables et a la vanité de ce (( peuple. Souvenez-vous que c'est dans ces sources « que nous avons puisé notre droit ; que nous ne lui K avons pas imposa nos lois après l'avoir vaincu , mais « cju'll nous a donné les siennes quand nous l'en avons « prié , et avant que de sentir le pouvoir de nos armes. « En un mot , c'est à Athènes que vous allez , c'est à « Lacédémone que vous devez commander. 11 y aurait « de l'inhumanité et de la barbarie à les dépouiller de « cette ombre et de ce simulacre qui leur reste de leur (( ancienne liberté. » Pendant que l'empire romain s'affaiblissait, cet em- pire des esprits se soutenait toujours, et ne se sentait point de ses révolutions. De toutes les parties du monde on venait en Grèce pour s'y former. On voit , dans les quatrième et cin([uième siècles , ces grandes lumières de l'église , saint Basile , saint Grégoire de Nazianze , saint Jean Chrysostôme, venir puiser à Athènes , comme dans la source , toutes les sciences profanes. Les empereurs même ', qui ne pouvaient ' Tito, Antonin, Maic-Aurèlc, LuciusVérus, etc. 464 HISTOIRE ANCIEIVNE. aller en Grèce , faisaient en quelque sorte venir la Grèce chez eux , en recevant dans leurs palais ses plus célèbres professeurs , pour leur confier l'éducation des princes leurs fils , et pour profiter eux-mêmes de leurs instructions. Marc-Aurèle ," dans le temps même qu'il était empereur, allait entendre les philosophes Apol- lone et Sextus , et preaidre leurs leçons comme un simple disciple. Par un nouveau genre de victoire et inconnu jusque- là , la Grèce avait imposé la loi à l'Egypte et à tout l'Orient , dont elle chassa la barbarie , et y introduisit à sa place le goût des arts et des sciences , obligeant comme par droit de conquête tous ces peuples à re- cevoir son langage et à adopter seâ coutumes : témoi- gnage bien glorieux pour une nation , et qui marque une supériorité bien plus flatteuse que celle qui n'est point fondée sur le mérite , mais uniquement sur la force des armes ! Plutarque observe quelque part que jamais Grec ne songea à apprendre le latin , et qu'un Romain qui ignorait le grec n'était pas fort estimé. FIN 15 U TOME liriTIEME. TABLE DES MATIÈRES C O X T F. NUES DANS LE TOME HUITIEME. HISTOIRE ANCIENNE DES PERSES, DES GRECS ET DES 31 ACÉDONI E ÎVS. LIVRE DIX-NEUVIÈME. SUITE DE l'histoire DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE, Depuis l'an du monde 38o8 jusqu'à 38.14- Art. I. § I. Sur les plaintes et les soupeons formés contre Antioclms , les Ro- mains luieuvoient une ambassade; elle n'aboutit qu'à disposer les choses de part et d'autre à une rupture ouverte. Conspiration de Scopas , Étolien , contre P tolémée: il est mis à mort avec ses com- plices. Annibal se retire chezAn- tiochus. Guerre de Flamininus contre Nabis. ' 11 l'assiège dans Sparte, l'oblige à demander la paix, et la lui accorde. Il entre à Rome en triomphe. Page 6 § II. Tout se prépare à la guerre en- tre Antiochus et les Romains. Mu- tuelles ambassades et entrevues de part et d'autre, qui ne termi- nent rien. Les Romains envoient des troupes contre ]\abis qui avait rompu le traité. Philopémen rem- porte contre lui une victoire. Les Etoliens appellent Antiochus. Na- bis est tué. Enfin Antiochus passe en Grèce. Page 27 § III. Antiochus fait tenter vaine- ment les Achéens. Il se rend maî- tre de Chalcis et de toute l'Eu- bcc. Les Romains lui déclarent la guerre, et envoient contre lui dans la Grèce le consul ManiusAcilius. Antiochus profite mal des conseils d' Annibal. Il est vaincu près des Thermopyles. Les Etoliens offrent de se soumettre aux Romains. 5o Tome rtTf. HIst. anr. 3o 466 TABLE DES M A T I E II E S. § IV. Polyxénide, amiral de la flotte fl'AntiocKus , est battu par Li- vius. L.Scipion, nouveau consul, est chargé de la guerre contre An- tîochus ; Scipiou l'Africain , son frère, sert sous lui. Les Rhodiens défont Annibal sur mer. Le con- sul marche contre Antiochus, et passe en Asie; il remporte sur lui une célèbre victoire près de Ma- gnésie. Le roi obtient la paix , et par le traité cède toute l'Asie en- decà dumontTaurus. Dispute en- tre Eumène et les Rhodiens devant le sénat de Rome, au sujet des villes grecques de l'Asie. Page 67 Réflexion sur la conduite des Ro- mains à l'égard des républiques grecques, et des rois tant de l'Europe que de l'Asie. 104 § V. Le consul Eulvius soumet les Etoliens. Les Spartiates essuient un cruel traitement de la part de leurs bannis. Manlius, l'autre con- sul , soumet les Gaulois de l'Asie. Antiochus , pour payer aux Ro- mains le tribut , pille un temple dans l'Élymaide : il est tué. Expli- cation de la prophétie de Daniel qui regarde Antiochus. i ro Lettre du roi à M. le maréchal d'Asfeld. 12 1 § VI. Séleucus Philopator succède à son père Antiochus. Commence- ment du règne de Ptolémée Epi- phane en Egypte. Diverses ambas- sades, envoyées aux Achéens et aux Romains. Plaintes contre Phi- lippe. Rome envoie des commis- saires pourexaminer ces plaintes , et pour prendre aussi connais- sance du mauvais traitement fait à Sparte par les Achéens. Suite de cette dernière affaire. i3i § VII. Philopémen attaque Messène. Il est pris pur les Messéniens et mis à mort. Messène se rend aux Achéens. Célèbre convoi de Philo- pémen, dont lescendr?s sont por- tées à Mégalopolis. Suite de l'af- faire des bannis de Sparte. Mort de Ptolémée Épiphane. Philomé- tor son fils lui succède. Page i53 Art. II. § I. Plaintes contre Philippe por- tées à Rome. Démétrius , son fils , qui y était, est renvoyé vers son père avec des ambassadeurs. Com- plot secret de Persée contre son frère Démétrius, au sujet de la succession au troue. Il l'accuse devant Philippe. Plaidoyer de l'un et de l'autre. Philippe , sur une nouvelle accusation, fait mourir Démétrius. Il reconnaît quelque temps après son innocence et le crime de Persée. Dans le temps qu'il songeait à punir celui-ci, il meurt. Persée lui sitccède. 170 § II. Mort de Séleucus Philopator, après un règne assez court et ob- scur. Son frère Antiochus , sur- nommé Epiphane, lui succède. Semences de guerre entre les rois d'Egypte et de Syrie. Antiochus remporte une victoire sur Ptolé- mée. Le vainqueur se rend maître de l'Egypte et de la personne même du roi. Sui' le bruit d'une révolte générale, il passe en Palestine, assiège et prend Jérusalem , et y exerce d'horribles cruautés. Les Alexandrins , à la place de Pbilo- métor qui était entre les mains d' Antiochus, nomment pour roi son cadet Ptolémée Evergète, sur- nominé aussi Phjscon. Antiochus recommence la guerre en Egypte. Les deux frères s'accordent. Il marche vers Alexandrie pour l'as- siéger. Popilius, un des ambassa- deurs romains, l'oblige de sortir de l'Egypte, et de laisser les deux frères en repos. 207 § III. Antiochus, outré de ce qui lui était arrivé en Egypte , fait tom- ber sa colère sur les Juifs. Il en- treprend d'abolir le culte du vrai Dieu , adoré à Jérusalem. Il y exerce les plus grandes cruautés. Généreuse résistance de Matha- TVBLK DES M A. T I K R E S. thias qui , vn mourant , exhorte ses iils à combattre pour la loi ilc Dieu. Judas Machahéo remporte plusieurs victoires sur les géné- raux et les armées d'Autiochus. Ce prince, qui était allé en Perse pour V amasser des trésors , entreprend de pilier un riche temple à Ely- maïde : il en est heur<-usement re- poussé. Ayant apprisla défaite de ses armées dans la Judée, il part brusquement pour exterminer tous les Juifs. En chemin , la main de Dieu le frappe, il meurt au milieu des plus vives douleurs , après un règne de onze ans. Page 2 34 4G7 S IV. Prophéties de Daniel «pii re- gardent Antiochus Epiphane. Page 2 58 I. Guerres d'Antiochus Epiphane contre ri<'.gypte, prédites par le prophète Daniel. aîp Première expédition d'Antiochus en Egypte. 260 Seconde expédition d'Antiochus en Egypte. Ibid. Troisième expédition d'Antiochus en Egypte. '^63 Quatrième expédition d'Antiochus contre l'Egypte. 264 n. Persécutions cruelles exercées par Antiochus contre les Juifs, prédites par le prophète Daniel. 265 LIVRE VINGTIEME. SUITE IIK I, HISTOIRF. DES SUCCESSEURS D'ALEXANDRE. Art. I. S I. Persée se prépare sourdement à la guerre contre les Romains. Il tâche inutilement de se conci- lier les Achéens. Les mesures se- crètes qu'il prenait n'étaient point inconnues à Rome. Eumènc y ar- rive, et en avertit de nouveau le sénat. Persée entreprend de se défaire de ce prince , d'abord par un assassinat, puis par le pt)ison. Les Romains rompent avec Per- sée. Sentiments et dispositions des rois et des villes par rapport à la guerre de Macédt)ine. Après plusieurs ambassades de part et d'autre, la guerre est déclarée dans les formes. '274 ^ II. Le consul Licinius et le roi Persée se mettent en campagne. Ils campent l'nn et l'autre près du fleuve Pénée, mais à quelque distance. Combat de cavalerie , où Persée remporte un avantage con- sidérable, dont il prolîte mal. Il songe à faire la paix, et n'y peut réussir. Les armées, de part et d'autre , entrent en quartiers d'hi- ver. 298 S III. Le sénat f;iit une sage ordon- nance pour arrêter l'avarice des généraux et des magistrats qui vexaient lesalliés. Le consul Mar- cius, après avoir essuyé de rudes fatigues , pénètre dans la Macé- doine. Perséeprend l'alarme , et lui eu laisse l'enlrée libre: puis il re- prend courage. Ambassade inso- lente (lesRhodierisàRome. 3ig § IV. Paul Emile est choisi pour consul. Il part pour la Macédoine avec le préteur Cn. Octavius, qui 4^ TABLE DES MATIERES. commandait la flotte. Persée sol- licite de tous côtés des secours : son avarice lui en fait perdre de considérables. Victoire du préteur Anicius dans ITllyrie. Célèbre vic- toire , remportée par Paul Emile sur Persée près de la ville de Pyd- na. Persée est pris avec tous ses enfants. Le commandement de la Macédoine est prorogé à Paul- Emile. Décret du sénat qui ac- corde la liberté aux Macédoniens et aux Illyriens. Paul Emile, pen- dant le quartier d'hiver , parcourt les plus célèbres villes de la Grèce. Deretourà Amplii polis, il Y donne une grande fête. Il prend le cbe- min de Rome. En passant , il aban- donne toutes les villes de l'Epire au pillage. Il entre à Rome en triomphe. Mort de Persée. On ac- corde le triomphe à Cn. Octavius et à L. Anicius. P^g^ -Î33 Art. II. § I. Attale vient à Rome féliciter les Romains sur la victoire rem- portée en Macédoine. Les députés des Rhodiens se présentent ■de- vant le sénat, et.tàehent d'àpaiser- sa colère. Après -die liorigues et de vives sollrditations',- ils obtiennent d'être'admis à ràlliancé du peuple , romain. Dur traitement exercé contre lés Etoliens. Tous'ceux gé- néralement qui avaient favorisé Persée sont appelés à Rome pour y rendre compte de leur conduite. Mille Achéens y sont conduits : Polybe était du nombre. Le sénat les relègue dans diverses bour- gades de l'Italie. Après dix-sept ans d'exil , il les renvbie dans leur patrie : 11 n'en restait jilusKlue trois cents. 392 § II. Basses flatteries dePrusias',roi de Bithynie, dans le sénat; Eu- mène , devenu suspect aux Ro- mains, ne peut obtenir d'entrer à Rome. Ariarathe, roi de Cap - pado«e , meurt : son fils , de même nom , lui succède. Mort d'Eumène. Attale , son frère , lui succède comme tuteur de son fils, qui était fort jeune. Guerres entre At- tale et Prusias. Celui-ci , ayant voulu faire mourir son lils Nico- raède, en est tué lui-même. Am- bassade de trois célèbres philo- sojjhes athéniens à Rome. Autre ambassade des Mai-seillais. Digres- sion sur la ville de Marseille. Page 4i3 §111. Andrlscus , qui se disait fils ■ de Persée, se rend maître de la Macédoine et s'y fait proclamer roi. Le préteur Juventius l'attaque, et est tué dans le combat avec une partie de son armée. Métellus , qui lui succède , répare cette perte. L'usurpateur est vaincu, pris et envoyé à Rome. Un second et un troisième usurpateurs sont pareil- lement vaincus. 482 § IV. Troubles dans l'Achaïe : elle déclare la guerre aux Lacédémo- niens. Métellus envoie des dépu- tés à Corinthe pour apaiser les ^rpuWes ; ils sont maltraités. ^ Thêbés et Çhalc'îs se joignent aux • Achéens. Métellus , après les avoir • exhortés inutilement à la paix , leur livre un combat et les défait. Le consul Mummius lui succède, et, après le gain d'une bataille, prend Corinthe , y met le feu , et la détruit de fond en comble. La Grèce est réduite en province ro- maine. Diverses actions et mort de Polybe. Triomphes de Métel- lus et de Mummius 437 § V. Réflexions sur les causes de la grandeur, puis de la décadence et de la ruine de la Grèce. 453 Premier et second âge de la Grèce. Ibicl Troisième âge de la Grèce. 456 Quatrième âge de la Grèce. .ji'"\^'>() F I X I) F. I, A T A B I. V. DU T O IM K n IM T I F. M rr; i:^ »W 'x